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Abraham et Loth

ID 1454chapeau  En vouloir toujours plus, toujours mieux, nous parait évident. Et si cela ne l’était pas tant que cela ? Et si on pouvait vivre et penser autrement et être heureux quand même ? Regardons Abraham…

 

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Animation avant de lire l’histoire :

Mettre en présence deux catéchumènes et poser devant eux deux bonbons de tailles différentes et leur proposer de se mettre d’accord sur la manière de partager… sans bagarre, ni ruse. Il y a de fortes chances que chacun veuille le plus gros. Leurs arguments seront peut-être intéressants… Leur demander d’imaginer s’ils agiraient de même s‘ils devaient partager avec leur petit frère ou petite sœur ou quelqu’un qu’ils aiment beaucoup. Leur demander d’imaginer si leur maman agirait de même si elle devait partager avec eux.

Situer le contexte de l’histoire : (à donner si nécessaire en fonction des connaissances des catéchumènes)
–    Genèse 12 ouvre le cycle d’Abraham qui s’appelle encore « Abram ». Qui est-il ? Abram est fils de Térah. Comme il est cité en premier dans la généalogie, on peut penser qu’il était l’aîné, donc, à ce titre, pas destiné à quitter le clan familial, mais, au contraire, destiné à succéder à son père à la tête du clan. Lorsque Dieu l’appelle, il vit à Harrân après avoir quitté (chapitre 11) Our en Chaldée avec son père et toute la famille. Il vient donc de Mésopotamie, pays qui a une civilisation très ancienne et très développée, comme l’Egypte.
–    Abram est un semi-nomade : ses moyens d’existence, sa richesse, c’est son troupeau de petit bétail (moutons et chèvres). Il se déplace selon les saisons et les pluies pour trouver de l’eau et des pâturages pour ses bêtes, essentiellement dans les régions semi-désertiques, les terres les plus fertiles étant occupées par les cultures. Il s’approche des villes et villages pour vendre ce qu’il produit (laine, viande, lait…) ou acheter ce dont il a besoin (farine, huile…), négociant éventuellement le droit de faire paître ses bêtes sur les terres cultivées après la moisson.
–    La vie d’Abram  se situe entre 2000 et 1400 avant Jésus-Christ.
–    Au chapitre 12, Dieu s’adresse à Abram : il l’invite à tout quitter pour aller vers un pays nouveau. Il lui promet une descendance et qu’à travers lui, seront bénies « toutes les familles de la terre ». L’histoire d’Abram commence donc la promesse de bénédiction : c’est le début d’une espérance nouvelle à la fois personnelle (avoir une descendance) et collective (bénédiction).
–    Abram part avec sa femme Saraï, son neveu Loth, leurs serviteurs et servantes et leur bétail. Ce départ est la réponse d’Abram : il a confiance, est ouvert à l’espérance que Dieu lui propose, malgré la difficulté d’être étranger, donc sans droits ni appuis, dans un pays qui n’est pas encore le sien. Ce Dieu qui l’appelle et qu’il ne connaît pas encore vraiment est son seul appui et son seul recours.
–    Le texte ne donne pas de détail sur le voyage jusqu’en Canaan : on ne sait pas comment Dieu les conduit, ni comment se déroule le voyage. Le silence du texte montre que ce n’est pas ce qui importe.
–    L’arrivée en Canaan : Le texte mentionne la présence des Cananéens, donc le pays n’est pas vide à l’arrivée d’Abram. Il y a là un paradoxe : la promesse du don du pays aurait pu paraître irréalisable à Abram et Loth. Le texte ne précise pas ce qu’ils ont pu en penser, et comme le récit est rétrospectif l’auteur sait que, lorsqu’il écrit le texte, les choses ont changé : il écrit « les Cananéens étaient alors dans le pays », ce qui veut bien dire que les Cananéens ne sont plus les maîtres du pays. Entre temps, la promesse a été réalisée.

Lire l’histoire : Genèse 13/2-18

Eléments d’explication : (à donner si nécessaire en fonction des connaissances des catéchumènes)
–    Les bergers : la vie du berger est une vie dure, sans confort, avec une nourriture frugale. Comme la végétation du pays de Canaan est maigre, il faut choisir des lieux de pacage distants les uns de autres, mais pas trop éloignés non plus du campement central du clan puisque les bergers doivent être ravitaillés régulièrement. Le berger doit se défendre et défendre le troupeau dont il a la responsabilité contre les animaux sauvages et parfois contre des voleurs ou des membres d’autres clans.
–    Les troupeaux : ils sont composés surtout de brebis, béliers, chèvres et boucs bien adaptés à la végétation de Canaan. Les bovins sont rares car trop gourmands. Les troupeaux paissent tout le jour et sont rassemblés la nuit dans des enclos entourés de murs de pierres sèches (pour faciliter la surveillance et la protection).
–    Pourquoi Abram et Loth se séparent-ils ? : le texte mentionne qu’ils ont tous deux beaucoup de bétail : c’est un signe de richesse (mais une richesse très relative quand même : Abram n’est pas Pharaon !). Dans la pensée biblique, c’est le signe que la bénédiction est à l’œuvre. Le pays ne suffit pas à nourrir tous leurs troupeaux : le pays promis est décrit ici dans sa réalité, un pays où l’herbe est rare et où l’homme dépend entièrement de la pluie (donc de Dieu dans la pensée biblique). Les querelles des bergers sont une conséquence naturelle de la rareté des pâturages, même si le texte biblique formule les choses autrement : c’est parce que les troupeaux de Loth et d’Abram sont trop grands que le pays est trop petit pour eux deux (pas parce que l’herbe est trop maigre…). Quoi qu’il en soit, la querelle des bergers relève d’une lutte pour la vie, pour la survie du clan : en fait, même si Loth et Abram s’entendent, leurs bergers se savent membres de clans différents. Abram a l’initiative de la séparation et propose à Loth de choisir quelle partie du pays il veut habiter : Loth choisit la vallée du Jourdain (arrosée donc plus fertile) ; il fait le choix de mettre sa confiance dans les richesses naturelles d’une contrée plutôt que de s’en remettre à la bénédiction de Dieu. En faisant cela, Loth sert sans le savoir le projet de Dieu : en choisissant la vallée du Jourdain, il laisse le pays de Canaan à Abram et sa descendance.
–    Abram apparaît comme un homme sage et un homme de paix qui souhaite éviter les querelles. Il apparaît également comme un homme généreux : il est l’aîné et le chef du clan, il aurait pu faire le choix, au lieu de laisser le choix à Loth, acceptant de prendre le risque d’être défavorisé. Comme il n’a pas d’enfant, il accepte également de perdre son seul héritier, Loth. En toute chose, il fait le choix de la confiance en Dieu. L’avenir lui donnera raison…
–    Dieu répète sa promesse du don du pays à la descendance d’Abram : même si ce n’est pas explicitement dit, c’est un peu comme si Dieu venait confirmer Abram dans sa démarche.
–    Le texte se conclut par l’installation d’Abram aux chênes de Mambré (près d’Hébron) : c’est un lieu important dans l’histoire d’Abram.

Conclusion :
Comme une mère va avoir tendance à laisser la meilleure part à son enfant (parce que faire plaisir à son enfant est ce qui compte le plus…), Abram choisit de laisser la meilleur part à Loth et, contre toute attente peut-être, il y trouve son compte finalement : être généreux, partager rend aussi heureux, peut-être plus que d’agir égoïstement en pensant à soi d’abord !

Réappropriation :
Proposer aux catéchumènes de raconter cette histoire à leur manière, sous forme de sketch, de chœur parlé, d’ombres chinoises…
Voici ce qu’ont tiré, de ce texte, les confirmands de la paroisse de Hurtigheim-Quatzenheim-Wintzenheim 2016 (Alexine, Antonin, Luca, Thomas), affublés d’oreilles de moutons, ils l’ont présenté pendant leur culte de présentation : Pas si bêêêête !

Mouton 1 (Mérinos) : Bêêê…. Bêêê… J’ai les crocs !
Mouton 2 : Mérinos, ne raconte pas n’importe quoi, les moutons n’ont pas de crocs !
Mouton 1 (Mérinos) : Oh ça va, « mouton je sais tout » ! T’as très bien compris ce que je veux dire : j’ai faim !
Mouton 3 : Moi aussi j’ai faim. Je sais pas ce qu’ils ont nos bergers en ce moment, mais ils sont vraiment nuls dans le choix des pâturages ! Y a rien à brouter !
Mouton 2 : C’est pas la faute des bergers, nous sommes trop nombreux ! Il n’y a plus assez d’herbe pour nous nourrir tous.
Mouton 4 : Regardez, regardez, ils se disputent d’ailleurs à propos de ça ! Chacun veut avoir le meilleur pâturage pour son troupeau.
Mouton 1 (Mérinos) : Chouette, chouette, va y avoir une baston ! A défaut d’herbe, un peu de spectacle ! Des humains qui se battent, c’est toujours marrant !
Mouton 2 : Calme ta joie Mérinos. A mon avis, il n’y aura pas de baston : voilà Loth et Abraham, les maîtres des bergers.
Mouton 4 : C’est peut-être eux qui vont se battre ?
Mouton 3 : Chut ! Ecoutez ce qu’ils se disent…
Mouton 1 (Mérinos) : Bon ben voilà qu’ils discutent… Zut, c’est loupé pour la baston…
Mouton 3 : Chut Mérinos ! T’as peut-être pas de crocs, mais t’as la langue bien pendue ! Alors, alors, qu’est-ce qu’ils ont dit ?
Mouton 2 : Abraham a dit à Loth que chacun devrait partir de son côté pour qu’il n’y ait pas de dispute.
Mouton 1 (Mérinos) : Bon ben pour la baston, c’est mort…
Mouton 3 : Et c’est tout ?
Mouton 2 : Abraham a proposé à son neveu Loth de choisir quelle partie du pays il veut habiter.
Mouton 4 : Pourquoi il fait ça ? C’est lui le plus vieux, c’est lui le chef du troupeau…
Mouton 2 : Chef de famille tu veux dire… ce sont des humains, pas des moutons.
Mouton 4 : Oui bon, le chef de famille. Mais alors pourquoi il ne choisit pas ?
Mouton 3 : Notre maître Abraham est un homme de paix et il aime beaucoup son neveu : en lui laissant le choix, il sait que Loth sera content et qu’il n’y aura pas de jalousie, ni de rancœur.
Mouton 2 : Abraham a confiance en Dieu. Il se dit que peu importe où il va, Dieu l’accompagnera et prendra soin de lui, donc aussi de ce qui est à lui, de nous quoi.
Mouton 4 : Ben c’est sûr que sauf si Dieu veut faire tomber le pain du ciel, il vaudrait mieux qu’on ait de l’herbe à brouter : car c’est grâce à nous que la famille d’Abraham a de quoi vivre.
Mouton 1 (Mérinos) : Bon en même temps, si Dieu veut faire tomber le pain du ciel, ce serait bien, ça nous éviterait de finir en grillades ou à la broche.
Mouton 3 : Bon vous avez fini de délirer tous les deux ! Le pain qui tombe du ciel ! N’importe quoi !
Mouton 2 : Rien n’est impossible à Dieu… Il arrive même à rendre les humains généreux : regarde Abraham qui est heureux de laisser la meilleure part à son neveu.
Mouton 4 : Comment ça la meilleure ?
Mouton 2 : Oui, Loth a choisi d’aller habiter la vallée du Jourdain et ses prairies bien arrosées.
Mouton 4 : Oh zut ! C’est là qu’il y a la meilleure herbe ! Nous allons devoir suivre notre maître Abraham sur les pentes arides de Canaan.
Mouton 1 (Mérinos) : M’en fout ! Moi j’aime bien les broussailles croustillantes.
Mouton 3 : Oh et puis l’herbe grasse et verte, c’est mauvais pour la ligne !
Mouton 4 : Ok, si tu le monde est d’accord avec ce partage alors… je ne dis plus rien.
Mouton 2 : Râle pas, va… Vivre en paix grâce au partage et à la générosité, c’est pas si mal !
Mouton 1 (Mérinos) : C’est pas si bêêêête !

 

 

Babylone : une des plus grandes cités du monde antique

ID 1411 Porte dIshtar
ID 1411 Porte dIshtar  Un travail biblique extrêmement fouillé qui pourra servir à diverses animations catéchétiques. On peut rechercher un certain nombre de documents iconographiques sur Internet, en plus de ceux déjà présent dans le document. Bien au-delà du portrait archéologique, historique et architectural de la ville, de ces habitants et de ces divinités, cette synthèse aborde la thématique des hébreux en exil, la politique de Nabuchodonosor et celle de Cyrus, le Messie perse. La fiche introduit aussi les références bibliques et symboliques de Babylone dans le Nouveau Testament et le christianisme.

1 .Babylone : une des plus grande cités du monde antique

À Babylone, tout paraît démesuré aux exilés. La ville est gigantesque, les bâtiments sont immenses.
Nabuchodonosor, voulait faire de sa ville la reine des cités. Le progrès des techniques, le développement économique, l’apport des richesses des territoires conquis donnaient à Nabuchodonosor les atouts nécessaires à la réalisation de son projet.
Tous les talents, dont ceux des élites des pays conquis, furent donc mobilisés pour la gloire de l’Empire.

ID 1411 Empire neo babylonien

Empire babylonien

1.1    La ville
1.1.1     Images de la ville
L’emplacement du site antique n’a jamais été perdu.
Mais on n’a vraiment commencé à s’y intéresser qu’au début du XXe siècle. C’est de là que datent les grandes expéditions archéologiques de cette cité mythique.
Les fouilles montrent que la cité couvrait près de 1000 hectares, soit : 500 ans avt JC, 2 fois plus grande que Paris sous Henri 4 !!
Babylone était une des plus grandes cités du monde ancien.

Le centre royal « intra muros » avait une forme grossièrement rectangulaire (2,5 × 1,5 kilomètre), coupée en deux par l’Euphrate, que l’on pouvait franchir par un pont.
En tant que capitale, Babylone abritait plusieurs palais royaux : le palais sud, le palais nord et le palais d’été (hors de l’intra muros).
Le mur d’enceinte intérieur comportait 8 portes dont la célèbre porte d’Ishtar (une des déesses du panthéon babylonien),

ID 1411 Déesse Isthar

Déesse Isthar

La célèbre porte a été reconstruite dans un musée à Berlin au Pergamon Museum parce que les grandes expéditions archéologiques du début XXe siècle étaient allemandes.
C’est par cette porte que le roi rentrait triomphalement dans la ville après une campagne militaire.

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La célèbre porte d’Ishtar

Babylone est également une ville sainte, avec de nombreux temples dédiés aux différents dieux de Mésopotamie.
Mais le grand temple est l’Esagil, qui est littéralement la maison du roi des dieux : Marduk.

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Mardouk tuant Tiamat

1.1.2    Marduk, roi des dieux
La Mésopotamie a vu naître 2 grands mythes fondateurs :
L’un est l’épopée de Gilgamesh qui vient de l’époque sumérienne (retrouvé des tablettes écrites en -2000 / -2200).
Les lecteurs de la Bible rencontrent forcément à un moment ou à un autre l’épopée de cet homme-dieu, Gilgamesh, parce que l’Ancien Testament s’en est beaucoup inspiré (récit initiatique d’un jeune roi : le Juges Samson, présence d’un Dieu soleil Shamash, le déluge).

ID 1411 Gilgamesh 

Gilgamesh

L’autre mythe fondateur né en Mésopotamie c’est l’Enuma Elish
Enuma Elish signifie littéralement Lorsqu’en haut, selon les premiers mots du récit.

