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A propos de maisons bâties sur le roc, sur le sable, en paille ou en briques

Une maison, c’est bien plus qu’un ensemble de murs recouverts d’un toit. C’est un lieu de vie. L’endroit où l’on est chez soi. Parce qu’elle est une réalité concrète primordiale, la maison revêt une dimension symbolique extrêmement forte. Lieu de la sécurité, de l’intimité, de la manière d’aménager et d’habiter l’espace, elle est une image de la vie, et donc pour chacun une mage de sa propre vie, un reflet de sa personnalité. La façon de construire sa maison reflète nos choix essentiels et notre manière de vivre.

Dans la Bible, un épisode reprend ces résonances symboliques de la construction d’une maison. Ce sont bien sûr les deux images antithétiques de la maison bâtie sur le roc et de celle bâtie sur le sable. Archiconnues, ces images, comme bien d’autres (« rendez à César… », les perles aux pourceaux) se sont détachées de leur origine biblique pour devenir des expressions du langage courant. Pour se retrouver souvent, sans qu’on en ait conscience, mélangées avec les images véhiculées par l’histoire des trois petits cochons. Cependant, malgré la proximité des images et des thématiques, le passage biblique et le conte populaire n’ont pas tout à fait la même signification. Et cette différence vaut la peine d’être explorée.

Deux histoires à ne pas mélanger
L’image biblique des deux maisons se trouve en Mt 7,24-27 et en Lc 6,46-49. Dans l’évangile de Matthieu, elle se situe tout à la fin de ce qu’on appelle le Sermon sur la montagne, qui est chez Matthieu le premier grand discours de Jésus. Le Christ y proclame la « loi du royaume », ce que signifie et implique être fils ou fille du Père céleste, autrement dit, la manière de vivre et d’agir à laquelle sont appelés les êtres humains pour être des disciples. Dans la conclusion de ce discours, l’accent est celui d’une exhortation vigoureuse à ne pas se contenter d’une adhésion intérieure, mais à mettre en pratique la volonté de Dieu. Celui qui écoute les paroles du Christ et les met en pratique est semblable à une personne qui a bâti sa maison sur le roc, de telle sorte qu’elle résistera à la tempête. Tandis que celui qui écoute mais ne met en pratique est semblable à une personne qui a bâti sa maison sur le sable, maison qui sera emportée lorsque viendra la tempête.

L’histoire des trois petits cochons est quant à elle un conte européen qui remonte au moins au XVIIIe siècle. Il est aujourd’hui surtout connu dans la version du dessin animé réalisé en 1933 par Walt Disney, avec sa célèbre chanson « Qui a peur du grand méchant loup ? ». Le conte relate l’histoire de trois petits cochons qui bâtissent chacun une maison, respectivement en paille, en bois et en briques. Et comment le loup détruit sans peine les deux premières, obligeant les deux premiers cochons à se réfugier chez le troisième, dont la maison solide résiste à toutes les tentatives du loup.

Des ressemblances…
Si les deux maisons bibliques et l’histoire des trois petits cochons se confondent parfois dans notre imaginaire, c’est bien sûr parce qu’elles présentent un certain nombres de ressemblances.
– Chaque histoire est bâtie en deux temps.
– Elles commence en effet par la construction de maisons par plusieurs personnages (deux ou trois).
– Dans chaque histoire sont opposées différentes manières de construire.
– La façon de bâtir de chacun est l’expression de sa façon d’aborder la vie et de construire son existence.
– Dans un second temps, les maisons sont soumises à l’épreuve d’un danger qui peut les détruire de fond en comble.
– Impuissants par eux-mêmes face à ce danger qui les dépasse, les personnages ne peuvent compter que sur la solidité de leur abri pour y échapper.
– Chaque histoire montre à sa manière qu’à travers la construction des maisons, l’enjeu des choix et des attitudes des personnages est leur sécurité ou leur perte, leur vie ou leur mort.

