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Jésus et la Syro-phénicienne : Jésus hésite sur l’universalité de sa mission

Fuyant de possibles représailles à la suite d’un enseignement sur le pur et l’impur, enseignement qui menaçait une certaine compréhension du rapport à l’autre, Jésus se retire dans les territoires étrangers, en plein cœur des régions considérées à l’époque comme étant véritablement impures.
Texte : Matthieu 15/21-28

Eléments d’explication :
– Jésus a quitté Jérusalem pour le territoire de Tyr et de Sidon en Syro-Phénicie (région située au nord de la Judée et limitrophe de la Galilée) : c’est un territoire païen. L’expression a une valeur plus théologique que purement géographique, elle sert avant tout à désigner les nations païennes.

Une « Cananéenne » vient voir Jésus : ici, l’appellation « cananéen » est utilisée pour désigner les habitants autochtones de la Syro-Phénicie. Le terme de Canaan n’est pas toujours utilisé pour désigner la même chose selon les périodes de l’histoire d’Israël : le terme a été notamment utilisé pour désigner la terre promise ; à l’époque de Jésus, il est utilisé pour désigner la Syro-Phénicie.

– Cette femme est païenne, mais elle a manifestement entendu parler de Jésus et de manière suffisamment précise pour le désigner avec le titre de « Fils de David ».

« ma fille est tourmentée par un démon » : c’est la manière dont on désigne à l’époque la maladie (psychique en particulier). La médecine est très sommaire et la psychiatrie n’existe pas : les gens expliquent donc la maladie (surtout les maladies psychiques) par la possession démoniaque.

« Renvoie-la » (autre traduction possible : « fais-lui grâce ») : les disciples veulent se débarrasser de cette femme qui les suit en criant, quitte à ce que Jésus lui accorde ce qu’elle demande.

« Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël » : trois interprétations de ce refus sont possibles.

1. Le refus de Jésus est pédagogique : il veut mettre à l’épreuve la « foi » de la femme (dans quelle mesure lui fait-elle confiance ? vient-elle vers lui comme vers n’importe quel autre guérisseur ?)

2. Le refus de Jésus est lié à la manière dont il comprend sa mission : il se considère comme envoyé avant tout à Israël, l’annonce de l’Évangile aux païens ne devant avoir lieu que dans un second temps (après la mort et la résurrection du Christ). D’autres passages de l’évangile de Matthieu soutiennent cette interprétation (8/5-13, 21/33-44, 28/16-20). Jésus sait que son temps est compté, il veut donc aller à l’essentiel : convertir et rassembler Israël, le rôle de ce nouvel Israël étant ensuite de porter l’Évangile aux quatre coins du monde. Le risque de cette attitude est de ne plus voir que l’objectif : mais Jésus se laisse interpeller et toucher, il sait se remettre en question, apprendre et évoluer.

3. Le refus de Jésus est destiné aux disciples pour les préparer à la mission qui les attend un jour : comme tous les Juifs de leur temps, ils se tiennent à l’écart des païens (les méprisant parfois). Là, ils sont prêts à accorder un miracle à la femme pour de mauvaises raisons (avoir la paix !). Le refus puis l’acceptation de Jésus portent peut-être en creux le message : l’Évangile doit être annoncé à tout humain.

« brebis perdues d’Israël » : l’expression peut désigner soit Israël tout entier, soit les « pécheurs » en Israël.

Réaction de la femme : elle reconnaît la place particulière d’Israël dans l’accès au salut (façon de reconnaître que c’est la foi juive qui conduit au salut pas les religions païennes) et demande à en recevoir une part, même petite.

Jésus reconnaît sa foi et lui accorde ce qu’elle demande : il ouvre ainsi la porte à l’annonce de l’Évangile aux païens (même si c’est encore dans des cas exceptionnels), cela préfigure ce qu’il commandera à ses disciples : aller dans le monde entier et faire, de tous les peuples, des disciples.

Attention : Il faut être prudent avec la notion de « peuple élu » : l’élection d’Israël n’est en aucun cas à comprendre comme une supériorité d’Israël sur les autres peuples. L’élection est une mise à part pour servir : Israël a pour rôle de témoigner en ce monde de l’amour de Dieu, d’être messager de Dieu et ce rôle est présenté dès l’Ancien Testament comme provisoire jusqu’à la conversion des nations païennes.
La réponse de Jésus n’est pas condescendante ni basée sur un complexe de supériorité. Il faut avoir à l’esprit que Jésus sait que son temps est compté, il semble donc vouloir aller à l’essentiel : convertir et rassembler Israël, le rôle de ce nouvel Israël étant ensuite de porter l’Évangile aux quatre coins du monde.
Dans le même ordre d’idée : Jésus dit et révèle à ses disciples certaines choses qu’il cache aux foules qui viennent l’écouter. Ce n’est pas par mépris pour les foules, mais par souci de pédagogie : quand la révélation sera pleine et entière avec la mort et la résurrection de Jésus-Christ, les disciples auront les éléments et le temps nécessaires pour enseigner le peuple et convertir les nations.

À faire… Quelques pistes…

Prière :
Aide-moi à me souvenir que tu aimes tous les humains. Apprends-moi à voir en chacun d’eux un frère ou une sœur que je dois respecter et secourir si nécessaire. Amen.

Chant :
Seigneur, tu cherches tes enfants (Arc-en-ciel 536 – Alléluia 36/22)

Animations :

– Avant de raconter, on peut demander aux enfants s’ils pensent que Dieu veut s’adresser à tous les humains ou s’ils parlent plus à certains qu’à d’autres (on peut jouer l’avocat du diable : il doit parler plus aux hommes qu’aux femmes, puisque presque tous les prophètes sont des hommes…). On peut alors s’appuyer sur les doutes qui surgiront pour commencer l’histoire : Jésus aussi a eu des doutes, il pensait qu’il devait parler en priorité au peuple d’Israël, parce qu’il n’avait pas beaucoup de temps… mais alors qu’il était en territoire païen, il a rencontré une femme qui…

– Bricolage : préparer un grand dessin d’une église (pourquoi pas l’église du village) ou une église en trois dimensions (en carton) et demander aux enfants de découper dans des revues des personnes de tous âges, de toutes couleurs… et de les coller sur l’église. Une fois recouverte de visages de toutes les couleurs, cette église dira bien que l’Eglise est constituée de gens différents car Dieu offre son amour à tous les hommes sans distinction.

 Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL) Point KT




Espérer en Exil – Ésaïe 40,1-17

Si notre Dieu est bien ce que nous disons, alors il y a toutes les raisons d’espérer : il est puissant, il est fidèle, il est juste, il agit dans l’Histoire et intervient en faveur des siens. On ne peut pas dire cela, l’enseigner aux enfants de génération en génération, et refuser d’admettre que Dieu est à l’œuvre quand l’Histoire des peuples bascule.