Ce texte a été rédigé au -XIIe s (l’époque du retour des hébreux hors d’Egypte et installations en Canaan = Juges) Rédigé sur 7 tablettes et seule la 5ème est manquante, donc quasi complet.

L’Enuma Elish raconte comment le dieu Marduk est devenu roi du panthéon des dieux babyloniens.
Mais surtout ce texte décrit les origines du cosmos, le combat contre le chaos ainsi que la création du monde et de l’Homme.

Début du texte (tablette I, 1-10) :

ID 1411 Enuma elish poème épique « Lorsqu’en haut le ciel n’était pas encore nommé
Qu’en bas la terre n’avait pas de nom [ils n’existaient pas],
Seuls l’océan primordial [l’Apsû] qui engendra les dieux,
Et la mer [Tiamat] qui les enfanta tous,
Mêlaient leurs eaux en un tout.
Nul buisson de roseaux n’était assemblé,
Nulle cannaie n’était visible [la végétation n’existait pas],
Alors qu’aucun des dieux n’était apparu,
N’étant appelé d’un nom, ni pourvu d’un destin,
En leur sein, des dieux furent créés. »
Ce texte fait largement écho avec le texte de la Genèse : ce sont les premiers mots qui donnent le nom (« au commencement, berechit bara ») ; rien n’existe, c’est un chaos ; présence de l’eau primordiale ; pas encore de végétation ; les choses n’ont pas été nommées et pour exister Dieu les nomme : « Dieu dit » etc.

 

Pour les Mésopotamiens l’Esagil, est le centre du Monde, le lieu où fut créé toute chose se trouvant sur terre. Babylone était représentée au centre sur les cartes. Et le « centre du centre », c’était l’Esagil.

1.1.3    Le développement de ce royaume
Le développement de Babylone est lié à la volonté des rois qui ramènent chez eux les peuples vaincus, surtout les élites et les artisans qu’ils installent dans des villages.  
Les documents citent des agglomérations nommées selon le pays d’origine de ses habitants : on trouve ainsi une Ascalon, une Gaza, une Qadesh, une Tyr, et également une certaine « ville de Juda ».

Nabuchodonosor a été un grand roi conquérant, comme ses prédécesseurs, mais il s’est aussi beaucoup consacré à l’embellissement de sa capitale. Il voulait que sa ville devienne le cœur spirituel et intellectuel, rayonnant sur le monde civilisé.
Et pas seulement sa capitale : Nabuchodonosor a aussi investi dans le développement économique et architectural des autres villes de son empire (Ur par ex).

Les déportés ont sans doute été affectés à des travaux urbains ou architecturaux de restauration et de construction.
D’autres exilés sont devenus agriculteurs, sur des terres qui leur étaient affectées.

Une autre enceinte jouxtait le Temple de Marduk : la ziggurat qui était, de base carrée 100 mètres de long, qui est sans doute à l’origine d’un autre mythe biblique…

1.1.4    La Ziggurat ou Tour de Babel
Le spécialiste de la Mésopotamie Mario Liverani donne une explication intéressante sur ce récit de la Bible.
Les Ziggurat sont des temples datant d’une première séquence de l’expansion de la Mésopotamie avec les Sumériens (+ de 2000 ans avant notre ère).

L’emploi de la brique crue, juste séchée au soleil, entraine dans cette région une alternance continue d’érosion et de restauration des bâtiments. Certaines Ziggurat étaient laissées à l’abandon au profit de nouveaux Temples comme celui de l’Esagil.

On peut imaginer l’impression que fit l’énorme ziggurat se détachant de l’horizon sur des déportés juifs qui ne connaissaient pas de tels monuments.

ID 1411 Zigourat
Et pour peu que la Ziggurat ait été en partie en ruine (puisque plus utilisée comme Temple) les juifs ont pu fantasmer sur le fait qu’elle n’ait pas pu être achevée à cause d’une malédiction divine.

D’autre part, dans la situation dégradée qui était la leur, ces déportés juifs côtoyaient d’autres déportés, d’origines, de langues et de cultures différentes (araméens, anatoliens, iraniens).
Tous employés sur les grands chantiers de construction et de restauration de Nabuchodonosor, ils ont probablement, concrètement, du vivre les difficultés de communication qui dérivaient de ces mélanges.

La Bible en a d’ailleurs rajouté une couche en introduisant un jeu de mots dans le nom de Babel.
Babylone signifie « la porte de Dieu », mais la Bible dans son récit de la Tour de Babel introduit l’idée de Babil : « lieu de la confusion », qui a donné le « babillage » en français.

Et pour finir cette découverte, est-il possible de parler de la ville sans évoquer les fameux jardins suspendus ?

1.1.5    Jardin suspendus
Les travaux de construction et d’expansion engagés par Nabuchodonosor sont pour beaucoup attestés pour sa gloire dans la littérature de cette époque (textes cunéiformes). Mais étonnamment, aucun texte babylonien n’évoque les fameux jardins suspendus.
Les archéologues n’ont toujours pas réussi à mettre au jour des traces de ces jardins, ni d’une irrigation particulière sur le site.

ID 1411 jardins suspendus

Ils pensent de plus en plus que probablement ces jardins suspendus ont été développés à Ninive où on a retrouvé des traces de jardins spécifiques, ainsi que d’irrigation, et surtout, ces jardins extraordinaires sont cités bien des fois dans les textes assyriens (des confusions entre les 2 villes ont été constatées dans les premiers écrits d’historiens de ces époques).
Ce qui ne signifie pas qu’il n’y en a pas eu à Babylone, mais qu’on en a perdu la trace.

2.Les hébreux en exil

2.1.1L’installation
Il ne faut pas imaginer la vie des exilés comme celle de prisonniers dans des cellules. Jérusalem était loin pour qu’ils s’enfuient !
L’histoire de l’exil babylonien nous enseigne en effet que la situation des Juifs dans leur nouveau pays s’est même améliorée, au fil des années.
Un changement favorable a même lieu à la mort de Nabuchodonosor en 562. Son fils, Evil-Mérodach prend des mesures clémentes : II Rois, 25, 27-29.

Les hébreux étaient vivaient regroupés (on sait par exemple qu’il y avait des hébreux à Nippour, au sud-est de Babylone (cf. Ézéchiel 1.1n) dans des communautés relativement autonomes, présidées par des anciens de la communauté et des prophètes (Jérémie 29.1 ; Ezéchiel 8.1).
On peut lire dans la Bible que les exilés semblent mener une vie plutôt confortable, parfois même prospère (quelques-uns ont même des esclaves Esdras 2.65,).
Certains ont gravi les échelons de la société pour devenir commerçants, bijoutiers, clients d’une banque dont on a retrouvé les archives. D’autres auront de hautes fonctions à la cour.
Si la Bible atteste que les hébreux ont pu s’installer, prospérer et jouir d’une certaine autonomie, d’autres sources insistent sur la tristesse du « petit reste » d’Israël sur cette terre étrangère.

1.1.2    Si je t’oublie Jérusalem…
Lire Esaïe 49, 8-10 et Psaume 137
Ces textes évoquent la servitude, les ténèbres, les cachots, les larmes au bord du fleuve. Une crainte domine : celle d’oublier Israël
Ce serait la pire des malédictions si le peuple oubliait, car la théologie vitale pour les juifs, aujourd’hui encore, c’est « souviens-toi ».
Souviens-toi comme ton Dieu t’as libéré hors d’Egypte, souviens-toi comme ton Dieu est intervenu dans ton histoire, souviens-toi….

Mais on voit bien que ce sentiment de nostalgie pour Sion était probablement mitigé ; tous ne le partageaient pas au même degré. Certains se sont très bien accommodés de leur vie dans cette cité développée. Quand ils auront la liberté de retourner au pays, beaucoup choisiront de rester sur place.

Il y a donc eu un phénomène d’assimilation d’une partie des juifs du Royaume de Juda en Babylonie. Comme cela s’est d’ailleurs passé pour les déportés de Samarie en Assyrie après la chute de Samarie en 721, et pour les réfugiés hébreux en Egypte (Juifs qui s’enfuirent en Egypte en -586 après l’assassinat du gouverneur Guédilia nommé par Nabuchodonosor) qui se sont complètement fondus dans ces pays d’accueil.
Donc, selon toute apparence, la réponse au choc de l’exil va être essentiellement littéraire.

Pour garder une cohésion politique, mais surtout religieuse, les anciens des communautés, les prophètes, les scribes qui se trouvent là commencent à consigner par écrit les traditions orales qui portent la foi du peuple. La communauté juive s’organise…

2.1.3 La communauté s’organise
Les Israélites captifs à Babylone ne se sont pas assimilés et ont su non seulement conserver, mais aussi approfondir leur patrimoine spirituel et leur originalité au milieu des nations païennes.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette fidélité :
Juste avant le départ à Babylone, une partie de la Thora venait d’être mise par écrit : les exilés ne partaient pas les mains vides et les écrits qu’ils emportaient avec eux serviront de repères pour leur foi.

D’autre part, ce sont les élites du pays qui ont été déportées : plus instruits, mieux préparés à s’organiser, privés de temple et donc de culte, ces élites ont su se resserrer autour de la Loi.
Sans économie sans politique, la seule instance efficace pour unir le peuple juif était la religion.

Enfin une profonde conviction les animait : n’étaient-ils pas le Petit Reste qui avait survécu et à qui Dieu confiait maintenant la responsabilité de porter l’espérance d’Israël ?
Pouvaient-ils oublier les promesses de Dieu ?

Leur réaction face à l’envahisseur est très particulière : ils ne se révoltent pas. Cela faisait plusieurs siècles que l’alliance entre Dieu et son peuple n’était plus trop respectée en Israël, et qu’elle a été souvent trahie par l’adoration des dieux étrangers.  
Voilà pourquoi, annoncent les prophètes, cet exil doit être considéré comme une punition justifiée.
En ce sens, Nabuchodonosor devient un instrument de Dieu pour punir ce peuple infidèle et ce dernier ne doit pas se révolter.
C’est ce que leur conseille le prophète Jérémie, lui qui est resté sur place en Israël, dans une lettre qu’il leur envoie : Jérémie 29, 4-14

Jérémie ne propose pas au peuple juif de s’assimiler aux pratiques étrangères. Mais de s’installer, de vivre dans la prospérité, tout en attendant l’heure de la délivrance, la chute de Babylone.

Tout cela fera que les hébreux ne se sont pas laissé entrainer au polythéisme environnant et que leur séjour en Babylonie va au contraire leur permettre d’approfondir leur foi.

2.1.4 L’approfondissement de la foi
Une question centrale taraude ce petit reste : Dieu est-il encore avec son peuple ?
Dans l’Antiquité, un dieu était dieu sur une certaine terre mais pas ailleurs. Hors de sa terre, que pouvait faire Yahvé ?
Les psaumes ne manquent pas de rapporter les questions des étrangers : « Où est-il, ton Dieu ? » (par ex. Psaume 42,11).
La découverte faite en exil est une découverte universelle dans un temps d’épreuve : c’est la découverte de la présence inconditionnelle de Dieu aux siens : Dieu est présent dans le malheur.

La théologie fait un pas en avant : si Dieu est là, en terre étrangère, c’est donc qu’il est Dieu partout dans l’univers.
Tous les Hommes peuvent croire en lui.
Ce Dieu Yahvé devient donc aussi créateur du tout : du cosmos, du monde, de la nature. C’est l’affirmation centrale du récit de Genèse 1, écrit pendant cette période.

À ce questionnement s’ajoute le désarroi causé par la perte des piliers traditionnels de la foi juive : la terre, le roi, le temple.
Autour de quoi la foi va t-elle maintenant se structurer ?
L’exil fait émerger trois nouveaux piliers :
> l’Écriture, tout d’abord. On rédige les grands textes qui, au retour, seront regroupés dans la Torah : notamment on raconte l’histoire d’Israël (Josué, Juges, Samuel, Rois) qui explique le désastre par l’infidélité du peuple et de ses dirigeants
> Les synagogues, remplacent le Grand Temple unique
> les pratiquent rituelles, comme le respect du sabbat ou la circoncision sont instituées comme sacrées

La Captivité est finalement assez courte (56 ans).
Mais en réalité elle sera un temps privilégié pour la maturation de la foi d’Israël.

3    . Cyrus, le Messie perse

En 539 av. J.-C., Cyrus le Grand, roi de Perse, s’empare de Babylone et adopte une nouvelle politique : il se refuse à suivre la politique des déplacements de populations.
Cyrus savait que pour maintenir la paix dans son vaste empire il fallait respecter la langue, la religion et les traditions des peuples vaincus.
Les textes officiels furent désormais trilingues et l’une de ces langues était celle des gens de la province.

Dans le domaine religieux, la méthode de Cyrus fut diamétralement opposée à celle des Babyloniens qui détruisaient et profanaient les territoires asservis.
Dès la première année de son règne, Cyrus fit l’Édit d’Ecbatane que nous pouvons lire : Esdras 6, 3-5

Toutes ces bienveillances de Cyrus le feront nommer « Messie » par les exilés juifs. Un homme, issu de la lignée du Roi David, qui amènera à la Fin des temps, une ère de paix et de bonheur, éternelle et dont bénéficieront la nation israélite et le monde, qui s’élèvera avec elle.
Désormais ils peuvent rentrer au pays, mais quelques-uns seulement feront ce choix.
La colonie qui retourne à Jérusalem pour reconstruire se considèrera en Judée comme le véritable Israël (cf. Jr 24), et entrera en conflit avec ceux qui sont demeurés sur place pendant l’exil (le peuple du pays dans Esdras [3.3n] et Néhémie ; cf. Ezéchiel 11.15 ; 33.24ss ; voir aussi Samaritains*).

Plusieurs fiches bibliques en rapport avec ce thème de l’exil et préparées par Jean Hadey sont dispoibles sur le site « PointKT » sous le titre « Espérer en Exil »

4    Babylone en tant que symbole

Une forte valeur symbolique a été attachée au nom Babylone au fil des temps.

4.1    Pour la Bible hébraïque
Babylone est le symbole de l’orgueil des Hommes et des puissants du monde, présentée en opposition avec un Israël fidèle à Yahweh.

4.2    Pour le Nouveau Testament et particulièrement dans l’Apocalypse
Babylone représente la société mercantile, décadente, déshumanisée et pervertie. Elle est associée à la Grande prostituée, la fausse religion.

ID 1411 Papessa tiara

4.3    Symbolique rastafari
Les rastafaris y voient l’image de l’esclavage par les puissants du monde. C’est la suite du combat entre Abel le nomade, et Caïn le sédentaire qui construit des villes pour se mettre à l’abri de la nature hostile depuis qu’il a tué son frère.

4.4    Mouvements écologistes
Babylone sert de référence à un grand nombre de militants écologistes et de la décroissance. Pour eux une société qui n’a d’autre objectif que la croissance (économique, énergétique, etc) ne peut aller qu’à sa perte.

4.5    Interprétations chrétiennes
Pour le catholicisme, elle représente la Rome païenne des premiers siècles de l’ère chrétienne.
Les protestants y ont vu un symbole de l’Église catholique romaine. Les Témoins de Jéhovah, par extension, y voient une représentation de toutes les autres religions hormis la leur.

