Point KT

Le massacre des innocents

La violence est omniprésente dans la Bible.  Matthieu à partir de trois versets d’une très grande dureté (Matthieu 2, 16-18) livre un exemple de violence absolue dans un cadre : la naissance de Jésus, que l’on imagine volontiers rose.

  •  Le contexte littéraire : les évangiles de l’enfance

Présents seulement chez Luc et Matthieu (sans compter les évangiles apocryphes), ils sont très différents. Chez Matthieu, qui ne raconte pas la naissance elle-même, c’est Joseph qui est le personnage principal. On note l’importance des songes, communication semi directe avec Dieu, et l’importance de l’appellation, et par là des questions d’identité.

L’évangile de Matthieu commence par une généalogie de Jésus depuis Abraham (donc juive) qui ne peut pas ne pas évoquer, pour le lecteur averti, l’histoire chaotique du peuple d’Israël, ses guerres, ses souffrances…
Puis vient l’annonce à Joseph et la simple mention de la naissance de Jésus.

Le chapitre 2 est consacré à la visite des mages (sages mais étrangers et païens) et au massacre des innocents, encadré par la fuite en Egypte de Joseph et sa famille, et son retour.

On fait ensuite un bond de 30 ans, avec le ministère de Jean-Baptiste, prélude à celui de Jésus. Il est remarquable que chez Matthieu l’évangile de l’enfance se termine sur le récit tragique d’un massacre.

  • L’histoire littéraire du texte

Jean Daniélou dans son livre « Les Évangiles de l’enfance » (Seuil 1967), propose quatre strates dans l’histoire de la rédaction

 Une base historique
Les indications de date, le personnage d’Hérode le Grand, roi puissant, demijuif mal accepté par son peuple, mais reconnu par Rome, soupçonneux, retors et très violent ; il a fait massacrer une partie de sa descendance qui aurait menacé son pouvoir ! En dehors de Matthieu on ne sait rien sur la visite des mages et sur le massacre qui en découle. On pense aujourd’hui que ces textes sont plus théologiques qu’historiques. On peut seulement dire que l’épisode du massacre est vraisemblable.

Un travail midrashique
Cette forme de développement littéraire consiste d’une part à développer le merveilleux, d’autre part à établir des correspondances entre des textes différents par reprise de mots et d’expressions. Autour du récit du massacre, des correspondances entre Matt 2,13 et Ex 2,15, entre Matt 2,20 et Ex 4,19 suggèrent que Jésus est le nouveau Moïse ou le nouvel Israël.

 L’apport de « testimonia »
Les testimonia sont des recueils entiers de fragments de textes de l’Ancien Testament prouvant la messianité de Jésus ou montrant qu’il accomplit l’alliance. Il circulait des listes de ces textes. Matthieu a dû en utiliser. Le testimonium de notre récit est une citation libre de Jérémie 31, texte écrit en situation de crise. Le verset 11 cité rappelle le tragique et la désolation , mais il se trouve dans un chapitre de restauration qui annonce l’espérance pour le futur. Libération, salut, espérance ne s’annoncent pas sans que la souffrance et la violence soient rappelées.

 Les choix rédactionnels de Matthieu
On comprend les mages, cela signifie l’élargissement de la Bonne nouvelle de la naissance de Jésus, le signe de l’ouverture de l ‘Evangile au monde d e la science et aux autres religions païennes. On comprend la fuite en Égypte (Jésus nouveau libérateur), Mais pourquoi un massacre, et pourquoi en parler si brièvement ? Quel est le sens symbolique du meurtre des enfants ?
Aucun des deux récits à forte charge théologique (la reconnaissance de Jésus par les païens, le séjour de Jésus en Égypte) ne nécessitaient un massacre. Y avait-il une tradition à son sujet ? Matthieu, en tout cas a jugé nécessaire de rapporter cet événement à propos duquel Hébert Roux parle de « mystère de l’iniquité » en finale du récit de la naissance de Jésus.
La violence doit être racontée, démasquée et non voilée ou niée.

  • La forme du texte (travail en groupe)

Concision, concentration, dépouillement caractérisent notre récit. Comme si l’on était devant l’irracontable… ou comme si l’on voulait exprimer le caractère bref de la violence. Seule la « longue plainte » de Rachel rappelle la souffrance qui dure… bien au-delà de l’acte de violence.

Le lecteur peut se poser bien des questions sur les circonstances journalistiques du massacre (nombre de soldats, d’enfants, durée de l’opération). C’est le fait brut et lui seul que le texte transmet.

Quel titre pour notre bref passage ? Parmi ceux qui ne se contentent pas de nommer l’événement mais qui donnent un début d’interprétation, on peut noter celui-ci : « Échec au roi ».

  • Présenter le récit aux enfants

C’est ce que propose Marguerite Rosenstiehl dans le dossier de la Société des Ecoles du Dimanche: Une Nouvelle Étoile, Pour quel Roi ? »

Les notes bibliques indiquent bien que « Jésus entre dans un monde cruel et violent, face à des tyrans qui n’hésitent pas à provoquer des massacres pour conserver leur pouvoir, dans un monde de haine qui lui est hostile dès le départ et qui cherche à se débarrasser de lui. Un monde auquel le Christ n’échappera pas et qui finira par le clouer sur une croix. Il vient bien dans notre monde, dans sa réalité 1a plus difficile ».

Le jeu cruel du pouvoir est bien indiqué, la relation avec la passion mise en évidence.
Les pistes de réflexion nous indiquent que « le massacre des enfants est (dans l’ensemble de Matthieu 1 et 2) la seule initiative uniquement humaine. De ce projet Dieu est absent ».
Cependant Dieu laisse faire, il laisse chacun face à ses choix et responsabilités dans l’exercice du pouvoir (pas seulement politique).

La proposition de narration faite dans ce document à propos du massacre des innocents parle de colère, de jalousie, de soif du pouvoir à propos d’Hérode. Comme le texte biblique, elle ne donne aucun détail sur le massacre lui-même. Le fait que Jésus échappe à la mort n’est pas présenté comme miraculeux, mais mis en rapport avec sa mort bien plus tard sur la croix. Elle parle d’espérance et de vie nouvelle.

En résumé, on pourrait dire démasquons la violence, sans nous laisser submerger par elle.

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Matthieu 2,13-23 : Noël dans le détail

  Le choix du texte

Le choix du texte de Matthieu 2,13-23 est dicté par l’actualité du moment, avec l’intention de rappeler la face obscure de la Nativité selon le premier évangile. La tension entre la naissance merveilleuse et la terreur déclenchée par le roi Hérode met en rapport la joie de Noël et la noirceur de l’actualité. 

La séquence choisie fait suite au récit lumineux de l’adoration de l’enfant par les mages venus d’Orient (2,1-12). L’ombre d’Hérode pèse toutefois déjà dans sa demande aux mages de venir l’informer de ce qu’ils ont trouvé à Bethléem (2,8). Ce que l’on sait historiquement d’Hérode le Grand confirme les données du récit : ce grand roi, ami de Rome, était obsédé par l’idée qu’un rival puisse le détrôner ; c’est pourquoi il fit écarter et assassiner ses concurrents potentiels, et surtout une part importante de sa famille. La réputation sanguinaire de ce souverain, mort en l’an 4 avant notre ère, a aidé à forger le récit ; l’annonce de la naissance d’un « roi des juifs » (2,2) ne pouvait que l’inquiéter.

Trois moments composent la séquence : la fuite en Égypte (2,13-15), le massacre des enfants (2,16-18), le retour d’Égypte (2,19-23).

 

Fuite en Égypte (2,13-15)

L’avertissement de Joseph en songe, comme en 1,20 et 2,19-22, manifeste que Dieu prend en main les événements et met Hérode en échec. Royalement comblé par les mages, l’enfant est déjà menacé. L’Égypte, à cinq ou six jours de marche de Bethléem, était la terre classique de refuge en cas de famine ou de guerre (Gn 41,57 ; 1 R 11,40) ; province romaine depuis la mort de Cléopâtre, le pays était hors de portée du pouvoir d’Hérode. Joseph obéit sans hésiter et fuit secrètement avec la mère et l’enfant. L’évangéliste voit dans ce séjour l’accomplissement d’Osée 11,1, interprétant le retour de Jésus comme un nouvel Exode.

Massacre des enfants (2,16-18)

La colère d’Hérode traduit son angoisse de voir se dresser contre lui un prétendant au trône. Le massacre qu’il ordonne a pu se chiffrer à Bethléem par une vingtaine de victimes, mais la tradition a amplifié ce « massacre des saints innocents ». La citation de Jérémie 31,15 dramatise l’horreur ; le prophète a choisi la figure de Rachel, mère de trois tribus d’Israël, pour exprimer la douleur du peuple décimé par la guerre et déporté en masse à Babylone. L’ombre de la Passion se profile ainsi au seuil de la vie du Messie.

Retour d’Égypte (2,19-23)

Le voyage s’opère en deux temps, chacun guidé par un songe. Dieu maintient sa protection providentielle. Le retour en terre d’Israël est suivi, par crainte du fils d’Hérode, d’une migration vers la Galilée. Rentrant d’Égypte en Israël, Jésus et ses parents répètent l’Exode et réassument l’expérience fondatrice du peuple ; une typologie s’aperçoit ici, où l’histoire de Jésus condense celle des enfants d’Israël. L’installation à Nazareth est le choix d’un nouveau domicile, qui donne lieu à une citation scripturaire (2,23) dont l’origine nous échappe.