Comme pour le passage précédent, on remarque assez vite que notre texte n’est pas rédigé d’un seul jet, même si les articulations du texte ne sont pas soulignées. Le lecteur remarque que le ton et le sujet changent au verset 9, puis au verset 12, de façon assez abrupte. Mais l’ensemble garde une très grande cohérence, celle de la prédication du prophète qui annonce dans les15 chapitres qui débutent ici que le salut vient pour Israël, parce que son Dieu est maître de la création et de l’Histoire.
Réconfortez, réconfortez mon peuple : le mot hébreu vient d’une racine qui signifie respirer profondément. Il est donc question ici de rendre au peuple sa respiration, de lui donner du courage et de la force, sans pour autant ôter au terme toute nuance de tendresse. Par la suite, c’est toujours Dieu lui-même ou un de ses envoyés qui « réconfortent » (Ésaïe 49,13 ; 51,3.11 ; 52,9). Le redoublement marque une insistance affectueuse, mais est aussi le signe de la jubilation qui traverse toute la prédication du Second Ésaïe.
Dit votre Dieu : ces trois mots posent la question la plus délicate de tout le passage : qui parle ? Ce ne peut-être ni Dieu lui-même, ni un membre du peuple – et par conséquent pas non plus le prophète lui-même, puisque Dieu est présenté comme « votre Dieu ». Dans la suite (versets 3 et 6), c’est « une voix » anonyme qui s’exprime. Il en est de même ici. L’opposition « mon peuple-votre Dieu » renvoie à la formule d’Alliance entre Dieu et son peuple.
Parlez au cœur : il ne faut jamais oublier que le cœur, dans l’Ancien Testament, est tout « l’intérieur de l’homme, le siège de son intelligence, de sa volonté, plutôt que celui des sentiments. Comme en Genèse 50,21 ; Il Samuel 19,7 ; Ruth 2,13, l’accent premier est donc dans le fait de rassurer, d’effacer la peur et de garantir l’avenir. Mais la note de tendresse, qui se retrouve en Genèse 34,3 ; Juges 19,3 ; Osée2,14 ; n’est pas absente ici.
De Jérusalem : Jérusalem personnifiée, c’est la communauté du peuple sans limites géographiques ou temporelles : les déportés, ceux qui sont restés, et leurs descendants.
Sa corvée est remplie : la corvée, c’est tout travail imposé. Il est dit clairement qu’Israël n’a pas subi un tort, ni « expié un péché », mais subi un châtiment qui est arrivé à son terme.
Deux fois le prix de toutes ses fautes : cela ne veut pas dire que la peine a été trop lourde pour la faute commise. Le « double » est une norme juridique de remboursement (Exode 22,3.6.8 ; Zacharie 9,12 ; Job 40,12 ; Deutéronome 15,18 ; Jérémie 16,18) qui inclut le tort commis, les frais, et les « dommages et intérêts ». Donc, la peine est achevée, une nouvelle vie peut commencer, parce que les comptes sont réglés entre Dieu et son peuple.
Dans le désert : le mot désigne les lieux inhabités, mais où les nomades menaient paître leurs troupeaux. Il n’est pas envisagé de tracer une route rectiligne qui traverserait le désert entre Babylone et Jérusalem, mais de remettre en état la route habituelle par la Mésopotamie du Nord et la Syrie.
Un chemin pour le Seigneur : il y a là une allusion aussi bien aux routes triomphales des rois de l’Antiquité qu’à la pratique des routes processionnelles, sur lesquelles les Babyloniens faisaient avancer les statues de leurs dieux. Mais l’allusion est pleine d’ironie, car maintenant, il s’agit d’une vraie route, qui franchit des kilomètres de désert et sur laquelle Dieu va conduire son peuple (et non l’inverse !). Pour les déportés, c’est bien plus fortement la route de l’Exode qui est évoquée : ce que Dieu a fait autrefois, il va le refaire. Une nouvelle fois, il va conduire son peuple au travers du désert.
Nivelez dans la steppe : les mots employés évoquent toute la fragilité des routes de l’Antiquité, surtout lorsqu’elles franchissent des zones inhabitées. Les vents de sable et les pluies les encombrent ou les défoncent, les rivières torrentielles qui suivent les orages les arrachent par endroits. Il est donc question ici de restaurer la route qui conduit de Babylone à Jérusalem, de la dégager de ce qui l’encombre, de la redresser, tant dans son tracé que dans son niveau.
Que tout vallon soit relevé : on passe de la réalité au merveilleux, c’est le relief lui-même qui doit être rectifié. Il ne s’agit pas pour autant d’une image morale ou religieuse qui appellerait le peuple à se défaire de ses fautes, mais de l’évocation de ce que Dieu veut pour son peuple. Car si une route est construite pour Dieu, c’est en définitive son peuple qui va la parcourir, c’est lui qui doit pouvoir passer le plus confortablement possible. Le merveilleux sert à exprimer jusqu’où Dieu veut aller pour faire le salut de son peuple.
La gloire du Seigneur sera dévoilée : le mot hébreu traduit par gloire implique à l’origine le poids, la pesanteur. Certains textes en font quelque chose de lumineux (Ézéchiel, 1,27-28 ; Exode 16,7-10 ; 24,16-17). Mais chez le Second Ésaïe, la gloire désigne l’être même de Dieu qui se manifeste par des actes imposants (42,8.12 ; 58,11 ; 43,7). La majesté de Dieu, son poids dans l’Histoire des hommes, vont être manifestés par un événement concret, le retour des exilés.
Et tous les êtres de chair : l’hébreu dit plus simplement « toute chair » désignant ainsi les créatures vivantes (Genèse 6,12-13) qui vont découvrir la majesté de Dieu au travers de ce qu’il fait pour son peuple. Il y a dans cette annonce quelque chose qui dit que tous les doutes, toutes les moqueries qui se sont manifestés après la destruction de Jérusalem vont être balayés, renversés dans la reconnaissance du Dieu qui agit avec puissance. Dans les versets 4 et 5 deux thèmes sont étroitement entremêlés : l’annonce du retour du peuple ; mais aussi la révélation de Dieu (Théophanie) qui se manifeste personnellement, comme il l’a fait au Sinaï ! (Ex. 19 et 20) et pendant la sortie d’Égypte. Ainsi, bien au-delà d’une délivrance de l’Exil, ce qui est annoncé, c’est la venue de Dieu dans l’Histoire des hommes, sa manifestation et sa révélation aux yeux de tous les peuples.
Verront que la bouche du Seigneur a parlé : cette formule on ne peut plus étonnante authentifie le discours de « la voix » : les faits vont confirmer que l’annonce de salut pour Israël n’est pas le fait d’un rêveur qui prend ses désirs pour la réalité, mais l’expression de la volonté de Dieu.
Une voix dit – l’autre dit : il faut sans doute traduire ici plutôt par « et je dis », c’est-à-dire que celui qui répond est le prophète lui-même, appelé à proclamer la décision de salut dont il vient de prendre connaissance. En tout cas, les versets 6-8 contiennent un dialogue, mais il n’est pas facile de rendre à chaque interlocuteur sa part de la conversation. Je vous propose le découpage suivant :
– une voix dit : « Proclame »,
– et je dis « Que proclamerai-je ? » Toute chair est comme l’herbe, et toute sa consistance est comme la fleur des champs : l’herbe sèche, la fleur se fane, quand le souffle du Seigneur vient sur elle en rafales.
– l’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours.
La ligne « oui, la multitude humaine, c’est de l’herbe » est une note marginale d’un lecteur qui a été introduite dans le texte par le copiste.
Que proclamerai-je : le prophète reçoit l’ordre d’annoncer ce qu’il a entendu, élève une objection, dans le même esprit que Moïse en Exode 3,11,13 ; 4,1 ; 10,13 ou Jérémie en Jérémie 1,6. Bien sûr, son recul n’est pas aussi vif que celui de ses prédécesseurs. Mais à la parole de salut qu’il est chargé d’annoncer, il oppose la remarque désabusée des exilés : que dire encore ? Tout n’est-il pas fini ?
Toute chair est comme l’herbe : le thème de la fragilité de la fleur (Ps 90,5-6 ; 37,2 ; 103,15-16 ; 129,6 ; Job 8,11-12 et 14,1-2. Il ne s’agit pas nécessairement d’une plainte, mais plutôt d’un constat un peu amer de la fragilité de l’homme qui « n’est rien et ne dure pas », de sorte que le temps passe et l’homme disparaît. Et avec lui ses souvenirs et ses souhaits. Près d’un siècle après la catastrophe de 587, l’image exprime bien la situation de la communauté juive installée dans l’Exil. L’espoir d’un retour et d’un rétablissement s’éteint avec les survivants, et ceux qui sont nés en déportation y sont comme installés avec, sans doute, une fidélité nouvelle en ce qui concerne les pratiques religieuses, mais aussi une résignation sans borne quant à la situation générale : l’Histoire ne revient pas en arrière.
Et toute sa consistance : certaines traductions lisent ici le mot « fidélité » selon le sens habituel du mot en hébreu. Mais il signifie aussi « force, vitalité », comme par exemple au Psaume 59,10-11.17.18. Et c’est bien le sens ici, où tout l’accent est mis sur la fragilité et le caractère passager de tout ce qui est vivant.
Quand le souffle du Seigneur vient sur elles en rafales : le mot traduit par souffle désigne aussi bien le vent que l’esprit. L’aspect « vent » renvoie à la réalité des vents chauds qui dessèchent les terres cultivées et les herbages. Mais ce souffle est celui du Seigneur qui maîtrise la nature et l’Histoire, qui fait vivre et qui fait mourir, Le souffle brûlant de la colère de Dieu est passé sur son peuple, et il n’en reste rien,
Mais la parole de notre Dieu subsistera toujours : là encore les traductions ont du mal à rendre l’original qui dit que « la parole de Dieu se lève pour toujours » et est donc plus dynamique que le français « subsistera ». La « voix » reprend les mots du prophète pour accentuer le contraste : il est normal que l’herbe sèche, il est tout à fait naturel que la fleur se fane, mais cela ne change rien à la puissance et à la force vivante de la parole de Dieu, qui se constitue et s’accomplit envers et contre tout. Évidemment, ce n’est pas cela que le prophète doit proclamer, mais la décision de salut de Dieu. C’est cette parole-là qui se lève et qui va s’accomplir, quelles que soient les apparences. Mais il faut aussi que le prophète soit arraché au pessimisme du peuple dont il fait partie. Sans doute faut-il comprendre aussi que le prophète déplace la signification même la formule de lamentation : à ceux qui disent, dans leur prière, « toute chair est comme l’herbe », il répond : donc Babylone et sa puissance aussi sont vouées à faner et à périr, Ce décalage est là d’autant plus parlant que la fleur sert, dans le symbolisme des sculptures de l’Antiquité à représenter le pouvoir royal. Le sarcophage d’un roi de Byblos représente par exemple le roi mort une fleur fanée à la main, son fils qui lui succède, avec une fleur droite sur sa tige. Cela nous invite à faire attention à deux phénomènes, auxquels nous ne pensons pas toujours en lisant nos bibles :
– il y a des images qui renvoient aux représentations traditionnelles dans le Moyen-Orient Ancien, telles que l’archéologie les révèle en mettant à jour des statues et des sculptures anciennes. Les auditeurs des prophètes connaissaient ces statues, et la parole des prophètes, en les évoquant, prenait un sens immédiatement clair. Alors que nous, qui vivons dans un monde différent, nous ne pouvons les comprendre qu’après avoir fait connaissance avec le monde dans lequel vivaient les auteurs de la Bible.
– les formules liturgiques peuvent changer de sens. Le message prophétique naît ici de la lamentation liturgique « retournée ». C’est un peu comme si le prophète disait : ce que vous dites dans vos prières, si vous y croyez vraiment, si vous le prenez au sérieux, est porteur d’espérance. Le prophète n’est donc pas toujours quelqu’un « qui a des visions », puisque sa prophétie peut surgir du culte lui-même.
Sion, joyeuse messagère : à propos de Sion, voir ce qui a été dit dans les notes sur le Psaume 137. C’est ici la population de la ville qui est invitée à participer à la proclamation de la délivrance.
Le prophète s’adresse à la ville sainte et lui demande de faire écho à sa prédication, de proclamer autour d’elle sa prochaine délivrance. Il n’est pas possible de dire s’il s’agit d’une simple figure de style, ou si le prophète a réellement fait transmettre sa prédication « au pays ». Ce qui est certain, c’est que tous les moyens doivent être mis en œuvre pour faire connaître que la délivrance approche : monter sur la montagne, d’où la voix porte plus loin, crier le plus fort possible, et crier de joie, parce que la délivrance attendue est proche. On sent bien ici qu’il s’agit d’une annonce à court terme, pleine d’impatience et de jubilation, toute différente de l’espérance difficile, bien que tout aussi forte, que nous avons rencontrée en Ézéchiel 34.
Voici votre Dieu : ce que Sion doit proclamer prend la forme d’un communiqué de victoire : Dieu revient triomphant vers sa ville, après une bataille gagnée. Ézéchiel avait annoncé (Éz. 10,18-22 ; 11,22-25) que Dieu quittait le Temple et la ville, le Second Ésaïe proclame son retour. Le retour de Dieu est la joie de Jérusalem.
Avec vigueur… Et son bras… : les mots et les images sont employés fréquemment dans le contexte de l’Exode : Deutéronome 4,34 : 5,15 ; 7,19 ; 11,2 ; 26,8 ; Psaume 136,12… Le prophète introduit des variations, mais l’idée est la même : comme autrefois, Dieu manifeste sa puissance en faveur de son peuple, il intervient dans les guerres des hommes et donne la victoire.
Son salaire…sa récompense : ces termes sont encore des allusions guerrières. Le vainqueur emmène son butin. Le texte glisse ensuite à l’image du berger, car le butin de Dieu, c’est son peuple. Et le peuple est la récompense de Dieu pour tous les efforts qu’il fournit en faveur du peuple.
II porte sur son sein les agnelets… : on retrouve ici l’image du berger d’Israël, avec des traits qui rappellent Ézéchiel 34 : le berger prend particulièrement soin des animaux fragiles. Il porte dans la poche ventrale de son habit les agneaux que la longue marche fatigue, veille sur les mères qui ont besoin de trouver du repos et de l’eau. Et le communiqué de victoire aux accents guerriers s’achève sur une image de tendresse et de paix.
Qui a jaugé dans sa paume les eaux de la mer : ici commence une polémique. Elle s’adresse à ceux qui prennent les annonces de délivrance du prophète pour des illusions sans fondement. À ceux-là, le Second Esaïe ne demande pas d’observer la situation militaire et politique. Il sait bien que si les Perses sont vainqueurs de Babylone, les petits peuples n’en restent pas moins soumis aux « grands ». Mais l’espérance de salut se fonde tout entière dans la découverte de ce qu’est Dieu. Pour amener ses auditeurs à cette découverte, il les martèle de questions, à la manière de Job 38.
La question n’est pas « quelle est la mesure de la mer ? » Après tout, les scientifiques actuels pourraient donner un chiffre très approchant. Mais la question est bien « qui a mesuré dans sa propre main » ? De même, les autres mesures demandées : l’empan est la longueur du pouce au petit doigt écartés. Le boisseau fait allusion à une mesure qui approcherait 4,4 litres.
Et la réponse est évidemment « personne », pour toutes les questions. Il ne s’agit pas de donner une idée du gigantisme de Dieu, mais de faire prendre conscience aux hommes de leur incapacité à évaluer la mesure du pouvoir de Dieu.
La mer… les cieux… la terre : on retrouve dans ce verset l’allusion à la Création (Genèse 1). Les croyants qui refusent l’espérance ont-ils pris conscience de ce que signifie « notre Dieu est le créateur » ?
Mais à côté de cette évocation de la Création, le verset 12 comporte une polémique très précise. Dans la religion babylonienne, c’est Marduk, le grand dieu de Babylone qui mesure et pèse la création -et les mots employés sont pratiquement les mêmes que ceux du prophète. Saut que, pour le Dieu d’Israël, ces opérations de mesure sont infiniment plus faciles qu’elles ne le sont pour Marduk dans les textes babyloniens.
On voit comment le prophète, pour faire recevoir et reconnaître son message d’espérance, est amené aussi à parler de Dieu dans sa grandeur et sa supériorité -pour l’instant contredite par les faits sur tous les dieux babyloniens.
Qui a toisé l’esprit du Seigneur : la question est la même que la précédente. Mais rapportée à la pensée de Dieu : qui peut la connaître ?
Et lui a indiqué l’homme de son dessein : cette ligne pose des problèmes de traduction. Celle qui est ici donnée par la Traduction Œcuménique de la Bible est très probable, mais il vaudrait mieux encore dire : l’homme de son décret. Au lieu d’énoncer des généralités (quel est l’homme qui connaît les pensées de Dieu, ou qui peut lui donner des conseils) le prophète fait alors un discours très précis. D’une part, « l’homme de son décret » désigne Cyrus. Personne n’a suggéré à Dieu d’utiliser Cyrus. Il en a décidé (décrété) ainsi dans sa toute puissance et sa volonté de sauver son peuple. D’autre part, l’expression est polémique. Selon les religions babyloniennes, les dieux décidaient au moment du Nouvel An du destin de chaque homme durant l’année à venir, et plus rien ne pouvait modifier ce décret. Le prophète, lui, affirme que c’est le Dieu d’Israël qui décrète librement, seul, et qui change l’Histoire des peuples comme il veut et quand il veut.
Jugement, science, chemin de l’intelligence : les mots ne sont pas tout à fait synonymes, ils indiquent une progression de la pensée : d’abord le discernement des choses et des réalités, puis la volonté et la décision d’ordonner, enfin les moyens de réaliser cette volonté. De toutes ces phases de la pensée de Dieu, l’homme est complètement exclu. Comment peut-il prétendre connaître les intentions de Dieu ? Avec ces questions, le prophète a glissé de la Création à l’Histoire.
Voici que les nations sont comme une goutte tombant du seau : il faut penser au seau en cuir qui sert à puiser l’eau du puits. Il reste toujours quelques gouttes accrochées à l’extérieur et qui se perdent. C’est normal, et sans importance. Les nations ne comptent pas plus que cela devant Dieu qui les contrôle et les dirige comme il veut et sans plus de difficulté.
Comme une poussière sur la balance : le mot traduit par « poussière » désigne ailleurs la buée des nuages (Exode 30,36 ; Job 14,19). Là encore, on peut imaginer que nos balances de pharmaciens pourraient faire la pesée. Mais les balances des marchés orientaux il y a 25 siècles ?
Les îles : notre prophète aime bien ce mot qu’il reprend souvent. Il évoque sans doute pour lui les îles lointaines de la Méditerranée, aux limites du monde. Et justement, même les extrémités du monde sont sous le regard de Dieu, rien ne lui échappe.
Le Liban ne suffirait pas… : ce verset est probablement un ajout qui commente l’exposé sur la grandeur de Dieu qui vient d’être fait : la montagne libanaise transformée en autel. Ses forêts réputées, utilisées comme bois et ses animaux comme sacrifices, sont insuffisants pour honorer Dieu. Il s’agit d’une image qui est assez indifférente aux questions de pureté rituelle qui excluent les animaux sauvages des sacrifices.
Toutes les nations sont comme rien devant lui : pour dire ce rien, le prophète emploie le mot qui, en Genèse 1,2 désigne l’inconsistance du monde avant la Création. Ce verset ne signifie pas que les nations ne sont rien. Le prophète et ses auditeurs juifs exilés ne savaient que trop de quel poids pèsent les nations. Mais elles ne sont rien en face de Dieu. Elles n’ont pas de pouvoir devant lui… Elles ne sont que des éléments de la Création, auxquels Dieu fixe leur petite place dans l’Histoire qu’il conduit. Les trois parties de notre passage s’enchaînent donc ainsi :
– versets 1 à 8 : une sorte de récit de vocation du prophète
– versets 9 à 11 : une prédication du prophète qui témoigne de l’accomplissement de sa mission, et qui prolonge le mouvement de la première partie : l’annonce du salut voulu par Dieu fait un pas de plus.
– versets 12 à 17- réponse du prophète à ceux qui ne veulent pas recevoir son message d’espérance. La première partie se présente comme une cascade d’ordres énoncés par des « voix ». Aux versets 1 et 2, quelqu’un rend compte de la décision de Dieu : la peine de son peuple est accomplie, le moment est venu de le consoler et de lui apporter la délivrance. En 3-5, une autre voix tire les conséquences pratiques de la décision de Dieu : la route du retour doit être déblayée et aménagée.
– En 6-8 enfin, le prophète, qui a entendu de loin les voix précédentes, est appelé à faire connaître ce qu’il a entendu, et, ayant exprimé son scepticisme, reçoit l’assurance qu’il s’agit bien de la parole de Dieu et qu’elle s’accomplira.
Cette succession d’ordres fait penser à une transmission hiérarchique des décisions dans une cour royale : le conseiller qui est proche du roi fait connaître au reste de la cour là décision souveraine. Puis les ministres et les officiers supérieurs donnent à leurs subordonnés des décrets d’application. Enfin, des messagers sont chargés de transmettre les ordres à ceux qui sont concernés par leur mise en œuvre c’est sur ce processus que sont construits les versets 1-8.
Au travers de cette présentation, le Dieu d’Israël apparaît comme un Grand Roi babylonien, plein de puissance : il décide, et tout se plie à sa volonté. Mais cette cour qui entoure Dieu marque aussi la distance qui le sépare des hommes. Le prophète anonyme ne rencontre pas Dieu directement comme Moïse (Exode 3), Ésaïe (chapitre 6) Jérémie (chapitre 1), ni même comme Ézéchiel (chapitres 1-2). Une distance s’introduite entre Dieu et son peuple, du fait même de l’Exil, mais aussi par l’affirmation de la souveraineté de Dieu sur tous les peuples.
Par contre, les voix que le prophète entend de loin restent totalement anonymes, même si la présentation de Dieu sous l’aspect d’un roi oriental implique en soi l’existence d’une cour céleste (voir Job 1), le Second Ésaïe ne veut pas mentionner d’anges, ni d’êtres divins à côté de Dieu Car le Seigneur d’Israël est unique, comme nous l’avons vu en Es.45,5-7. On voit donc ici avec quel soin les auteurs de la Bible manient les images, ne retenant d’elles que ce qui correspond à leur propos.
Même si l’annonce de la délivrance éclate dans ce texte et recouvre tout de son allégresse, le passé n’est pas oublié. L’énoncé des versets 1-2 implique une compréhension de la destruction de Jérusalem et de l’Exil : le peuple a subi une punition qui lui a été infligée de manière tout à fait juste par Dieu. Il n’est même pas question de pardon ou de grâce : la peine a été purgée jusqu’au bout. Pour le prophète, Dieu ne peut être tenu pour responsable du malheur du peuple. Dieu est juste et il est fidèle à ses promesses, cette certitude est essentielle pour qui veut encore espérer en Exil, comme est essentielle la conviction que Dieu est unique et tout puissant.
Une puissance triomphale qui s’exprime dans les versets 9-11 sous la forme d’un communiqué de victoire : Dieu a remporté la bataille. Vainqueur et couvert de butin, il revient vers sa capitale et déjà des messagers l’annoncent au pays. Cette image prolonge sans doute celle de la cour royale. Mais les évocations de l’Exode qui parsèment ces versets rappellent aussi que ce Dieu guerrier est bien celui d’Israël, celui qui l’a fait sortir d’Égypte et lui a donné une existence.
Et la reprise du thème du berger indique sans hésitation possible que ce Dieu puissant qui écrase ses adversaires est aussi un Dieu bon, plein d’attention et de prévenance pour les plus faibles.
Enfin, la troisième partie, versets 12-17, vient exprimer sur quoi se fonde l’espérance du salut. Il est certain que les progrès militaires de Cyrus et des Perses ont eu une influence sur la prédication du Second Ésaïe : toute l’urgence joyeuse de sa prédication tient au fait que les réalités immédiates attestent qu’un changement rapide va se produire dans le sort des exilés. Mais si les circonstances donnent le ton, elles ne fondent pas la prédication d’espérance.
Bon nombre d’exilés refusaient, semble-t-il, l’idée qu’il y ait quoique ce soit de bon à attendre des événements en cours.
Ce qui fonde l’espérance, c’est la foi d’Israël. Ce n’est pas tout à fait par hasard que le prophète s’adresse à ses contradicteurs sceptiques en les martelant de questions. Car toutes ces questions pourraient se résumer en une seule : ce que nous avons dit pendant des siècles à propos de notre Dieu, ce que nous chantons dans nos psaumes (par exemple, aux Psaumes 2 ; 8 ; 14 ; 18 ; 20 ; 65 ; 66 ; 68…), est-ce la vérité de notre foi ou du vent ?
Si notre Dieu est bien ce que nous disons, alors il y a toutes les raisons d’espérer : il est puissant, il est fidèle, il est juste, il agit dans l’Histoire et intervient en faveur des siens. On ne peut pas dire cela, l’enseigner aux enfants de génération en génération, et refuser d’admettre que Dieu est à l’œuvre quand l’Histoire des peuples bascule. L’espérance des exilés, c’est une foi qui cesse d’être théorique et formelle, et qui sait lire la présence de son Dieu dans la réalité présente.

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Espérer en Exil – Ésaïe 44,24 à 45,7

Cette péricope du livre d’Ésaïe est un des sommets de la prédication du Second Ésaïe. Les exilés ne voient dans la progression des armées de Cyrus que l’annonce d’un prochain changement de maître qui n’apportera rien de bon. Le prophète annonce, lui, que Cyrus est celui que Dieu envoie pour sauver son peuple. Parce que Dieu est le Seigneur de l’Histoire et de la Création, même un roi païen qui l’ignore peut devenir son serviteur, le berger que Dieu donne à son peuple.

Comme l’indique la formule d’introduction « Ainsi parle le Seigneur » en 44,24 et 45,1, ce passage réunit deux oracles distincts (44,24-28 d’une part, 45,1-7 de l’autre), qui ont été réunis par la suite, parce qu’ils avaient le même thème. Ce thème commun, ils le développent pourtant avec des arguments assez différents et qui se complètent.

Le Seigneur qui te rachète : le rachat est une pratique juridique qui permet d’éviter l’aliénation définitive d’un bien de famille, mais aussi d’obtenir la libération des Israélites qui sont devenus esclaves d’un autre membre du peuple (voir Lévitique 25,25-55). Celui qui rachète est en général le parent le plus proche. Le Second Ésaïe fait de la notion de « racheteur » un attribut de Dieu qui libère son peuple de sa misère politique et sociale. Ici l’idée de rachat est mise en parallèle avec celle de la création du peuple, ce qui renvoie à l’Exode où Dieu crée son peuple en le libérant de l’esclavage.

Qui t’a formé dès le sein maternel : en Ésaïe 44,2.24 on retrouve la même notion : le Seigneur est celui qui a créé Israël, qui lui a donné la vie. Cette image est de toute évidence l’expression d’une grande intimité entre Dieu et son peuple (voir aussi Psaume 22,10 ; 139,13 ; Jérémie 1,5). Dieu a donné la vie au peuple.

Ces deux propositions relatives « qui te rachète »… « qui t’a formé » indiquent que Dieu s’adresse ici à son peuple, et qu’il s’adresse à lui comme celui qui ne peut que vouloir son salut.

C’est moi le Seigneur : l’ensemble de ce qui suit est une autoprésentation de Dieu. C’est une forme assez fréquente dans les religions polythéistes de Mésopotamie où, chaque dieu, se met ainsi en valeur par rapport aux autres divinités. Il est assez surprenant de voir le Dieu d’Israël s’exprimer à la manière des divinités païennes. Mais c’est aussi une polémique pleine d’ironie contre les cultes païens.

En effet, le Seigneur est celui qui fait tout et n’a besoin de personne. Les autres dieux ne sont rien. La construction du texte hébreu est impossible à rendre en français lisible : tous les verbes qui suivent sont des participes verbaux utilisés comme des noms apposés au nom propre de Dieu. Ce qui donnerait : MOI, JE SUIS YHWH, LE FAISANT TOUT, LE TENDANT LES CIEUX…

Cette formulation dit deux choses qui n’apparaissent plus dans les traductions :
– les actes du Seigneur sont intemporels et continus, ils ne relèvent pas du passé, du présent ou de l’avenir ;
– toute l’énumération des œuvres de Dieu qui est faite ici va de soi, dès lors que l’homme reconnait qu’il est devant le Dieu vivant d’Israël.