Bibliographie et sources

– LIVERANI Mario, La Bible et l’invention de l’histoire, Bayard, 2008
– HADAS-LEBEL Mireille, Entre la Bible et l’Histoire, Le peuple hébreu, Gallimard, 1997
– Yehezkel Lévy, « L’exil de Babylone : les sources traditionnelles et la question de l’émancipation », Labyrinthe [En ligne], 28 | 2007 (3), mis en ligne le 21 septembre 2007, consulté le 24 novembre 2014. URL : http://labyrinthe.revues.org/2853
– DOWLEY Tim, Atlas de l’étudiant de la Bible, Ed. Farel, 1989
– article « Babylone un symbole », Wikipédia : http://fr.wikipedia

 

 

 

 

 

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Joseph, beau et favorisé de forme

 

  Les textes bibliques – qui sont pour nous et dans la foi Parole de Dieu – ne nous appartiennent pas…
Nous n’en avons pas l’exclusivité. Prenons par exemple la sourate XII du Coran.
« La sourate XII du Coran ?!? » Ben oui, Genèse 37 à 50, quoi !

Comment imaginons-nous Joseph ? Le Joseph que nous- chrétiens – connaissons : un hébreu du livre de la Genèse (chapitres 37 à 50), un sémite en Égypte … Comment l’imaginons-nous dans cette Égypte où il est d’abord amené et malmené comme esclave, vendu, emprisonné ? Comment l’imaginons-nous dans ce pays a priori inhospitalier, où il devient le conseiller du Pharaon ?
Comment les lecteurs du Coran imaginent-ils Yussuf ?
Comment son histoire est-elle transmise, par exemple dans le récit de Ibn CIsa Ahmad (en 973 de l’Hégire, c’est-à-dire 1565 de l’ère chrétienne ) ?
Et comment serait-elle écrite aujourd’hui, comment s’inscrirait-elle dans le contexte que nous connaissons à propos du pays de Canaan… et de l’Égypte actuelle ?
Et comment les croyants d’Amérique latine, d’Inde ou de Madagascar lisent-ils et interprètent-ils le récit concernant Joseph, dans leurs réalités propres ?
Autant de questions dont les réponses nous confirment que les textes bibliques ne nous appartiennent pas…

Bible, Genèse 39, fin du verset 6 : « Et Joseph était beau/élégant/racé, bien formé/favorisé de forme »
Coran, Saurate XII.30. Et dans la ville, des femmes dirent : « La femme d’Al-Azize essaye de séduire son valet! Il l’a vraiment rendue folle d’amour. Nous la trouvons certes dans un égarement évident. » 31. Lorsqu’elle eut entendu leur fourberie, elle leur envoya [des invitations,] et prépara pour elles une collation [des oranges]; et elle remit à chacune d’elles un couteau. Puis elle dit : « Sors devant elles, [Joseph!] » – Lorsqu’elles le virent, elles l’admirèrent, se coupèrent les mains et dirent : « à Allah ne plaise! Ce n’est pas un être humain, ce n’est qu’un ange noble!  »
(Vous trouverez l’ensemble de la Sourate XII sur internet.)

  « Le récit de Joseph, qu’il soit en paix », de Ibn CIsa Ahmad : (Zulaykha  lui dit) : « Oh Joseph, rien n’égale le noir de tes yeux, ni le noir de tes cheveux, ni les fossettes de tes joues. Aucun parfum n’est aussi pur que le tien, aucune démarche aussi innocente. […]Soumets-toi à moi et je me convertirai à l’Islam avec ton aide » […] La nouvelle se répandit dans Misr parmi toutes les dames qui s’écrièrent : « Zulaykha aime un des adolescents ! » Zulaykha invite alors l’épouse du ministre du Souverain, l’épouse de son chancelier, l’épouse de son vicaire et l’épouse de son trésorier. À chacune elle présente un citrus et un couteau et leur dit : « Jurez-moi toutes que si Joseph venait à vous et vous le demandait, vous lui donneriez chacune une part de citrus… » […] Il ressemblait à l’astre lunaire dans sa nuit de plénitude. Quand les femmes le virent, elles se troublèrent et perdirent la raison à la vue de sa beauté. « Ce n’est pas un être humain, on dirait un ange par son essence ! » Elles ressentirent un tel trouble qu’elles se tailladèrent les mains…

 

Le récit d’Ibn CIsa Ahmad, inspiré de l’histoire de Joseph, et étudié par Faïka Croisier*,
est écrit à la fin du règne de Soliman le Magnifique, Soliman le Législateur. L’empire ottoman est à son apogée (voir http://www.lib.utexas.edu/maps/historical/shepherd/ottoman_empire_1481-1683.jpg) et Soliman, tout en étant lié à l’Islam et à la loi suprême de la Charia, promulgue des lois pour soulager le sort des rayas, serfs chrétiens, et le sort des réfugiés juifs qui fuient l’Espagne et l’Europe centrale.
En résumé, en ce temps là, le vaste empire ottoman est une terre d’accueil pour les trois religions monothéistes, et l’Égypte en particulier est une province d’abondance et de bénédictions… He oui… !
Ce qui transparaît dans la narration d’Ibn CIsa Ahmad.
*« L’histoire de Joseph, d’après un manuscrit oriental », un ouvrage de Faïka Croisier aux Éditions Labor & Fides, Arabiyya 10, avec la préface du Professeur Robert Martin-Achard, 1989.
 

Joseph dans son récit est tout de suite apprécié par son maître égyptien Al-CAzïz qui est tenté de l’adopter.
L’auteur, au XVI sc, est l’héritier d’une succession de narrateurs, dans une tradition orale et écrite qui ne s’appauvrit pas. Dans sa culture, il est normal d’en apprendre autant des commentateurs des histoires que des récits eux-mêmes…
Et il a une intention, tout comme nous-mêmes nous désirons porter, transmettre et/ou recevoir un enseignement lorsque nous partageons un récit biblique. Dans la version étudiée ici, le narrateur musulman met l’accent sur l’homme éprouvé mais triomphant des difficultés au moyen de la foi, et sur l’accomplissement de la volonté de Dieu le Tout Puissant et Miséricordieux. Qu’est-il dit là que nous ne puissions partager ?
Le narrateur place aussi le lecteur devant un choix : qui doit gouverner nos vies ? Est-ce Joseph, un homme exemplaire ? Est-ce Pharaon (ou le Sultan, ou n’importe quel homme politique, fut-il « religieux »), qui utilise l’homme exemplaire comme prétexte pour assoir son gouvernement ? Ou est-ce Dieu, auquel tout homme peut s’abandonner avec confiance en toute circonstance ?
Dans son (long) récit de l’histoire de Joseph, Ibn CIsa Ahmad aménage régulièrement des pauses dans lesquelles il invite les auditeurs à la prière: « Nous reprendrons le récit lorsque tous ceux ici présents auront prié pour le Pur.»

  Nous avons déjà beaucoup de travail, comme moniteurs et catéchètes, à témoigner de notre foi chrétienne sur base de la Bible que nous connaissons (un peu).
Peut-être à certains moments, pourrons-nous  lire certains textes dans le Coran, juste pour voir… Peut-être auront-nous l’occasion d’entrer dans un groupe de dialogue interreligieux ? Peut-être pourrons-nous nous pencher sur l’Histoire, celle du passé qui précède notre actualité et qui bien souvent nous éclaire sur le présent ? 

En tant que témoins et enseignants, dans le contexte actuel, il est de notre difficile responsabilité de partager la foi en Dieu sans prétendre aveuglément en avoir le monopole… Partager sa Parole, sans en avoir le monopole… C’est un point important de notre mission, et un challenge vis-à-vis des enfants avec lesquels nous souhaitons partager notre identité chrétienne, dans le contexte européen d’aujourd’hui.

« A présent, nous ne voyons qu’une image confuse, pareille à celle d’un vieux miroir ; mais alors, nous verrons face à face. A présent, je ne connais qu’incomplètement ; mais alors, je connaîtrai Dieu complètement, comme lui-même me connaît. Maintenant, ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus grande des trois est l’amour. » 1 Cor 13.12-13
« Pas de monopole » : voilà ce que nous dit l’apôtre Paul, voilà ce que nous dit aussi le beau Joseph !

 

 

 

La visite des mages dans l’évangile de Matthieu (Mt 2,1-12) : approche narrative d’une fiction théologique

ID 1367 chapo
 ID 1367 chapo

L’épisode de la venue des mages à Bethléhem est un récit depuis longtemps prisonnier du folklore de Noël. Dépouiller cet épisode du revêtement merveilleux dont plusieurs siècles d’histoire l’ont revêtu  devrait aider à redécouvrir l’interpellation que l’évangéliste souhaitait adresser à ses auditeurs de la fin du premier siècle.

Ci-contre cartouche des (rois) Mages à Arras – cliché J.-M. Vercruysse.

Le récit dans le cadre littéraire et religieux du premier siècle

Le récit de la visite des mages s’apparente aux récits légendaires relatant les événements extraordinaires entourant la naissance d’un personnage important (phénomènes célestes, intervention de mages et autres astrologues). La littérature juive et païenne offre de nombreux motifs parallèles à cet épisode de la visite des mages • Ainsi Pline (Histoire Naturelle 30,1, 16) et Suétone (Vie des Césars, Nero 13) rapportent la venue de mages de Perse pour honorer Néron, en 66, sur l’indication des astres, qui repartent ensuite par un autre chemin. La haggadah du petit Moïse propose les rapprochements les plus significatifs avec l’ensemble du chapitre. Des astrologues (cf le commentaire de Rachi sur Ex 1,22 ; pour Flavius Josèphe, Antiquités Juives 2,205, il s’agit d' »un scribe expert à prédire exactement l’avenir ») annoncent à Pharaon la naissance de Moïse, Pharaon s’alarme et ordonne le massacre des enfants mâles (Flavius Josèphe, Antiquités Juives 2,206). Dans le contexte propre à Matthieu, le récit se rapproche à certains égards du commentaire midrashique .

La question des sources de l’épisode, et plus largement de l’ensemble constitué par Mt 1,18-2,23, est très controversée . Matthieu a-t-il utilisé des traditions – orales ou écrites – circulant dans son univers religieux ou le récit est-il une composition originale se basant sur un genre littéraire existant ? En faveur de la première hypothèse, on souligne que l’ensemble constitué par Mt 1,18-2,23 fait apparaître une double tradition ; l’une centrée autour du personnage de Joseph (1,18-25 ; 2,13-15 ; 2,19-23), l’autre autour d’Hérode (2, 1-12 ; 2, 16-18). Matthieu aurait recueilli ces deux traditions et les aurait enchâssées. À l’encontre de cette hypothèse, on fera valoir que l’ensemble constitué par les quatre épisodes du chapitre 2 est indissociable : l’épisode de la fuite en Égypte (v. 13-15) et celui qui rapporte le retour à Nazareth (v. 19-23) n’ont de sens que par 1′ existence de 1′ épisode de la venue des mages (v. 1-12) et celui de la colère d’Hérode (v. 16-18) .
Par ailleurs, le style et le vocabulaire matthéens se font fortement sentir dans l’ensemble du chapitre. Il est de toute manière impossible de répondre de manière définitive à la question des sources ; Mt a probablement travaillé à partir de traditions qu’il est aujourd’hui difficile de reconstituer.

Les mages et l’étoile

Le terme « mages » (magos)  9 est dérivé du nom d’une caste sacerdotale de l’ancienne religion perse (Hérodote 1.101, 120, 128). Les mages étaient spécialistes en astrologie et astronomie. Par extension, dans l’antiquité, le terme désigne ceux qui possèdent une connaissance supérieure, les astrologues, les interprètes de rêves (Josèphe, Ant 10.195, 216) mais aussi les magiciens et sorciers de toutes sortes (Philon, De Specialibus Legibus 3,93). Les traditions bibliques (Ancien Testament : Dt 18,9-12 ; Es 4 7,13 ; cf. l’utilisation du terme dans une des versions grecques de Daniel : 1,20 ; 2,2.1 0.27 ; 4,4 ; 5, 7.11.15 ; Nouveau Testament : Ac 13, 6.8) et rabbiniques sont généralement critiques à l’encontre des pratiques divinatoires. Chez Matthieu cependant, aucun indice textuel ne permet de déprécier la figure des mages ; pour lui, ils sont vraisemblablement des savants, hommes sages, venus du monde païen (l’Orient- apo anatolon cf. Nb 23,7 LXX désigne ici tout ce qui est au-delà du Jourdain). Même si l’évangéliste ne le précise pas, le lecteur peut ainsi  induire qu’il s’agit là de l’élite spirituelle du monde  païen . Il faut ici faire l’effort de replacer la pratique de l’astrologie dans le contexte d’une époque où elle est indissociablement liée à 1’astronomie et constitue ainsi une véritable science.

Le thème de l’apparition d’une étoile à l’occasion de la naissance d’un personnage important est un topos classique de la littérature de l’époque. Les parallèles sont nombreux . La prophétie du devin Balaam (Nb 22,7) – venu de l’Orient (Nb 23,7) – sur l’étoile de Jacob (Nb 24, 17), dont l’interprétation messianique est très fréquente en particulier à Qumran (ainsi Écrit de Damas 7,18-21 ), offre sans doute un arrière-plan plausible à notre passage. L’étoile est, dans les traditions juives, une métaphore du Roi-Messie ; dans le Nouveau Testament, Jésus est lui-même l’étoile du matin, cf. 2P 1,19 ; Ap 22, 16. Il convient donc ici de ne pas tomber dans le piège du concordisme : ni comète, ni supernova, ni conjonction planétaire mais bien intervention miraculeuse de Dieu.

Analyse du récit

Contexte
La péricope est inséparable des trois qui lui font suite (v. 13-15 ; v. 16-18 ; v. 19-23) avec lesquelles elle forme un ensemble cohérent consacré à l’enfance de Jésus. Ce thème est construit autour d’un parcours géographique  dont la signification est avant tout théologique. À côté du déplacement des mages (de l’Orient à Jérusalem, de Jérusalem à Bethléhem et de Bethléhem vers l’Orient), le chapitre 2 est en effet articulé autour des déplacements de Jésus qui naît à Bethléhem (v. 1), est conduit en Égypte (v. 13), ramené en « terre d’Israël » (v. 21) et installé « dans la région de Galilée » (v. 22), à Nazareth (v. 23).
Le chapitre 2 est d’ailleurs saturé de références géographiques, puisqu’on en compte pas moins de 22 , et que les quatre citations scripturaires font référence à un lieu précis (cf. v. 6, 15b, 18 et 23).

Structure

Deux découpages sont envisageables. Insistant sur l’opposition entre la royauté de Jésus et celle d’Hérode, on peut proposer une structure en deux parties principales: après l’introduction annonçant l’arrivée et le projet des mages (v. 1-2), la première partie (v. 3-9a) relate la rencontre entre les mages et le « faux » roi des juifs ; la seconde partie (v. 9b-11) relate la rencontre entre les mages et le « vrai »roi des juifs, le v. 12 constituant la conclusion . On peut aussi rendre compte de l’organisation de la péricope selon une structure plus dynamique  : v. 1-2, arrivée des mages à Jérusalem et formulation de leur projet ; v. 3-6, trouble d’Hérode et intervention, sur ses ordres, des grands prêtres et des scribes ; v. 7-8, entrevue d’Hérode avec les mages ; v. 9-11, les mages trouvent Jésus ; v. 12, les mages retournent chez eux .