Méditation

Cette année encore, on fêtera Noël. J’ose dire : comme d’habitude, et les fêtes ont du bon. La petite musique de Noël s’est réveillée. Avec ses lumières, ses airs de fiesta dans les magasins, les cadeaux à trouver et les biscuits à cuire, on entre dans la petite bulle de paix des fêtes de fin d’année.

Noël remplit tout… enfin, pas tout à fait. D’un côté, nous préparons la fête. De l’autre, des événements parlent fort en ce mois de décembre : les fracas politiques et le réchauffement de la planète ont de quoi nous inquiéter. Il faudra fêter en oubliant un peu ce qui inquiète, en se bouchant les oreilles pour ne pas être envahis de nouvelles noires.

On fêtera donc Noël en se sentant, au fond, un peu petits : quelle prise avons-nous sur les évènements ? Pour ce qui nous entoure, nous maîtrisons (et encore !). Mais sur les grands événements, ceux qui composent l’actualité et décident de la cherté de la vie, ceux qui habitent le télé-journal, quelle prise avons-nous ? C’est comme si tout se déroulait au-dessus de nos têtes, comme si l’essentiel se décidait ailleurs.

Eh bien, je vais vous étonner. Ce sentiment que l’actualité nous échappe signifie que Noël, cette année, se déroulera effectivement comme d’habitude. Comme dès l’origine, lors du tout premier Noël. Vous l’avez entendu dans l’évangile de Matthieu, lu tout à l’heure. Ces récits de la Nativité, que nous prenons pour des histoires suaves et touchantes, résonnent aussi de fracas et de violences. Pas moins que le télé-journal. Il y a cette colère d’Hérode qui, furieux d’avoir été berné par les mages, fait massacrer les bébés de moins de deux ans à Bethléem. Une liquidation comme il y en a eu et en aura tant d’autres, ensuite. Puis la mort d’Hérode et le retour de Joseph et de sa famille en Galilée, mais sous la menace que représente le pouvoir du fils d’Hérode, Archelaüs.

Le massacre des enfants à Bethléem, la mort d’Hérode et sa succession : voilà les événements qui ont fait l’actualité à l’époque. Voilà ce dont parlaient les gens, dans la rue et au marché. Personne n’a parlé de la fuite de trois personnes en direction d’Égypte, ni du retour de ces réfugiés quelques années plus tard. Leur départ, puis leur retour, se sont décidés dans le secret d’un songe, dans l’intimité d’une parole murmurée sans bruit par Dieu au cours du sommeil de Joseph. Quoi de plus subtil, quoi de plus contestable qu’une voix qui perce le sommeil ? Et pourtant, souvent, la Bible nous parle de ces rêveurs à qui Dieu parle assez doucement pour qu’ils se mettent en route, dans l’absolu mépris de ce qui terrorise tout le monde au dehors.

Ce n’était qu’un détail, rien qu’un détail.

Mais aujourd’hui, de qui parle-t-on ? De Jésus ou d’Hérode ? De qui fête-t-on la naissance : de Jésus ou d’Hérode ? Dieu agit dans le détail. C’est son choix. De tout temps, Dieu a choisi d’agir dans le détail.

Des événements font la Une des journaux. Ils nous accablent ou nous émeuvent. Mais si nous ne cherchons pas Dieu dans le détail, nous risquons de passer à côté de lui. L’apôtre Paul disait : « Les juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie (détail ?) pour les païens » (1 Co 1,22-23).

Aucun historien romain, aucun chroniqueur de l’empire de Rome n’a retenu la mort de Jésus, ni sa vie, ni même son nom. L’événement était bien trop peu important à leurs yeux : pas plus qu’un détail de l’histoire. En revanche, ils ont retenu les noms et les actions d’une foule de personnages dont plus personne ne parle aujourd’hui.

Dieu s’est fait connaître dans le passé en choisissant un peuple : ni le plus fort, ni le plus grand, ni le plus beau, ni le plus prometteur en termes de marché religieux ; c’était une poignée de tribus qui se sont appelées Israël, coincées entre le géant égyptien au sud et le géant assyrien au nord. Un peuple qui n’avait rien de flamboyant. Et là, dans les replis violentés de leur histoire, faits de conflits, de menaces et d’exils, au travers d’événements sur lesquels ils n’avaient aucune prise, dans cette histoire fracassée par les « grands », Dieu s’est fait connaître comme une force, une sécurité, une source de paix. Dieu s’est manifesté avec l’obstination et la ténacité de ces bougies qui illuminent la nuit. Rien de plus fragile qu’une bougie et pourtant il n’y a qu’elle pour nous faire comprendre que la nuit n’est pas que la nuit.

L’évangéliste Matthieu aurait pu censurer le souvenir du décret d’Hérode. Il a préféré fixer dans notre mémoire cette page noire et faire entendre le cri de la douleur révoltée devant l’inadmissible. Les innocents massacrés appartiennent en effet à notre quotidien : piétinés, abusés, exploités, ils hantent nos consciences et font mesurer notre impuissance.

Comme lors du tout premier Noël, l’évangile ne fournit aucune justification à ces souffrances injustifiables. Il ouvre deux voies, cependant. La première est le droit à la lamentation : « C’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée » (2,18). La seconde est de garder mémoire de ce qui, entre ces noirceurs, tisse le réseau d’une persistante lumière.

Préparons-nous à célébrer Noël comme la fête d’un Dieu qui se manifeste dans le détail.

Fêter ainsi Noël pourrait nous apprendre beaucoup. Par exemple que notre vie, justement, tient souvent à de petits détails : l’attention accordée à quelqu’un, une remarque entendue à la radio et qui nous trotte dans la tête, une phrase retenue d’une prédication, le sourire de quelqu’un dans le métro, la demande d’un enfant.

Noël est cette fête où le détail prend toute la place, parce que Dieu s’y révèle. Une fête où l’on découvre que des événements peuvent tonitruer dans l’actualité : l’essentiel se jouera ailleurs, dans une main qui se tend, une parole qui s’offre, un geste qui apaise. Le détail qui fait vivre. 

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Espérer en Exil – Là-bas, au bord des fleuves de Babylone

L’Exil, comme l’Exode, sont des expériences charnières dans la vie du peuple d’Israël.
Si l’Exode peut être considéré comme son acte de naissance, l’Exil aurait pu signifier la fin de son existence.
C’est pourtant l’inverse qui s’est produit.

Pour mieux comprendre les textes bibliques que nous allons vous proposer au fil des prochaines mises en ligne il convient de les replacer dans leur situation historique. Nous ferons un lien sur l’ensemble des ses notes extraites du dossier de catéchèse enfants : Espérer en Exil.

Les fiches bibliques ont été préparées par Jean HADEY.

PRÉAMBULE

L’Exil, une nouvelle naissance
L’Exil, comme l’Exode, sont des expériences charnières dans la vie du peuple d’Israël.
Si l’Exode peut être considéré comme son acte de naissance, l’Exil aurait pu signifier la fin de son existence.
C’est pourtant l’inverse qui s’est produit.
La déportation à Babylone est devenue pour les Juifs l’occasion de vivre une nouvelle naissance. L’expérience les a transformés, mais ils sont toujours le peuple de Dieu. À Babylone comme à Jérusalem, il est avec eux.
Fin et recommencement, mort et nouvelle vie, ce thème est développé sur la toile de fond de l’Exil à Babylone. Il ne s’agit pas d’un parcours historique. Le fil conducteur est une réflexion sur les événements et sur des réactions possibles pour y répondre. Nous nous demanderons à partir de là comment assumer des événements semblables et comment les intégrer à ce que nous vivons.
Cette démarche se vit sur trois plans :
–    l’acquisition de connaissances : textes bibliques en relation avec les événements de l’Exil, données historiques et culturelles éclairant cette période…
–    l’interprétation : passer du texte au(x) sens, de l’événement aux significations, du concret au niveau symbolique.
–    l’appropriation et l’actualisation : comment les réalités vécues par le peuple d’Israël résonnent-elles dans notre vie ? Comment réagissons-nous devant des catastrophes que nous rencontrons ? À quoi nos découvertes nous conduisent-elles ?
Ces trois plans ne sont pas toujours distincts, ni dans le temps, ni dans la manière de les vivre avec les enfants : un chant, un jeu, un dessin peuvent servir aussi bien à découvrir et à mémoriser des renseignements concrets qu’à exprimer une interrogation ou à révéler une émotion personnelle, par exemple.