Qui fait tout : « tout » est rarement utilisé seul et de manière absolue. Ce tout n’est donc pas « tout l’univers », mais tout ce qui est énuméré ensuite.

J’ai tendu les cieux / j’ai étalé la terre : c’est, comme en Genèse 1,1 et Ésaïe 42,5, l’affirmation que Dieu est le créateur de l’ensemble de ce qui existe, désigné par les deux extrêmes, cieux et terre.

Moi tout seul /qui m’assistait ? L’affirmation comme la question insistent sur le fait que Dieu agit seul. Le Seigneur est unique, il n’a pas besoin d’aide. Il n’y a pas de dieu à côté de lui.

Je neutralise les signes des augures : les Babyloniens pratiquaient abondamment la divination. On lisait l’avenir dans les entrailles des animaux (particulièrement dans le foie), dans la fumée de l’encens, dans l’huile, au moyen de flèches tirées en l’air, par l’astrologie, les sorts et l’interprétation des rêves. Tout cela exigeait des professionnels qui avaient de solides connaissances des choses de la nature, d’où leur appellation de « sages ».

Mais le Seigneur est celui qui brise les signes, annule les divinations et…

Renverse les sages en arrière : l’hébreu dit exactement « fait revenir les sages en arrière ». En effet, tous les devins babyloniens ont la prétention de pénétrer l’avenir et de diriger les conduites des hommes. Mais le Seigneur les ramène à la réalité, fait passer leur savoir et leur science pour folie, car ce qu’ils annoncent ne se réalise pas.

II faut savoir que les oracles des devins babyloniens qui ont été retrouvés par l’archéologie annoncent tous la victoire et le triomphe final, même lorsqu’ils entrevoient des difficultés momentanées. Ce qui est dit ici, c’est bien que celui qui tient l’avenir entre ses mains, c’est le Dieu d’Israël, et tous les prophètes babyloniens n’y feront rien.

Je donne pleine valeur à la parole de mon messager : car ceux que le Dieu d’Israël charge de sa parole sont porteurs de sa volonté. Ils savent comment agit celui qui fait tout. C’est pourquoi cette parole s’accomplit et se réalise à travers l’Histoire des hommes.

Il s’agit là d’une affirmation de portée générale, qui porte surtout sur le développement de l’Histoire et non seulement sur des faits particuliers.

Je dis pour Jérusalem « qu’elle soit habitée » : des affirmations générales, le discours passe aux réalités du moment. Jérusalem est l’objet de toute la nostalgie, de tous les regrets et de tous les espoirs des exilés. Et Dieu annonce qu’elle sera habitée, c’est-à-dire rebâtie et rétablie dans ses droits de cité indépendante. Elle et les petites villes qui l’entourent, parce que Dieu a décidé de reconstruire le pays de son peuple.

Je dis à la haute mer « sois dévastée » : ce verset englobe un ensemble de significations imbriquées les unes dans les autres. Il y a d’abord une allusion à la Création présentée comme une victoire de Dieu sur la mer, qui est symbole de mort (voir Genèse 1,6-10 ; Job 38,8-11) et une annonce de la maîtrise absolue de Dieu sur la nature. Il y a sans doute aussi une allusion au miracle de la mer (Exode 15,5 ; 21). Et une implication immédiate : la puissance de mort, Babylone, pays de canaux et d’eau, qui a submergé Israël, est maîtrisée par Dieu qui va sauver son peuple.

Je dis de Cyrus « c’est mon berger » : Nous avons vu à propos du Psaume 80 et d’Ézéchiel 34 les significations de l’image du berger. L’étonnant dans ce passage, c’est que Dieu présente Cyrus, le païen, comme le berger de son peuple. Cela ne fait sans doute pas de Cyrus le roi de Jérusalem, tel que l’annonçait Ézéchiel 34. L’accent porte ici sans doute sur la relation de dépendance qui unit le berger au propriétaire : Dieu donne à Cyrus des instructions générales. Et Cyrus va les accomplir, apportant ainsi le salut à Jérusalem. Cyrus n’est pas le Seigneur d’Israël, il est le chef qui va réaliser la volonté de Dieu.

Ainsi parle le Seigneur à son messie : ici commence le deuxième oracle. Il est adressé à Cyrus. On peut se demander comment cette parole pouvait parvenir à Cyrus. Le Second Ésaïe n’était pas un proche de Cyrus, et ce sont plutôt les exilés qui ont entendu d’abord cette parole. Mais d’une part, ce sont bien les exilés qui sont indirectement visés, et d’autre part, rien n’empêche que Cyrus ait, en fin de compte, reçu connaissance de cette prédication du prophète.

L’extraordinaire, c’est l’emploi du mot « messie » pour désigner un étranger. Le terme sert à désigner celui qui a reçu l’onction royale, le roi d’Israël (voir Psaume 2,6 ; 18,51) et, plus tard, le grand-prêtre (Lévitique 4,3), mais jamais, dans l’Ancien Testament, le roi idéal de la fin des temps. En fait, comme la fin de la royauté de David laisse le titre vacant et que celui-ci a déjà servi dans un sens symbolique (1 Rois 19-15), le prophète utilise le terme pour désigner celui qui accomplit la volonté de Dieu, celui que le Dieu d’Israël charge d’une mission de salut et à qui il donne l’autorité, le pouvoir et les moyens d’accomplir cette mission. Comme Nabuchodonosor (Jérémie 25,9 ; 27,6), Cyrus est l’outil de Dieu.

Pour déboucler la ceinture des rois : la suite du texte illustre le soutien que le Seigneur apporte à Cyrus. Comme la ceinture servait à accrocher l’armement (glaives, flèches…), le fait de déboucler la ceinture est un geste de désarmement, comme le fait de mettre le ceinturon indique que c’est Dieu qui arme Cyrus (verset 45,5).

Les terrains bosselés : le mot hébreu est très difficile à interpréter, mais il se pourrait bien qu’il s’agisse d’un emprunt à une langue mésopotamienne, auquel cas ce sont les murs des fortifications de Babylone qui seraient mentionnés, ce qui est plus que probable dans ces versets qui parlent aussi des portes.

Les murailles de Babylone étaient imposantes : sur un pourtour de 8 kilomètres, agrandi ensuite à 18 km, deux murailles épaisses de 6,5 m, séparées par une largeur de 7,2 m. Tous les 20 m environ, une tour. Et une centaine de portes en bronze.

Toutes ces fortifications impressionnantes ne serviront à rien, parce que Dieu les détruit devant Cyrus. En réalité, les murailles ne seront pas détruites, parce que Cyrus va pénétrer sans combattre dans la ville. Ceci indique que le prophète a bien annoncé la victoire de Cyrus avant qu’elle ait lieu. Cette victoire est venue.

Je te donnerai les trésors déposés dans les Ténèbres : Babylone, qui s’est emparée des richesses des peuples vaincus, est réputée pour ses trésors (Jérémie 51,13 ; Habaquq 2,6-8). Ces trésors vont passer au vainqueur de Babylone : Cyrus.

Ainsi tu sauras que c’est moi le Seigneur : tout ce que Dieu fait pour Cyrus vise à ce que Cyrus le reconnaisse comme le Seigneur de l’Histoire. Une des difficultés de ce passage est précisément que Cyrus n’a pas reconnu le Dieu d’Israël comme son Dieu. Ainsi il apparaît que d’une certaine manière la réalisation reste en-deçà des espérances du prophète. D’un autre côté, la décision de reconstruction du Temple implique, de la part de Cyrus, la reconnaissance du Dieu d’Israël comme l’un des dieux adorés dans son empire.

Qui t’appelle par ton nom : la formule vient des relations entre le Grand Roi et ses vassaux. Appeler quelqu’un par son nom, c’est le mettre à son service, souvent en lui donnant un nom nouveau (voir II Rois 24,17).

À cause de mon serviteur Jacob : tout le travail de Dieu en faveur de Cyrus, toute l’intervention de Dieu dans l’Histoire n’a qu’un but : Israël. Cyrus est élu, favorisé, choisi comme « messie », pour Israël.

Sans que tu me connaisses : à ceux qui, parmi les exilés, ne peuvent admettre que Cyrus puisse être un envoyé de Dieu, le sauveur du peuple, le Second Ésaïe dit : ce n’est pas parce que Cyrus ne connaît pas Dieu que Dieu ne peut pas se servir de lui.

C’est moi le Seigneur, il n’y en a pas d’autre : cette affirmation martelée à la fin de l’oracle est la justification des affirmations précédentes : Cyrus ne peut être que le serviteur de Dieu, parce qu’il n’y a pas d’autre Dieu. Cette affirmation de foi, qui nous semble peut-être naturelle, ne l’était pas du tout en ce temps-là. Même en Israël on avait tendance à admettre que chaque peuple avait son ou ses dieux. Mais l’espérance d’un salut pour Israël vient de cette certitude que le Dieu d’Israël est unique et qu’il tient le monde et son Histoire dans ses mains.

Levant-couchant, Lumière-ténèbres, Bonheur-malheur : trois formules de totalité pour exprimer l’absolu pouvoir du Dieu d’Israël, et surtout le caractère unique de Dieu. Il est possible que ces formules fassent allusion à un certain dualisme qui oppose le dieu du bien au dieu du mal. Il est certain en tout cas que les deux premières paires expriment à nouveau la domination du Dieu créateur (voir Genèse 1).
Ces deux oracles se situent peu de temps avant la défaite babylonienne. Le prophète, qui avait déjà fait allusion à Cyrus, mais sans le nommer (40,13 ; 41,1-5 ; 41,25-42,9), dévoile maintenant le nom du serviteur de Dieu qui va sauver Israël.
Or, il n’était pas évident pour les exilés que Cyrus et ses victoires soient autre chose pour eux que l’annonce d’un changement de maître, dont il n’y avait rien à espérer.

La prédication du Second Ésaïe dans ces deux oracles est un appel à la foi d’Israël : quand on dit que Dieu est le créateur, quand on rappelle dans les psaumes que Dieu est le maître de l’Histoire, alors il faut lire dans les événements la présence et l’action de Dieu, le témoignage de la fidélité de Dieu envers son peuple.
Ainsi, l’espérance proclamée par le prophète anonyme n’est pas fondée d’abord sur les événements que tout un chacun peut connaître. Elle repose sur la foi de tout un peuple, sur la conviction que Dieu intervient dans l’Histoire des hommes en faveur du peuple qu’il a créé et qu’il fait vivre.
En proclamant que Cyrus est l’outil de Dieu pour le salut de son peuple, le prophète est amené à proclamer que le Dieu d’Israël est aussi le Seigneur de tous les peuples, qu’il maîtrise et fait vivre toute la Création, que rien ne se passe en dehors de sa volonté. C’est probablement la proclamation la plus nouvelle et la plus forte du Second Ésaïe.

Mais le lecteur moderne doit veiller à ne pas scléroser cette proclamation de foi vivante en dogme, en formule de catéchisme toute faite. Le Dieu qui fait tout est un Dieu vivant, actif, puissant. Le Dieu tout-puissant, omniscient, omniprésent… est un Dieu théorique qui pose toutes sortes de problèmes théoriques, et notamment à propos du mal et de la souffrance. Le Dieu de la Bible est le maître de l’Histoire, il tient entre les mains le bonheur et le malheur des peuples, mais sa volonté durable et fidèle est une volonté de salut et de paix.

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Connu aujourd’hui sous le nom de cylindre de Cyrus, ce document antique est maintenant identifié comme la première Déclaration des droits de l’Homme dans le monde. Il est traduit en chacune des six langues officielles de l’ONU et ses clauses sont analogues aux quatre premiers articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

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La figure de l’étranger ou du migrant dans la Bible

images_ID_1344_115En guise d’introduction à ce vaste sujet, disons que la figure de l’étranger ou du migrant présente différents visages dans la Bible et que le regard porté sur cette personne ou ce statut est lui aussi pluriel. Ce thème, on le sait bien, n’a pas été abordé dans les Écritures de l’extérieur : la « conscience d’une migrance originelle », elle-même suivie d’autres migrations, a beaucoup joué sur l’approche de cette question en Israël. Par Daniel Gerber – Colloque : « Les Églises et le défi des migrations » – 11 mars 2010.

Une fois planté le décor du monde, l’histoire biblique nous parle en effet du séjour inaugural des patriarches en Canaan, de la migration « aller » de soixante-dix « réfugiés économiques » en Égypte, du temps de l’esclavage, de la migration « retour » d’un grand nombre (l’exode), de la conquête et du partage du territoire, enfin de l’expérience de l’exil.
C’est de cette longue mémoire de migrations, volontaires ou forcées, que sont issus les textes législatifs fixant le statut de l’étranger ou de l’émigré en Israël. Le peuple qui a légiféré est un peuple qui confesse : « Mon père était un araméen errant, descendu en Égypte pour y séjourner en immigré » (Dt 26,5).
À la charnière du temps, « l’événement Jésus de Nazareth » a fait éclater ces notions d’étranger et de migrant pour leur donner une dimension nouvelle.

Mais revenons au commencement. Il est frappant de constater que les premiers chapitres du livre de la Genèse nous présentent deux figures opposées du migrant. Il y a tout d’abord le « migrant meurtrier, maudit du sol », Caïn : « Tu seras errant et vagabond », dit Dieu en réaction au meurtre d’Abel ; et Caïn de répéter, comme pour acquiescer, mais non sans insister sur l’angoissante fragilité de son nouveau statut : « Je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera » (Gn 4,12.14). En contraste, il y a le « migrant identitaire, béni de Dieu », Abraham : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai » (Gn 12,1-2a).

S’intéresser au migrant ou à l’étranger dans la bible hébraïque nécessite en fait de distinguer entre trois mots qui recouvrent, grosso modo, trois réalités différentes : nakri désigne en effet généralement « un étranger au pays, quelqu’un qui n’a [donc] aucun lien avec la famille, le clan, ni même la tribu » ; tosab nomme l’étranger de passage, le résident ou l’hôte temporaire qui ne jouit d’aucun droit spécifique ; ger définit l’« étranger installé en Israël, […] l’émigré [ou le réfugié], ce dernier terme sous-entendant aussi une différenciation sociale » – cf. par exemple Dt 29,10 : « L’émigré que tu as chez toi […] pour t’abattre des arbres ou pour te puiser de l’eau », Dt 14,29 où l’émigré est associé à la veuve et à l’orphelin, ou encore Lv 19,10 qui stipule qu’il faut abandonner les fruits tombés « au pauvre et à l’émigré ».

Si le souvenir du séjour en Égypte est explicitement mentionné en Ex 22,20 – « Tu n’exploiteras ni n’opprimeras l’émigré, car vous avez été des émigrés au pays d’Égypte » –, s’il est stipulé en Dt 10,18 que « Dieu aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau », si l’on peut repérer toute « une […] série de lois [qui] visent à intégrer l’émigré étranger au sein de la société israélite », force est cependant de constater qu’il « y a loin de la théorie à la pratique. […] La législation […] maintient […] une différence et accepte comme allant de soi l’[…]infériorité sociale [des émigrés]. L’émigré reste un émigré, dans un groupe ethniquement et socialement marqué ». Même s’il est dit : « Il y aura un même droit pour l’immigré et pour l’autochtone » (Lv 24,22) ou : « Il y aura une même loi pour l’autochtone et pour l’immigré qui séjourne au milieu de vous » (Ex 12,49), la dénonciation en Ml 3,5 de ceux qui « dévient le droit de l’immigré » confirme l’écart entre les textes législatifs et la réalité.

À cet égard, il convient certainement de prendre en compte la notion délicate d’identité, et ses corollaires obligés que sont l’inclusivisme et l’exclusivisme. Si le livre de Ruth, qui raconte comment une étrangère moabite a été intégrée par le mariage à Israël, plaide tout en finesse pour une ouverture universaliste, on se souviendra également de « la rudesse avec laquelle les livres d’Esdras et de Néhémie, contemporains des premières générations du retour, dénoncent [au contraire] tout mélange avec les nations ». Dans la logique de ces deux écrits, la préservation de l’identité impose en effet non seulement l’interdiction du mariage avec des étrangères, mais encore leur renvoi (Esd 10) comme la mise au ban du pays de « tout homme de sang mélangé » (Ne 13,3). Deux points de vue opposés se sont ainsi exprimés, peut-être même à pareille époque, l’un appelant à l’ouverture, à l’accueil de la différence, l’autre au repli « identitaire et xénophobe ».

Pour clore ce parcours vétérotestamentaire expresse, évoquons encore le cycle d’Élie en 1 R 17–19, selon lequel « la véritable frontière ne se situe pas au niveau de l’appartenance territoriale, mais au niveau du choix pour ou contre Yahvé », et rappelons le raidissement identitaire observable au temps de l’hellénisation, choisie ou forcée, dont 1 et 2 Maccabées se font l’écho.

Dans le Nouveau Testament, on assiste à une valorisation du thème de l’étranger ou du migrant, dans la mesure où ces deux notions servent occasionnellement à caractériser les chrétiens dont l’objectif n’est plus de jouir en toute quiétude de l’héritage d’une terre, mais d’habiter, aux dires de Paul, une « cité céleste » n’ayant pas ici-bas, selon Hb 13,14, « de cité permanente ». C’est dans cette logique que l’auteur de la première épître de Pierre interpelle ses destinataires en 1 P 2,11 comme des « exilés », ou des « gens de passage », paroikoi, et des « étrangers », parepidèmoi, au sens où leur système de valeurs et leur espérance sont autres.