Lecture du texte

– Versets 1-2 : état initial

L’ensemble des protagonistes et des lieux essentiels au développement de 1’intrigue est présenté de façon extrêmement concise : Jésus, Hérode et les mages ; Bethléhem, Jérusalem et l’Orient. La naissance de Jésus est relatée de façon lapidaire. Au plan narratif, la précision est indispensable dans la mesure où 1,18-25 s’en tenait aux circonstances précédant celle-ci. Matthieu en indique le lieu (la précision « de Judée » sert moins à distinguer la cité d’origine du roi David – cf. l S 17,12- de Bethléhem de Zabulon- cf. Jos 19,15 -, qu’à préparer la citation scripturaire du v. 6), et l’époque (sous Hérode le Grand qui régna de 37 av. J.-C. à 4 av. J.-C. ). La naissance a ainsi une portée religieuse (Bethléhem) et politique (Hérode) dont la suite du récit va préciser la teneur.
Par l’expression publique de leur quête (v. 2), les mages jouent le rôle de révélateurs involontaires d’une opposition entre le Roi Hérode à Jérusalem et le Roi Jésus à Bethléhem. La suite du chapitre va en montrer le caractère irréductible. Les mages cherchent le roi des juifs dont ils ont vu l’étoile en te anatole (même expression au v. 9). On peut alors penser qu’il s’agit d’exprimer la situation de l’astre, le point cardinal en quelque sorte, à l’orient ou au levant : l’étoile du roi des juifs apparaît à l’orient, du côté des païens, pour les guider vers le Christ. Les mages viennent pour adorer (proskunesai). On a pu parler ici d’une adoration épiphanique  : par leur attitude, les mages reconnaissent la révélation divine dont ils sont bénéficiaires.

Or, s’ils se mettent en route grâce à 1’étoile, les mages n’arrivent pas à Bethléhem mais à Jérusalem d’où l’ étoile paraît absente .

– Versets 3-6 : complication

Le trouble suscité par les mages peut être une simple émotion causée par un fait insolite ; il peut aussi résulter d’une révélation (cf. Lc 1,12 : Zacharie troublé par l’apparition de l’ange du Seigneur ; Mt 14,26//Mc 6,50 : les disciples troublés par l’apparition de Jésus marchant sur les eaux ; Lc 24,38 : les disciples troublés par 1’apparition du ressuscité ; cf., dans des contextes de révélation, Tobie 12,16 ; Dn 5,9 ; 7,15, version Theodotion ). Il s’accompagne alors, le plus souvent, de la crainte liée aux manifestations du divin. Compte tenu du genre littéraire de l’ensemble constitué par Mt 1,18-2, 23, c’est ce dernier sens qui nous paraît ici le plus probable : les propos des mages constituent, pour Hérode, une révélation. Loin cependant de le pousser à la crainte et à l’adoration, elle produit chez lui une opposition mortelle à celui en qui il découvre un concurrent. Hérode joue ici le rôle de Pharaon par rapport à Moïse : son attitude suggère le thème biblique de l’endurcissement. L’expression « tout Jérusalem » signifie-t-elle que la ville partage ce sentiment et cette attitude ? Le met’ autou (« avec lui») plaide en cette faveur : pour Matthieu, Jérusalem représente déjà la ville où Jésus va mourir.

Hérode assemble (v. 4) les grands prêtres et les scribes. La mention du « peuple » fait écho à l,21 et annonce 2,6. Pour la reconnaissance de son Messie (au v. 4, le terme Christos doit être traduit par « Messie » puisqu’il s’agit non pas de Jésus mais du titre générique) le peuple est à la merci de ses responsables religieux. Sans doute, la non-reconnaissance du Messie par Israël fut-elle un trouble pour 1′ évangéliste et sa communauté, d’autant plus que, comme le montrent les v. 5-6, les scribes avaient, selon Matthieu, tous les éléments pour qu’elle soit possible. La justesse de la démarche exégétique des responsables religieux d’Israël (v. 5-6) ne produit aucun déplacement de ces derniers vers Bethléhem : ils sont immobiles, enfermés dans leur savoir théorique. L’immobilisme qui les caractérise est ici le signe de l’opposition et de l’incrédulité. Dès le début de son évangile, quoique de manière encore mesurée, Matthieu construit négativement le personnage des chefs du peuple.

La réponse des responsables religieux à la question d’Hérode n’est pas, à proprement parler, une citation d’accomplissement (ces dernières apparaissent toujours comme des interventions de l’évangéliste lui-même dans son récit, cf. en Mt 1-2 ; 1,22-23 ; 2,15. 17-18 et 23). La référence aux Écritures n’en a pas moins d’importance ici. Le texte auquel se réfèrent les chefs du peuple est Mi 5,l-3 (+ 2 S 5,2). Matthieu diffère à la fois de la LXX et du texte hébreux. Les trois corrections majeures sont d’abord le remplacement d’Ephrata par terre de Juda, ensuite le renversement complet de la proposition affirmative en proposition négative (tu n’es certainement pas) et enfin, l’adjonction de 2 S 5,2 à la place de Mi 5,3. Comme ses contemporains juifs, Matthieu manie les Écritures avec une grande liberté, au service de sa conviction de la messianité de Jésus. L’utilisation de Mi 5,1-3 s’explique par deux raisons principales : d’une part le passage faisait déjà l’objet, dans les traditions juives contemporaines de Matthieu, d’une interprétation messianique (cf. le Targum de Michée), d’autre part la mention, au v. 2a de la femme enceinte, non reprise par Matthieu mais connue de ses auditeurs.

– Versets 7-8 : dynamique

À la différence des chefs du peuple, Hérode, lui, réagit. Il convoque les mages en secret (lathra, déjà utilisé pour exprimer le projet de Joseph de répudier Marie). Ici le secret ne peut être interprété que comme machination. Le terme contraste en effet avec la publicité faite par les mages à leur arrivée, le trouble de tout Jérusalem et le cadre de révélation donné à 1’ensemble de la péricope. À ce point du récit, c’est le seul indice textuel relativement explicite d’un projet négatif d’Hérode. Il recoupe cependant l’image que l’auditoire matthéen a vraisemblablement construit sur la foi de ce qu’il connaît de la figure historique d’Hérode comme souverain usurpateur, inquiet et cruel. Par touches successives, Matthieu connote ainsi l’image négative d’Hérode jusqu’à sa pleine révélation au v. 13. Ainsi s’explique, au v. 7b, l’interrogation des mages par Hérode : narrativement, elle prépare l’énoncé de son projet meurtrier au v. 16 ( comp. le v. 7b et le v. 16b). De même encore, 1’énoncé de son intention d’aller lui-même adorer l’enfant (v. 8b) ne peut tromper le lecteur. Si Matthieu utilise ici le même terme pour les mages et pour Hérode (« adorer »), le lecteur est invité à être attentif : il y a loin de la parole aux actes, de l’intention exprimée à l’intention réelle.

– Versets 9-11 : résolution

Après leur entrevue avec Hérode, les mages poursuivent leur route. Plutôt qu’obéir, akousantes (v. 9) signifie, dans ce contexte, entendre (cf 2,3.18 et 22) : les mages sont au bénéfice des informations que leur donne Hérode. On peut cependant s’interroger sur la valeur réelle que Matthieu accorde à ces informations, puisque l’étoile réapparaît aussitôt après le départ de Jérusalem, quand Hérode disparaît de la scène. C’est elle en dernière instance, et non Hérode, qui guide les mages. C’est elle, enfin, et non les informations données par Hérode, qui suscite la joie des mages. Cette joie (ailleurs chez Mt : 13,20.44 ; 25,21.23 ; 28,8) est soulignée par l’évangéliste de façon emphatique. Elle est un indice supplémentaire (avec le thème du projet d’adoration accompli au v. 11) de la construction positive du personnage des mages. Le vocabulaire du v. 11 produit un contraste frappant. D’un côté le geste d’adoration des mages et la qualité de leurs présents (une allusion au pèlerinage eschatologique des nations qui apportent à Sion le meilleur de leurs produits ; cf. Es 60,6 ; Psaumes de Salomon 17,31), sans oublier auparavant l’apparition de l’étoile, l’entrevue avec Hérode à Jérusalem, la confirmation des Écrits sacrés. De l’autre le caractère dépouillé de la royauté de Jésus : une maison, un enfant avec Marie sa mère.

– Verset 12 : état final

Le retour des mages dans leur pays « par un autre chemin » fait suite à une révélation spéciale. Avant que le lecteur ne sache encore ce que manigance Hérode, il sait pourtant qu’il n’est pas, qu’il n’a jamais été, le maître de la situation : Dieu, par son intervention souveraine, rompt définitivement le lien entre les Mages et Hérode.
Conclusion
« C’est paradoxalement aux personnages les plus susceptibles d’éveiller la méfiance du lecteur enraciné dans la tradition biblique que Matthieu a choisi de confier le rôle positif en Mt 2,1-12 » annonçant « le rejet de Jésus par les représentants d’Israël et son accueil joyeux par les païens ». D’une certaine manière, l’adoration des Mages trouve un écho lointain dans la finale de Mt 28,17-20 où le Christ Ressuscité envoie ses disciples vers toutes les nations : « En ces versets conclusifs du premier évangile où le Ressuscité s’adresse au Onze prosternés devant lui, le mouvement évoqué est inverse : il n’y est plus question des Nations qui marchent vers Bethléem, mais des disciples envoyés vers elles depuis une montagne de Galilée. L’autre chemin par lequel les Mages sont rentrés ne prépare-t-il pas, dans la perspective de Matthieu, la route qu’emprunteront plus tard les disciples pour aller là où une étoile a d’abord parlé ? » . Si tel est le cas, alors ce récit des Mages constitue le premier volet d’une grande inclusion enchâssant un récit par lequel l’évangéliste veut convier son lecteur à comprendre la dimension universelle du messianisme dont il est le témoin.

Thèmes théologiques

– Le contraste entre la démarche positive des mages étrangers et l’opposition ou l’indifférence des autorités politiques et religieuses juives est le moteur principal de l’intrigue. On peut insister sur le fait que l’épisode porte les germes du conflit à venir entre Jésus et son peuple (sous l’aspect de ses responsables politiques et religieux) qui aboutira à la Passion. On peut aussi souligner qu’il préfigure l’universalisme matthéen (sous le signe du déplacement des savants païens vers Jésus et de leur adoration).

– L’épisode amorce également une réflexion sur l’intervention de Dieu dans l’histoire. Jésus est inscrit dans une histoire dont il est, pour l’heure, un acteur passif. Matthieu ne dit pas que Dieu dirige l’histoire (ni le contraire) mais qu’il intervient par des signes forts, des révélations particulières ou encore dans les Écritures. C’est la réaction des individus à ces interventions qui provoque les événements dont ils ne sont cependant pas les maîtres. Pour les uns (les mages) c’est une mise en marche dans la confiance ; pour d’autres (Hérode), l’intervention de Dieu est une contestation de leur pouvoir et ainsi l’occasion d’une opposition.

– À la lecture de ce récit, on peut également être conduit à réfléchir à 1′ articulation entre sagesse humaine et Révélation divine. Les mages se mettent en marche sur la base d’une révélation miraculeuse (l’étoile) que leur fonction (leur science) les prédisposait à découvrir. Il est ici à rappeler qu’ils arrivent à Jérusalem et non pas à Bethléhem (n’est-ce pas leur sagesse humaine qui les a conduits à la capitale des rois d’Israël ?) et que l’étoile ne réapparaît que lorsqu’ils quittent Hérode . À l’inverse, Hérode et les chefs du peuple connaissent, par les Écritures, ce que les mages cherchent depuis l’Orient lointain. Ce savoir objectif n’est cependant pas synonyme de foi. Les Écritures en elles-mêmes ne produisent pas la foi .

– Au final, faut-il aller jusqu’à dire avec tel exégète , non seulement que l’astrologie s’incline, mais encore, que l’évangéliste souligne la suprématie du Seigneur sur les « Éléments du monde » (Ga 4,3) ? Une chose est sûre : au terme de leur périple, les mages s’en retournent par un autre chemin !

Élian CUVILLIER

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Jésus et la Syro-phénicienne : Jésus hésite sur l’universalité de sa mission

 ID 1355 chapo Fuyant de possibles représailles à la suite d’un enseignement sur le pur et l’impur, enseignement qui menaçait une certaine compréhension du rapport à l’autre, Jésus se retire dans les territoires étrangers, en plein coeur des régions considérées à l’époque comme étant véritablement impures.

Texte : Matthieu 15/21-28

Eléments d’explication :

–    Jésus a quitté Jérusalem pour le territoire de Tyr et de Sidon en Syro-Phénicie (région située au nord de la Judée et limitrophe de la Galilée) : c’est un territoire païen. L’expression a une valeur plus théologique que purement géographique, elle sert avant tout à désigner les nations païennes.

–    Une « Cananéenne » vient voir Jésus : ici, l’appellation « cananéen » est utilisée pour désigner les habitants autochtones de la Syro-Phénicie. Le terme de Canaan n’est pas toujours utilisé pour désigner la même chose selon les périodes de l’histoire d’Israël : le terme a été notamment utilisé pour désigner la terre promise ; à l’époque de Jésus, il est utilisé pour désigner la Syro-Phénicie.

–    Cette femme est païenne, mais elle a manifestement entendu parler de Jésus et de manière suffisamment précise pour le désigner avec le titre de « Fils de David ».

–    « ma fille est tourmentée par un démon » : c’est la manière dont on désigne à l’époque la maladie (psychique en particulier). La médecine est très sommaire et la psychiatrie n’existe pas : les gens expliquent donc la maladie (surtout les maladies psychiques) par la possession démoniaque.

–    « Renvoie-la » (autre traduction possible : « fais-lui grâce ») : les disciples veulent se débarrasser de cette femme qui les suit en criant, quitte à ce que Jésus lui accorde ce qu’elle demande.

–    « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël » : trois interprétations de ce refus sont possibles.

1. Le refus de Jésus est pédagogique : il veut mettre à l’épreuve la « foi » de la femme (dans quelle mesure lui fait-elle confiance ? vient-elle vers lui comme vers n’importe quel autre guérisseur ?)

2. Le refus de Jésus est lié à la manière dont il comprend sa mission : il se considère comme envoyé avant tout à Israël, l’annonce de l’Évangile aux païens ne devant avoir lieu que dans un second temps (après la mort et la résurrection du Christ). D’autres passages de l’évangile de Matthieu soutiennent cette interprétation (8/5-13, 21/33-44, 28/16-20). Jésus sait que son temps est compté, il veut donc aller à l’essentiel : convertir et rassembler Israël, le rôle de ce nouvel Israël étant ensuite de porter l’Évangile aux quatre coins du monde. Le risque de cette attitude est de ne plus voir que l’objectif : mais Jésus se laisse interpeller et toucher, il sait se remettre en question, apprendre et évoluer. 

3. Le refus de Jésus est destiné aux disciples pour les préparer à la mission qui les attend un jour : comme tous les Juifs de leur temps, ils se tiennent à l’écart des païens (les méprisant parfois). Là, ils sont prêts à accorder un miracle à la femme pour de mauvaises raisons (avoir la paix !). Le refus puis l’acceptation de Jésus portent peut-être en creux le message : l’Évangile doit être annoncé à tout humain.

–    « brebis perdues d’Israël » : l’expression peut désigner soit Israël tout entier, soit les « pécheurs » en Israël.

–    Réaction de la femme : elle reconnaît la place particulière d’Israël dans l’accès au salut (façon de reconnaître que c’est la foi juive qui conduit au salut pas les religions païennes) et demande à en recevoir une part, même petite.

–    Jésus reconnaît sa foi et lui accorde ce qu’elle demande : il ouvre ainsi la porte à l’annonce de l’évangile aux païens (même si c’est encore dans des cas exceptionnels), cela préfigure ce qu’il commandera à ses disciples : aller dans le monde entier et faire, de tous les peuples, des disciples.