  1. L’EXIL DANS L’HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

=> Les données générales :

  • Israël : quelques tribus entre les grandes puissances

Ce qui détermine toute l’histoire d’Israël, c’est la terre de Canaan. Nous l’appelons Palestine, mais ce n’est qu’un lieu de passage, entre le désert à l’est et la Méditerranée à l’ouest.
Le long de la côte, dans la vallée du Jourdain et la dépression de la Mer Morte, et même par la montagne d’Ephraïm, les routes vont d’Égypte en Mésopotamie et en Asie Mineure.
Parce que sur cette étroite bande de terre il était possible de trouver de manière régulière de quoi nourrir et abreuver les animaux et les hommes, les caravanes commerciales regroupant des centaines d’ânes passaient par là, comme les troupeaux de petit bétail des semi-nomades… et aussi les armées des grandes puissances du moment, avides de contrôler les routes utiles à leur approvisionnement et de disposer d’une zone tampon entre eux et leurs rivaux.
L’histoire de ce pays aurait pu se résumer entièrement aux passages plus ou moins réguliers de la domination Égyptienne à celle des empires qui naissaient, enflaient, puis disparaissaient, en Mésopotamie (Babyloniens, Assyriens…) ou en Asie Mineure (Hittites).
Dans ces conditions, il n’y avait, à vue humaine, que bien peu de possibilités pour qu’un peuple puisse naître, s’installer et grandir, devenir un état indépendant qui survivra en Palestine  durant environ trois siècles. Il fallut pour cela un « accident » de l’Histoire : la disparition ou l’affaiblissement simultané des deux puissances qui en 1269 avant Jésus-Christ, se partageaient encore le contrôle du Moyen-Orient. À cette date en effet, Ramsès II, pharaon d’Égypte, et Hattusil III, roi des Hittites, passaient un traité, aucun des deux n’ayant pu écraser l’autre.
Un siècle plus tard les Hittites ont totalement disparu de l’Histoire. Et les Égyptiens, attaqués par des « peuples de la mer » (dont font partie les Philistins de la Bible), ne sortent plus de la vallée du Nil. C’est alors que les tribus israélites vont prendre le contrôle du pays de Canaan, et, sous la conduite de David, bâtir un royaume puissant qui s’étendra de la frontière égyptienne à l’Euphrate.
Mais il suffira que cette « anomalie » dans l’histoire prenne fin, que de nouveaux Empires s‘imposent en Mésopotamie pour que l’indépendance et la survie d’un état israélite soit fortement compromises. Et comme la fragilité et les querelles internes se sont mises de la partie, Israël n’avait, militairement, économiquement, politiquement, aucune chance de survie. De ce point de vue-là, l’Exil était inévitable et n‘est qu’une péripétie dans l’Histoire mondiale.

  • Quelques grandes dates de l’histoire d’Israël

Toutes les dates qui suivent sont « avant Jésus-Christ », bien entendu. Dans les tableaux chronologiques de vos Bibles ou d’autres livres, vous trouverez peut-être des dates différentes, parce que la datation de certains événements est très difficile et évolue selon les réflexions et les découvertes.

Entre 2000 et 1300 environ, des clans et des tribus araméennes s‘installent plus ou moins provisoirement en Canaan dans une existence semi-nomade.

Entre 1300 et 1200 un groupe de tribus, guidées par Moise, puis par Josué, sort d’Égypte et pénètre en Canaan.- Vers 1010 Saul, puis David deviennent rois en Israël. David assure la domination définitive des Israélites sur le pays de Canaan. Il se taille un vaste empire auquel son fils Salomon imposera l’organisation et le pouvoir de la royauté à la manière de l’0rient Ancien.

En 932-933 à la mort de Salomon, le royaume est divisé : Israël au Nord, avec Jéroboam ; Jérusalem et Juda au sud où se succèdent des descendants de David. Les deux royaumes s‘opposeront parfois violemment

.- En 722-721, les Assyriens prennent Samarie, capitale du royaume du Nord, qui est anéanti. Les habitants sont déportés, et les Assyriens installent dans le pays des colons assyriens (II Rois 17,1-41). Le royaume de Juda se soumet à l’Assyrie et lui paie un tribut. Il restera sous domination assyrienne jusqu’aux années 640-609.

À partir de 622, c’est le règne de Josias qui, profitant de l’affaiblissement de l’Assyrie, procède à une réforme politico-religieuse qui lui permet de rétablir pour quelques courtes années le royaume de David. Mais en – 609 les Égyptiens veulent porter secours aux dernières troupes assyriennes qui résistent encore aux Babyloniens. Josias veut couper la route au pharaon, mais il est tué dans la bataille. Son second fils Yoakhaz, règne environ trois mois, avant d’être déposé et déporté en Égypte. Le pharaon installe son frère ainé, Yoaqim, sur le trône de Jérusalem.

En 605, Nabuchodonosor écrase l’armée égyptienne à Karkémish, sur l’Euphrate. Yoyakim se soumet à Babylone et paie un tribut, qu’il cesse de verser en -601, provoquant une réaction de Babylone (4 ans plus tard).

En 598 ou -597 Jérusalem est assiégée et tombe aux mains de Babylone. Yoyakin, qui a succédé à son père, est emmené en déportation à Babylone. Avec lui, une grande partie des élites de Jérusalem -prêtres, artisans, chefs militaires. Ezéchiel, le prophète fait partie de cette première vague de déportés.

Nabuchodonosor installe alors à Jérusalem, comme roi, le troisième fils de Josias, Sédécias. Jérusalem sera détruite en -587.

=> La fin du Royaume de Juda et les débuts de l’Exil

Avec la mort de Josias, l’Histoire de l’état de David entre dans ses dernières convulsions.
À Jérusalem, deux partis sont en conflit :
– Ceux qui, comme le prophète Jérémie, pensent que la victoire babylonienne est irréversible, parce qu’elle est le châtiment de Dieu sur son peuple infidèle et qui appellent à la soumission.
– Et ceux qui, comme certains prêtres, ne peuvent accepter l’idée de la défaite. Au nom de la foi d’Israël, à cause des promesses de Dieu à David (II Sam.7,8-16), et parce que le temple est pour eux « la maison de Dieu », dont Dieu ne saurait accepter qu’elle tombe aux mains des étrangers, ils prêchent la révolte, poussent à une coalition anti babylonienne pour laquelle ils espèrent le soutien des Égyptiens.

C’est, au bout du compte, ce parti-là qui l’emporte. Sédécias est assez indécis mais se révolte contre Babylone, cesse de payer le tribut. Et la machine de guerre babylonienne se met en marche, prend une à une les places fortes judéennes, assiège Jérusalem pendant un an et demi. Et même si une intervention égyptienne provoque une interruption de ce siège, ce n’est qu’un bref répit.

Fin juillet 587 les Babyloniens pénètrent dans Jérusalem. Sédécias et sa suite, qui ont tenté de fuir, sont conduits devant Nabuchodonosor. Les fils de Sédécias sont égorgés devant lui, puis on lui crève les yeux. Un nombre important de combattants sont tués. Fin août 587 le temple et la ville de Jérusalem sont incendiés et démolis, les objets du culte installés par Salomon sont emportés par les vainqueurs.

Tous les survivants un peu importants sont à leur tour déportés, c’est la fin de l’Histoire d’Israël en tant qu’état indépendant. Mais ce n’est pas la fin du peuple d’Israël.

Photo 1 : Jérusalem en ruines

=> La survie d’un peuple vaincu

Comme Israël, d’autres petits peuples de Palestine ont été écrasés par la puissance babylonienne : les Philistins, les Phéniciens, Ammon, Moab… Aucun ne s’en est remis, Israël a survécu. Il est difficile de dire comment, car les textes, bibliques ou étrangers, ne décrivent pas la situation, ne racontent pas le temps de 1’Exil. Les indications sont rares, mais elles permettent de comprendre ce qui a permis au peuple de Dieu de vivre.
 

a)    En Exil

Le nombre des déportés à Babylone n’est pas aussi important qu’on puisse se l’imaginer. En effet :
– On ne sait rien des déportés du Royaume du Nord exilés par les Assyriens en 722, et on peut supposer qu’ils s’étaient assimilés à la population mésopotamienne.
– II Rois 24,14 indique une déportation de 10 000 personnes en 597 et, en 587, « le reste du peuple qui restait dans la ville » (II Rois 25,11). Mais ces indications sont très vagues.
– Les données du livre de Jérémie semblent beaucoup plus précises. Elles donnent :
3023 Judéens en 597 (Jér. 52,28)
832 survivants en 587 (Jér. 52,29)
745 déportés en 582 (Jér. 52,30), sans doute à l‘occasion de quelque trouble.
Même en admettant que les chiffres du livre de Jérémie ne concernent que Jérusalem et qu’il faille y ajouter des personnes plus ou moins influentes des cités de Juda, le nombre de 10 000 déportés à Babylone est un chiffre plafond. Cela fait beaucoup de vies qui changent de cours. Mais ce n’est pas la totalité d’un peuple.
 