Pour sa part, l’auteur de l’épître aux Éphésiens souligne à l’inverse que, grâce à l’œuvre de paix réalisée par Jésus, les chrétiens d’origine païenne ne sont plus désormais « ni des étrangers, ni des émigrés » à l’alliance de la promesse (Ep 2,12.19). Leur exclusion n’est plus de mise, leur manque est comblé. « Il n’y a plus ni Grec ni Juif, […] ni barbare ni Scythe », précise Col 3,11.
Ceci est illustré narrativement dans les préliminaires à la rencontre entre Pierre et Corneille en Ac 10,9-16, par cette vision d’une grande toile contenant tous les quadrupèdes, les reptiles et les oiseaux invitant Pierre, respectivement le lecteur, « à se libérer de l’impact puissant de la métaphore qui assimile les étrangers à l’impureté et les Juifs à la pureté ». Cette même idée est développée en Ep 2,14 où il est affirmé que Jésus a « détruit le mur de la séparation », c’est-à-dire qu’il a rendu caduc ce qui, dans la loi juive, empêchait juifs et païens de se rencontrer pour se présenter ensemble devant Dieu.
Mais cette rencontre possible avec l’« autre », désormais au bénéfice du même privilège, n’a pas été sans poser problème. À preuve le récit de la rencontre de Jésus avec la femme syro-phénicienne en Mc 7,24-30 // Mt 15,21-28, « un épisode-clé dans le passage à une conception nouvelle du rapport à l’étranger ». Dans ce récit en effet, la femme est « présentée de manière telle qu’elle apparaît, au départ, comme la quintessence même de l’étrangère, de la païenne […]. Ce qui est en jeu [en cette péricope], c’est [bien] une question de frontière, mais de frontière du Royaume » de Dieu, ou, plus exactement, d’effacement des frontières ethniques dans cette nouvelle logique inaugurée par la venue du Nazaréen. La précision apportée en Lc 17,18, à savoir que le samaritain guéri par Jésus était un « étranger », allogenès, ne traduit-elle pas la conviction de l’ouverture universelle de l’offre du salut de Dieu ou le fait que Dieu, comme Luc l’exprime par la bouche de Pierre en Ac 10,34, « ne fait acception de personne » ?

En guise de conclusion, nous relèverons que, dans l’Ancien Testament, l’étranger ou le migrant a un statut « théologique » partiel, en référence à une expérience collective, heureuse ou malheureuse, conditionné par le souci, soit de la préservation d’une identité ethnique soit, au contraire, d’une plus grande ouverture.
Dans le Nouveau Testament, l’étranger ou le migrant a un statut « sotériologique » (qui a trait au salut) entier, lié à une compréhension universaliste du Dieu de Jésus. Ce point de vue ne s’est pas imposé immédiatement et sans réticences, mais il a nécessité de la part des chrétiens d’origine juive et païenne un apprentissage commun en vue de roder des réflexes humains nouveaux.

Daniel Gerber – Colloque : Les Églises et le défi des migrations – 11 mars 2010. Ce texte s’appuie sur l’ouvrage de Jean Riaud (éd.), L’étranger dans la Bible et ses lectures, Paris, Cerf (Lectio divina 213), 2007.

Crédit : Daniel Gerber – Point KT




Un anathème annulé par la foi au dieu d’Israël

 Cette histoire, relatée au chapitre 2 du livre de Josué, est très connue, surtout à cause de la conquête de Jéricho dont les murailles se sont effondrées uniquement par la prière. La procession liturgique pendant sept jours au son du Shophar avec le coffre de l’alliance en tête, était en effet une prière, un culte rendu au Seigneur.

Josué, successeur de Moïse, avait envoyé deux espions pour repérer les failles dans le système de défense du pays. Ils étaient venus –devinez chez qui ? – chez une prostituée de Jéricho, Rahab. Le roi de Jéricho avait des renseignements généraux bien organisés et cela s’est su. Les deux espions échappent à la mort grâce à l’intervention intelligente et rusée de Rahab.
Les deux espions proposent alors une alliance à cette prostituée. La loi du Seigneur interdisait strictement une alliance avec les habitants du pays : Deutéronome 20/16-18 : « Mais les villes de ces peuples-ci, que le Seigneur ton Dieu te donne comme patrimoine, sont les seules où tu ne laisseras subsister aucun être vivant. En effet, tu voueras totalement par interdit le Hittite, l’Amorite, le Cananéen, le Perizzite, le Hivvite et le Jébusite, comme le Seigneur ton Dieu te l’a ordonné, afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les actions abominables qu’ils font pour leurs dieux : vous commettriez un péché contre le Seigneur votre Dieu ».

Nous sommes donc devant une question : comment ces deux espions ont-ils su qu’ils pouvaient aller contre la loi de Dieu ? Comment ont-ils pu faire une alliance pour laquelle ils n’étaient pas mandatés ? Au lieu d’appliquer l’anathème contre Rahab, les espions retournent cet anathème contre eux-mêmes, au cas où ils ne tiendraient pas leur promesse ! Et on pourrait encore s’interroger sur le fait qu’ils font cette alliance avec la prostituée de la ville. L’interdiction de la débauche vaut non seulement pour Israël, mais pour toutes les nations, car c’est un des commandements donnés après le déluge à toute l’humanité. On appelle cela les commandements noachiques, les commandements de l’époque de Noé.

Pour répondre à toutes ces questions, il nous faut examiner de près les paroles que prononce Rahab : v. 10 « nous avons entendu dire que le Seigneur a asséché devant vous les eaux de la mer des Joncs lors de votre sortie d’Égypte… » ; v. 11 : « nous l’avons entendu, et notre courage a fondu ; chacun a le souffle coupé devant vous, car le Seigneur, votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».
Rahab parle de Pâque, la sortie d’Égypte. Ce miracle de délivrance des Hébreux prouve que le Seigneur est Dieu là-haut dans le ciel et ici-bas sur la terre. Rahab a compris le sens profond de la Pâque, toute prostituée qu’elle est. Elle a reçu la foi. Sa foi est d’ailleurs mentionnée deux fois dans le NT : Jacques 2/25 « Tel fut le cas aussi pour Rahab la prostituée : n’est-ce pas aux œuvres qu’elle dut sa justice, pour avoir accueilli les messagers et les avoir fait partir par un autre chemin ? », Hébreux 11/31 « Par la foi, Rahab la prostituée, ne périt pas avec les rebelles, car elle avait accueilli pacifiquement les espions ».
Parce que Rahab montre clairement qu’elle a reçu la foi, les espions parlent au nom du Seigneur, lui proposant l’alliance. Oui, ils la font entrer dans la même alliance qu’Israël. Josué 6/25 « Rahab a habité au milieu d’Israël jusqu’à ce jour ». Le texte dit bien qu’elle a habité au milieu d’Israël, et non pas en marge, comme d’autres groupes qui feront eux aussi alliance avec Israël, mais en demeurant à la marge, à la périphérie (les Gabaonites Josué 9). Rahab est tellement au milieu d’Israël qu’elle a engendré le Messie. L’évangile de Matthieu (1/5) la nomme parmi les ancêtres de Jésus. La tradition orale dit qu’elle a épousé Josué lui-même, le chef des Hébreux.

Rahab est donc un exemple parlant de ce que produit la foi en la Pâque, le miracle de la sortie d’Égypte : tous les commandements de Dieu qui nous excluent du salut sont levés. Nous pouvons entrer dans la même alliance qu’Israël. L’alliance qu’Israël a avec le Seigneur lui garantit un salut perpétuel. Ésaïe 45/17 « Israël est sauvé par le Seigneur et ce salut est perpétuel ».
Rahab résume ainsi ce qu’elle a compris de la Pâque : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre » Josué 2/11. Le Dieu d’Israël dirige non seulement la nature, mais aussi l’histoire de l’humanité. Il dirige la nature : il a fait traverser la mer des Joncs à pied sec aux Hébreux et les Égyptiens s’y sont noyés. Il dirige l’histoire : il a donné à ces esclaves une loi, un pays, une capitale, un gouvernement et des victoires militaires surprenantes, défiant toute imagination. Voilà le Dieu auquel Rahab se met à croire. Il n’y a plus une multitude de dieux : un dieu pour le foyer domestique, un dieu pour les finances, un dieu pour la guerre, un dieu pour la politique, un dieu pour le bonheur personnel. « Votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».

Toutes les religions conçoivent bien des dieux qui seraient au ciel. Même s’ils descendent de temps en temps sur terre, ils retournent au ciel. Mais aucune religion ne peut nous apprendre ce que la Bible nous révèle : Dieu, le Créateur de toutes choses, est descendu sauver les Hébreux de la mort en Égypte, il est venu lui-même opérer ce salut, il n’a pas délégué cela à des intermédiaires, à des anges. Il a marché avec ce peuple pour le guider vers la terre où se trouve Rahab. Ce Dieu est Un, tout en se liant à Israël. Voilà ce qui a été révélé à Rahab : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».

Recevoir la foi dans l’événement de Pâque, c’est être sauvé de toutes les condamnations à mort, même celles prononcées par Dieu. Rahab l’étrangère était sous le coup d’une telle condamnation, mais elle a reçu la foi en la Pâque des Juifs.
Jésus avait une telle foi dans cette Pâque, qu’il a attendu ce moment pour se révéler. Il n’est pas monté à Jérusalem pour mourir et ressusciter à n’importe quel moment, mais quand le Père le lui a montré. Jésus a versé son sang sur la croix très précisément au moment où on égorgeait dans le temple les agneaux pour la Pâque. Si bien que l’apôtre Paul écrit : « le Christ notre Pâque a été immolé » I Corinthiens 5/7.
Christ est notre Pâque. En lui, nous pouvons vérifier combien cette parole de Rahab est vraie : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».

Il y a plusieurs manières de résumer la foi en Jésus-Christ. L’évangile de Jean la résume ainsi : « ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé » Jean 17/8. Rahab a compris cela : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». En Jésus-Christ, Dieu lui-même est venu sur terre. En Jésus-Christ, s’opère dans l’histoire humaine la Pâque éternelle : le passage de la mort à la vie. Et cela concerne tous les hommes, toutes les nations, même si cela a été donné à Israël. Voilà ce que Rahab a compris. C’est suffisant pour entrer dans l’alliance et avoir part à Israël. On ne nous dit pas qu’elle a confessé sa débauche, demandé publiquement pardon et que sais-je encore. Elle a reçu une certitude : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». Cela suffit pour la sauver. Comme cela suffit pour nous sauver nous de comprendre réellement que Jésus est sorti de son Père et retourné vers son Père à Pâque, portant sur lui tous nos péchés sur la croix, ressuscitant pour que nous ayons en permanence le pardon et la vie nouvelle.

Rahab vivra son salut comme les Hébreux : elle rassemble sa famille dans sa maison, elle met un signe rouge à sa fenêtre, comme les Hébreux sur les linteaux de leur porte en Égypte, pendant que passait dans le pays l’ange de la mort.
Les murailles de Jéricho se sont écroulées par la puissance de Dieu, mais la même puissance de Dieu a maintenu debout le pan de muraille sur lequel était construite la maison de Rahab.

« Votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». Comme Rahab, notre vocation est d’enfanter le Messie aujourd’hui, car la Pâque concerne toute l’humanité. Les souffrances par lesquelles passe le monde actuel sont une extension des plaies d’Égypte. Les catastrophes qui se sont abattues sur l’Égypte s’abattent aujourd’hui sur le monde entier qui ferme ses oreilles aux paroles de Dieu. Les murailles de Jéricho se sont écroulées parce qu’elles avaient des oreilles pour entendre la parole de Dieu. Alors pourquoi les êtres humains d’aujourd’hui n’auraient-ils pas comme Rahab, comme les murailles de Jéricho, des oreilles pour entendre la Parole de Dieu ? Comment les gens entendront-ils cette Parole de Dieu, si personne ne la prononce ? Que cela soit notre priorité : faire entendre aux autres la parole de Dieu. Écouter la Parole de Dieu est une question de vie ou de mort. Parmi les Israélites, il y en avait un qui n’a pas écouté la Parole de Dieu. Il s’agit d’Akhan. Au moment de la prise de Jéricho, il a pensé à s’enrichir (Josué 7), enfreignant l’interdit de prendre quoi que ce soit. Il a subi la condamnation à mort qui pesait sur Jéricho. Le lieu où il fut lapidé s’appelle la vallée d’Akhor (Josué 7/26). C’est seulement dans les temps messianiques qu’elle deviendra elle aussi un lieu de bénédiction : elle s’appellera alors Pétah Tiqwah, Porte d’espérance (Osée 2/17). Rahab elle, a échappé à cette condamnation à mort et a participé à l’engendrement du Messie. Elle a confessé aux Hébreux : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». Cette conviction dans son cœur a suffi pour qu’elle soit sauvée. Comme il nous suffit de savoir que Jésus sur la croix, c’est le Fils éternel qui est sorti du Père pour lever toutes les condamnations à mort, accomplir la Pâque, passer de ce monde à nouveau vers le Père, pour nous donner définitivement part à sa vie. Jésus-Christ est en lui-même le Règne de Dieu ici-bas sur la terre et là-haut dans le ciel. « Il n’y a donc maintenant plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ » Romains 8/1.

Nous avons avec cette histoire de Rahab qui est venue au milieu d’Israël alors qu’elle était vouée à l’anathème, la démonstration qu’il n’y a aucune malédiction qui tienne quand on reçoit la foi en la Pâque, la sortie d’Égypte des Hébreux, la sortie de Jésus de ce monde vers le Père. C’est Lui, Jésus, l’Agneau de Dieu qui transforme toute malédiction en bénédiction.

Crédit : – Point KT




Introduction générale à la géographie biblique, Ancien et Nouveau Testaments

L’histoire de cette région, et donc l’histoire des peuples de la Bible, est très largement impactée par la géographie. Comprendre la géographie du Moyen-Orient, comprendre comment, dans l’Antiquité, elle dictait en grande partie l’évolution des nations est vraiment utile pour lire la Bible. En réalité, pour le lecteur de la Bible, il y a « 2 géographies » à avoir à l’esprit : celle de l’Ancien Testament, centrée sur le Croissant fertile, et celle du Nouveau Testament, centrée sur la Méditerranée.

Avec l’appui des ouvrages et sites :
– Atlas de l’étudiant de la Bible, Tim DOWLEY, Ed. Farel, 1989
Histoire de la Bible, David Shutes

Préambule :
De l’usage des mots « Palestine » et « Israël ». « Palestine », en hébreu phélèshet signifie « le pays des Philistins » même si les Philistins n’en ont finalement occupé qu’une petite partie. C’est un territoire dont les limites sont vagues, mais qui correspond en gros à l’actuel État d’Israël + Cisjordanie et la Bande de Gaza.
Nous avons déjà rencontré le terme de Palestine pour cette région dans le livre des Juges. C’est seulement au 1er siècle que les Romains ont intégré la région à la grande province de Syrie.
« Israël », le peuple d’Israël, c’est à dire les hébreux, le peuple juif dans l’Ancien Testament.

Géographie de l’Ancien Testament

Situation de la Palestine dans la région
D’abord, dans le Moyen-Orient, c’est-à-dire qu’on se situe là où 3 continents se rejoignent. Cet élément pris en compte en dit déjà beaucoup sur les déplacements, sur les échanges, les influences culturelles, sur le commerce et aussi, bien sûr, sur les enjeux politiques que représente ce carrefour des civilisations.
N’oublions pas que le Canal de Suez ne date que du XVIIIe siècle et qu’auparavant il était impossible de passer de la Méditerranée à la mer Rouge par bateau. Le passage entre l’Asie et l’Afrique se faisait à pied, par le delta du Nil.
La mer Méditerranée était considérée dans l’antiquité comme « La Grande Mer ». La franchir par bateau était une expédition risquée. Au nord et à l’est de cette grande région, les chaines montagneuses rendent la circulation possible mais difficile. À l’ouest du Nil, les déserts d’Afrique, et au sud du Croissant fertile, les déserts d’Arabie, rendent difficiles les voyages vers ces contrées.
Par ce simple regard général sur la situation géographie de la Palestine, on découvre déjà beaucoup d’enjeux. Mais surtout on découvre que si cette région n’est pas totalement coupée du monde, elle est tout de même relativement isolée. Et à cause de cet isolement, cette région est nommée « Croissant fertile ».

Le Croissant fertile
En observant la carte, on peut repérer les différentes villes dont chacune est citée dans la Bible pour un événement particulier ou un personnage. Pour exemple, Abraham part d’Our (il est mésopotamien), à une époque où on ne voyageait pas tant que ça. En quittant son pays, la géographie rend plus ou moins inévitable que ce soit en direction de l’Égypte, parce qu’il n’y a pas vraiment d’autre direction.

Deux grands centres de civilisation (avec la Palestine entre les deux) :
À l’Est : la Mésopotamie (méso = entre ; potamos = fleuve, entre le Tigre et l’Euphrate) qui a vu naître l’écriture cunéiforme vers -3 000 av. JC.
À l’Ouest : l’Égypte, qui a vu naître les hiéroglyphes vers -3 000 av JC
Mésopotamie et Égypte ont vu naître, à peu près en même temps, les deux premières grandes civilisations du monde, toutes les deux le long des fleuves qui, par leur apport abondant d’eau douce, permettaient le développement de l’agriculture et par conséquent d’une population sédentaire importante.
Ces deux régions fertiles, qui ont données naissance aux deux premières grandes civilisations, étant relativement isolées vers l’extérieur à cause des montagnes, mers et déserts, il était logique et même inévitable que leurs regards extérieurs principaux aillent l’une vers l’autre.
Or, le seul chemin pratique pour passer de l’Égypte à la Mésopotamie passe le long de la côte est de la Méditerranée pour rejoindre l’Euphrate en Syrie, ce qui permet de passer par les plaines de la Mésopotamie pour rejoindre les grandes villes de la moyenne et de la basse Mésopotamie. Et on constate que la Palestine se trouve sur ce passage. Il n’y a donc pas de hasard : l’histoire du peuple hébreu est inévitablement liée à la géographie et aux relations entre les puissances de ces deux régions.