Attention : Il faut être prudent avec la notion de « peuple élu » : l’élection d’Israël n’est en aucun cas à comprendre comme une supériorité d’Israël sur les autres peuples. L’élection est une mise à part pour servir : Israël a pour rôle de témoigner en ce monde de l’amour de Dieu, d’être messager de Dieu et ce rôle est présenté dès l’Ancien Testament comme provisoire jusque la conversion des nations païennes.
La réponse de Jésus n’est pas condescendante ni basée sur un complexe de supériorité. Il faut avoir à l’esprit que Jésus sait que son temps est compté, il semble donc vouloir aller à l’essentiel : convertir et rassembler Israël, le rôle de ce nouvel Israël étant ensuite de porter l’Évangile aux quatre coins du monde.
Dans le même ordre d’idée : Jésus dit et révèle à ses disciples certaines choses qu’il cache aux foules qui viennent l’écouter. Ce n’est pas par mépris pour les foules, mais par souci de pédagogie : quand la révélation sera pleine et entière avec la mort et la résurrection de Jésus-Christ, les disciples auront les éléments et le temps nécessaires pour enseigner le peuple et convertir les nations.

À faire…. Quelques pistes…

Prière :

Aide-moi à me souvenir que tu aimes tous les humains. Apprends-moi à voir en chacun d’eux un frère ou une sœur que je dois respecter et secourir si nécessaire. Amen.

Chant :

Seigneur, tu cherches tes enfants (Arc-en-ciel 536 – Alléluia  36/22)

Animations :

–    Avant de raconter, on peut demander aux enfants s’ils pensent que Dieu veut s’adresser à tous les humains ou s’ils parlent plus à certains qu’à d’autres (on peut jouer l’avocat du diable : il doit parler plus aux hommes qu’aux femmes, puisque presque tous les prophètes sont des hommes…). On peut alors s’appuyer sur les doutes qui surgiront pour commencer l’histoire : Jésus aussi a eu des doutes, il pensait qu’il devait parler en priorité au peuple d’Israël, parce qu’il n’avait pas beaucoup de temps… mais alors qu’il était en territoire païen, il a rencontré une femme qui …

–    Bricolage : préparer un grand dessin d’une église (pourquoi pas l’église du village) ou une église en trois dimensions (en carton) et demander aux enfants de découper dans des revues des personnes de tous âges, de toutes couleurs… et de les coller sur l’église. Une fois recouverte de visages de toutes les couleurs, cette église dira bien que l’Eglise est constituée de gens différents car Dieu offre son amour à tous les hommes sans distinction.

 

 

 

 

 

 

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Espérer en Exil – Ésaïe 40,1-17

ID 1349  115  Si notre Dieu est bien ce que nous disons, alors il y a toutes les raisons d’espérer : il est puissant, il est fidèle, il est juste, il agit dans l’Histoire et intervient en faveur des siens. On ne peut pas dire cela, l’enseigner aux enfants de génération en génération, et refuser d’admettre que Dieu est à l’oeuvre quand l’Histoire des peuples bascule.

Comme pour le passage précédent, on remarque assez vite que notre texte n’est pas rédigé d’un seul jet, même si les articulations du texte ne sont pas soulignées. Le lecteur remarque que le ton et le sujet changent au verset 9, puis au verset 12, de façon assez abrupte. Mais l’ensemble garde une très grande cohérence, celle de la prédication du prophète qui annonce dans les15 chapitres qui débutent ici que le salut vient pour Israël, parce que son Dieu est maître de la création et de l’Histoire.
Réconfortez, réconfortez mon peuple : le mot hébreu vient d’une racine qui signifie respirer profondément. Il est donc question ici de rendre au peuple sa respiration, de lui donner du courage et de la force, sans pour autant ôter au terme toute nuance de tendresse. Par la suite, c’est toujours Dieu lui-même ou un de ses envoyés qui «réconfortent » (Ésaïe49,13 ;51,3.11 ;52,9). Leredoublementmarque une insistance affectueuse, mais est aussi le signe de la jubilation qui traverse toute la prédication du Second Ésaïe.
Dit votre Dieu : ces trois mots posent la question la plus délicate de tout le passage :qui parle ? Ce ne peut-être ni Dieu lui-même, ni un membre du peuple -et par conséquent pas non plus le prophète lui-même, puisque Dieu est présenté comme «votre Dieu». Dans la suite (versets 3 et 6), c’est «une voix» anonyme qui s’exprime. Il en est de même ici. L’opposition «mon peuple-votre Dieu» renvoie à la formule d’Alliance entre Dieu et son peuple.
Parlez au cœur : il ne faut jamais oublier que le cœur, dans l’Ancien Testament, est tout « l’intérieur de l’homme, le siège de son intelligence, de sa volonté, plutôt que celui des sentiments. Comme en Genèse 50,21 ; Il Samuel 19,7 ; Ruth 2,13, l’accent premier est donc dans le fait de rassurer, d’effacer la peur et de garantir l’avenir. Mais la note de tendresse, qui se retrouve en Genèse 34,3 ; Juges 19,3 ; Osée2,14 ; n’est pas absente ici.
De Jérusalem : Jérusalem personnifiée, c’est la communauté du peuple sans limites géographiques ou temporelles : les déportés, ceux qui sont restés, et leurs descendants.
Sa corvée est remplie : la corvée, c’est tout travail imposé. Il est dit clairement qu’Israël n’a pas subi un tort, ni «expié un péché», mais subi un châtiment qui est arrivé à son terme.
Deuxfois le prixde toutes ses fautes : cela ne veut pas dire que la peine a été trop lourde pour la faute commise. Le «double» est une norme juridique de remboursement (Exode 22,3.6.8 ; Zacharie 9,12 ; Job40,12 ; Deutéronome 15,18 ; Jérémie 16,18) qui inclut le tort commis, les frais,et les «dommages et intérêts». Donc, la peine est achevée, une nouvelle vie peut commencer, parce que les comptes sont réglés entre Dieu et son peuple.
Dans le désert : le mot désigne les lieux inhabités, mais où les nomades menaient paître leurs troupeaux. Il n’est pas envisagé de tracer une route rectiligne qui traverserait le désert entre Babylone et Jérusalem,mais de remettre en état la route habituelle par la Mésopotamie du Nord et la Syrie.
Un chemin pour le Seigneur : i1y a là une allusion aussi bien aux routes triomphales des rois de l’Antiquité qu’à la pratique des routes processionnelles, sur lesquelles les Babyloniens faisaient avancer les statues de leurs dieux. Mais l’allusion est pleine d’ironie, car maintenant, il s’agit d’une vraie route,qui franchit des kilomètres de désert et sur laquelle Dieu va conduire son peuple (et non l’inverse !). Pour les déportés,c’est bien plus fortement la route de l’Exode qui est évoquée : ce que Dieu a fait autrefois, il va le refaire. Une nouvelle fois, il va conduire son peuple au travers du désert.
Nivelez dans la steppe : les mots employés évoquent toute la fragilité des routes de l’Antiquité, surtout lorsqu’elles franchissent des zones inhabitées. Les vents de sable et les pluies les encombrent ou les défoncent, les rivières torrentielles qui suivent les orages les arrachent par endroits. Il est donc question ici de restaurer la route qui conduit de Babylone à Jérusalem, de la dégager de ce qui l’encombre, de la redresser,tant dans son tracé que dans son niveau.
Que tout vallon soit relevé : on passe de la réalité au merveilleux, c’est le relief lui-même qui doit être rectifié. Il ne s’agit pas pour autant d’une image morale ou religieuse qui appellerait le peuple à se défaire de ses fautes, mais de l’évocation de ce que Dieu veut pour son peuple. Car si une route est construite pour Dieu, c’est en définitive son peuple qui va la parcourir, c’est lui qui doit pouvoir passer le plus confortablement possible. Le merveilleux sert à exprimer jusqu’où Dieu veut aller pour faire le salut de son peuple.
La gloire du Seigneur sera dévoilée : le mot hébreu traduit par gloire implique à l’origine le poids, la pesanteur. Certains textes en font quelque chose de lumineux (Ézéchiel, 1,27-28 ; Exode 16,7-10 ; 24,16-17). Mais chez le Second Ésaïe, la gloire désigne l’être même de Dieu qui se manifeste par des actes imposants (42,8.12 ; 58,11 ; 43,7). La majesté de Dieu, son poids dans l’Histoire des hommes, vont être manifestés par un événement concret, le retour des exilés.
Et tous les êtres de chair : l’hébreu dit plus simplement « toute chair » désignant ainsi les créatures vivantes (Genèse 6,12-13) qui vont découvrir la majesté de Dieu au travers de ce qu’il fait pour son peuple. Il y a dans cette annonce quelque chose qui dit que tous les doutes, toutes les moqueries qui se sont manifestés après la destruction de Jérusalem vont être balayés, renversés dans la reconnaissance du Dieu qui agit avec puissance. Dans les versets 4 et 5 deux thèmes sont étroitement entremêlés : – l’annonce du retour du peuple -mais aussi la révélation de Dieu (Théophanie) qui se manifeste personnellement, comme il l’a fait au Sinaï ! (Ex.19 et 20) et pendant la sortie d’Égypte. Ainsi, bien au-delà d’une délivrance de l’Exil, ce qui est annoncé, c’est la venue de Dieu dans l’Histoire des hommes, sa manifestation et sa révélation aux yeux de tous les peuples.
Verront que la bouche du Seigneur a parlé : cette formule on ne peut plus étonnante authentifie le discours de « la voix » : les faits vont confirmer que l’annonce de salut pour Israël n’est pas le fait d’un rêveur qui prend ses désirs pour la réalité, mais l’expression de la volonté de Dieu.
Une voix dit – l’autre dit : il faut sans doute traduire ici plutôt par «et je dis», c’est-à-dire que celui qui répond est le prophète lui-même, appelé à proclamer la décision de salut dont il vient de prendre connaissance. En tout cas, les versets 6-8 contiennent un dialogue, mais il n’est pas facile de rendre à chaque interlocuteur sa part de la conversation. Je vous propose le découpage suivant :
– une voix dit : «proclame»
– et je dis «Que proclamerai-je ?» Toute chair est comme l’herbe, et toute sa consistance est comme la fleur des champs : l’herbe sèche, la fleur se fane, quand le souffle du Seigneur vient sur elle en rafales.
– l’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours.
La ligne «oui, la multitude humaine, c’est de l’herbe» est une note marginale d’un lecteur qui a été introduite dans le texte par le copiste.
Que proclamerai-je : le prophète reçoit l’ordre d’annoncer ce qu’il a entendu, élève une objection, dans le même esprit que Moïse en Exode 3,11,13 ; 4,1 ; 10.13 ou Jérémie en Jérémie 1,6. Bien sûr, son recul n’est pas aussi vif que celui de ses prédécesseurs. Mais à la parole de salut qu’il est chargé d’annoncer, il oppose la remarque désabusée des exilés : que dire encore ? Tout n’est-il pas fini ?
Toute chair est comme l’herbe : le thème de la fragilité de la fleur (Ps 90,5-6 ; 37,2 ; 103,15-16 ; 129,6 ; Job 8,11-12  et 14,1-2. Il ne s’agit pas nécessairement d’une plainte, mais plutôt d’un constat un peu amer de la fragilité de l’homme qui «n’est rien et ne dure pas», de sorte que le temps passe et l’homme disparaît. Et avec lui ses souvenirs et ses souhaits. Près d’un siècle après la catastrophe de 587, l’image exprime bien la situation de la communauté juive installée dans l’Exil. L’espoir d’un retour et d’un rétablissement s’éteint avec les survivants, et ceux qui sont nés en déportation y sont comme installés avec, sans doute, une fidélité nouvelle en ce qui concerne les pratiques religieuses,mais aussi une résignation sans borne quant à la situation générale : l’Histoire ne revient pas en arrière.
Et toute sa consistance : certaines traductions lisent ici le mot «fidélité» selon le sens habituel du mot en hébreu. Mais il signifie aussi «force, vitalité», comme par exemple au Psaume 59,10-11, 17, 18. Et c’est bien le sens ici, où tout l’accent est mis sur la fragilité et le caractère passager de tout ce qui est vivant.
Quand le souffle du Seigneur vient sur elles en rafales : le mot traduit par souffle désigne aussi bien le vent que l’esprit. L’aspect «vents renvoie à la réalité des vents chauds qui dessèchent les terres cultivées et les herbages. Mais ce souffle est celui du Seigneur qui maîtrise la nature et l’Histoire, qui fait vivre et qui fait mourir, Le souffle brûlant de la colère de Dieu est passé sur son peuple, et il n’en reste rien,
Mais la parole de notre Dieu subsistera toujours : là encore les traductions ont du mal à rendre l’original qui dit que «la parole de Dieu se lève pour toujours» et est donc plus dynamique que le français «subsistera». La «voix» reprend les mots du prophète pour accentuer le contraste : il est normal que l’herbe sèche, il est tout à fait naturel que la fleur se fane, mais cela ne change rien à la puissance et à la force vivante de la parole de Dieu, qui se constitue et s’accomplit envers et contre tout. Évidemment, ce n’est pas cela que le prophète doit proclamer, mais la décision de salut de Dieu. C’est cette parole-là qui se lève et qui va s’accomplir, quelles que soient les apparences. Mais il faut aussi que le prophète soit arraché au pessimisme du peuple dont il fait partie. Sans doute faut-il comprendre aussi que le prophète déplace la signification même la formule de lamentation : à ceux qui disent, dans leur prière, «toute chair est comme l’herbe», il répond : donc Babylone et sa puissance aussi sont vouées à faner et à périr, Ce décalage est là d’autant plus parlant que la fleur sert, dans le symbolisme des sculptures de l’Antiquité à représenter le pouvoir royal. Le sarcophage d’un roi de Byblos représente par exemple le roi mort une fleur fanée à la main, son fils qui lui succède, avec une fleur droite sur sa tige. Cela nous invite à faire attention à deux phénomènes, auxquels nous ne pensons pas toujours en lisant nos Bibles :
– il y a des images qui renvoient aux représentations traditionnelles dans le Moyen-Orient Ancien, telles que l’archéologie les révèle en mettant à jour des statues et des sculptures anciennes. Les auditeurs des prophètes connaissaient ces statues, et la parole des prophètes, en les évoquant, prenait un sens immédiatement clair. Alors que nous, qui vivons dans un monde différent, nous ne pouvons les comprendre qu’après avoir fait connaissance avec le monde dans lequel vivaient les auteurs de la Bible.
– les formules liturgiques peuvent changer de sens. Le message prophétique naît ici de la lamentation liturgique «retournée». C’est un peu comme si le prophète disait : ce que vous dites dans vos prières, si vous y croyez vraiment, si vous le prenez au sérieux, est porteur d’espérance. Le prophète n’est donc pas toujours quelqu’un «qui a des visions», puisque sa prophétie peut surgir du culte lui-même.
Sion, joyeuse messagère : à propos de Sion, voir ce qui a été dit dans les notes sur le Psaume 137. C’est ici la population de la ville qui est invitée à participer à la proclamation de la délivrance.
Le prophète s’adresse à la ville sainte et lui demande de faire écho à sa prédication, de proclamer autour d’elle sa prochaine délivrance. Il n’est pas possible de dire s’il s’agit d’une simple figure de style, ou si le prophète a réellement fait transmettre sa prédication «au pays». Ce qui est certain, c’est que tous les moyens doivent être mis en œuvre pour faire connaître que la délivrance approche : monter sur la montagne, d’où la voix porte plus loin, crier le plus fort possible, et crier de joie, parce que la délivrance attendue est proche. On sent bien ici qu’il s’agit d’une annonce à court terme, pleine d’impatience et de jubilation, toute différente de l’espérance difficile, bien que tout aussi forte, que nous avons rencontrée en Ézéchiel 34.
Voici votre Dieu : ce que Sion doit proclamer prend la forme d’un communiqué de victoire :Dieu revient triomphant vers sa ville, après une bataille gagnée. Ézéchiel avait annoncé (Éz. 10,18-22 ; 11,22-25) que Dieu quittait le Temple et la ville, le Second Ésaïe proclame son retour. Le retour de Dieu est la joie de Jérusalem.
Avec vigueur… Et son bras… : les mots et les images sont employés fréquemment dans le contexte de l’Exode : Deutéronome 4,34 : 5,15 ; 7,19 ; 11,2 ; 26,8 ; Psaume 136,12 etc… Le prophète introduit des variations, mais l’idée est la même:comme autrefois, Dieu manifeste sa puissance en faveur de son peuple, il intervient dans les guerres des hommes et donne la victoire.
Son salaire…sa récompense : ces termes sont encore des allusions guerrières. Le vainqueur emmène son butin. Le texte glisse ensuite à l’image du berger, car le butin de Dieu, c’est son peuple. Et le peuple est la récompense de Dieu pour tous les efforts qu’il fournit en faveur du peuple.
II porte sur son sein les agnelets… : on retrouve ici l’image du berger d’Israël, avec des traits qui rappellent Ézéchiel 34 : le berger prend particulièrement soin des animaux fragiles. Il porte dans la poche ventrale de son habit les agneaux que la longue marche fatigue, veille sur les mères qui ont besoin de trouver du repos et de l’eau. Et le communiqué de victoire aux accents guerriers s’achève sur une image de tendresse et de paix.
Qui a jaugé dans sa paume les eaux de la mer : ici commence une polémique. Elle s’adresse à ceux qui prennent les annonces de délivrance du prophète pour des illusions sans fondement. À ceux-là, le Second Esaïe ne demande pas d’observer la situation militaire et politique. Il sait bien que si les Perses sont vainqueurs de Babylone, les petits peuples n’en restent pas moins soumis aux «grands». Mais l’espérance de salut se fonde tout entière dans la découverte de ce qu’est Dieu. Pour amener ses auditeurs à cette découverte, il les martèle de questions, à la manière de Job 38.
La question n’est pas «quelle est la mesure de la mer ?» Après tout, les scientifiques actuels pourraient donner un chiffre très approchant. Mais la question est bien «qui a mesuré dans sa propre main» ? De même, les autres mesures demandées : l’empan est la longueur du pouce au petit doigt écartés. Le boisseau fait allusion à une mesure qui approcherait 4,4 litres.
Et la réponse est évidemment «personne», pour toutes les questions. Il ne s’agit pas de donner une idée du gigantisme de Dieu, mais de faire prendre conscience aux hommes de leur incapacité à évaluer la mesure du pouvoir de Dieu.
La mer…, les cieux…, la terre : on retrouve dans ce verset l’allusion à la Création (Genèse 1). Les croyants qui refusent l’espérance ont-ils pris conscience de ce que signifie «notre Dieu est le créateur» ?
Mais à côté de cette évocation de la Création, le verset12 comporte une polémique très précise. Dans la religion babylonienne, c’est Marduk, le grand dieu de Babylone qui mesure et pèse la création -et les mots employés sont pratiquement les mêmes que ceux du prophète. Saut que, pour le Dieu d’Israël, ces opérations de mesure sont infiniment plus faciles qu’elles ne le sont pour Marduk dans les textes babyloniens.
On voit comment le prophète, pour faire recevoir et reconnaître son message d’espérance, est amené aussi à parler de Dieu dans sa grandeur et sa supériorité -pour l’instant contredite par les faits sur tous les dieux babyloniens.
Qui a toisé l’esprit du Seigneur : la question est la même que la précédente. mais rapportée à la pensée de Dieu : qui peutlaconnaître ?
Et lui a indiqué l’homme de son dessein : cette ligne pose des problèmes de traduction. Celle qui est ici donnée par la Traduction Œcuménique de la Bible est très probable, mais il vaudrait mieux encore dire : l’homme de son décret. Au lieu d’énoncer des généralités (quel est l’homme qui connaît les pensées de Dieu, ou qui peut lui donner des conseils) le prophète fait alors un discours très précis. D’une part, «l’homme de son décret» désigne Cyrus. Personne n’a suggéré à Dieu d’utiliser Cyrus. Il en a décidé (décrété) ainsi dans sa toute puissance et sa volonté de sauver son peuple. D’autre part, l’expression est polémique. Selon les religions babyloniennes, les dieux décidaient au moment du Nouvel An du destin de chaque homme durant l’année à venir, et plus rien ne pouvait modifier ce décret. Le prophète, lui, affirme que c’est le Dieu d’Israël qui décrète librement, seul, et qui change l’Histoire des peuples comme il veut et quand il veut.
Jugement, science, chemin de l’intelligence : les mots ne sont pas tout à fait synonymes, ils indiquent une progression de la pensée : d’abord le discernement des choses et des réalités, puis la volonté et la décision d’ordonner, enfin les moyens de réaliser cette volonté. De toutes ces phases de la pensée de Dieu, l’homme est complètement exclu. Comment peut-il prétendre connaître les intentions de Dieu ? Avec ces questions, le prophète a glissé de la Création à l’Histoire.
Voici que les nations sont comme une goutte tombant du seau : il faut penser au seau en cuir qui sert à puiser l’eau du puits. Il reste toujours quelques gouttes accrochées à l’extérieur et qui se perdent. C’est normal,et sans importance. Les nations ne comptent pas plus que cela devant Dieu qui les contrôle et les dirige comme il veut et sans plus de difficulté.
Comme une poussière sur la balance : le mot traduit par «poussière» désigne ailleurs la buée des nuages (Exode30,36 ; Job 14,19). Là encore, on peut imaginer que nos balances de pharmaciens pourraient faire la pesée. Mais les balances des marchés orientaux il y a 25 siècles ?
Les îles : notre prophète aime bien ce mot qu’il reprend souvent. Il évoque sans doute pour lui les îles lointaines de la Méditerranée, aux limites du monde. Et justement, même les extrémités du monde sont sous le regard de Dieu, rien ne lui échappe.
Le Liban ne suffirait pas… : ce verset est probablement un ajout qui commente l’exposé sur la grandeur de Dieu qui vient d’être fait : la montagne libanaise transformée en autel. Ses forêts réputées, utilisées comme bois et ses animaux comme sacrifices, sont insuffisants pour honorer Dieu. Il s’agit d’une image qui est assez indifférente aux questions de pureté rituelle qui excluent les animaux sauvages des sacrifices.
Toutes les nations sont comme rien devant lui : pour dire ce rien, le prophète emploie le mot qui, en Genése 1,2 désigne l’inconsistance du monde avant la Création. Ce verset ne signifie pas que les nations ne sont rien. Le prophète et ses auditeurs juifs exilés ne savaient que trop de quel poids pèsent les nations. Mais elles ne sont rien en face de Dieu. Elles n’ont pas de pouvoir devant lui… Elles ne sont que des éléments de la Création, auxquels Dieu fixe leur petite place dans l’Histoire qu’il conduit. Les trois parties de notre passage s’enchaînent donc ainsi :
– versets 1 à 8 : une sorte de récit de vocation du prophète
-versets 9 à 11 : une prédication du prophète qui témoigne de l’accomplissement de sa mission, et qui prolonge le mouvement de la première partie : l’annonce du salut voulu par Dieu fait un pas de plus.
– versets 12 à 17- réponse du prophète à ceux qui ne veulent pas recevoir son message d’espérance. La première partie se présente comme une cascade d’ordres énoncés par des «voix».Aux versets 1et 2, quelqu’un rend compte de la décision de Dieu : la peine de son peuple est accomplie, le moment est venu de le consoler et de lui apporter la délivrance. En 3-5, une autre voix tire les conséquences pratiques de la décision de Dieu : la route du retour doit être déblayée et aménagée.
– En 6-8 enfin, le prophète, qui a entendu de loin les voix précédentes, est appelé à faire connaître ce qu’il a entendu, et, ayant exprimé son scepticisme, reçoit l’assurance qu’il s’agit bien de la parole de Dieu et qu’elle s’accomplira.
Cette succession d’ordres fait penser à une transmission hiérarchique des décisions dans une cour royale : le conseiller qui est proche du roi fait connaître au reste de la cour là décision souveraine. Puis les ministres et les officiers supérieurs donnent à leurs subordonnés des décrets d’application. Enfin, des messagers sont chargés de transmettre les ordres à ceux qui sont concernés par leur mise en œuvre c’est sur ce processus que sont construits les versets 1-8
Au travers de cette présentation, le Dieu d’Israël apparaît comme un Grand Roi babylonien, plein de puissance : il décide, et tout se plie à sa volonté. Mais cette cour qui entoure Dieu marque aussi la distance qui le sépare des hommes. Le prophète anonyme ne rencontre pas Dieu directement comme Moïse (Exode3), Ésaïe (chapitre 6) Jérémie (chapitre1), ni même comme Ézéchiel (chapitres 1-2). Une distance s’introduite entre Dieu et son peuple, du fait même de l’Exil, mais aussi par l’affirmation de la souveraineté de Dieu sur tous les peuples.
Par contre, les voix que le prophète entend de loin restent totalement anonymes, même SI la présentation de Dieu sous l’aspect d’un roi oriental implique en soi l’existence d’une cour céleste (voir Job 1), le Second Ésaïe ne veut pas mentionner d’anges, ni d’êtres divins à côté de Dieu Car le Seigneur d’Israël est unique, comme nous l’avons vu en Es.45,5-7. On voit donc ici avec quel soin les auteurs de la Bible manient les images, ne retenant d’elles que ce qui correspond à leur propos.
Même si l’annonce de la délivrance éclate dans ce texte et recouvre tout de son allégresse, le passé n’est pas oublié. L’énoncé des versets 1-2 implique une compréhension de la destruction de Jérusalem et de l’Exil : le peuple a subi une punition qui lui a été infligée de manière tout à fait juste par Dieu. Il n’est même pas question de pardon ou de grâce : la peine a été purgée jusqu’au bout. Pour le prophète, Dieu ne peut être tenu pour responsable du malheur du peuple. Dieu est juste et il est fidèle à ses promesses, cette certitude est essentielle pour qui veut encore espérer en Exil,comme est essentielle la conviction que Dieu est unique et tout puissant.
Une puissance triomphale qui s’exprime dans les versets 9-11 sous la forme d’un communiqué de victoire : Dieu a remporté la bataille. Vainqueur et couvert de butin, il revient vers sa capitale et déjà des messagers l’annoncent au pays. Cette image prolonge sans doute celle de la cour royale. Mais les évocations de l’Exode qui parsèment ces versets rappellent aussi que ce Dieu guerrier est bien celui d’Israël, celui qui l’a fait sortir d’Égypte et lui a donné une existence.
Et la reprise du thème du berger indique sans hésitation possible que ce Dieu puissant qui écrase ses adversaires est aussi un Dieu bon, plein d’attention et de prévenance pour les plus faibles.
Enfin, la troisième partie, versets 12-17, vient exprimer sur quoi se fonde l’espérance du salut. Il est certain que les progrès militaires de Cyrus et des Perses ont eu une influence sur la prédication du Second Ésaïe : toute l’urgence joyeuse de sa prédication tient au fait que les réalités immédiates attestent qu’un changement rapide va se produire dans le sort des exilés. Mais si les circonstances donnent le ton, elles ne fondent pas la prédication d’espérance.
Bon nombre d’exilés refusaient, semble-t-il, l’idée qu’il y ait quoique se soit de bon à attendre des événements en cours.
Ce qui fonde l’espérance, c’est la foi d’Israël. Ce n’est pas tout à fait par hasard que le prophète s’adresse à ses contradicteurs sceptiques en les martelant de questions. Car toutes ces questions pourraient se résumer en une seule : ce que nous avons dit pendant des siècles à propos de notre Dieu, ce que nous chantons dans nos psaumes (par exemple, aux Psaumes 2 ; 8 ; 14 ; 18 ; 20 ; 65 ; 66 ; 68 etc…), est-ce la vérité de notre foi ou du vent ?
Si notre Dieu est bien ce que nous disons, alors il y a toutes les raisons d’espérer : il est puissant, il est fidèle, il est juste, il agit dans l’Histoire et intervient en faveur des siens. On ne peut pas dire cela, l’enseigner aux enfants de génération en génération, et refuser d’admettre que Dieu est à l’oeuvre quand l’Histoire des peuples bascule. L’espérance des exilés, c’est une foi qui cesse d’être théorique et formelle, et qui sait lire la présence de son Dieu dans la réalité présente.