b)    Conditions de vie

Les conditions de vie des déportés ne sont sans doute pas des plus agréables. Mais la déportation n’est pas l’esclavage. Après tout, c’est l’élite d’un peuple qui est déportée, à titre d’otages, pour que le roi les ait « sous la main ». Les indications des livres de Jérémie (29,4-7), d’Ezéchiel (1,3 ; 8,1 ; 14,1 ; 20,1) et des Rois (II Rois 25,27-30) montrent que le roi Yoyakin, bien que dépossédé de tout pouvoir, est traité en roi vassal. Et si les déportés sont assignés à résidence, ils vivent en communauté dans les différents lieux de déportation, gardant leurs Anciens, avec la possibilité de construire leurs maisons, de fonder des familles, de pratiquer leur religion et de respecter leurs usages.
Mais la difficulté, pour les exilés, c’est que toute la vie de Jérusalem tournait autour du temple, lieu de culte unique depuis la réforme de Josias, « lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son nom », selon la formule du Deutéronome. C‘est au temple qu’ils montaient pour prier, pour les cultes, pour les grandes rencontres du peuple, pour consulter Dieu quant aux décisions publiques ou privées qu’il convenait de prendre. Or le temple n’existe plus. Et ils sont bien loin du lieu où il s’élevait. En outre, la terre étrangère est rituellement impure, on ne peut y célébrer un culte au Dieu d’Israël.
Alors les exilés vont développer les pratiques qui peuvent encore être respectées loin de Jérusalem. Elles ne sont pas nouvelles, elles sont même très anciennes, mais du fait que tout ce qui est lié au temple est devenu impossible, elles prennent une valeur et une importance qu’elles n’avaient jamais eues : le respect du sabbat, par exemple, qui deviendra au temps de Jésus une démarche tatillonne poussée à l’absurde, est, en Exil, une confession de foi, un signe de l’appartenance au peuple de Dieu. Il en est de même pour la circoncision que les Mésopotamiens n’ont jamais pratiquée. C’est en Exil encore que, par la force des choses, va se développer ce qui deviendra le culte de la synagogue : lectures des textes anciens, méditation et prière.
En tout, cela ne fait que quelques substituts imparfaits, insatisfaisants pour tous ceux qui manque de temple. Tous les exilés ne s’y rallient sans doute pas. Mais ceux qui le font, le font au nom d’une fidélité au passé qui leur assure un avenir.
 

c)    Les autres Exils

Tous les Judéens n’ont pas été déportés. Mais un certain nombre d’entre eux ont choisi la fuite. Il semble que quelques-uns ont cherché refuge chez les peuples voisins, Ammon, Moab, Edom… Ceux-là ont disparu, se sont fondus dans leurs peuples d’accueil et ont subi leur sort.
Ce qui est certain, c’est qu’un groupe relativement important de Judéens s’est enfui vers l’Égypte, entrainant Jérémie dans leur fuite, bien que le prophète se soit opposé à cette démarche-là (Jérémie 42). Ils fondèrent la une colonie juive qui se maintint, sans trop de souci de retour, jusqu’à l’époque romaine.
 

d)    Au pays

Malgré tous les départs, nombreux étaient ceux qui restèrent sur place. Jérémie 39,10 et II Rois 25,12 indiquent que les Babyloniens ont délibérément laissé sur place les gens les plus faibles, les plus démunis. Ceux-là pouvaient cultiver la terre, payer un imp6t, sans pour autant se risquer à une révolte. Habitués à obéir, ils n’avaient plus personne pour les diriger, les guider, les informer.
Ils n’étaient pas dangereux pour leurs vainqueurs. Ceux-là pouvaient, d’une certaine manière, poursuivre sur place le culte du temple. Même ruiné, son emplacement restait sacré, et Jérémie 41,5 laisse entendre qu’on pouvait encore y monter en pèlerinage.
Mais ceux qui restaient ainsi au pays vivaient au milieu des ruines. Les fouilles archéologiques ont montré que toutes les cités du royaume de Juda ont été rasées à ce moment-là. Certaines n’ont plus jamais été rebâties, d’autres ne l’ont été que beaucoup plus tard. Les habitants se sont donc logés dans des maisons qui n’ont pas laissé de traces.
La situation était on ne peut plus difficile, surtout que beaucoup des artisans qui auraient pu fournir des outils et des ustensiles faisaient partie des déportés. Peu à peu par contre, à force de cultiver les terres abandonnées par des propriétaires exilés, ils s’en sont sentis les maitres, et cela devait poser quelques problèmes au moment du retour des déportés.
 

e)    Pour survivre, la foi, mais pour que la foi vive ?

Ce qui permet à Israël de dépasser la catastrophe c’est sa religion, c’est sa foi. Cela, nous pouvons le dire aujourd’hui. Mais au moment de la catastrophe de 587, et dans les années qui ont suivi, ce qui était menacé de mort, c’est la foi d’Israël.
En effet, que devenaient les promesses de fidélité de Dieu ? Celles qu’il avait faites à David (II Sam. 7) et par les prophètes (Ésaïe 33,17-24 ; 37,21-35) ? Le Dieu d’Israël apparaissait soit comme infidèle à ses promesses, soit comme trop faible pour les réaliser. La victoire du roi de Babylone, c’est aussi la victoire des dieux de Babylone. La destruction du temple signifiait aussi cela aux yeux des vainqueurs, et bien des vaincus ont pu penser la même chose.
Mais, en Exil ou au pays, une minorité sans doute des survivants entreprit tout un travail de méditation et de réflexion pour répondre à la question du peuple. Il a examiné les prédications conservées des prophètes. Ce travail visait à comprendre et surmonter la catastrophe. De cette activité devaient surgir les réponses qui refoulent au second plan les lamentations :
– Ce n’est pas Dieu qui avait abandonné le peuple, mais le peuple qui avait abandonné Dieu, et qui en subissait les conséquences. Tous les cris des prophètes qui n’avaient pas obtenu la conversion du peuple servaient maintenant à assurer sa survie : Si Dieu tient parole, quand il menace, il peut aussi tenir ses promesses de fidélité.
– Le regard lucide et sans complaisance sur le passé a alors permis de regarder l’avenir avec espérance. Ézéchiel d’abord, le prophète anonyme dont les prédications sont recueillies en Ésaïe 40 à 55, forts de la certitude que Dieu est fidèle, et qu’il est vivant, maître de l’Histoire et du monde, vont proclamer cette espérance qui seule fait vivre…

photo 2 : fresque exilés vers Babylone

=> La fin (?) de l’Exil

En 550 avant Jésus apparaît au nord-est de l’empire babylonien un nouveau conquérant : Cyrus II, .roi des Perses. Il est vainqueur des Mèdes, puis de Crésus, roi de Lydie, en 547.
Au même moment, l’empire babylonien se dégrade. Son dernier roi laisse se désintégrer l’organisation du pays, ne s’intéresse pas au pouvoir, ni au maintien des conquêtes militaires.

En 539, Cyrus pénètre pratiquement sans combat dans Babylone. Son fils Cambyse fera la conquête de l’Égypte.
Or, la politique des rois perses est l’inverse de celle des Babyloniens. Ils respectent les langues, les coutumes et les cultes des pays soumis. C’est dans la ligne de cette politique générale que Cyrus publie en 537 un décret conservé en Esdras 6,3-5 qui ordonne la reconstruction du temple. Il n’est pas certain que ce décret impliquait une autorisation de retour. D’ailleurs celui-ci fut plutôt lent à se dessiner, et tous les exilés -ou plutôt tous les descendants d’exilés- ne revinrent pas. En Égypte ou à Babylone, ils avaient fait leur vie, retrouvé des racines. Nombreux furent donc ceux qui se contentèrent de faire une fois ou l’autre le pèlerinage au temple.
Les quelques données dont nous disposons se trouvent dans les livres d’Esdras et Néhémie, mais elles ne sont pas en ordre. Il est cependant à peu près certain que, dès 537 une première caravane arrive à Jérusalem. Elle est conduite par Sheshbaçar, chargé de mission de Cyrus et peut-être descendant de Yoyajin. Elle rapporte un certain nombre des objets du culte qui avaient été saisis en 587, reconstruit un autel et rétablit le culte régulier. Les premiers à revenir sont des prêtres et des artisans qui entreprennent la reconstruction du temple.
Mais les choses n’avancent pas vite : ces exilés sont sans doute seuls à se préoccuper du temple, et ils rencontrent dans la population locale la plus grande inertie, quand ce n’est pas une certaine hostilité.

Entre 525-522 arrive un autre chargé de mission. Zorobabel, qui est, lui, certainement un descendant de David. Sous l’impulsion des prophètes Aggée (520) et Zacharie (520-515), les travaux du temple reprennent alors et sont menés à bien. L’empire perse ayant quelques difficultés de succession et la présence de Zorobabel suscitent à ce moment-là un espoir aussi bref que vif de voir se rétablir un royaume à Jérusalem (Aggée 2,20-23). Cet espoir vite déçu contribue probablement à l’entreprise de construction. Mais en 515, lors de la fête de la dédicace du temple reconstruit, Zorobabel n’est plus là. (Néh. 6,13-22).

Ce qui se passe pendant les 70 ans qui suivent, nous l’ignorons totalement. En 445 arrive à Jérusalem un nouveau chargé de mission, Néhémie. Il trouve une ville encore à moitié ruinée, et entreprend la reconstruction des murs d’enceinte de Jérusalem, non sans difficultés (Néhémie 1 et 2). Il sera actif à Jérusalem une douzaine d’années. A cette époque-là, le nombre des exilés rentrés à Jérusalem et dans ses environs.
À cette époque-là, le nombre d’exilés rentrés à Jérusalem et dans ses environs immédiats serait selon les listes conservées en Néhémie 7,6-72 et Esdras 2,1-7 de 42 360. Mais en faisant le total des listes on n’arrive qu’à 29 818 pour Esdras et 31 089 pour Néhémie. Or il s’agit sans doute d’un mélange de deux listes. Il est donc probable que les habitants de Jérusalem rentrés de Mésopotamie, ou leurs descendants, près d‘un siècle après 1’édit de Cyrus, n’étaient que 15 000 environ.