Repères calendaires

> XIIIe – Xe s. : lors de la sortie d’Égypte du peuple de Moïse la Palestine était sous administration égyptienne.
> – 650 : Assyrie > déportation
> – 550 : Babylone > déportation
> – 450 : Perse > droit de retour
> – 300 : les Grecs, puis les Séleucides
> -160 : les Maccabées
> 0 : les Romains

Du fait des invasions, directement liées à la géographie, Israël ne sera jamais une grande puissance militaire ou économique.

Géographie du Nouveau Testament

La situation « d’entredeux » de la Palestine se modifie profondément à l’époque du Nouveau Testament.
Les grandes puissances ne sont plus au Moyen-Orient mais en Europe. D’abord la Grèce et ensuite Rome vont dominer toute la région.
Par exemple pour Rome le commerce est à son apogée en 117 !ID 1324 carte 2
À l’époque romaine, la Palestine sera une petite province lointaine, sans grande importance. Le chemin de circulation principale n’est plus le Croissant fertile passant de l’Égypte jusqu’à Babylone, mais la Méditerranée où les redoutables navires romains étendent leur puissance militaire depuis l’Euphrate jusqu’à l’Atlantique.
La Méditerranée remplace le Croissant fertile comme centre de civilisation.

Et que remarque-t-on du côté de l’histoire biblique ? Les voyages missionnaires de Paul !

Le climat
Dans un pays qui fait à peine 300 km de long par 80 km de large, on se retrouve avec une multiplicité de climats :
– méditerranéen sur les côtes,
– désert du Judée, Sinaï, Néguev,
– presque tempéré vers Jérusalem ou en Galilée.

On passe des grandes plaines au Nord, grenier cultivé, à des montagnes assez hautes au centre et à montagnes plus arrondies vers le sud, avec de la roche partout. Les déserts (on pense au désert de sable, Sahara) sont en réalité des déserts de pierres. On comprend mieux les expressions comme « l’Éternel est mon rocher ». Dans un pays où il n’y a pratiquement que de la roche, où une bonne partie du pays est de la roche, dire : « Eternel est mon rocher » c’est dire qu’il est présent pratiquement partout où je mets les pieds. « Éternel est mon rocher » c’est celui qui me protège et en même temps c’est celui que je prie quotidiennement et qui fait partie de mon quotidien.

Crédit : Point KT




Tous invités, réjouissons-nous ensemble !

La première moitié du chapitre 14 de Luc rapporte une série de quatre récits (une guérison, deux paraboles, une instruction), tous situés dans le cadre d’un repas chez un pharisien, le jour du sabbat.

L’ensemble de ces textes concerne les relations existantes entre celui qui invite et ceux qui participent au repas. Inviter constitue une des formes de l’accueil. À l’occasion d’un repas chez un pharisien, Jésus, l’invité, prend tout au long l’initiative du dialogue et montre comment, à travers des actes tout à fait concrets, peut se manifester le véritable amour de Dieu pour les hommes, la manière dont il les accueille, et ce que peut être l’amour des hommes entre eux.

Chacune des quatre prises de parole de Jésus apporte un élément surprenant, pour ne pas dire choquant, pour les pharisiens auxquels elles sont adressées :
– la guérison d’un malade passe avant le respect du sabbat (1-6),
– la conscience de sa propre valeur passe après la réelle humilité (7-11),
– la perspective de la résurrection bouleverse la règle de la réciprocité possible des invitations (12-14),
– au repas du royaume de Dieu, les participants pourraient bien être autres que les invités (15-24).

1. Jésus est invité

Luc 14, 1-6

Jésus saisit l’occasion de la présence d’un malade pour manifester la volonté de Dieu de faire, avant tout, vivre l’homme. Son argumentation s’appuie sur tes sentiments humains et le bon sens de ses auditeurs. La Loi observée selon la lettre conduit à l’absurdité et lui fait perdre sa vraie signification.

v. 1 Jésus était entré chez un des chefs des pharisiens, un jour de sabbat. Les pharisiens (au sens littéral « les séparés ») forment un parti né au second siècle av. J.-C., en réaction à un certain relâchement vis-à-vis de la Loi. Ils s’efforcent de « marcher sur les chemins de la fidélité et de la justice ». Pour eux, la Loi est l’expression parfaite de la sagesse divine ; par amour pour Dieu, elle doit être respectée scrupuleusement. Cet amour même pousse les pharisiens à en préciser les moindres détails, au point d’en négliger l’esprit et de s’attacher à la lettre.
Les pharisiens se regroupent en communautés assez fermées sous la direction de chefs ; ils se réunissent en assemblées, généralement liées à un repas au début du sabbat. Plus que n’importe quel autre Juif, ils sont respectueux de la Loi du repos absolu ce jour-là.
Pour y prendre un repas. Le repas, dans la tradition de l’époque, est l’expression de la communion la plus intime. Il sert d’image du royaume dans la dernière partie du texte. Luc est le seul évangéliste à dire, à trois reprises, que Jésus est invité par un pharisien (Luc 7, 36 ; 37). Il ne présente pas d’emblée les pharisiens comme des opposants farouches à Jésus. Ils l’observent cependant pour voir s’il obéit bien à la Loi.

v. 2 Un hydropique. L’hydropisie est une maladie qui provoque des enflures de tout ou partie du corps, qui est comme plein d’eau.

v. 3 Est-il permis ou non de guérir un malade le jour du sabbat ? Jésus, en posant cette question, provoque les pharisiens ; ceux-ci considèrent la guérison d’une maladie chronique comme un acte médical non urgent et ne peuvent l’autoriser, selon leurs principes, un jour de sabbat.

v. 4 Mais ils gardèrent le silence. Alors Jésus, prenant le malade, le guérit et le renvoya. Les pharisiens refusent de s’engager par une réponse à la question. Jésus, lui, donne sa réponse : il guérit. En guérissant, Jésus a donné son vrai sens au sabbat ; en redonnant la vie à un homme malade, il montre que Dieu veut faire vivre. La guérison accomplie, le malade peut retourner chez lui.

v. 5 puis il leur dit : « Lequel d’entre vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne le hissera pas aussitôt en plein jour de sabbat ? » Jésus désire aller jusqu’au bout ; les pharisiens doivent répondre : sauveraient-ils leur bien propre, leur bœuf, plus encore leur fils, le jour du sabbat ? Le jour du sabbat peut-il être autre chose qu’un jour de salut ? C’est le sens premier qu’il a dans la Loi de Moïse.

v. 6 Et ils ne purent rien répondre à cela. Les pharisiens ont décidé (v. 4) de garder le silence, aussi ne peuvent-ils plus prendre la parole pour donner une réponse. La parole est à Jésus et elle ne peut être remise en cause.

2. Quelle place choisir ?

Luc 14,7-11

Jésus part de l’observation de faits courants pour rappeler aux invités des pharisiens que c’est Dieu qui décide de la place de chacun dans le royaume.

v. 7 parabole a ici le sens de règle de conduite, de maxime de sagesse. Il remarquait qu’ils choisissaient les premières places. Les repas se prenaient à la mode romaine ; les convives s’allongeaient sur des lits autour de la table.

v. 8 Quand tu es invité à des noces. Dans les repas de noces, le rang de chacun est plus strictement observé que dans un repas ordinaire : les invités de marque, en raison de leur âge ou de leur situation sociale, arrivent les derniers et ont droit aux premières places. Contrairement à ce qui se passe chez nous, ce n’est pas l’hôte qui place les invités ; ceux-ci doivent savoir où se mettre ; l’hôte n’intervient que si une modification est nécessaire en raison de la préséance.

L’invité risque soit la confusion s’il s’est lui-même installé à la première place, soit l’honneur si, s’étant mis modestement au bout de la table, l’hôte, devant tous les convives, le fait « avancer plus haut ».

v. 11 Car tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. Cette sentence, que nous retrouverons en Luc 18, 14, dépasse de beaucoup le sens d’une simple règle de bonne conduite ou d’une leçon d’humilité. Luc fait allusion, comme le laisse entendre la suite du texte, à la réalité du royaume de Dieu. Jésus invite chacun à vivre dans la perspective du royaume qu’il ouvre à tous et à renoncer à sa propre justice.

3. Qui inviter ?

Luc 14, 12-14

S’adressant maintenant à son hôte, Jésus continue à bouleverser la manière de concevoir les relations humaines. Celles-ci ont dès maintenant, selon Jésus, une signification pour la « résurrection des justes ».

v. 12 il dit aussi à celui qui l’avait invité. Noter le parallélisme entre les paroles adressées aux invités (v. 7-11) et à celui qui invite (v. 12-14). La coutume voulait que l’on invite ses proches et ses égaux : un chef des pharisiens, hôte de Jésus ce jour-là, avait sans doute comme relations des gens éminents de son monde. Il allait de soi que chacun n’invite que celui qui pouvait inviter en retour, pour qu’il y ait réciprocité ; peut-être pour ne pas gêner celui qui ne pouvait rendre l’invitation.

v. 13 des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. Les malheureux énumérés ici sont les types mêmes des pauvres qui, en aucun cas, ne seront en mesure de rendre une invitation. Écartés non seulement de la vie sociale mais aussi religieuse, ils sont, le plus souvent, réduits à mendier leur nourriture. Ils sont précisément ceux pour qui Jésus est venu proclamer l’accueil du Seigneur (cf. Luc 4,16-21).

v.14 Cela te sera rendu à la résurrection des justes. Jésus utilise ici une expression que son hôte comprend bien, mais qui est obscure pour nous. Tout juif fidèle, notamment un chef des pharisiens comme Simon, se considère comme un juste, parce qu’il obéit à la Loi de Dieu. En récompense de son obéissance il attend « la résurrection des justes », c’est-à-dire de vivre toujours avec Dieu après sa mort.
Mais Jésus renverse complètement la perspective : les justes ne sont pas ceux qui veulent s’assurer des premières places, ceux qui restent « entre amis », mais ce sont ceux qui auront accueilli à leur table (c’est-à-dire dans la plus étroite des communions) ceux qui sont démunis et exclus.

4. Dieu ouvre à tous son royaume

Luc 14, 15-24

La parabole que Jésus raconte ensuite est la réponse donnée à un des convives qui avait compris et exprimé son désir de participer à ce repas.

v.15 Heureux qui prendra part au repas dans le royaume de Dieu. Le convive qui prend la parole a bien discerné l’enjeu : il s’agit du royaume de Dieu et du festin qui en est une des images classiques pour les Juifs. Le prophète Ésaïe, par exemple, avait annoncé à plusieurs reprises ce festin que le Seigneur allait donner (Esaïe 25, 6 ; 5, 1-2) et qui ouvrirait un temps nouveau.

v. 16-17… il invita beaucoup de monde. À l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : « Venez, maintenant c’est prêt ».
Jésus revient à la forme habituelle de la parabole pour annoncer la réalité de ce royaume.
L’homme riche pouvant inviter beaucoup de monde, et donnant un grand dîner, agit conformément à l’usage du temps et du lieu : l’invitation est envoyée longtemps à l’avance. Au dernier moment, quand le repas est prêt, l’hôte envoie chercher ses invités ; c’est une marque particulière de politesse.

v. 18-20 ils se mirent à s’excuser. Les invités, unanimement, refusent de se rendre à l’invitation pour des motifs qui concernent tous une richesse : un champ, cinq paires de bœufs, un mariage ; leur situation de nouveaux propriétaires les détourne du grand dîner préparé pour eux. On retrouve ici une situation déjà évoquée lorsque Jésus appelle des hommes à le suivre (cf. Luc 9,59-64).

v.21 amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. La défection des invités entraîne la colère du maître de maison envers ceux qui auraient dû, normalement, honorer cette invitation ; une nouvelle invitation est destinée à ceux-là mêmes dont Jésus vient de dire qu’ils ne peuvent pas la rendre. Aussi bien n’est-il plus question d’inviter, mais « d’amener » ; au v. 22, le terme employé sera encore plus fort : « force les gens à entrer ».

v. 22 il y a encore de la place. L’invitation est très large, puisqu’une fois les pauvres de la ville amenés, il y a encore de la place.

v. 23 Va-t’en par les routes et les jardins, et force les gens à entrer, afin que ma maison soit remplie. La recherche de convives pour le dîner va au-delà des limites de la ville, vers ceux qui sont le plus éloignés du maître de maison et qui vont être « forcés » d’entrer.
Le verbe grec traduit par « forcer » ou « contraindre » peut avoir deux sens : obliger par la violence ou inviter avec insistance. Dans l’histoire de l’Église on a souvent retenu le premier sens, notamment en vue de la conversion des païens ; ce sens n’est pas justifié dans le contexte de la parabole. Un seul impératif dirige l’action du maître et du serviteur : la maison doit être pleine, quels que soient les convives.

v. 24 aucun de ceux qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner. Cette dernière phrase de la parabole retentit comme un terrible avertissement pour ceux qui écoutent ; à eux de l’entendre pour qu’elle ne devienne pas un jugement.
Les paroles de Jésus dans la maison du pharisien montrent pourquoi, dès aujourd’hui, les relations entre les hommes sont totalement bouleversées : dans le royaume, Dieu invite ceux qui ne peuvent rien lui offrir en retour. Dès maintenant, nos actes peuvent attester quelque chose de ce temps nouveau.

Animations possibles

Après l’étude du chapitre 14 faire avec les enfants un projet d’invitation. Cette invitation pourrait prendre la forme d’une fête qui aurait pour thème : « Tous Invités, réjouissons-nous ensemble ».

On pourra poser quelques questions et noter les réponses au fur et à mesure.

– Qu’évoquent pour vous les mots invité ou être invité ?
– Qui invite-t-on en général (parents, amis…) ?
– À un grand repas, noce, banquet, comment les gens sont-ils placés ? On peut apporter des photos que l’on observera (mariage, cérémonie…)
– À certaines occasions, y a-t-il des places d’honneur, des places réservées, des places meilleures que les autres ?
– Quand vous en avez la possibilité, quelle place choisissez-vous en classe, dans une foule, au spectacle, dans un jeu ? Pourquoi ?

1 – Jésus donne la force à un malade
Luc 14, 1-6

L’invité donne un signe du royaume

Jésus est invité chez un chef des pharisiens, (pensez à votre dictionnaire) un jour de sabbat : il guérit un malade au lieu d’observer la règle du sabbat, Pourquoi ?
Pour la bonne compréhension de tout ce chapitre, il ne faut pas perdre de vue le lien qui existe entre les actes de Jésus – ici la guérison de l’homme malade au cours de l’invitation, le jour du sabbat, et ses enseignements aux invités, ici, à celui qui invite, dans la parabole du maître, à tous.

2 – Quelle place choisir ?
Luc 14, 7-11

L’invité du fond de la salle
Quelle place choisir dans une Invitation ?
Il sera intéressant de comparer ce que Jésus en dit avec ce qui a été noté au cours de la discussion.

3 – Qui Inviter ?
Luc 14, 12-14

Mes invités et ceux de Jésus
Qui Inviter ?
Quels sont les gens que Jésus conseille d’inviter ? Établissons la liste et comparons-la à celle que nous avons faite.

4 – Dieu ouvre son royaume à tous
Luc 15, 15-24

a)    La maison remplie
– Qui sont les premiers invités ?
– Pourquoi ne viennent-ils pas ?
– Quels sont ceux que le maître fait chercher ? remplacer ?
– Pourquoi le maître veut-iI que sa maison soit remplie ?

b)    Remplissons notre maison
Tous ces textes nous font comprendre qu’à travers nos actes, ici en particulier celui d’inviter, nous pouvons vivre, donner ou reconnaître des signes du royaume de Dieu.

Préparation d’une invitation ou d’une fête
C’est le moment de parler de ce projet avec les enfants et de décider avec eux qui nous invitons ou éventuellement chez qui nous voudrions être invités ? Avec qui ? Commencer une liste.
Remplir et décorer des cartes d’invitation. Deux cartes d’invitation sont proposées. Les enfants peuvent y apporter une note personnelle en illustrant le verso. Le poster, qui se trouve dans la pochette et qui peut être donné aux enfants à ce moment de la séquence, pourrait servir d’illustration à une affiche pour cette occasion. Les enfants, après avoir contemplé et observé ce dessin, pourraient composer un texte court ou un titre qui l’accompagnerait.
N’est-ce pas l’occasion de rajouter un couplet à votre chant ?

La fête et le chant

Il n’y a pas de fête sans chants joyeux et sans musique. Il est donc important de prévoir cet aspect de la fête à l’avance.
Un chant est proposé « Venez maintenant » n° 774 dans le recueil Arc-en-ciel et n° 55-09 dans le recueil Alléluia.
Nous suggérons de travailler l’accompagnement de ce chant avec des instruments de musique.
Pour permettre la participation active des enfants, nous proposons que du temps soit prévu pour que chaque enfant fabrique un instrument et, au cours de la fête, pour que les enfants invités qui le désirent puissent aussi fabriquer leur instrument.

Chant : « Venez maintenant »
ARC : 774 ou ALLÉLUIA : 55-09
Les invités

Refrain
Venez maintenant, tout est prêt.
Venez partager le banquet !
Heureux celui qui prendra son repas
Au Royaume avec moi !

1. Le premier a dit : « Je vais voir mon champ ;
Je n’ai pas le temps de venir manger.
Auprès de ton maître, il faut m’excuser :
Je n’ai pas le temps, je n’ai pas le temps ! » Refr.