Espérer en Exil – Ésaïe 44,24 à 45,7

ID 1348 Cyrus
ID 1348 Cyrus 

Cette péricope du livre d’Ésaïe est un des sommets de la prédication du Second  Ésaïe. Les exilés ne voient dans la progression des armées de Cyrus que l’annonce d’un prochain changement de maître qui n’apportera rien de bon. Le prophète annonce, lui, que Cyrus est celui que Dieu envoie pour sauver son peuple. Parce que Dieu est le Seigneur de l’Histoire et de la Création, même un roi païen qui l’ignore peut devenir son serviteur, le berger que Dieu donne à son peuple. 

Pour visualiser l’ensemble du parcours « Espérer en Exil » cliquer ici.

Comme l’indique la formule d’introduction « Ainsi parle le Seigneur » en 44,24 et 45,1, ce passage réunit deux oracles distincts (44,24-28 d’une part, 45,1-7 de l’autre), qui ont été réunis par la suite, parce qu’ils avaient le même thème. Ce thème commun, ils le développent pourtant avec des arguments assez différents et qui se complètent.

Le Seigneur qui te rachète : le rachat est une pratique juridique qui permet d’éviter l’aliénation définitive d’un bien de famille, mais aussi d’obtenir la libération des Israélites qui sont devenus esclaves d’un autre membre du peuple (voir Lévitique 25,25-55). Celui qui rachète est en général le parent le plus proche. Le Second Ésaïe fait de la notion de « racheteur » un attribut de Dieu qui libère son peuple de sa misère politique et sociale. Ici l’idée de rachat est mise en parallèle avec celle de la création du peuple, ce qui renvoie à l’Exode où Dieu crée son peuple en le libérant de l’esclavage.

Qui t’a formé dès le sein maternel : en Ésaïe 44,2.24 on retrouve la même notion : le Seigneur est celui qui a créé Israël, qui lui a donné la vie. Cette image est de toute évidence l’expression d’une grande intimité entre Dieu et son peuple (voir aussi Psaume 22,10 ; 139,13 ; Jérémie 1,5). Dieu a donné la vie au peuple.

Ces deux propositions relatives « qui te rachète »… « qui t’a formé » indiquent que Dieu s’adresse ici à son peuple, et qu’il s’adresse à lui comme celui qui ne peut que vouloir son salut.

C’est moi le Seigneur : l’ensemble de ce qui suit est une auto-présentation de Dieu. C’est une forme assez fréquente dans les religions polythéistes de Mésopotamie où, chaque dieu, se met ainsi en valeur par rapport aux autres divinités. Il est assez surprenant de voir le Dieu d’Israël s’exprimer à la manière des divinités païennes. Mais c’est aussi une polémique pleine d’ironie contre les cultes païens.

En effet, le Seigneur est celui qui fait tout et n’a besoin de personne. Les autres dieux ne sont rien. La construction du texte hébreu est impossible à rendre en français lisible : tous les verbes qui suivent sont des participes verbaux utilisés comme des noms apposés au nom propre de Dieu. Ce qui donnerait : MOI, JE SUIS YHWH, LE FAISANT TOUT, LE TENDANT LES CIEUX….etc.

Cette formulation dit deux choses qui n’apparaissent plus dans les traductions :

– les actes du Seigneur sont intemporels et continus, ils ne relèvent pas du passé, du présent ou de l’avenir ;

– toute l’énumération des œuvres de Dieu qui est faite ici va de soi, dès lors que l’homme reconnait qu’il est devant le Dieu vivant d’Israël.