Puis nos informations sautent jusqu’en 398-397, année d’activité d’Esdras, le prêtre qui est amené à imposer de sérieuses réformes pour faire respecter la loi et les règles de pureté du peuple telles qu’e1les se sont élaborées et précisées en Exil.

En fait, les livres d’Esdras (9-10) et Néhémie (13, 10) signalent de grandes difficultés entre ceux qui sont restés au pays et ceux qui arrivent de Mésopotamie dans un pays qu’ils ne connaissent pas dans sa réalité et qu’ils s’imaginaient grandiose et entièrement consacré au temple, au culte, à la fidélité religieuse telle qu’ils l’avaient connue en Exil. Ainsi, en Esdras 4,1-4 nous apprenons que ceux qui « rentrent » refusent la participation des « gens du pays » à la reconstruction du temple. Ainsi, les uns et les autres n’ont pas la même conception de la fidélité à Israël et à son Dieu.

D’autre part, la reconstruction du temple et le retour de groupes importants d’exilés ne rendaient pas à Israël sa liberté. Le peuple de Dieu restera soumis et dépendant. Après les Perses se seront les soldats d’Alexandre et leurs descendants, puis les Romains qui leur imposeront leur volonté et leur puissance et les soumettront et tenteront de les briser, jusqu’à la destruction de Jérusalem par les Romains en 70 après Jésus.

Photo 3 : les remparts restaurés

Mais à tout, Israël survivra, par l’espérance et la foi née du premier Exil

  2 .  POUR SITUER LES TEXTES BIBLIQUES DU PARCOURS

L’Exil est l’un des temps forts de l’histoire d’Israël. Autant que la sortie d’Égypte et l’installation en Canaan, autant que le règne triomphant de David, la fin du royaume de Juda et ses conséquences forgent l’histoire, 1’existence, la foi du peuple.
En effet, alors que tout s’effondrait et que l’aventure d’Israël pouvait s’arrêter là, le peuple a survécu. Alors que des empires autrement puissants se bâtissaient et disparaissaient au fil des siècles, Israël devait survivre à tous les exils, à tous les anéantissements, à toutes les tentatives d’assimilation.
La clef de cette survie est probablement à chercher dans la manière de vivre ce premier Exil. Comprendre comment Israël vaincu est passé du désespoir le plus absolu à l’espérance -même mêlée d’illusions- qui fait vivre, en passant par les désirs de vengeance, les lamentations, les regrets et la reconnaissance des erreurs passées, c’est comprendre comment une communauté peut survivre à n’importe quelle catastrophe.
Pour percevoir les enjeux et les démarches d’Israël en Exil nous avons retenu les textes suivants :
– Psaume 137
– Jérémie 29,1-14
– Psaume 80
– Ezéchiel 34,1-31
– Ésaïe 44,24 – 45,7
– Ésaïe 40,1-17
Ces passages ne racontent pas l’Exil. Aucun texte biblique ne raconte l’Exil. Nous avons simplement retenu quelques exemples de la prière, des méditations et des prédications qui ont aidé le peuple à surmonter l’épreuve.
Les textes retenus pour le parcours ont tous un lien étroit avec l’Exil. Mais ils ne proviennent ni du même auteur, ni du même lieu, ni du même moment. Ils expriment des attitudes assez différentes à l’égard de la catastrophe qui a frappé le peuple. Il serait sans doute faux de dire que l’une de ces attitudes est la bonne, tandis que les autres seraient fausses, contraires à la foi d’Israël. La lamentation, le cri de vengeance, la méditation du passé qui permet de reconnaitre pourquoi on en est venu là sont sans doute les fondations d’une espérance nouvelle qui n’est pas sans contenir sa part d’illusions humaines. Encore faut-il, pour qu’i1 y ait foi et fidélité, que chacune de ses attitudes vienne en son temps, que le peuple ne se lamente pas quand il est temps d’espérer, qu’i1 ne se berce pas de faux espoirs sans reconnaitre ses erreurs…

Mais pour comprendre ces textes il convient de les replacer dans leur situation historique.

A) LES PSAUMES

Le livre des Psaumes n’est rien d’autre qu’un recueil de cantiques. Il en a donc toutes les caractéristiques : il réunit des prières composées et chantées à des siècles de distance, par des poètes et des musiciens croyants qui ont mis dans leurs œuvres les joies et les préoccupations de leur temps, que ce soient celles de tout le peuple, ou des sujets tout personnels.
Tel qu’il se présente à nous, le recueil des Psaumes représente le choix de cantiques retenus par les lévites qui constituaient les chœurs du second temple au 3e-2e siècle avant Jésus.
Mais certains psaumes sont beaucoup plus anciens, et il n’est pas toujours facile de situer leur origine. Car, comme c’est encore le cas aujourd’hui pour nos cantiques, s’ils ont traversé le temps, c’est qu’ils exprimaient l’angoisse ou la joie, la peine ou l’espérance de telle manière que la communauté du peuple se retrouvait dans cette expression. Ils ont donc servi en bien d’autres occasions que celle qui les a vus naître, et ont, à l’occasion, été adaptés, actualisés par des corrections ou des rajouts. Ce qui était d’autant plus naturel que ces cantiques se transmettaient oralement. De sorte que chaque psaume a sa propre origine et sa propre histoire dont on peut parfois deviner quelque chose au travers d’une lecture attentive, mais qui nous reste en grande partie cachée.
Le Psaume 137 est très sûrement un des plus jeunes, sinon le plus récent du recueil. C’est aussi l’un des rares paumes dont la date d’origine soit pratiquement certaine, car il parle clairement de la situation des exilés à Babylone, et il en parle au passé : il s’agit donc d’un psaume qui date d’après 537, en un temps où le possibilité du retour n’a pas estompé la douleur de la destruction du temple et de la déportation. Pendant longtemps encore, il sera chanté dans les célébrations qui commémorent la destruction du temple. Les difficultés du retour et la lenteur de la reconstruction ne pouvaient qu’inciter à reprendre cette lamentation sur ce qui est resté une des ruptures les plus tragiquement décisives de l’Histoire d’1sraël.
Le Psaume 80 a une origine plus ancienne. Comme il ne mentionne que des tribus du royaume du Nord, dont le psaume ne dit pas clairement, si elles existent encore ou non, ses origines pourraient remonter jusqu’à la période qui précède la chute de Samarie (721). Mais il contient des traits qui permettent de penser aussi à l’époque du roi Josias.
En tout cas il est facile de comprendre quel usage pouvaient faire de ce psaume les « petites gens » laissées sur place par les envahisseurs. Et c’est dans ce cadre-là que nous l’avons retenu pour ce parcours.

B) JÉRÉMIE

L’activité prophétique de Jérémie s’étend du règne de Josias aux mois qui ont suivi la destruction du Temple. Jérémie n’est donc pas un prophète exilique à proprement parler. Mais il a vécu la dernière décennie du royaume de Juda, et pris parti dans le difficile débat de son temps. Il a appelé à la soumission devant le jugement de Dieu et donc devant la puissance babylonienne.
Sa prédication eut un impact décisif sur les exilés, alors même qu’elle n’avait provoqué que le rejet du prophète par la majorité de ses contemporains. Son annonce répétée de la catastrophe finale a permis que l’événement puisse être compris comme un acte du Dieu d’Israël. Jérusalem détruite n’était pas la défaite de Dieu devant les pouvoirs supérieurs des divinités étrangères.
Mais l’intérêt même de la prédication prophétique de Jérémie va faire de sa transmission et de sa fixation écrite l’objet d’un débat et de tensions qui couvrent plusieurs siècles. Le désordre du livre de Jérémie tel que nous le connaissons témoigne de cette Histoire difficile. Il n’est pas possible de reconstituer minutieusement cette Histoire, mais il importe que le lecteur soit attentif à un fait: certaines parties ont été mises par écrit du vivant du prophète, mais le livre n’a acquis sa forme actuelle qu’au second siècle avant JC, soit quatre siècles plus tard.
Jérémie29 n’échappe pas à ce processus. Il veut à l’origine une démarche du prophète envers les exilés de 597, et sans doute une réaction négative de certains d’entre eux. Mais la formulation actuelle du chapitre comporte des éléments exiliques et postexiliques. Nous nous attacherons ici surtout à la lettre du prophète aux exilés, qui témoigne bien de la tension entre l’espérance lucide du prophète et l’illusion idéologique d’une partie du peuple, exilé ou non.