2. Le deuxième a dit : « Je viens d’acheter
Dix bœufs ce matin ; c’est bien du souci.
Auprès de ton maître, il faut m’excuser :
J’ai trop de soucis, j’ai trop de soucis. » Refr.

3. Le troisième a dit : « Je me suis marié ;
Je n’ai pas envie de partir d’ici.
Auprès de ton maître, il faut m’excuser :
Je n’ai pas envie, je n’ai pas envie. » Refr.

4. Et le maître a dit à son serviteur :
« Va chercher dehors tous les estropiés.
Il reste des places autour de mon cœur.
Fais venir aussi tous les mal aimés ! » Refr.

Marie-Annick Rétif *1944
© Studio SM, autorisation SECLI 09/002 (68)

Des instruments

a) En KIT (cf. matériel scolaire) : Il existe maintenant des carillons de bonne qualité en « Prêt-à-monter ». Chaque enfant pourra monter le sien.
S’il y a dans votre Eglise un bricoleur, il n’aura aucune peine à en monter un, en réalisant une base en bois, puis éventuellement s’il est un peu pédagogue, à en faire monter aux enfants. La notice d’instruction est très bien faite.

b) Livre « Musique à construire » : Il y aura toujours la possibilité de réaliser des instruments originaux avec l’ouvrage d’Agnès Chaumet, édité par « Enfance et musique ».

Une fête pour les autres ? – Une fête avec les autres ?

Que préparerons-nous ?
Nous signalons l’excellent livre « Toutes ces rencontres », 12 célébrations complètes pour célébrer Dieu avec les enfants de 5 à 12 ans (Editions Olivétan). Ce livre donne un certain nombre d’idées qui devraient inspirer le projet de fête.

1)    L’accueil
Dès leur arrivée, les enfants doivent sentir qu’ils sont attendus, que le lieu où ils se trouvent est vivant, qu’il va se passer quelque chose :
– une équipe d’accueil est en place : « Bonjour, comment t’appelles-tu ? » Chaque enfant reçoit un badge sur lequel est inscrit son prénom.
– Les enfants s’installent sur un grand tapis étalé au centre de l’église où une seconde équipe les attend pour chanter en attendant que tous les participants soient arrivés.
Déjà c’est la fête : on chante, on se salue, on s’accueille, on fait connaissance. Tout de suite on pose un geste ensemble : le long d’un mur est fixée une longue bande de papier kraft sur laquelle sont dessinés des ceps et des sarments au-dessous de l’inscription : « Ils planteront des vignes et ils en mangeront les fruits ». Les enfants sont invités à y coller leur badge représentant une baie de raisin et de former des grappes de raisin. La vigne est plantée ! Puis c’est l’éclatement du groupe. Dans différents endroits de l’église, 7 ateliers sont prêts pour préparer la fête.
La silhouette de la fiche « Invitation à la fête » pourrait être utilisée de cette façon.

2)    Les ateliers
Ils seront fonction du projet, mais l’idée est à retenir afin que chacun soit vraiment actif dans la préparation et la célébration de la fête.

3)    La fête-célébration
Tout est prêt ; voici venu le moment de se rassembler pour célébrer la fête.
Être ensemble, c’est pouvoir se réjouir du travail, de l’apport de chacun, c’est pouvoir goûter et partager ce que chacun a préparé, comme le font les vendangeurs au moment des vendanges.
Chaque groupe va pouvoir faire découvrir aux autres ce qu’il a vécu : l’histoire, la musique, la danse, le dessin, la prière, la dégustation du jus de raisin, les cartes en souvenir du moment que l’on vient de passer ensemble ; le tout entrecoupé des chants qui ont été appris au moment de l’accueil, de rires, d’applaudissements, de cris de joie.
Pour tous c’est la fête.

4)    Conclusion
Constatations à propos du déroulement de la fête.
Importance du lieu qui doit être grand et fonctionnel pour permettre :
– l’installation du matériel
– la formation d’ateliers
– le déplacement des enfants
Importance de l’accueil :
dès le début il faut éviter les moments de flottement et faciliter les contacts entre les participants.
Importance de la préparation :
Sans s’enfermer dans un carcan qui risquerait de couper la spontanéité de l’enfant, il faut que le déroulement de la fête soit prévu dans ses moindres détails et que chaque participant ait participé à l’élaboration du projet pour bien le posséder et connaître son rôle.
– Pour la fin nous rencontrons la même exigence que pour l’accueil ; il s’agit d’éviter une fin en « queue de poisson ».

Crédit : – Point KT




Nourriture et repas dans le premier évangile – Partie II

PARTIE 2. LES RÉCITS DES « REPAS » DE JÉSUS (Mt 9,9-19 ; 26,6-13 ; 26,17-29)

Trois fois dans le premier Évangile Jésus se trouve « à table » (verbe anakeimai avec Jésus pour sujet : 9,10 ; 26,7 et 20 ; autre emploi du verbe : 22, 10-11, un passage sur lequel nous reviendrons en conclusion) : le repas avec Lévi (Mt 9,9-19), le repas chez Simon le lépreux (Mt 26,6-13) et le dernier repas avec ses disciples (Mt 26,17-29).

2.1. Le repas avec Lévi (Mt 9,9-19)

Sur l’épisode de l’appel et du repas chez Lévi, nous faisons cinq remarques en lien avec notre thème.

(1) Dans cet espace de « la maison » (v. 10), c’est non seulement le repas avec les pécheurs qui se déroule mais aussi la controverse sur le jeûne. Toujours la problématique de la nourriture.

(2) Pour un pharisien de la fin du premier siècle, la scène du repas de Jésus avec les pécheurs est scandaleuse. Ce qui est en jeu c’est l’identité sociale et religieuse. Ceux avec qui l’on mange sont ceux que l’on reconnaît comme appartenant au même univers, au même groupe. La commensalité et ses limites structurent la représentation du monde et permettent un vivre ensemble cohérent : il y a le permis et le défendu, ceux avec qui il n’est pas possible de manger (païens et juifs impies).

(3) Le v. 13 (Jésus n’est pas venu appeler les « justes » mais les « pécheurs ») est une réinterprétation du messianisme juif. Seuls ceux qui se préparent à sa venue, qui se purifient et obéissent à la Loi, accueillent le Messie. Ici, au contraire, ceux pour qui il n’est pas normalement venu sont les premiers et uniques bénéficiaires de cette venue : les impurs et les pécheurs. Dit autrement : entendre l’appel du Messie/Jésus suppose d’abord une compréhension de soi comme pécheur.

(4) C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter la citation d’Osée : en mangeant avec les pécheurs, Jésus manifeste la grâce miséricordieuse de Dieu. En partageant la table de communion, il montre une autre voie d’accès que la logique de séparation entre le pur et l’impur. Jésus devient ici la personnification de la miséricorde. Les disciples de Jésus sont désormais dans cette logique : il y a toujours une identification par le partage des tables. Mais le critère n’est plus le même : d’un côté la Loi éthique qui assure le maintien dans l’alliance même en l’absence de Temple. De l’autre la christologie au nom de laquelle tous sont appelés, c’est-à-dire tous ceux qui se reconnaissent pécheurs (la « miséricorde » selon Matthieu, laquelle n’est plus une « œuvre de justice » des hommes mais l’appel même de Dieu).

(5) À propos de la controverse sur le jeûne : les disciples n’ont pas à jeûner quand l’époux est là. Le « jeûne » n’est pas une règle qui a son sens en elle-même mais par rapport à la personne du Christ ; il ne se comprend pas comme une marque religieuse identitaire (cf. les trois piliers de la piété que sont le jeûne, l’offrande et la prière), mais se vit dans un rapport existentiel à la personne de l’époux. La pertinence du jeûne est liée à la christologie, c’est-à-dire ordonnée à la personne de Jésus. La pratique du jeûne ne suit plus le calendrier liturgique pharisien, baptiste ou même essénien. Il est ordonné à un nouveau temps, celui inauguré par l’événement pascal. Lorsque les disciples de Jésus jeûnent, ils ne font donc pas la même chose que les pharisiens ou les disciples du Baptiste. Leur pratique de ce rite relève d’un ordre de choses totalement nouveau. En outre, le Sermon sur la Montagne (cf. Mt 6,16-18) a indiqué l’esprit dans lequel doit se vivre le jeûne : cela ne doit pas se voir car ce qui est en jeu relève non pas du signe visible (le marqueur religieux) mais d’une expérience ou l’intime est en « je(u) » (devant le « Père Céleste » qui voit « dans le secret »). Ainsi, le jeûne ne relève plus du rite religieux mais de la vie intime. Il est en quelque sorte métaphorisé : il y a un temps de l’expérience de la présence (jouissance ?) avec l’époux, puis le temps de l’absence où l’on jeûne dans le secret de sa chambre.

Contrepoint : Jean-Baptiste l’ascète et Jésus le glouton (Mt 11,18-19)

Car Jean est venu : il ne mangeait ni ne buvait, et l’on dit : « Il a un démon ! » Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant et l’on dit : « C’est un glouton et un buveur, un ami des collecteurs de taxes, des pécheurs ! » Mais la Sagesse a été justifiée par ses œuvres. De Jean-Baptiste, le monde ne voit que le démoniaque car son attitude est incompréhensible dès lors qu’elle n’entre pas dans le cadre défini par le religieux officiel. Il est donc « possédé » dès lors qu’il s’oppose au pouvoir religieux en place (même accusation contre Jésus qui encadre celle portant contre Jean-Baptiste, cf. 9,32-34 et 12,22-30). De Jésus, le monde ne voit que ce qui relève du « besoin », de l’immédiateté, de la luxure (il se goinfre avec les pécheurs) sans percevoir ce que signifie son attitude (il communie avec tous ceux qui se savent perdus). On ne retient que l’aspect scandaleux de son geste mais on ne l’interprète pas : on reste dans la fascination idolâtre de l’image. Mais, dans les deux cas, « la Sagesse est justifiée par ses œuvres » qu’on pourrait traduire : on reconnaît l’arbre à ses fruits, c’est-à-dire aux effets de vie ou de mort dans l’existence de ceux qui entendent Jean-Baptiste ou croisent Jésus.

2.2. Le repas à Béthanie (Mt 26,6-13)

L’épisode de l’onction à Béthanie est un récit riche de sens. En fonction du thème qui nous occupe, nous limitons notre lecture à trois remarques.

(1) Dans le geste de la femme, les disciples ne discernent ni onction royale ni geste amoureux, mais gaspillage. Leur jugement se situe dans l’ordre de la rentabilité et de la morale : le parfum perd toute signification symbolique pour être ramené à sa simple valeur marchande. Ce que souligne Matthieu c’est que la logique comptable, même utilisée pour les causes justes, passe à côté d’une dimension fondamentale de la vie humaine. À savoir que les gestes ont du sens et que celui-ci n’est pas appréciable à l’aune de la seule valeur marchande qu’il met en jeu, ni même de la morale commune au plus grand nombre.

(2) Jésus interprète le geste comme signifiant (v. 10-13). Dans sa singularité, il est une « belle œuvre », non pas pour un collectif (les pauvres), mais pour un singulier (Jésus). Autrement dit, la loi morale demeure mais ne relève pas du même ordre que celui de la rencontre entre un « je » et un « tu ». La rencontre c’est l’instant où le temps de ce monde est mis entre parenthèses, où les règles de ce monde sont suspendues. Un temps où se joue l’essentiel de ce qui fait l’existence véritable de l’individu. C’est un temps qu’on ne possède pas, qu’on ne maîtrise pas et qu’on ne peut faire advenir selon sa volonté (alors qu’aller vers les pauvres peut se décider à tout moment). C’est un temps qu’on reçoit et à la rencontre duquel il faut savoir aller dans l’instant où il se manifeste à nous, pour lequel aussi il faut tout donner et tout perdre. Dans ce geste excessif, la femme atteste que le temps de la rencontre est venu pour elle, que là se joue l’essentiel de son existence. Voilà pourquoi, aux yeux de Jésus, il prend une signification particulière en lien avec l’essentiel même de sa mission : la Passion. Le geste de la femme reçoit une signification qui le dépasse dans sa singularité historique même. Pour chacune et chacun des auditeurs futurs de l’Évangile, par-delà les lieux et les temps, il devient « signifiant ».

(3) Le geste de la femme a lieu pendant le repas. Le repas est donc le lieu privilégié de cette rencontre qui fait non seulement éclater les frontières du pur et de l’impur (cf. Lévi et les pécheurs ; Simon le lépreux) mais qui hiérarchise les valeurs : l’éthique est seconde par rapport à l’instant de la rencontre où se joue l’identité des sujets. Le repas est un temps privilégié car il suspend l’ordre de ce monde pour ouvrir au temps de la rencontre.

2.3. Le dernier repas de Jésus (Mt 26,]7-29)

Là encore, nous limitons notre lecture de cet épisode clé du récit de la Passion à cinq remarques.

(1) Mt 26,17-29. C’est « chez un tel » v. 18 : pros ton deîna) que les disciples vont préparer le repas de la Pâque. Matthieu s’éloigne du scénario assez complexe de Marc 14,13-14, « un homme portant une cruche d’eau », « propriétaire » de la maison… La concision de la description et la façon indéfinie dont est caractérisée l’hôte fait peut-être sens : n’est-ce pas, potentiellement, chez tout homme (« un tel », i. e., untel ou une telle, chaque lecteur) que Jésus et ses disciples peuvent venir « manger la Pâque » (cf. Ap 3,20) ?

(2) L’annonce de la trahison de Judas et l’institution du « dernier repas » se situent pendant le même repas. Outre que Judas est ainsi pleinement participant au repas pascal, il est notable qu’un lien étroit s’établit (par le truchement du repas de communion) entre trahison et pardon des péchés : celui qui va bientôt « livrer un sang innocent » (Mt 27,4) est, de manière anticipée, bénéficiaire du sang de l’alliance répandu pour le pardon des péchés.

(3) À la question de chacun de ses disciples, « Est-ce moi Seigneur ? », Jésus répond : « Celui qui a mis avec moi la main dans le plat, c’est celui qui me livrera » (v. 23). Or, le narrateur ne précise pas que c’est Judas qui met la main dans le plat. II y a ici un non-dit du texte que le lecteur s’empresse généralement de combler en suivant par exemple l’Évangile de Jean : « Qui est-ce ? Jésus lui répond : c’est celui pour qui je tremperai moi-même le morceau et à qui je le donnerai. Il trempe le morceau, le prend et le donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote » (Jn 13,25-26). Ici, le narrateur laisse ce non-dit comme un blanc du récit. En fait, tous les disciples ont forcément mis la main dans le plat avec Jésus puisque c’est ainsi qu’alors on partageait le repas ! Risquons une interprétation de ce « blanc » : pour l’évangéliste, il n’y a pas d’un côté le « traître » et de l’autre les « fidèles ». Il n’y a que des disciples qui ont la capacité de « livrer » leur maître.

(4) Matthieu, à la suite de Marc, met en scène la Pâque de Jésus. Pour l’évangéliste, le repas que Jésus prend avec ses disciples est bien un repas pascal, le repas de la fête juive. Or, en insérant ici le partage du pain et de la coupe, Matthieu montre que la fête effectivement célébrée par Jésus et ses disciples est la fête du Messie, sa Pâque, son « passage » de la mort à la vie et à la libération qu’il offre à ceux gui mangent avec lui. Ce récit préfigure donc le banquet céleste où celui qui est absent aujourd’hui et se donne dans du pain et du vin, comme dans le récit qui en est fait, sera de nouveau présent auprès des siens. Dans cette attente, le langage liturgique permet d’affirmer que l’absent est mystérieusement présent au milieu des siens. Dans le partage des paroles du Maître désormais absent, et le partage du pain et de la coupe, le Christ atteste sa présence particulière au milieu des siens dans l’attente d’une communion nouvelle dans le Règne de Dieu. Il s’agit désormais de vivre la présence de Dieu et de son envoyé au sein même de leur absence, d’avancer à la lumière d’une parole et à la faveur d’un signe, l’une et l’autre caractérisés par la fragilité.

(5) La « section des pains » (14,13-16, 12), en particulier à travers les deux récits de multiplication des pains, anticipe ce qui se joue dans le dernier repas : ouverture universaliste (cf. Mt 14,16-21 et 15,32-38 : les deux multiplications ; 15,21-28 : la femme cananéenne), dépassement de la question du pur et de l’impur (cf. Mt 15,1-20, controverse sur le pur et l’impur), métaphorisation de la nourriture comme enseignement (cf. Mt 16,5-12 : le levain des pharisiens). Le dernier repas explicite, ce qui est au cœur de ce processus, c’est la personne même du Christ qui, dans le même mouvement, se donne comme nourriture en se retirant (en mourant) c’est-à-dire en privant ses disciples de la possibilité de le posséder (Jésus ne « gave » pas ses disciples, il les nourrit ; il ne les « comble » pas, il les met en mouvement vers les autres, cf. Mt 28,16-20).