Qui fait tout : « tout » est rarement utilisé seul et de manière absolue. Ce tout n’est donc pas « tout l’univers », mais tout ce qui est énuméré ensuite.

J’ai tendu les cieux / j’ai étalé la terre : c’est, comme en Genèse 1,1 et Ésaïe 42,5, l’affirmation que Dieu est le créateur de l’ensemble de ce qui existe, désigné par les deux extrêmes, cieux et terre.

Moi tout seul /qui m’assistait ? l’affirmation comme la question insistent sur le fait que Dieu agit seul. Le Seigneur est unique, il n’a pas besoin d’aide. Il n’y a pas de dieu à côté de lui.

Je neutralise les signes des augures : les Babyloniens pratiquaient abondamment la divination. On lisait l’avenir dans les entrailles des animaux (particulièrement dans le foie), dans la fumée de l’encens, dans l’huile, au moyen de flèches tirées en l’air, par l’astrologie, les sorts et l’interprétation des rêves. Tout cela exigeait des professionnels qui avaient de solides connaissances des choses de la nature, d’où leur appellation de « sages ».

Mais le Seigneur est celui qui brise les signes, annule les divinations et…

Renverse les sages en arrière : l’hébreu dit exactement « fait revenir les sages en arrière ». En effet, tous les devins babyloniens ont la prétention de pénétrer l’avenir et de diriger les conduites des hommes. Mais le Seigneur les ramène à la réalité, fait passer leur savoir et leur science pour folie, car ce qu’ils annoncent ne se réalise pas.

II faut savoir que les oracles des devins babyloniens qui ont été retrouvés par l’archéologie annoncent tous la victoire et le triomphe final, même lorsqu’ils entrevoient des difficultés momentanées. Ce qui est dit ici, c’est bien que celui qui tient l’avenir entre ses mains, c’est le Dieu d’Israël, et tous les prophètes babyloniens n’y feront rien.

Je donne pleine valeur à la parole de mon messager : car ceux que le Dieu d’Israël charge de sa parole sont porteurs de sa volonté. Ils savent comment agit celui qui fait tout. C’est pourquoi cette parole s’accomplit et se réalise à travers l’Histoire des hommes.

Il s’agit là d’une affirmation de portée générale, qui porte surtout sur le développement de l’Histoire et non seulement sur des faits particuliers.

Je dis pour Jérusalem « qu’elle soit habitée » : des affirmations générales, le discours passe aux réalités du moment. Jérusalem est l’objet de toute la nostalgie, de tous les regrets et de tous les espoirs des exilés. Et Dieu annonce qu’elle sera habitée, c’est-à-dire rebâtie et rétablie dans ses droits de cité indépendante. Elle et les petites villes qui l’entourent, parce que Dieu a décidé de reconstruire le pays de son peuple.

Je dis à la haute mer « sois dévastée » : ce verset englobe un ensemble de significations imbriquées les unes dans les autres. Il y a d’abord une allusion à la Création présentée comme une victoire de Dieu sur la mer, qui est symbole de mort (voir Genèse 1,6-10 ; Job 38,8-11) et une annonce de la maîtrise absolue de Dieu sur la nature. Il y a sans doute aussi une allusion au miracle de la mer (Exode 15,5 ; 21). Et une implication immédiate : la puissance de mort, Babylone, pays de canaux et d’eau, qui a submergé Israël, est maîtrisée par Dieu qui va sauver son peuple.

Je dis de Cyrus « c’est mon berger » : Nous avons vu à propos du Psaume 80 et d’Ézéchiel 34 les significations de l’image du berger. L’étonnant dans ce passage, c’est que Dieu présente Cyrus, le païen, comme le berger de son peuple. Cela ne fait sans doute pas de Cyrus le roi de Jérusalem, tel que l’annonçait Ézéchiel 34. L’accent porte ici sans doute sur la relation de dépendance qui unit le berger au propriétaire : Dieu donne à Cyrus des instructions générales. Et Cyrus va les accomplir, apportant ainsi le salut à Jérusalem. Cyrus n’est pas le Seigneur d’Israël, il est le chef qui va réaliser la volonté de Dieu.

Ainsi parle le Seigneur à son messie : ici commence le deuxième oracle. Il est adressé à Cyrus. On peut se demander comment cette parole pouvait parvenir à Cyrus. Le Second Ésaïe n’était pas un proche de Cyrus, et ce sont plutôt les exilés qui ont entendu d’abord cette parole. Mais d’une part, ce sont bien les exilés qui sont indirectement visés, et d’autre part, rien n’empêche que Cyrus ait, en fin de compte, reçu connaissance de cette prédication du prophète.

L’extraordinaire, c’est l’emploi du mot « messie » pour désigner un étranger. Le terme sert à désigner celui qui a reçu l’onction royale, le roi d’Israël (voir Psaume 2,6 ; 18,51) et, plus tard, le grand-prêtre (Lévitique 4,3), mais jamais, dans l’Ancien Testament, le roi idéal de la fin des temps. En fait, comme la fin de la royauté de David laisse le titre vacant et que celui-ci a déjà servi dans un sens symbolique (1 Rois 19-15), le prophète utilise le terme pour désigner celui qui accomplit la volonté de Dieu, celui que le Dieu d’Israël charge d’une mission de salut et à qui il donne l’autorité, le pouvoir et les moyens d’accomplir cette mission. Comme Nabuchodonosor (Jèrémie 25,9 ; 27,6), Cyrus est l’outil de Dieu.

Pour déboucler la ceinture des rois : la suite du texte illustre le soutien que le Seigneur apporte à Cyrus. Comme la ceinture servait à accrocher l’armement (glaives, flèches…), le fait de déboucler la ceinture est un geste de désarmement, comme le fait de mettre le ceinturon indique que c’est Dieu qui arme Cyrus (verset 45/5).

Les terrains bosselés : le mot hébreu est très difficile à interpréter, mais il se pourrait bien qu’il s’agisse d’un emprunt à une langue mésopotamienne, auquel cas ce sont les murs des fortifications de Babylone qui seraient mentionnés, ce qui est plus que probable dans ces versets qui parlent aussi des portes.

Les murailles de Babylone étaient imposantes : sur un pourtour de 8 kilomètres, agrandi ensuite à 18km, deux murailles épaisses de 6,5m, séparées par une largeur de 7,2 m. Tous les 20m environ, une tour. Et une centaine de portes en bronze.

Toutes ces fortifications impressionnantes ne serviront à rien, parce que Dieu les détruit devant Cyrus. En réalité, les murailles ne seront pas détruites, parce que Cyrus va pénétrer sans combattre dans la ville. Ceci indique que le prophète a bien annoncé la victoire de Cyrus avant qu’elle ait lieu. Cette victoire est venue.

Je te donnerai les trésors déposés dans les Ténèbres : Babylone, qui s’est emparée des richesses des peuples vaincus, est réputée pour ses trésors (Jérémie 51,13 ; Habaquq 2,6-8). Ces trésors vont passer au vainqueur de Babylone : Cyrus.

Ainsi tu sauras que c’est moi le Seigneur : tout ce que Dieu fait pour Cyrus vise à ce que Cyrus le reconnaisse comme le Seigneur de l’Histoire. Une des difficultés de ce passage est précisément que Cyrus n’a pas reconnu le Dieu d’Israël comme son Dieu. Ainsi il apparaît que d’une certaine manière la réalisation reste en-deçà des espérances du prophète. D’un autre côté, la décision de reconstruction du Temple implique, de la part de Cyrus, la reconnaissance du Dieu d’Israël comme l’un des dieux adorés dans son empire.

Qui t’appelle par ton nom : la formule vient des relations entre le Grand Roi et ses vassaux. Appeler quelqu’un par son nom, c’est le mettre à son service, souvent en lui donnant un nom nouveau (Voir II Rois 24,17).

À cause de mon serviteur Jacob : tout le travail de Dieu en faveur de Cyrus, toute l’intervention de Dieu dans l’Histoire n’a qu’un but : Israël. Cyrus est élu, favorisé, choisi comme « messie », pour Israël.

Sans que tu me connaisses : à ceux qui, parmi les exilés, ne peuvent admettre que Cyrus puisse être un envoyé de Dieu, le sauveur du peuple, le Second Ésaïe dit : ce n’est pas parce que Cyrus ne connaît pas Dieu que Dieu ne peut pas se servir de lui.

C’est moi le Seigneur, il n’y en a pas d’autre : cette affirmation martelée à la fin de l’oracle est la justification des affirmations précédentes : Cyrus ne peut être que le serviteur de Dieu, parce qu’il n’y a pas d’autre Dieu. Cette affirmation de foi, qui nous semble peut-être naturelle, ne l’était pas du tout en ce temps-là. Même en Israël on avait tendance à admettre que chaque peuple avait son ou ses dieux. Mais l’espérance d’un salut pour Israël vient de cette certitude que le Dieu d’Israël est unique et qu’il tient le monde et son Histoire dans ses mains.

Levant-couchant, Lumière-ténèbres, Bonheur-Malheur : trois formules de totalité pour exprimer l’absolu pouvoir du Dieu d’Israël, et surtout le caractère unique de Dieu. Il est possible que ces formules fassent allusion à un certain dualisme qui oppose le dieu du bien au dieu du mal. Il est certain en tout cas que les deux premières paires expriment à nouveau la domination du Dieu créateur (voir Genèse 1).

Ces deux oracles se situent peu de temps avant la défaite babylonienne. Le prophète, qui avait déjà fait allusion à Cyrus, mais sans le nommer (40,13 ; 41,1-5 ; 41,25-42,9), dévoile maintenant le nom du serviteur de Dieu qui va sauver Israël.

Or, il n’était pas évident pour les exilés que Cyrus et ses victoires soient autre chose pour eux que l’annonce d’un changement de maître, dont il n’y avait rien à espérer.

La prédication du Second Ésaïe dans ces deux oracles est un appel à la foi d’Israël : quand on dit que Dieu est le créateur, quand on rappelle dans les psaumes que Dieu est le maître de l’Histoire, alors il faut lire dans les événements la présence et l’action de Dieu, le témoignage de la fidélité de Dieu envers son peuple.

Ainsi, l’espérance proclamée par le prophète anonyme n’est pas fondée d’abord sur les événements que tout un chacun peut connaître. Elle repose sur la foi de tout un peuple, sur la conviction que Dieu intervient dans l’Histoire des hommes en faveur du peuple qu’il a créé et qu’il fait vivre.

En proclamant que Cyrus est l’outil de Dieu pour le salut de son peuple, le prophète est amené à proclamer que le Dieu d’Israël est aussi le Seigneur de tous les peuples, qu’il maîtrise et fait vivre toute la Création, que rien ne se passe en dehors de sa volonté. C’est probablement la proclamation la plus nouvelle et la plus forte du Second Ésaïe.

Mais le lecteur moderne doit veiller à ne pas scléroser cette proclamation de foi vivante en dogme, en formule de catéchisme toute faite. Le Dieu qui fait tout est un Dieu vivant, actif, puissant. Le Dieu tout-puissant, omniscient, omniprésent… etc. est un Dieu théorique qui pose toutes sortes de problèmes théoriques, et notamment à propos du mal et de la souffrance. Le Dieu de la Bible est le maître de l’Histoire, il tient entre les mains le bonheur et le malheur des peuples, mais sa volonté durable et fidèle est une volonté de salut et de paix.

 

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Connu aujourd’hui sous le nom de cylindre de Cyrus, ce document antique est maintenant identifié comme la première Déclaration des droits de l’Homme dans le monde. Il est traduit en chacune des six langues officielles de l’ONU et ses clauses sont analogues aux quatre premiers articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

 

 

 

 

La figure de l’étranger ou du migrant dans la Bible

ID 1344 115
ID 1344 115 

En guise d’introduction à ce vaste sujet, disons que la figure de l’étranger ou du migrant présente différents visages dans la Bible et que le regard porté sur cette personne ou ce statut est lui aussi pluriel.

Ce thème, on le sait bien, n’a pas été abordé dans les Écritures de l’extérieur : la « conscience d’une migrance originelle » , elle-même suivie d’autres migrations, a beaucoup joué sur l’approche de cette question en Israël.

Une fois planté le décor du monde, l’histoire biblique nous parle en effet du séjour inaugural des patriarches en Canaan, de la migration « aller » de soixante-dix « réfugiés économiques »  en Égypte, du temps de l’esclavage, de la migration « retour » d’un grand nombre (l’exode), de la conquête et du partage du territoire, enfin de l’expérience de l’exil.

C’est de cette longue mémoire de migrations, volontaires ou forcées, que sont issus les textes législatifs fixant le statut de l’étranger ou de l’émigré en Israël. Le peuple qui a légiféré est un peuple qui confesse : « Mon père était un araméen errant, descendu en Égypte pour y séjourner en immigré » (Dt 26,5).

À la charnière du temps, « l’événement Jésus de Nazareth » a fait éclater ces notions d’étranger et de migrant pour leur donner une dimension nouvelle.

Mais revenons au commencement. Il est frappant de constater que les premiers chapitres du livre de la Genèse nous présentent deux figures opposées du migrant. Il y a tout d’abord le « migrant meurtrier, maudit du sol », Caïn : « Tu seras errant et vagabond », dit Dieu en réaction au meurtre d’Abel ; et Caïn de répéter, comme pour acquiescer, mais non sans insister sur l’angoissante fragilité de son nouveau statut : « Je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera » (Gn 4,12.14). En contraste, il y a le « migrant identitaire, béni de Dieu », Abraham : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai » (Gn 12,1-2a).

S’intéresser au migrant ou à l’étranger dans la Bible hébraïque nécessite en fait de distinguer entre trois mots qui recouvrent, grosso modo, trois réalités différentes : nakri désigne en effet généralement « un étranger au pays, quelqu’un qui n’a [donc] aucun lien avec la famille, le clan, ni même la tribu »  ; tosab nomme l’étranger de passage, le résident ou l’hôte temporaire qui ne jouit d’aucun droit spécifique ; ger définit l’« étranger installé en Israël, […] l’émigré [ou le réfugié, ce dernier terme sous-entendant] aussi une différenciation sociale »  – cf. par exemple Dt 29,10 : « L’émigré que tu as chez toi […] pour t’abattre des arbres ou pour te puiser de l’eau », Dt 14,29 où l’émigré est associé à la veuve et à l’orphelin, ou encore Lv 19,10 qui stipule qu’il faut abandonner les fruits tombés « au pauvre et à l’émigré ».

 
Si le souvenir du séjour en Égypte est explicitement mentionné en Ex 22,20 – « Tu n’exploiteras ni n’opprimeras l’émigré, car vous avez été des émigrés au pays d’Égypte » –, s’il est stipulé en Dt 10,18 que « Dieu aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau », si l’on peut repérer toute « une […] série de lois [qui] visent à intégrer l’émigré étranger au sein de la société israélite » , force est cependant de constater qu’il « y a loin de la théorie à la pratique. […] La législation […] maintient […] une différence et accepte comme allant de soi l’[…]infériorité sociale [des émigrés]. L’émigré reste un émigré, dans un groupe ethniquement et socialement marqué » . Même s’il est dit : « Il y aura un même droit pour l’immigré et pour l’autochtone » (Lv 24,22) ou : « Il y aura une même loi pour l’autochtone et pour l’immigré qui séjourne au milieu de vous » (Ex 12,49), la dénonciation en Ml 3,5 de ceux qui « dévient le droit de l’immigré » confirme l’écart entre les textes législatifs et la réalité.