C) ÉZÉCHIEL

Ézéchiel était prêtre à Jérusalem (Ez. 1,1). Il a été déporté dès 597, avec Yoyakin. Son ministère prophétique s’est écoulé de l’été 593 au printemps 571, en Exil à Tel Aviv, une des colonies de déportés, située au bord du fleuve Kebar, un canal de dérivation de l’Euphrate, non loin de l’ancienne ville de Nippur, au sud-est de Babylone.
Ezéchiel est ainsi un témoin de l’Exil dans sa première période, sous le règne de Nabuchodonosor et la domination triomphale des Babyloniens. Prêtre, il est particulièrement informé des pratiques du Temple, directement concerné par ce qui advient de l’édifice sacré.
Jusqu’en 587, sa prédication sera pour les déportés comme l’écho en Mésopotamie de la prédication de Jérémie à Jérusalem. Dieu juge son peuple, et Jérusalem sera détruite, malgré tous les espoirs et toutes les illusions contraires. Même la mort de sa femme (Ez. 24,15-27), qui survient peu de temps avant la fin de Jérusalem, est l’occasion d’annoncer le jugement.
Mais à partir de ce moment-là, Ezéchiel devient celui qui annonce pour Israël un avenir. Il voit déjà le Temple reconstruit (Ez. 40-44) et le peuple qui revit (37), et la gloire de Dieu, qui avait quitté Jérusalem, réintégrer la ville reconstruite.
Ezéchiel 34 que nous avons retenu dans le dossier, est à la fois un chapitre facilement compréhensible, et qui, bien que non daté, donne un peuple le ton de la prophétie d’Ezéchiel, entre le jugement sur le passé -et le présent- et l’annonce d’un avenir où s’inscrit le règne de Dieu sur son peuple

D) UN ANONYME APPELÉ « DEUXIÈME ÉSAÏE »

Aucun livre de l’Ancien Testament n’a été écrit d’une seule traite, d’une seule main. Pour la plupart des livres des prophètes, ce que nous lisons aujourd’hui est le résultat d’un travail de collection. Les disciples des prophètes ont rassemblé, collecté les oracles. Pour le livre d’Ésaïe, les choses sont un peu plus compliquées, car on peut reconnaitre trois parties dans ces 66 chapitres.

– Chapitres 1-39 : recueil de prophéties et récits concernant le prophète Esaïe, fils d’Amos. Son activité prophétique se déroule à partir de 740 et jusqu’après 700, en un temps ou la puissance dominante du Moyen Orient est l’Assyrie.

– Chapitres 40-55 : recueil des prophéties d’un prophète qui reste entièrement anonyme, mais qui connait Cyrus (Esaïe 44,28 ; 45,1). Il est de toute évidence membre de la communauté de l’Exil. Sa prédication d’espérance s’inscrit tout entière dans les dernières années de la domination babylonienne, entre 550 et 537. Ce prophète anonyme est désigné aujourd’hui sous le nom de « Second Ésaïe », ce qui correspond au fait que ses paroles ont été ajoutées à celles de son lointain prédécesseur. Il y a aussi à une certaine parenté dans la manière de comprendre et de proclamer l’œuvre du Dieu d’Israël, même si les circonstances sont très différentes.

– Chapitres 56-66 : un recueil de prophéties tout aussi anonymes. Il est difficile de dire s’il s’agit des prédications d’une seule personne, ou de la pour- suite par un groupe de disciples, de la prédication du Second Ésaïe.

Ésaïe 44,24 – 45, 7
est un des sommets de la prédication du Second  Ésaïe. Les exilés ne voient dans la progression des armées de Cyrus que l’annonce d’un prochain changement de maitre qui n’apportera rien de bon. Le prophète annonce, lui, que Cyrus est celui que Dieu envoie pour sauver son peuple. Parce que Dieu est le Seigneur de l’Histoire et de la Création, même un roi païen qui l’ignore peut devenir son serviteur, le berger que Dieu donne à son peuple.  

Ésaïe 40, 1-17
contient sans doute le <<récit» de la vocation du prophète. En tout cas, ce texte fonde l’espérance proclamée tout au long des chapitres 40-55. Elle n’est pas basée sur une analyse de la situation politique et militaire, mais sur la parole de Dieu qui décide de sauver son peuple après l’avoir puni.

REMARQUE :

Il convient de manier avec précaution l’idée que l’Exil est la PUNITION d’Israël. Cette notion se trouve sans doute bien dans l’Ancien Testament. Mais :
– d’une part, tous les textes de l’Ancien Testament qui parlent de l’Exil n’y voient pas le châtiment (Ps 137 par exemple),
– d’autre part, lorsque l’Exil est présenté par des prophètes et des écrivains d’lSRAËL comme la punition du peuple, cela comporte un élément de confession des péchés indéniable, parce qu’ils font partie du peuple. Lorsque nous en parlons de l’EXTÉRlEUR du peuple, nous risquons de nous placer en juges ou en accusateurs, ce que l’Écriture ne nous permet certainement pas.

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Espérer en Exil – Psaume 137

Il n’est pas toujours facile de situer l’origine d’un psaume. Le Psaume 137 est très sûrement l’un des plus récent du recueil, il évoque la situation des exilés judéens à Babylone après la chute dramatique de Jérusalem en 587 av. JC . C’est donc aussi l’un des rares paumes dont la date d’origine soit pratiquement certaine, car il parle clairement de la situation des exilés à Babylone : temple détruit, murailles rasées, famille royale décimée, déportation des classes dominantes, et sac de la ville…et il en parle au passé. Il s’agit donc d’un psaume qui date d’après 537, en un temps où la possibilité du retour n’a pas estompé la douleur de la destruction du temple et de la déportation.

Au bord des fleuves : il s’agit des canaux de la basse Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate. Ces fleuves sont assez caractéristiques du pays de l’Exil pour des Israélites qui ne connaissent que la montagne de Judée et le petit cours d’eau qu’est le Jourdain.
Il est possible que les exilés, qui n’avaient pas de lieu de culte, se réunissaient au bord de l’eau pour des assemblées de prières.

Nous étions assis : être assis est une pose du rituel de lamentation. Il comprend aussi le fait de s’habiller de sacs et de se mettre de la poussière sur la tête (voir Lamentations 2/10-11). Il est possible que ceux qui priaient ainsi se tournaient dans la direction de Jérusalem (I Rois 8,48).

En pensant à : il ne s’agit pas d’un simple souvenir douloureux, mais bien d’un acte de commémoration rituelle. Les versets 1-2 nous présentent une communauté d’exiles réunis pour une lamentation rituelle sur la destruction de Jérusalem.

Sion: c’est le nom cananéen de la citadelle dont David s’est emparé avant d’en faire sa capitale (II Samuel 5/7). Ce nom désigne la colline du Temple, lieu de la présence de Dieu au milieu de son peuple (Psaumes 2/7 ; 14/7 ; 65/2 ; Amos 1/2). Penser à Sion, ce n’est pas se souvenir du pays qu’il a fallu quitter, mais ressentir la distance qui sépare les exilés de la présence de Dieu.

Nous avions pendu nos cithares : la cithare est un instrument à cordes dont le nom est associé à la joie et à la louange du Dieu d’Israël (Psaumes 33/ 25 ; 43/4 ; 57/9 ; 71/22 ; 81/3 ; 92/4 ; 98/5 ; 108/3 ; 147/7 ; 149,3 ; 150/3).
Que les cithares restent pendues aux saules du voisinage annonce déjà la suite du Psaume : les exilés ne sont pas en mesure de louer Dieu. Ce trait correspond également à l’idée que les choses participent à la plainte (voir Lamentations 1/4).

Nos bourreaux : le mot hébreu employé ici est unique dans l’Ancien Testament. Sa racine fait penser à des gens qui imposent de mauvais traitements. Mais le parallèle avec « conquérant » suggère aussi qu’il s’agit des gardiens qui retiennent les exilés au loin.

Chant de Sion : les chants de Sion chantent la gloire que Dieu fait à Sion par sa présence. On en a des exemples avec les Psaumes 76, 84, 87, 122. Les vainqueurs demandent aux exilés de chanter les chants de triomphe de Sion, alors que la ville est anéantie. Il y a la plus que de l’ironie ou du mépris. ll s’agit d’obliger les exilés à mesurer la distance entre leurs chants liturgiques passés et la réalité présente. On retrouve ici un motif des psaumes de lamentations : la raillerie qui met en cause la foi elle-même : où est ton Dieu ? (voir, par exemple, les Psaumes 22/9 ; 79/10 ; 115/2). 

Un chant du Seigneur en terre étrangère : les chants du Seigneur sont les chants en l’honneur du Dieu d’Israël désigné par son nom propre.

YHWH – La vraie prononciation du nom de Dieu nous est inconnue parce que depuis des siècles le nom divin n’est plus prononcé par les juifs, en raison de sa sainteté.
Certaines éditions de la Bible rendent ce nom par « Éternel » qui n’est qu’une traduction très approximative. Par respect pour les juifs qui ne prononcent pas ce nom divin, on en vient de plus en plus à substituer le titre « Seigneur » au nom propre de Dieu.

Les chants de Sion sont des chants à la louange du Seigneur. Il est impossible de louer Dieu en terre étrangère, car cette terre est impure (Osée 9,3-4 ; Ézéchiel 4,13). Le culte du Seigneur y est impossible. Le refus de chanter opposé aux vainqueurs est d’ordre rituel, non de l’ordre des sentiments de tristesse.
Les exilés étaient en quelque sorte pris au piège : aux vainqueurs méprisants, ils se devaient de répondre en proclamant leur foi. Mais les exigences rituelles de leur foi rendaient une véritable réponse impossible.