… et des différences
1. Les personnages
Dans le passage biblique, ce sont des humains, qui ne reçoivent aucun trait descriptif, et dont on ne rapporte ni pensée ni parole, seulement leurs choix de départ dans la construction de leur maisons. Cette sobriété narrative a une fonction d’exemplarité et de généralisation. L’anonymat des personnages les relie en effet directement à tous les auditeurs possibles : « tout homme qui écoute et… est semblable à… ».
Dans le conte, l’emploi de trois petits cochons rejoint la tradition moraliste des fables. Des animaux représentent des caractères et des comportements humains. Dans certaines versions, les personnages sont parfois nommés. Des monologues révèlent leurs pensées, et montrent leurs différences. Dans le dessin animé de Disney, les attitudes et les voix illustrent clairement les différences de caractères et d’attitudes.
2. Le nombre des maisons
Deux, ou trois maisons ? Apparemment, qu’importe. Dans chaque histoire, il y a le bon choix, et le(s) mauvais ; ce qu’il faut imiter, et ce qu’il faut éviter. Pourtant, qu’il y ait trois maisons dans le conte populaire introduit l’idée d’une progression. Le choix de celui qui construit peut-être totalement inadapté (la paille), insuffisant (le bois), ou adéquat (les briques). Le conte laisse entendre ainsi qu’il y a une gradation entre les comportements. Le but est de construire la maison la plus solide possible.
L’image biblique quant à elle ne connaît que deux possibilités. L’alternative est radicale. Ou la maison est construite de manière à résister, ou elle s’effondrera. On ne peut pas passer progressivement du comportement à éviter au comportement à imiter. La différence se fait au départ. Il n’y a pas de demi-mesure. C’est l’un ou l’autre.

3. Le danger
La tempête est une menace naturelle contre laquelle personne ne peut rien. Elle fait partie de la réalité. Elle est une force qu’aucune intention n’anime, elle n’est pas « mauvaise », mais elle arrivera forcément un jour ou l’autre, et on ne peut pas l’éliminer.
Le loup par contre est aussi un personnage. Son but est de manger les petits cochons. Pour cela, il utilise la force, mais aussi la ruse. et il appartient aux cochons d’être sinon plus forts, du moins plus avisés et plus malins que le loup, afin non seulement de s’en protéger, mais de l’écarter en lui infligeant une cuisante leçon, voire, selon les versions, de l’éliminer définitivement.
4. Les différences entre les maisons
Mais c’est un détail qui passe souvent inaperçu qui sépare le plus le conte et l’histoire biblique. Dans le récit pour enfants, c’est la manière de construire la maison qui fait la différence. Il s’agit d’employer le bon matériau. Le plus solide, qui est celui qui demande le plus d’effort. Construire une solide maison de briques nécessite un travail bien plus considérable que d’édifier une légère hutte de paille ou une simple cabane de bois.
Dans l’image biblique, c’est l’emplacement choisi qui est décisif. L’enjeu en effet est de choisir le bon endroit pour bâtir sa maison, le bon support, celui qui résistera à la tempête. Ce qui change tout, ce n’est pas la solidité de la maison, mais celle de ses fondations.

Leçon de morale… ou choix de vie
Le message du conte des petits cochons est clair. Celui ou ceux qui, par légèreté, par insouciance ou par paresse, construisent à la hâte, pour pouvoir s’amuser le plus vite possible, connaîtront la ruine. Ils ne pourront résister aux dangers et aux difficultés de la vie. La sécurité et la survie dépendent du choix de l’effort et du travail. Le principe de réalité passe avant le principe de plaisir. Avant de vouloir profiter de la vie, il faut commencer par édifier sa vie de manière solide et sérieuse.
En mettant l’accent sur le fondement choisi, le texte biblique propose une autre perspective. Le plus important n’est pas le style ou la solidité de notre maison. Elle peut être grande ou petite, modeste ou imposante, carrée ou biscornue, réussie, ou peut-être même ratée, qu’importe, ce qui compte, c’est qu’elle soit édifiée sur ce qui résiste à la tempête. Il ne s’agit donc pas de faire plus d’efforts que les autres, de se préoccuper de sa propre solidité, mais de choisir avec sagesse et cohérence. De savoir sur quoi fonder et construire sa vie. La solidité ne vient pas de nous, mais de celui sur lequel nous choisissons de bâtir nos vies, en mettant en pratique sa parole. Notre sécurité ne vient pas de nous, mais de Dieu. Ce qui dépend de nous, c’est un choix qui oriente toute notre existence, le choix que nous faisons, ou pas, de construire en mettant en pratique sa volonté.

(Crédit: Nicolas Künzler)