CONCLUSION : ÊTRE OU NON PARTICIPANT AU REPAS DU FILS (MT 22,11-14)

Terminons ce parcours thématique par un rapide regard sur la parabole des invités à la noce (22,1-14). Elle met en scène un roi qui organise des noces pour son « fils » (la portée christologique de l’allusion est évidente). Suite au refus des premiers invités, « méchants et bons » (v. 10) se retrouvent invités à la noce. La précision est essentielle. Elle signifie que, désormais, ce ne sont donc plus la bonté/justice ou la méchanceté/injustice qui constituent le critère d’invitation : tous « bons et méchants » se retrouvent en effet invités (v. 10 : anakeimenôn). Pourtant la parabole se poursuit par la visite du roi qui chasse de la salle de noce celui des convives qui n’avait pas « d’habit de noce » (v. 11-14, cf. v. 11). Il est cependant significatif que le critère d’exclusion explicitement mentionné ne soit plus la méchanceté ou l’injustice (et, en retour, le critère d’inclusion, la bonté ou la justice) mais bien le vêtement de noce. Sans rentrer dans le débat sur l’histoire de l’interprétation de l’image, nous proposons ici de le comprendre sous un angle anthropologique : il est reproché à l’homme de ne pas admettre qu’il a besoin d’être « revêtu » d’un autre vêtement que les siens propres, autrement dit, de ne pas se reconnaître dépendant d’une instance qui le revendique. Son silence atteste qu’il est replié sur lui-même, incapable d’entrer en dialogue avec l’autre qui est venu à sa rencontre. En fait cet invité ne participe pas au repas de noce du « fils ». Il n’est pas dans le « désir » de l’époux mais dans le simple « besoin » de nourriture. Or, Matthieu ne cesse de dire que le repas avec Jésus est l’opportunité pour qu’advienne autre chose dans l’existence des convives. Mais que ce repas ne peut être lieu de communion que s’il est lieu de la rencontre avec l’autre, lieu de l’expérience de l’altérité.

Élian CUVILLIER
Institut protestant de théologie de Montpellier
Article paru dans la revue ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES 82e année – 2007/2 – P. 193 à 206

Publié ici avec autorisation




La Bible épicée


Depuis la très haute antiquité, les épices ont toujours été recherchées ardemment. La moindre d’entre elles était capable de transformer une pitance ordinaire en un catalogue de saveurs méconnues. Les plus humbles plats deviennent une explosion de goûts et de sens mettant les papilles en émoi. Car les épices ou aromates désignent communément les parties séchées de plantes diverses : bourgeons, fruits, racines, graines ou gousses.

De plus en plus de recherches scientifiques tendent à démontrer que certaines épices et plantes auraient des effets antioxydants sur le corps et pourraient peut-être éviter certains problèmes cardiovasculaires ou cancéreux. Ainsi, les épices seraient bénéfiques pour le moral, la santé, la beauté, l’intelligence, l’imagination, voire la libido ? Pour l’humain de la Bible, les épices ont prioritairement une fonction gustative pour agrémenter un régime alimentaire assez sommaire et tributaire des saisons, de la terre et de l’agriculture, mais pas uniquement… Nous vous convions à un petit tour sur le marché des épices haut en couleurs et en sensations « hot »…

Le commerce des épices : de quoi mettre des « épices » dans les épinards…

Étant donné les conditions d’hygiène aléatoires du monde antique, les épices et surtout les parfums, étaient utilisés également comme cosmétiques. On les trouve dans les différentes huiles parfumées, les baumes, les poudres sensées protéger la peau du soleil et du dessèchement. Ils entraient dans la composition des médicaments et jouaient un rôle vital dans les rituels religieux. Les plantes aromatiques très variées étaient broyées et mélangées à d’autres substances et servaient de libations ou étaient brûlées sur les autels dans des coupes à encens.
Très rapidement, les épices et aromates font l’objet d’un important commerce international. Les échos bibliques associent cette course aux épices aux Madianites, une peuplade vivant dans le sud du Néguev, ou aux Ismaélites, les ancêtres bibliques des peuplades caravanières. La route des épices transitait depuis la Somalie en Afrique orientale et le sud de l’Arabie vers les ports de la Méditerranée et charriait des marchandises précieuses. Certaines épices rares provenaient même d’Extrême-Orient, mais leur parcours exact jusqu’au Proche-Orient reste incertain jusqu’à ce jour. Toutefois, la Palestine n’a guère profité de la prospérité occasionnée par ces voies caravanières, si ce n’est le royaume de Juda à partir du VIIe s av. JC, contrôlant provisoirement l’axe traversant le nord du Néguev jusqu’à Gaza. Ce commerce s’est considérablement développé à l’époque hellénistique et plusieurs puissances caravanières en ont tiré des bénéfices importants, notamment les Nabatéens et les Palmyréens. L’usage des épices dans la nourriture des peuples de la Bible est courant, mais leur importance s’étend vers tous les domaines, tant cosmétiques que médicaux, cultuels et érotiques…

Séduire un homme passe par l’estomac, mais pas que par là…

Il n’est peut-être pas anodin de débuter par une touche de romantisme et d’érotisme. La Bible sait, certes, être un livre poétique, pleine de couleurs, de récits épiques, mais aussi de goûts et d’odeurs qui mettent nos sens en éveil lorsque nous prenons la peine de l’ouvrir. Le Cantique des Cantiques est en pole position dans ce domaine. A côté des images issues de la flore et de la faune palestinienne, sont mentionnés certains épices qui auraient des vertus aphrodisiaques :

Safran
Cette épice était connue depuis des siècles pour être un ingrédient essentiel des divers aphrodisiaques, élixirs et autres philtres d’amour. Homère cite le safran comme le nid douillet des amours charnels entre Zeus et Rhéa. Pline l’Ancien le déclarait : « apte à exciter l’amour… » On le considérait comme capable de retarder les effets du vieillissement. Aujourd’hui encore, certains phytothérapeutes le recommandent en cas d’impuissance pour les hommes et de frigidité pour les femmes.

Cannelle (aussi Cinnamome)
Il s’agit très certainement d’une variété de cannelle-cassis, qui poussait en Chine. C’est une épice très coûteuse et précieuse. On la fabriquait avec l’écorce de l’arbre. Le roi David, pour ne pas laisser insensible les dames, se faisait oindre « d’une huile d’allégresse et parfumait ses vêtements de myrrhe, d’aloès et de cannelle ». Cet ingrédient joue un rôle prépondérant dans le bain que prit Bethsabée et la séduction qu’elle exerça sur le roi. Les prophètes Ezéchiel et Jérémie protestèrent contre l’utilisation abusive de ce produit qui incitait au péché de chair. Le Cantique des Cantiques, profondément influencé par les chants d’amour de l’Égypte ancienne, la décrit « elle » inondant ses vêtements de parfum et portant des sachets de poudre et de graines aromatiques, chargés de rehausser le désir de « lui ». Avant d’être présentée au roi des Perses, l’Esther de la Bible, s’est pliée à des rites de purification et de préparation aux « feux de l’amour » : six mois de massages et d’onctions à l’huile de myrrhe, puis six mois de fumigations au styrax, au safran, au nard, à l’oliban et à la cinnamome.

Câpres
La réputation aphrodisiaque de la câpre est très antique. C’est le livre de l’Ecclésiaste, dans son portrait de la vieillesse au chapitre 12,5, qui fait mention de ce verset curieux : « … que le fruit du câprier éclate… » et que l’homme « âgé » s’en va vers la mort car plus aucun remède ne saurait lui redonner sa vigueur d’antan. D’où l’adage antique : « Quand la câpre n’agit plus, l’homme doit renoncer à l’amour ».

Fenouil
Il aurait la réputation d’avoir des vertus aphrodisiaques. Dans le Nouveau Testament, il est cité dans une liste de produits énumérés par Jésus lorsqu’il tance « vertement » les pharisiens, leur reprochant de payer la dîme sur les choses les plus insignifiantes, mais en négligeant les points essentiels de la Loi.

Coriandre
C’est une plante commune qui pousse dans tout le bassin méditerranéen et qui possède de petits fruits. Une fois séchés, ils dégagent une odeur très forte et agréable. Epice avec une puissante saveur aromatique, elle est employée en parfumerie, en médecine et pour relever les plats. Elle participe à l’élaboration de toutes sortes de vins aromatisés qui laissent supposer des effets secondaires aphrodisiaques.

A usage cosmétique et médical

Henné
Dans le Cantique des Cantiques, « Henné » est traduit également par « camphre ». C’est une plante odoriférante qui, à l’époque romaine, serait même cultivée en Palestine, dans la contrée d’Ashqelon. Il s’agit d’un arbre menu dont les fleurs, au parfum suave, poussent en grappes. Le procédé consiste à broyer les racines, les mélanger avec les feuilles, et dissoudre le tout dans l’eau afin d’obtenir une sorte de pigment ocre ou orangé. Célèbre dans l’Orient, cette préparation faisait office de parfum ou de teinture pour les cheveux jusqu’à aujourd’hui, mais aussi les ongles, les dents… Elle était utilisée à des fins thérapeutiques pour soulager les maladies et infections urinaires. Les égyptiens recouvraient les momies avec ce produit.

ID 1288 vase khol
Récipient à khol en verre (époque romaine)

Baume
C’est le terme générique qui désigne toutes sortes de parfums. Des auteurs antiques précisent néanmoins qu’il s’agit d’une résine aromatique extraite d’un arbre poussant en Arabie. On vante partout son parfum merveilleux. Les fouilles archéologiques, menées près de la mer Morte, établissent l’existence d’un centre de production d’huile de baume, remontant au VIIe siècle av. JC et qui aurait probablement était réactivé quelque temps sous le mandat néo-babylonien. Le baume est l’un des ingrédients primordiaux dans l’industrie cosmétique et pharmaceutique. Rare et onéreux, il s’inscrit dans toute une gamme de produits raffinés que Juda était en position de fournir à des clients fortunés. L’accès au marché mésopotamien devait représenter une opportunité à saisir et la possibilité de l’enrichissement d’une petite élite qui contrôlait ces différents centres d’industrie de luxe. La production de baume va connaître un essor considérable durant la période perse et deviendra célèbre dans tout le bassin méditerranéen à l’époque romaine.

Kalamos
C’est un ingrédient un peu mystérieux qui composait le baume. Il s’agit d’une épice onéreuse, importée de très loin et commercialisée par les Tyriens. On l’identifie actuellement avec une plante indienne dont le nom latin évoque bien la puissance de son arôme : Kalamos aromaticus. Certaines sources tardives en repèrent même, à l’état sauvage, dans la haute vallée du Jourdain.

Myrrhe
L’un des parfums les plus cités dans la Bible. Cet épice entrait dans la préparation de l’huile sacrée royale conçue pour oindre les monarques. C’est dans cette perspective qu’elle est citée comme l’un des présents des mages à l’enfant Jésus. Mais c’est dans le domaine cosmétique qu’elle rencontra un vif succès, car très prisée par les dames. Elle est extraite par incision de l’écorce d’un arbuste qui pousse en Afrique tropicale et en Arabie. Elle se trouvait à l’état liquide et solide, mélangée à de la gomme ; ce qui permettait de l’économiser tout en la vendant au prix fort.

Nard
Parfum au très fort potentiel aromatique et qui était recherché par les femmes. C’est un extrait de plusieurs plantes qui poussaient sur les contreforts du Népal et dans les hautes montagnes de l’Himalaya. Il a pu parvenir jusqu’au bassin méditerranéen via les circuits de distribution transitant par l’Inde et la Perse. Le nom sanskrit résume à lui seul le produit : nadala – odoriférant. C’est une marchandise extrêmement coûteuse atteignant des sommes astronomiques. C’est, du moins, l’avis partagé par les disciples de Jésus devant le « gaspillage » opérée par cette inconnue qui déversa l’intégralité de son précieux flacon sur les pieds de Jésus. Là encore, la fonction séductrice et érotique du nard est loin d’être négligeable…

A usage cultuel

Aloès
C’est un parfum qui provient d’une résine d’arbre, originaire du nord de l’Inde et de Malaisie. Très vite, il a été utilisé dans les cérémonies religieuses en guise de libations ou comme brûle-parfums.

Encens
Elément indispensable pour les parfums consumés au Temple. Il s’est maintenu depuis des millénaires jusqu’à nos jours. Il se présente sous la forme de gomme-résine extraite d’arbustes poussant en Ethiopie, Somalie et en Arabie du sud. Son prix « élevé » l’a « élevé » au rang de trésor, stocké dans une pièce spéciale qui lui était destinée au Temple. Mélangé à du vin, il faisait office d’anesthésiant et on le faisait boire aux condamnés à des supplices cruels comme la croix.

ID-1288 cuillère à encens
Cuillère à encens (1200-800 av. J.C)

Galbanum
Gomme résineuse entrant dans la fabrication du parfum brûlé dans le Tabernacle et surtout le Temple. Polyvalent, et à l’instar de beaucoup d’épices citées ici, le galbanum servait aussi d’épice culinaire et de remède médical.

Onyx
Encore un ingrédient qui entre dans la composition du parfum à brûler. On le surnomme « ongle odorant ». Il provient de l’opercule qui ferme la coquille de certains mollusques présents dans la mer Rouge. Cet élément, une fois brûlé, dégage une odeur très forte et pénétrante…

A usage culinaire

Moutarde
La fameuse graine issue des plus petites de toutes les semences du monde et qui devient, une fois semée, la plus grande des plantes potagères. On ignore si la moutarde servait d’aliment, de légume ou de condiment ? Toujours est-il qu’elle est connue à Rome et dans la Grèce Antique. Elle était censée exalter le dynamisme des gens à tempérament froid.

Miel
Un texte en Ezéchiel 27,17 cite le miel comme l’un des fleurons de l’industrie exportatrice judéenne. Peu d’études traitent de la fabrication et du commerce de ce dernier, mais nous savons par les textes de l’Ancien Testament qu’il était le symbole de la prospérité en Palestine. Il était surtout fabriqué dans les régions montagneuses et sa qualité était connue et appréciée. Comme nous savons par ailleurs que le miel était rare en Mésopotamie et qu’il était un produit indispensable qui entrait dans le processus de fabrication des parfums et des produits cosmétiques, tout comme les onguents, il était d’autant plus recherché et constituait un produit de luxe. En l’absence de sucre, il est le principal édulcorant. Il devait aussi exister à l’état naturel : en plein champ, dans une crevasse, dans la carcasse d’un lion… Selon certains savants, le miel de la Bible ne serait qu’un sirop produit à partir de dattes ou de fruits du caroubier.

Cumin
Son nom provient des langues sémitiques (kammon) et c’est une ombellifère répandue en Palestine. Épice commune dans l’alimentation frugale et peu variée de l’époque, elle est citée par Jésus dans sa diatribe à l’encontre des Pharisiens, ces derniers s’acquittant consciencieusement de la dîme sur les plantes les plus usuelles et perdant de vue où étaient les vrais besoins.

Menthe
Cité avec le cumin dans le même reproche, elle était très répandue en Palestine comme condiment et en parfumerie. A noter que Pline estimait qu’elle était aphrodisiaque pour les hommes et néfaste pour la conception, une fois appliquée sur les parties génitales de la femme. Une légende chrétienne considère la menthe comme une plante stérile que la Vierge, se cachant sous du blé pour échapper aux soldats d’Hérode, maudit, parce que celle-ci dénonça sa présence – heureusement trop bas pour être entendue. La Vierge lui dit : « Tu es menthe et tu mentiras toujours ; tu fleuriras, mais tu n’auras pas de graines. »

Sel
C’est le minéral indispensable dans le Levant. Son usage remonte à l’âge du Bronze ancien (2500 av JC). Il donnait un goût aux aliments bien fades et on le consommait dans de grandes quantités. Il était vital dans le processus sacrificiel. Il avait aussi une haute symbolique et était consommé lors de la conclusion d’une alliance entre deux parties. Des qualités médicinales lui étaient attribuées comme le fait de frotter de sel les nouveau-nés ou pour assainir des eaux insalubres. Il est devenu l’élément majeur du commerce international. On pouvait l’extraire naturellement dans toute la région au sud de la mer Morte ou à travers des marais salants. Il ne servait pas uniquement à assaisonner la nourriture mais également à faciliter le tannage des peaux et surtout la conservation de viande et de poissons. A l’époque romaine, la salaison du poisson du lac de Galilée était très appréciée et exportée dans tout l’empire. On se souviendra, bien sûr, des paroles de Jésus : « Vous êtes le sel de la terre… »

Une foi(s) n’est pas coutume, l’on constate que la Bible n’est pas un livre de recettes de cuisine. Il y a certainement bien d’autres épices communes utilisées dans la préparation des plats, et la vinification, qui ne sont pas citées. Par contre, les épices jouent un rôle fondamental dans la rencontre : rencontre avec soi-même et entretien de son propre corps, rencontre avec Dieu où la bonne odeur du corps va supplanter la bonne odeur du sacrifice, rencontre avec l’autre dans un certain corps à corps… Il suffit d’ajouter un soupçon d’épice pour que l’ambiance se réchauffe et que les sens s’échauffent… Une Bonne Nouvelle en cette période de glaciation relationnelle !

ID 1288 215
Bol à cosmétiques (Samarie IXe siècle av J.C)

 

Crédit : Frédéric Gangloff (UEPAL), Point KT




Nourriture et repas dans le premier évangile – Partie I

Manger et boire : deux actes fondamentaux de l’existence humaine au travers desquels se jouent la vie et la mort de l’individu, non seulement sur un plan physique mais également sur un plan psychologique. L’être humain traduit quelque chose de sa compréhension de lui-même et du monde dans le rapport qu’il entretient à la nourriture (ainsi le boulimique ou l’anorexique)… Dans sa façon de sélectionner la nourriture (ce qui se mange et ne se mange pas) de la préparer (crue, cuite, apprêtée de telle ou telle manière), de la manger (les rituels qui, dans toutes les sociétés humaines, entourent la prise de nourriture) et de la partager avec d’autres (la commensalité), se joue, non seulement un point de jonction essentiel entre nature et culture, mais également un rapport à soi-même et à l’autre incluant l’existence physique, psychologique, sociale ou religieuse de l’individu. Sans oublier, dans le domaine religieux, les relations complexes unissant nourriture, sang, violence et sacrifice.