Au bord des fleuves…

Si je t’oublie, Jérusalem : un des membres de la communauté qui se lamente intervient en « soliste ». Il prononce une malédiction envers lui-même, s’il devait oublier Jérusalem. En fait, cette malédiction est bien un chant de Sion, une proclamation de fidélité envers le lieu de la présence de Dieu et de fidélité à Dieu. Jérusalem est la joie la plus haute, à cause de la présence de Dieu. Et aucun exil n’y doit rien changer.

Que ma droite oublie… : Telle qu’elle, la phrase n’a pas beaucoup de sens, à moins de lui imaginer une suite. Une très légère correction du texte hébreu permet de traduire « que ma droite se dessèche ». La malédiction est alors très forte, car la droite, c’est la force d’un homme. Et le soliste du Psaume accepte que sa force se dessèche et se ruine, s’il oublie Jérusalem.

Que ma langue colle à mon palais : bien sûr, cela signifie que celui qui parle deviendrait muet. Mais à la suite de la main, c’est la bouche qui sèche, allusion à la soif et à la fièvre de la maladie (voir Psaume 22,15-16).

Pense aux fils d’Edom : Edom est un peuple sémite qui occupait le sud-est de la Mer Morte. Les traditions bibliques se souviennent aussi bien de la proximité que des rivalités entre Edom et Israël (Genèse 27 ; 33 ; 36). Au moment de la prise de Jérusalem, les Édomites ont pris le parti de Babylone et ont probablement participé à la curée. Plusieurs textes exiliques font allusion à cette attitude de faux-frères pour laquelle Israël demande vengeance (Lamentations4,21 ; Abdias 8-15 ; Ezéchiel 25/12-13 ; 35/5-6).

Fille de Babylone : Désigne la population de la ville, comme ailleurs « fille de Jérusalem ».

Heureux qui… : le cri de vengeance contre Babylone s’exprime au travers d’un vœu de bonheur pour le vengeur « qu’il soit heureux, celui qui fera subir à Babylone ce que Babylone a imposé à Jérusalem ». L’ironie du psalmiste répond à celle des gardiens au verset 3.

Pour les broyer sur le roc : l’image est d’une brutalité totale. Mais c’est aussi l’écho sans fard des pratiques de la guerre (Osée 10/14 ; 14/1 ; Nahoum 3/10 ; Esaïe 13/16 ; II Rois 8/12 ; Luc 19/43). Ces pratiques expriment le désir d’anéantissement total du peuple vaincu.
Tout le psaume est dominé par les regrets et la plainte. À aucun moment ne s’exprime l’ombre d’un sentiment de responsabilité dans l’origine de la catastrophe. Rien qu’un désespoir qui éclate en souvenirs douloureux et en désir de vengeance.
Ce désir de vengeance se traduit dans une image d’horreur violente qui correspond aux mentalités du temps, mais qui est tempérée par le fait que ceux qui réclament cette vengeance en laissent l’accomplissement aux mains de Dieu.
Cependant, la fin du psaume indique aussi que la fin de l’Exil et la possibilité du retour ne suffisent pas aux yeux de tous les Juifs. lls  restent dans l’attente de l’accomplissement d’une justice de Dieu plus complète et plus radicale.
La lamentation porte sur le souvenir de l’Exil, et précisément sur l’impossibilité de louer Dieu loin de son sanctuaire. C’est la une conséquence de la loi du Deutéronome (12,1-31) et de la réforme de Josias (II Rois 22 et 23), qui centralise tout le culte à Jérusalem.
Entreprise pour lutter contre l’idolâtrie, pour restaurer la pureté du culte d’Israël, cette centralisation laisse les exilés presque privés de culte, et leur seul espoir se cristallise sur la reconstruction du Temple et le rétablissement du culte.

Cependant, les difficultés du retour et les souvenirs amers des humiliations subies font aspirer à un rétablissement et à une réparation plus complète. Et même rentrés à Jérusalem, les Anciens continuent à se lamenter sur la ruine du Temple de Salomon.

L’Exil à Babylone (arc de Titus)

Cette fiche biblique est en lien avec l’article : Là-bas au bord des fleuves de Babylone – Espérer en Exil cliquer ici

Concernant les versets 17 à 22, on lira avec intérêt l’excellent petit ouvrage de Thomas Römer : Psaumes interdits. Du silence à la violence de Dieu,
aux éditions du Moulin (2007). Présentation du livre cliquer ici.

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Espérer en Exil – Psaume 80

ID 1157 musiciens juifs 115
ID 1157 musiciens juifs 115  Le livre des Psaumes n’est rien d’autre qu’un recueil de cantiques retenus par les lévites. Il en a donc toutes les caractéristiques : il réunit des prières composées et chantées à des siècles de distance, par des poètes et des musiciens croyants qui ont mis dans leurs œuvres les joies et les préoccupations de leur temps, que ce soient celles de tout le peuple, ou des sujets tout personnels.

Le verset 1, comme le début de nombreux Psaumes, comporte un certain nombre d’indications dont la traduction et la compréhension restent très hésitantes. À titre d’information, voici ce qui peut en être dit, étant bien entendu qu’il s’agit d’une introduction mise là lorsque le Psaume a été intégré dans le recueil, et dont la compréhension ne changera pas le sens général du psaume.

Du chef de Chœur : ou « au chef de Chœur » ou « pour l’exécution musicale ». 55 psaumes portent cette introduction qui signifie que les indications qui suivent concernent l’interprétation du chant.

El-shoshannim : peut-se traduire « sur les Lis » ce qui serait une indication de mélodie ou « sur un instrument » à 6 cordes ».

D’Asaph : est une indication d’auteur qui, dans ce cas précis, ne nous apprend rien, sinon que ce Psaume est du même auteur que les Psaumes 73 à 81, 50 et 83.

Psaume : le mot traduit ici par psaume implique qu’il s’agit d’un chant accompagné avec des instruments de musique.

Berger d’Israël : L’image qui fait de Dieu le berger d’Israé1 est traditionnelle (Genèse 49,24) et courante dans le culte de Jérusalem (Psaumes 23,2 ; 77,21 ; 79,13 ; 95,7 ; l00,3). L’image du berger est de toute manière courante dans tout le Moyen-Orient Ancien. Elle exprime à la fois la puissance, 1’autorité et l’attention bienveillante de celui qui détient le pouvoir sur le peuple. Ici la formule souligne le lien étroit qui unit Dieu a son peuple, et qui rend incompréhensible que Dieu laisse le peuple dans la situation difficile que décrit le Psaume.

Israël : ce nom désigne les 12 tribus, la totalité du peuple, même si la suite n’en mentionne qu’une partie. Il y a dans le Psaume, comme chez les prophètes, une aspiration à 1’unité du peuple de Dieu qui s’exprime ainsi a travers des détails dans l’expression auxquels il convient d’être attentif.

Joseph, Ephraïm, Benjamin, et Manassé : Les tribus ainsi désignées sont étroitement liées entre elles : Ephraïm et Manassé sont deux demi-tribus qui se réclament du même ancêtre commun : Joseph (Genèse 41,50-52 ; 48,1-20).Benjamin est le jeune frère de Joseph, né de la même mère, Rachel (Genèse 30,22-24 et 35,16-18). En parlant de Joseph, le Psaume fait allusion au séjour en Egypte. Ephraïm était devenu la tribu la plus importante de Palestine centrale, et il arrivait qu’elle soit nommée seule pour désigner le royaume du Nord (Osée 5,3-14).

Les chérubins : le mot désigne un animal composite (bœuf, homme, ou lion doté d’ailes). Il représente un monstre des origines que Dieu a écrasé et qu’il utilise comme son « siège ».

Toi qui sièges sur les chérubins : la désignation est fréquente (I Samuel 4,4 ; II Samuel 6,2 ; II Rois 19,15 ; Ésaïe 36,l6…). Elle tire son origine du culte de Silo, et de l’Arche de l’alliance surmontée de deux chérubins qui est comprise comme le siège de Dieu (Exode 25,22 ; II Rois 6,23-28). Avec l’Arche, cette représentation est passée à Jérusalem et devenue une formule traditionnelle du culte de Jérusalem. Or les traditions sur l’Arche de l’alliance sont marquées par la notion de guerre sainte, ou plus exactement de la guerre livrée par Dieu lui-même en faveur de son peuple. C’est ce Dieu-là qui est appelé à se manifester.

Reléve-toi : ce qui est demandé à Dieu, c’est de se manifester comme le Dieu qui, de toute sa puissance, vient combattre pour son peuple, comme au temps de la conquête et des Juges.

Réveille ta vaillance : c’est toujours le thème de la guerre sainte ou Dieu intervient comme un héros courageux dans la pratique des combats singuliers par exemple (David et Goliath).

Dieu, fais-nous revenir : le v. 4 est une sorte de refrain qui sera repris sous des formes légèrement différentes en 8 et 20. Le verbe hébreu traduit ici par revenir est aussi celui qui est ailleurs utilisé pour parler de conversion. Il a sans doute ici les deux sens : le peuple demande à être restauré par Dieu dans sa situation passée, situation faite de prospérité et de victoire, mais aussi d‘une relation vraie entre le peuple et son Dieu.

Que ton visage s’éclaire : Cette formule fait partie des images qui servent à exprimer les sentiments. Si le visage s’éclaire, c’est que la colère, la sévérité est passée, que Dieu sourit à son peuple avec bienveillance.