À cet égard, il convient certainement de prendre en compte la notion délicate d’identité, et ses corollaires obligés que sont l’inclusivisme et l’exclusivisme. Si le livre de Ruth, qui raconte comment une étrangère Moabite a été intégrée par le mariage à Israël, plaide tout en finesse pour une ouverture universaliste, on se souviendra également de « la rudesse avec laquelle les livres d’Esdras et de Néhémie, contemporains des premières générations du retour, dénoncent [au contraire] tout mélange avec les nations » . Dans la logique de ces deux écrits, la préservation de l’identité impose en effet non seulement l’interdiction du mariage avec des étrangères, mais encore leur renvoi (Esd 10) comme la mise au ban du pays de « tout homme de sang mélangé » (Ne 13,3). Deux points de vue opposés se sont ainsi exprimés, peut-être même à pareille époque, l’un appelant à l’ouverture, à l’accueil de la différence, l’autre au repli « identitaire et xénophobe ». 

Pour clore ce parcours vétérotestamentaire express, évoquons encore le cycle d’Élie en 1 R 17–19, selon lequel « la véritable frontière ne se situe pas au niveau de l’appartenance territoriale, mais au niveau du choix pour ou contre Yahvé » , et rappelons le raidissement identitaire observable au temps de l’hellénisation, choisie ou forcée, dont 1 et 2 Maccabées se font l’écho.

Dans le Nouveau Testament, on assiste à une valorisation du thème de l’étranger ou du migrant, dans la mesure où ces deux notions servent occasionnellement à caractériser les chrétiens dont l’objectif n’est plus de jouir en toute quiétude de l’héritage d’une terre, mais d’habiter, au dire de Paul, une « cité céleste » , n’ayant pas ici-bas, selon Hb 13,14, « de cité permanente ». C’est dans cette logique que l’auteur de la première épître de Pierre interpelle ses destinataires en 1 P 2,11 comme des « exilés », ou des « gens de passage », paroikoi , et des « étrangers », parepidèmoi, au sens où leur système de valeurs et leur espérance sont autres.

Pour sa part, l’auteur de l’épître aux Éphésiens souligne à l’inverse que, grâce à l’œuvre de paix réalisée par Jésus, les chrétiens d’origine païenne ne sont plus désormais « ni des étrangers, ni des émigrés » à l’alliance de la promesse (Ep 2,12.19). Leur exclusion n’est plus de mise, leur manque est comblé. « Il n’y a plus ni Grec ni Juif, […] ni barbare ni Scythe », précise Col 3,11. 

Ceci est illustré narrativement dans les préliminaires à la rencontre entre Pierre et Corneille en Ac 10,9-16, par cette vision d’une grande toile contenant tous les quadrupèdes, les reptiles et les oiseaux invitant Pierre, respectivement le lecteur, « à se libérer de l’impact puissant de la métaphore qui assimile les étrangers à l’impureté et les Juifs à la pureté » . Cette même idée est développée en Ep 2,14 où il est affirmé que Jésus a « détruit le mur de la séparation », c’est-à-dire qu’il a rendu caduc ce qui, dans la loi juive, empêchait juifs et païens de se rencontrer pour se présenter ensemble devant Dieu.

Mais cette rencontre possible avec l’« autre », désormais au bénéfice du même privilège, n’a pas été sans poser problème. À preuve le récit de la rencontre de Jésus avec la femme syro-phénicienne en Mc 7,24-30 par. Mt 15,21-28, « un épisode-clé dans le passage à une conception nouvelle du rapport à l’étranger » . Dans ce récit en effet, la femme est « présentée de manière telle qu’elle apparaît, au départ, comme la quintessence même de l’étrangère, de la païenne […]. Ce qui est en jeu [en cette péricope], c’est [bien] une question de frontière, mais de frontière du Royaume »  de Dieu, ou, plus exactement, d’effacement des frontières ethniques dans cette nouvelle logique inaugurée par la venue du Nazaréen. La précision apportée en Lc 17,18, à savoir que le samaritain guéri par Jésus était un « étranger », allogenès , ne traduit-elle pas la conviction de l’ouverture universelle de l’offre du salut de Dieu ou le fait que Dieu, comme Luc l’exprime par la bouche de Pierre en Ac 10,34, « ne fait acception de personne » ?

En guise de conclusion, nous relèverons que, dans l’Ancien Testament, l’étranger ou le migrant a un statut « théologique » partiel, en référence à une expérience collective, heureuse ou malheureuse, conditionné par le souci, soit de la préservation d’une identité ethnique, soit, au contraire, d’une plus grande ouverture.

Dans le Nouveau Testament, l’étranger ou le migrant a un statut « sotériologique » (qui a trait au salut) entier, lié à une compréhension universaliste du Dieu de Jésus. Ce point de vue ne s’est pas imposé immédiatement et sans réticences, mais il a nécessité de la part des chrétiens d’origine juive et païenne un apprentissage commun en vue de roder des réflexes humains nouveaux.

 Daniel Gerber – Colloque : LES ÉGLISES ET LE DÉFI DES MIGRATIONS – 11 mars 2010

Ce texte s’appuie sur l’ouvrage de Jean Riaud (éd.), L’étranger dans la Bible et ses lectures, Paris, Cerf (Lectio divina 213), 2007.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Un anathème annulé par la foi au Dieu d’Israël

ID 1342 Rahab 115  Cette histoire, relatée au chapitre 2 du livre de Josué, est très connue, surtout à cause de la conquête de Jéricho dont les murailles se sont effondrées uniquement par la prière. La procession liturgique pendant sept jours au son du Shophar avec le coffre de l’alliance en tête, était en effet une prière, un culte rendu au Seigneur.

Josué, successeur de Moïse avait envoyé deux espions pour repérer les failles dans le système de défense du pays. Ils étaient venus -devinez chez qui ?- chez une prostituée de Jéricho, Rahab. Le roi de Jéricho avait des renseignements généraux bien organisés et cela s’est su. Les deux espions échappent à la mort grâce à l’intervention intelligente et rusée de Rahab.
Les deux espions proposent alors une alliance à cette prostituée. La loi du Seigneur interdisait strictement une alliance avec les habitants du pays : Deutéronome 20/16-18 : « Mais les villes de ces peuples-ci, que le Seigneur ton Dieu te donne comme patrimoine, sont les seules où tu ne laisseras subsister aucun être vivant. En effet, tu voueras totalement par interdit le Hittite, l’Amorite, le Cananéen, le Perizzite, le Hivvite et le Jébusite, comme le Seigneur ton Dieu te l’a ordonné, afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les actions abominables qu’ils font pour leur dieux : vous commettriez un péché contre le Seigneur votre Dieu ».

Nous sommes donc devant une question : comment ces deux espions ont-ils su qu’ils pouvaient aller contre la Loi de Dieu ? Comment ont-ils pu faire une alliance pour laquelle ils n’étaient pas mandatés ? Au lieu d’appliquer l’anathème contre Rahab, les espions retournent cet anathème contre eux-mêmes, au cas où ils ne tiendraient pas leur promesse ! Et on pourrait encore s’interroger sur le fait qu’ils font cette alliance avec la prostituée de la ville. L’interdiction de la débauche vaut non seulement pour Israël, mais pour toutes les nations, car c’est un des commandements donnés après le déluge à toute l’humanité. On appelle cela les commandements noachiques, les commandements de l’époque de Noé.

Pour répondre à toutes ces questions, il nous faut examiner de près les paroles que prononce Rahab : v.10 « nous avons entendu dire que le Seigneur a asséché devant vous les eaux de la mer des Joncs lors de votre sortie d’Égypte… » v.11 : « nous l’avons entendu, et notre courage a fondu ; chacun a le souffle coupé devant vous, car le Seigneur, votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».

Rahab parle de Pâque, la sortie d’Égypte. Ce miracle de délivrance des Hébreux prouve que le Seigneur est Dieu là-haut dans le ciel et ici-bas sur la terre. Rahab a compris le sens profond de la Pâque, toute prostituée qu’elle est. Elle a reçu la foi.
Sa foi est mentionnée deux fois dans le N.T. : Jacques 2/25 « Tel fut le cas aussi pour Rahab la prostituée : n’est-ce pas aux œuvres qu’elle dut sa justice, pour avoir accueilli les messagers et les avoir fait partir par un autre chemin ? » Hébreux 11/31 « par la foi, Rahab la prostituée, ne périt pas avec les rebelles, car elle avait accueilli pacifiquement les espions »

Parce que Rahab montre clairement qu’elle a reçu la foi, les espions parlent au nom du Seigneur, lui proposant l’alliance. Oui, ils la font entrer dans la même alliance qu’Israël. Josué 6/25 « Rahab a habité au milieu d’Israël jusqu’à ce jour ». Le texte dit bien qu’elle a habité au milieu d’Israël, et non pas en marge, comme d’autres groupes qui feront eux aussi alliance avec Israël, mais en demeurant à la marge, à la périphérie (les Gabaonites Josué 9). Rahab est tellement au milieu d’Israël qu’elle a engendré le Messie. L’évangile de Matthieu  Matthieu 1/5 la nomme parmi les ancêtres de Jésus. La tradition orale dit qu’elle a épousé Josué lui-même, le chef des Hébreux.

Rahab est donc un exemple parlant de ce que produit la foi en la Pâque, le miracle de la sortie d’Égypte : tous les commandements de Dieu qui nous excluent du salut sont levés. Nous pouvons entrer dans la même alliance qu’Israël. L’alliance qu’Israël a avec le Seigneur lui garantit un salut perpétuel. Ésaïe 45/17 « Israël est sauvé par le Seigneur et ce salut est perpétuel ».

Rahab résume ainsi ce qu’elle a compris de la Pâque : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre » Josué 2/11. Le Dieu d’Israël dirige non seulement la nature, mais aussi l’histoire de l’humanité. Il dirige la nature : il a fait traverser la mer des Joncs à pied sec aux Hébreux et les Égyptiens s’y sont noyés. Il dirige l’histoire : il a donné à ces esclaves une Loi, un pays, une capitale, un gouvernement et des victoires militaires surprenantes, défiant toute imagination. Voilà le Dieu auquel Rahab se met à croire. Il n’y a plus une multitude de dieux : un dieu pour le foyer domestique, un dieu pour les finances, un dieu pour la guerre, un dieu pour la politique, un dieu pour le bonheur personnel. «Votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».

Toutes les religions conçoivent bien des dieux qui seraient au ciel. Même s’ils descendent de temps en temps sur terre, ils retournent au ciel. Mais aucune religion ne peut nous apprendre ce que la Bible nous révèle : Dieu, le Créateur de toutes choses, est descendu sauver les Hébreux de la mort en Égypte, il est venu lui-même opérer ce salut, il n’a pas délégué cela à des intermédiaires, à des anges. Il a marché avec ce peuple pour le guider vers la terre où se trouve Rahab. Ce Dieu est Un, tout en se liant à Israël. Voilà ce qui a été révélé à Rahab :

« votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».

Recevoir la foi dans l’événement de Pâque, c’est être sauvé de toutes les condamnations à mort, même celles prononcées par Dieu. Rahab l’étrangère était sous le coup d’une telle condamnation, mais elle a reçu la foi en la Pâque des Juifs.
Jésus avait une telle foi dans cette Pâque, qu’il a attendu ce moment pour se révéler. Il n’est pas monté à Jérusalem pour mourir et ressusciter à n’importe quel moment, mais quand le Père le lui a montré. Jésus a versé son sang sur la croix très précisément au moment où on égorgeait dans le temple les agneaux pour la Pâque. Si bien que l’apôtre Paul écrit : « le Christ notre Pâque a été immolé » I Corinthiens 5/7.

Christ est notre Pâque. En lui, nous pouvons vérifier combien cette parole de Rahab est vraie : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ».

Il y a plusieurs manières de résumer la foi en Jésus-Christ. L’évangile de Jean la résume ainsi : « ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé » Jean 17/8. Rahab a compris cela : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». En Jésus-Christ, Dieu lui-même est venu sur terre. En Jésus-Christ, s’opère dans l’histoire humaine la Pâque éternelle : le passage de la mort à la vie. Et cela concerne tous les hommes, toutes les nations, même si cela a été donné à Israël. Voilà ce que Rahab a compris. C’est suffisant pour entrer dans l’alliance et avoir part à Israël. On ne nous dit pas qu’elle a confessé sa débauche, demandé publiquement pardon et que sais-je encore. Elle a reçu une certitude : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». Cela suffit pour la sauver. Comme cela suffit pour nous sauver nous, de comprendre réellement que Jésus est sorti de son Père et retourné vers son Père à Pâque, portant sur lui tous nos péchés sur la croix, ressuscitant pour que nous ayons en permanence le pardon et la vie nouvelle.

Rahab vivra son salut comme les Hébreux : elle rassemble sa famille dans sa maison, elle met un signe rouge à sa fenêtre, comme les Hébreux sur les linteaux de leur porte en Égypte, pendant que passait dans le pays l’ange de la mort.
Les murailles de Jéricho se sont écroulées par la puissance de Dieu, mais la même puissance de Dieu a maintenu debout le pan de muraille sur lequel était construite la maison de Rahab.

« Votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». Comme Rahab, notre vocation est d’enfanter le Messie aujourd’hui, car la Pâque concerne toute l’humanité. Les souffrances par lesquelles passe le monde actuel sont une extension des plaies d’Égypte. Les catastrophes qui se sont abattues sur l’Égypte, s’abattent aujourd’hui sur le monde entier qui ferme ses oreilles aux paroles de Dieu. Les murailles de Jéricho se sont écroulées parce qu’elles avaient des oreilles pour entendre la parole de Dieu. Alors pourquoi les êtres humains d’aujourd’hui n’auraient-ils pas comme Rahab, comme les murailles de Jéricho, des oreilles pour entendre la Parole de Dieu ? Comment les gens entendront-ils cette Parole de Dieu, si personne ne la prononce ? Que cela soit notre priorité : faire entendre aux autres la parole de Dieu. Écouter la Parole de Dieu est une question de vie ou de mort. Parmi les Israélites, il y en avait un qui n’a pas écouté la Parole de Dieu. Il s’agit d’Akhan. Au moment de la prise de Jéricho, il a pensé à s’enrichir (Josué 7), enfreignant l’interdit de prendre quoi que ce soit. Il a subi la condamnation à mort qui pesait sur Jéricho. Le lieu où il fut lapidé s’appelle la vallée d’AKHOR (Josué 7/26). C’est seulement dans les temps messianiques qu’elle deviendra elle aussi un lieu de bénédiction : elle s’appellera alors Pétah Tiqwah, Porte d’espérance (Osée 2/17).  Rahab elle, a échappé à cette condamnation à mort et a participé à l’engendrement du Messie. Elle a confessé aux Hébreux : « votre Dieu est Dieu là-haut dans les cieux et ici-bas sur la terre ». Cette conviction dans son cœur a suffi pour qu’elle soit sauvée. Comme il nous suffit de savoir que Jésus sur la croix, c’est le Fils éternel qui est sorti du Père pour lever toutes les condamnations à mort, accomplir la Pâque, passer de ce monde à nouveau vers le Père, pour nous donner définitivement part à sa vie. Jésus-Christ est en lui-même le Règne de Dieu ici-bas sur la terre et là-haut dans le ciel. « Il n’y a donc maintenant plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ » Romains 8/1.

Nous avons avec cette histoire de Rahab qui est venue au milieu d’Israël alors qu’elle était vouée à l’anathème, la démonstration qu’il n’y a aucune malédiction qui tienne quand on reçoit la foi en la Pâque, la sortie d’Égypte des Hébreux, la sortie de Jésus de ce monde vers le Père. C’est Lui, Jésus l’Agneau de Dieu qui transforme toute malédiction en bénédiction.

 

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