L’évangile de Matthieu est constamment traversé, du début à la fin, d’allusions à la nourriture et aux repas. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons recensé près de trente passages (du simple logion à la péricope entière) qui parlent de prise de nourriture ou de repas. Une enquête rapide à travers l’ensemble de ces occurrences permet d’identifier cinq entrées possibles qui permettent de rendre compte de la richesse de ce thème de la nourriture et du repas dans l’Évangile de Matthieu.

a)    Les récits mentionnant la « faim» de Jésus et de ses disciples (Mt 4,1-11 ; 12, 1-8 ; 21,18-22).
b)    Les paroles sur la nourriture et le jeûne dans le Sermon sur la Montagne (Mt 5,6; 6,11 ; 6,16-18 ; 6,25-34; 7, 7-11).
c)    Les récits mentionnant des « repas» de Jésus (Mt 9, 9-19 ; 26, 613 ; 26, 17-29).
d)    La « section des pains » (14, 13-16, 12) et ses multiples allusions à la nourriture et aux repas (Mt 14, 15-21 ; 15, 1-20; 15,21-28 ; 15,3239; 16,5-12).
e)    Le thème de la faim, du manger et du boire, de l’excès de table et du repas de noce dans les paraboles de Jésus, en particulier dans le discours eschatologique (Mt 22, 1-14 ; 24, 37-41 ; 24, 45-51 ; 25, 1-13 ; 25,31-46).

Le cadre de cette contribution ne permet pas de parcourir l’ensemble du matériau relatif à un thème aussi riche. Nous avons donc choisi de privilégier les deux entrées où les thèmes de la faim et du repas apparaissent dans des récits mettant en scène Jésus et/ou ses disciples (à savoir les points a. et c.).

PARTIE 1.    LA « FAIM » DE JÉSUS ET DE SES DISCIPLES (Mt 4, 1-11 ; 12, 1-8 ; 21, 18-22)

À trois reprises, le narrateur utilise le verbe peinaô (avoir faim) pour indiquer la faim de Jésus et de ses disciples : 4, 2, epeinasen ; 12, 1, epeinasan ; 21,18, epeinasen (cf. également 25,35.37.42.44 : epeinasa ei peivônta deux fois, passages sur lesquels nous reviendrons à la fin de cette première partie). Ces trois mentions renvoient à trois épisodes dont l’analyse constitue l’objet du présent chapitre.

1.1. La « faim » de Jésus comme discours d’incarnation (Mt 4, 1-11)

Faisant suite au récit du baptême, le récit de la tentation permet de vérifier ou d’éprouver la qualité de « fils » attribuée à Jésus depuis la révélation du baptême (Mt 3, 13-17) : comment celui que la voix du ciel a proclamé « Fils bien-aimé » (3, 17) est-il « Fils de Dieu » ? (4, 3.6). Cinq remarques en lien avec notre thème sur ce récit.

(1) La première tentation est relative à la nourriture. La faim est la première expérience du manque et le jeûne que vit Jésus en constitue une traversée. En se soumettant à la privation de nourriture, le Jésus de Matthieu ne subit rien moins que l’épreuve de l’incarnation.

(2) Le tentateur propose à Jésus de résorber l’expérience du manque, constitutive de l’humanité, par l’expérience de la toute-puissance qui est négation de la réalité commune (dans le monde des hommes une pierre ne se transforme jamais en pain). Sous forme d’un défi, il propose la disparition du manque en convoquant la puissance divine supposée demeurer dans la personne de Jésus. En somme, le tentateur déclare qu’est « Fils de Dieu » celui qui échappe à la condition humaine : ne plus connaître ni la faim (v. 3) ni la mort (v. 6) et recevoir le pouvoir (v. 9).

(3) À la tentation qui propose de ne plus connaître l’épreuve de la faim qu’expérimente tout homme, Jésus oppose son refus, fissurant ainsi la figure du Dieu définie par le tentateur. Jésus n’est « Fils de Dieu » qu’en renonçant à être « dieu » au sens où le terme définit le contraire de ce qu’est l’homme. Il n’est « Fils de Dieu » qu’en refusant en tout premier lieu le prodige permettant d’apaiser artificiellement la faim. Jésus refuse en somme le déni de la réalité.

(4) Outre ce refus de la toute-puissance, Jésus déplace la problématique de la faim du plan physiologique au plan métaphorique : non seulement, il ne succombe pas à la tentation du prodige qui n’est ni plus ni moins que la négation de la réalité, mais en outre il ne se laisse pas capturer par la fascination du simple assouvissement de la faim physique. Celle-ci est métaphore de la faim véritable. Se nourrir en vérité c’est écouter la parole de Dieu.

(5) L’épisode se termine par la mention « des anges vinrent auprès de Jésus et le servaient » (v. 11). On doit comprendre ici qu’ils viennent lui apporter de la nourriture (cf. Mt 8,15 ; 25,44 ; et 1 R 19,8 – où l’ange nourrit Élie pour lui permettre de marcher 40 jours et 40 nuits vers le Mont Horeb). On peut aussi entendre que Jésus est nourri dans le désert comme le peuple autrefois recevait la manne. Au « Fils » qui refuse de transformer les pierres en pain, Dieu accorde la nourriture nécessaire. Le Fils ne « force » pas le Père, il fait confiance en sa parole et reçoit de surcroît la nourriture du corps (cf. 6,33). Il n’y a donc pas négation du besoin physique.

Le récit de la tentation trace ainsi quatre directions : (1) le refus de la toute-puissance laquelle est déni de la réalité ; (2) l’ouverture sur une écoute métaphorique des signifiants : la « nourriture » véritable c’est l’écoute de la parole de Dieu ; (3) cette ouverture au symbolique n’est pas négation du besoin physique ; (4) est nourri celui qui, ne succombant pas à la tentation du refus de la limite, se sait dépendant de l’Autre.

1.2. La « faim » des disciples au risque de l’interprétation de Jésus (12, 1-8)

Le récit de la tentation a dénoncé un premier risque de déshumanisation (risque si on se réfère à Gn 3,5) : le désir de puissance et le refus des limites comme dénis de la réalité. Le « Fils de Dieu » y résiste en empruntant la voie de l’incarnation supposant acceptation du manque et confiance en une altérité secourable. Le récit des épis arrachés le jour du sabbat (Mt 12,1-8) met en scène une seconde tentation de déshumanisation de l’humain : le rapport dévoyé à la Loi entravant chez l’homme ce qui est du côté de la vie pour le lier à une règle asservissante et mortifère. Cinq remarques à l’appui de cette lecture.

(1) Dans Mt, la péricope se trouve directement reliée au logion de 11,28-30. Mt 12,1-8 se présente ainsi comme l’illustration directe de l’affirmation selon laquelle le « joug » – métaphore souvent utilisée dans la tradition juive pour désigner la Loi – de Jésus est « facile à porter et [s]on fardeau léger » (11,30). En 12, 1-8 sont donc opposés le « joug » des pharisiens et le « joug » de Jésus. Autrement dit, ce n’est plus à la Loi de Moïse telle que les pharisiens en sont les dépositaires qu’il faut obéir (dont il faut se charger) mais à la Loi (i.e., au « joug ») de Jésus (cf. Mt 5,21-48 : « Vous avez entendu qu’il a été dit […]. Mais moi je vous dis […] »). On est ici au cœur du changement radical de paradigme que propose Matthieu : ce n’est plus la Torah mais le Messie qui est au centre de la piété.

(2) Les disciples sont caractérisés par trois déterminations : ils ont faim ; ils arrachent des épis ; ils mangent. Ils ne sont donc pas confrontés à la tentation de nier leurs limites en demandant par exemple à Jésus de les nourrir miraculeusement (cf. à l’inverse Mt 14,28-33 où Pierre demande à Jésus de marcher sur les eaux). Ils font simplement ce que chacun fait au quotidien : ils assument pleinement leur humanité. Ils sont dans le « besoin » de nourriture et ils l’assouvissent en humains, c’est-à-dire par un « travail » qui consiste à arracher les épis avant de les manger.

(3) Les disciples sont accusés de transgresser la règle du sabbat. Premièrement et principalement, du point de vue des pharisiens tels qu’ils sont mis en scène par Matthieu ; ils ne se soumettent pas à une obéissance stricte, légaliste, aurait-on envie de dire. Mais les disciples semblent aussi transgresser le sens premier du sabbat, son sens fondamental pourrait-on dire. Originellement, le sabbat est en effet compris comme un temps de rupture avec l’activité quotidienne, avec le besoin quotidien de nourriture, de travail, d’activité. II fait intervenir de l’écart, de la différence, de la distance par rapport au quotidien. En d’autres termes, le sabbat fait passer du besoin (par exemple de nourriture) au désir (de se « nourrir » de la parole de Dieu). Les disciples semblent s’en tenir à l’assouvissement de leur besoin primaire. Un besoin certes important mais non vital, en ce sens que s’ils avaient attendu la fin du sabbat pour manger, ils ne seraient pas morts !

(4) Pourtant Jésus justifie ses disciples. D’abord de la transgression de la lettre du sabbat telle que les pharisiens la défendent. Ici, le lien avec ce qui précède (le « joug » léger) indique bien que ce qui est enjeu c’est un rapport perverti à la loi du sabbat. Elle ne se soucie pas de l’humain mais de l’application stricte d’une règle. Elle ne se soucie pas du sens à donner au sabbat comme temps de mise à distance de l’activité quotidienne, possibilité de métaphoriser son agir, de penser différemment le rapport au monde, aux choses et aux autres. Le seul souci est l’application de la règle. Or ici, Jésus est clair ; sa parole fait autorité pour refonder un rapport à la Loi qui libère de son caractère mortifère.

(5) Mais de façon plus fondamentale, notre hypothèse est que la parole de Jésus lève l’accusation selon laquelle les disciples transgressent l’esprit même du commandement du sabbat. Pour affirmer cela, nous nous appuyons sur le constat de l’étendue de l’argumentation par laquelle le Jésus matthéen justifie l’attitude de ses disciples (6 versets sur les 8 que contient la péricope). Cette longue argumentation a pour effet de donner à l’attitude des disciples une épaisseur qu’elle ne possède pas dans la narration lapidaire du v. 1 (« Ses disciples qui avaient faim, se mirent à arracher des épis et à manger »). Il aurait pourtant suffi que Jésus affirme qu’il ne faut pas appliquer la Loi de façon casuiste et légaliste, qu’il en appelle au souci de l’autre constitutif de la Loi mosaïque. Au lieu de cela, le Jésus matthéen répond par un long détour, pas moins de quatre arguments dont l’essentiel peut se résumer ainsi :

a)    v. 3-4 : en faisant ce qu’ils font les disciples remémorent rien moins qu’une situation où David a sauvé la vie de ses compagnons en danger de mort (l S 21,3-7) ; ils accomplissent un geste assimilé à un geste de salut ;
b)    v. 5-6 : ils sont, dans le même mouvement, « prêtres » de Jésus, plus grand que le Temple ;
c)    v. 7 : ils accomplissement également la parole prophétique d’Osée dont ils reçoivent une interprétation autorisée ;
d)    v. 8 : ils sont sous l’autorité souveraine du Fils de l’homme.

Le moins qu’on puisse dire est que tout cela n’était pas exprimé dans la narration de leur action initiale ! Autrement dit, cette longue argumentation a pour effet de donner de la profondeur à l’agir des disciples et, avec la profondeur, une interprétation théologique qu’elle reçoit de la seule parole de Jésus. Les paroles de Jésus donnent du sens au geste des disciples tout comme les paroles de Jésus donneront du sens à l’attitude de la femme de Béthanie (Mt 26,4-13). Les paroles de Jésus font faire au geste des disciples un détour qui est le détour de l’interprétation. Elles construisent un écart entre leur attitude et le sens qui lui est donnée. Ainsi, les paroles de Jésus fonctionnent comme le sabbat : elles créent un écart entre le « besoin » des disciples (leur faim) et l’interprétation que Jésus en donne ; une interprétation qui renvoie à la christologie et au lien qui unit les disciples à Jésus.
Concluons. Pas plus qu’apaiser la faim ne suppose d’en appeler à une toute-puissance divine qui est déni de la réalité, la Loi n’exige qu’on entrave ce qui en l’homme relève de son humanité au nom d’une obéissance aveugle, oubliant que le commandement a été fait pour le bonheur de l’homme. L’autorité du « Fils » qui a assumé pleinement l’humanité et ses limites libère les disciples des règles mortifères qui entravent leur vie d’hommes. En même temps, la parole du Fils de l’homme donne du sens à l’agir des disciples, interprétant leur geste non comme simple « besoin » de nourriture mais comme rien moins qu’accomplissement des prophéties. En arrachant des épis un jour de sabbat, parce qu’ils avaient faim, les disciples – du point de vue du récit évangélique – se sont tout simplement mis sous l’autorité du Fils de l’homme et de sa parole. Est-il exagéré de dire qu’en transgressant la lettre du sabbat les disciples en accomplissent l’esprit si l’on se souvient que Jésus est celui qui donne le « repos » (v. 28 : anapauô, verbe – substantif anapausis –, souvent utilisé dans la LXX pour indiquer le repos du sabbat, cf. Ex 23,12) ? Quoi qu’il en soit, ce surplus de sens donné au geste des disciples est donné par la parole de l’interprète autorisé de la Loi qu’est Jésus.

1.3. Faim de Jésus et malédiction du figuier (Mt 21, 18-22)

Jésus passe devant un figuier. Il a faim. Il ne trouve rien. Il ordonne et le figuier sèche. Ses disciples ébahis l’interrogent sur ce prodige. Il répond que foi et prière peuvent les rendre capables de prodiges plus grands encore. Deux questions se posent alors : Jésus aurait-il finalement cédé à la tentation de la toute-puissance ou, à tout le moins, la frustration créerait-elle chez lui une violence vengeresse ? Les disciples seraient-ils invités, en fin de compte à entrer dans la logique de la demande de puissance ? Trois remarques sur cet épisode.

(1) Notons d’abord que Jésus ne fait pas venir des figues sur un arbre qui n’en possède pas. Il n’y a donc pas déni de la réalité (il ne fait pas pousser « miraculeusement » des figues) mais, au contraire, prise en compte de celle-ci comme pour constater qu’il ne peut pas en aller autrement. La parole de Jésus entérine un état de fait : elle révèle la mort du figuier en la rendant visible. On reconnaît l’arbre à ses fruits dit ailleurs en substance le Jésus matthéen (cf. Mt 7,15-20). Pourquoi donc s’obstinerait-on ici à attendre de cet arbre ce qu’il ne peut pas donner. Là résiderait le déni de la réalité !

(2) Ensuite, l’encadrement de l’épisode invite le lecteur à entendre le figuier comme une métaphore du Temple. Certes Matthieu ne reprend pas la construction marcienne « en sandwich » (cf. Mc 11,12-14 et 20-25). Dans Matthieu, l’épisode des vendeurs chassés du Temple (Mt 21,12-17) et celui de la controverse sur l’autorité (Mt 21,23-27) encadrent notre récit (Mt 21,18-22). Pourtant, le sens n’en est pas moins évident que dans Marc : les figues que Jésus n’a pas trouvées, ce sont bien ces fruits qu’il était en droit d’attendre de l’institution religieuse du Temple. Il n’a donc pas été nourri par elle.

(3) Enfin, les disciples sont invités à avoir la foi qui permet de recevoir tout ce qu’on demande. Mais que demander ? L’assouvissement du fantasme de toute-puissance (cf. Mt 21, 22, « tout ce que vous demanderez ») ou l’ouverture à la volonté de Dieu ? Le récit global offre une réponse à mon sens assez claire. Pour ne nous en tenir qu’à trois passages en lien direct avec notre thème, en amont, c’est le « donne-nous notre pain quotidien » (Mt 6, 11) du « Notre Père » et l’invitation à vivre dans la confiance en cherchant prioritairement le Royaume de Dieu (cf. Mt 6,25-34) ; en aval c’est le « s’il est possible que cette coupe s’éloigne, toutefois non pas ce que je veux mais ce que tu veux » (Mt 26,42) de Jésus. Bref, l’enjeu est le suivant : à lire l’épisode coupé de son contexte narratif large et étroit, on a un réinvestissement d’une figure puissante du Messie et une invitation faite aux disciples à se situer dans sa lignée ; le thaumaturge tout-puissant qu’est Jésus peut combler la frustration de ses disciples en les faisant participer à sa puissance. À replacer l’épisode dans son cadre narratif, on poursuit les axes précédemment entrevus : refus de la toute-puissance ; confiance dans une extériorité bienveillante ; métaphorisation. Quant à la prière, elle n’est pas satisfaction des pulsions et frustrations infantiles mais ouverture au désir de l’Autre.

1.4. Ouverture : se laisser nourrir par les autres

Indiquons seulement deux références qui abordent la question de la faim et de la nourriture en dehors des textes que nous venons d’analyser. Ces deux références confirment les perspectives entrevues (à savoir les axes que sont refus de la toute-puissance, confiance en un autre, métaphorisation des signifiants sans pour autant nier le « besoin » physique). En Mt 25,31-46, après les trois récits que nous venons de lire, c’est le « Fils de l’homme » glorieux qui s’identifie à l’un de ces « petits » affamés qui ne doivent leur survie qu’à ceux qui les nourrissent. Une image anticipée par les recommandations de Jésus aux disciples dans le discours missionnaire : invités à partir sans rien prendre en route car l’ouvrier « mérite sa nourriture » (10,10), ils se retrouvent liés à ceux qui voudront bien leur donner un « verre d’eau » en leur qualité de « petits » et de « disciples » (cf. Mt 10, 42).

Élian CUVILLIER
Institut de théologie protestante – Montpellier
Article paru dans la revue ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES 82e année – 2007/2 – P. 193 à 206

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