Seigneur Dieu le tout-puissant : cette expression traduit une désignation de Dieu assez fréquente dans l’ancien Testament que d’autres traductions rendent par « Dieu des armées » ou transcrivent simplement de l’hébreu : « Tsébaoth ». C’est un titre donné au Dieu d’Israël dans le cadre du culte de l’Arche de l’alliance qui était emmenée au combat (I Samuel 4,4 ; l7,45). On a pensé que ces armées pouvaient être des armées d’anges (Psaume 103,2l) ou d’étoiles (Esaïe 40,26), mais l’Ancien Testament parle dans ces cas-là toujours au singulier -l’armée des anges ou l’armée céleste-. La formule au pluriel désignait bien des armées de guerriers humains, avant de devenir une abstraction pour dire la puissance de Dieu, puissance qui agit sur la terre et dans l’Histoire des peuples.

Pourquoi… ? Jusqu’à quand ? : ces deux questions qui se retrouvent dans d’autres psaumes de lamentation (10,1 ; 13,2,3 ; 22,2 ; 44,24,25 ; 74,1,l0 ; 79,6 et 88,15) disent le désespoir d’une souffrance inexplicable qui se prolonge et dément tous les espoirs de délivrance, et qui met en cause la confiance du croyant en Dieu.

Contre les prières de ton peuple : l’idée n’est pas que Dieu condamne les prières qui lui sont adressées, mais que malgré les prières, la colère de Dieu se prolonge, que la souffrance du peuple est un état durable.

Un pain pétri de larmes : Les images de ce verset indiquent elles aussi un malheur qui dure. Le peuple continue à vivre, il a de quoi faire son pain et se nourrir, mais tout en faisant ce pain qui assure sa survie, il pleure et ses larmes se mêlent à la pâte.

Tu fais de nous la querelle de nos voisins : indique une situation où les puissances voisines d’Israël s’affrontent pour dominer le pays, situation qui peut correspondre à différents moments de l’Histoire d’Israël. Ces ennemis se moquent de la faiblesse d’Israël, mais le peuple sait que son sort dépend avant tout de son Dieu.

 

 

La vigne que tu as retirée d’Égypte : l’image de la vigne pour désigner Israël est aussi courante que celle du berger pour désigner Dieu (0sée 10,1 ; Ésaïe 5,1-7 ; Jérémie 2,21). C’est une image très concrète, qui parlait tout naturellement à tout habitant de la Palestine. Chacun savait en effet tout le travail et tout le soin dont il faut entourer une vigne : dépierrage, plantation, mur de clôture pour abriter la plantation des animaux et des rôdeurs, taille et entretien. Dire qu’Israël est la vigne de Dieu, c’est rappeler d’un mot tous les efforts de Dieu en faveur de son peuple, tous les soins attentifs dont Dieu a entouré Israël et que le psaume détaille brièvement :

– v. 9 Exode et installation en Canaan
– v. 10 temps des Juges
– v. 11 la souveraineté assurée et tranquille
– v. 12 l’extension maximum d’Israël à la fin du règne de David, qui atteignait la Méditerranée à l’ouest et à l‘Euphrate au nord-est.
Ainsi la prière -refrain des versets 4,8 et 20- renvoie à la splendeur du royaume de David et demande sa restauration.

Pourquoi as-tu défoncé ses clôtures : le souvenir du passé rend le présent encore plus douloureux et plus incompréhensible. Dieu a abandonné sa vigne : tous ses efforts sont anéantis et le pays est livré au pillage et à la dévastation. Et tout cela à cause de la colère de Dieu.

Dieu le tout-puissant, reviens donc : dans une variante du refrain, le peuple qui prie appelle Dieu A revenir pour prendre soin de sa vigne abandonnée. Dieu est invité à sortir de son absence mystérieuse et à se manifester en force en faveur de son peuple. Il doit regarder, et voir, et mettre en route la délivrance, comme il l’avait fait au temps de Moise (Exode 3,7-10). Mais ce retour de Dieu vers sa vigne n’est pas sans impliquer aussi un retour de Dieu sur lui-même, un retour sur sa colère pour retrouver les relations anciennes.

Sur le fils qui te doit sa force : ce vers du psaume est probablement un rajout, qui s’appuie sur le ‘verset 18 et cherche identifier la vigne avec la dynastie davidique (un peu dans le sens de Ésaïe 11,1). Nous avons là une trace de l’histoire du psaume qui est adapté à une nouvelle compréhension.

Devant ton visage menaçant ils périssent : c’est un appel à Dieu pour qu’il intervienne contre les ennemis. Le Visage menaçant de Dieu les anéantit comme son Visage qui s‘éclaire fait vivre le peuple.

Pose la main sur l’homme qui est à ta droite : ce verset est une prière pour le roi, présenté comme celui qui est à la droite de Dieu, selon une habitude de l’Orient Ancien, qui place le roi en relation étroite avec la divinité du peuple. Le roi est celui à qui Dieu donne le pouvoir, il est le fils que Dieu éduque.

Cette prière pourrait concerner Josias, le roi dont on espérait la reconstitution du royaume de David. Mais la fin du verset 16 montre que cette prière s‘est aussi insérée dans l’espérance messianique du peuple privé de roi.

Alors, nous ne te quitterons plus… : le verset évoque un renouvellement de l’alliance (Comme Josué 24 et II Rois 24) qui serait l’aboutissement d’un double retour en arrière : celui du peuple restauré et celui de Dieu. Ainsi serait rétablie la vraie relation vivante de Dieu avec Israël (voir Psaume 71,20 ; 85,7 ; Osée 6,1).

On peut sans difficulté imaginer le chant de ce psaume dans la bouche des Juifs laissés sur place après la destruction de Jérusalem. La description de la vigne dévastée, incendiée et rasée les concernait dans leur existence même : ce tableau, ils l’avaient sous les yeux, jour après jour. Et même s’ils l’avaient (eux ou leurs ancêtres) déjà chanté auparavant, la catastrophe absolue qui s’était abattue sur eux donnait à chaque mot du psaume toute sa force.
Contrairement au Psaume 137, celui-ci contient, au moins de manière allusive, une reconnaissance de faute : une rupture a eu lieu entre Dieu et son peuple, une rupture aux conséquences désastreuses et à laquelle le peuple ne peut survivre que par le rétablissement d’une relation vivante entre Dieu et son peuple. Pour que ce rétablissement ait lieu, un double retour est nécessaire : celui de Dieu vers sa vigne, celui du peuple vers son Dieu. Pour le Psaume 80, c’est cependant le retour de Dieu qui est premier et décisif, car c’est aussi à Dieu de faire revenir son peuple.

Dans ce psaume de lamentation, l’espérance est tout entière tournée vers Dieu. On se lamente devant lui parce que lui seul peut apporter un secours et rétablir la situation. Tout le passé vécu entre Israël et son Dieu atteste aussi bien que Dieu peut sauver son peuple et qu’il éprouve pour lui un attachement qui justifie tous les espoirs.
Mais l’espérance est toute entière aussi dans un messianisme « politique ». Ceux qui prient ce psaume demandent la reconstitution d’un royaume avec des frontières sûres et reconnues selon les formules d’aujourd’hui. Leur idéal, c’est le royaume de David. Et ils comptent sur Dieu pour entreprendre une nouvelle guerre sainte qui leur rendra l’indépendance, la souveraineté, la sécurité et la paix.

Cette fiche biblique est en lien avec l’article : Là-bas au bord des fleuves de Babylone – Espérer en Exil cliquer ici

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C’est une bonne nouvelle ! Une bonne nouvelle à la fois provocante et encourageante pour nous catéchètes…Trois petits versets ! Trois petits versets de rien du tout, coincés entre les Béatitudes et le « discours programme » de Jésus. Trois petits versets entre deux textes magistraux. Oui, à peine quelques mots, mais déterminants, pour notre … Lire la suite

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« Alors on sort pour oublier tous les problèmes…alors on danse » (Stromae).

Si de nombreuses représentations de danses nous sont parvenues des peuples de l’antiquité tels les mésopotamiens et les égyptiens, il n’en va pas de même concernant la Syrie-Palestine. Et pourtant la danse est omniprésente dans la Bible, y compris dans le Nouveau Testament. Rarement programmée d’avance, elle est souvent une manifestation spontanée de la joie ou de la tristesse. 

Béatitudes

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Les sentences sur le bonheur sont légions !  Avec chacune sa part de sagesse.
Heureux comme un pinson ! suggère que le bonheur résiderait dans l’insouciance de l’oiseau qui se laisse vivre… l’Ecclésiaste ne dit-il pas : « celui qui augmente son savoir augmente son chagrin » ! Et pourtant les choix que nous faisons, la réflexion qui préside à nos décisions, ne sont-elles pas déterminantes pour vivre heureux ?

Le poète est la vraie lumière ou le prologue de Jean actualisé

Pour tenter d’annoncer l’Évangile, il est nécessaire et urgent de l’actualiser. C’est le pari de Roger Parmentier (1)  et du groupe A.C.T.U.E.L.(2)  : passer les évangiles au crible de l’actualité, s’interroger sur Ie sens de ces textes pour nous aujourd’hui. Laissez-vous séduire par cette aventure en proposant à votre groupe de catéchumènes une approche inhabituelle du prologue de Jean.