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Philippe et l’eunuque éthiopien, fiche biblique

Texte : Actes des Apôtres 8/26-39

 Éléments d’explication 
  • Contexte : Après la mort d’Étienne, les chrétiens de Jérusalem sont victimes de persécution. Pour y échapper, beaucoup quittent Jérusalem et se dispersent. C’est le cas de Philippe qui quitte Jérusalem pour la Samarie où il va annoncer l’Évangile. Les Actes des apôtres présentent cette dispersion à la fois comme une épreuve et comme une chance : les chrétiens souffrent d’être séparés, mais leur dispersion permet à l’Évangile d’être annoncé dans de nouvelles zones géographiques. Donc ce qui devait affaiblir l’Église naissante la fait en fait grandir.
  • Philippe : Il fait partie des Sept qui ont été choisis pour aider les Apôtres (voir Actes 6/1-6). C’est probablement un « Helléniste », c’est-à-dire un Juif né hors Palestine et dont la langue maternelle est le grec (à ce moment-là de l’histoire de l’Église, les chrétiens se considèrent encore comme des Juifs, disciples du Christ). Choisi dans un premier temps pour la diaconie (entraide), il a également annoncé l’Évangile au même titre que les Apôtres : c’est le cas dans sa rencontre avec l’eunuque éthiopien, comme également en Actes 8/5. Actes 8/40 précise qu’il poursuit sa mission d’évangélisation en Samarie et jusqu’à Césarée où Paul le rencontrera un jour : Paul précise en Actes 21/8 avoir séjourné à Césarée chez « Philippe l’évangéliste », surnom qui n’a pu lui être donné qu’en raison d’une intense activité missionnaire.
  • « un ange du Seigneur » : pour l’auteur du texte, il est clair que c’est Dieu qui conduit Philippe sur cette route où il va rencontrer l’Éthiopien.
  • « un eunuque éthiopien… venu à Jérusalem pour adorer Dieu » : Même s’il y a eu des Juifs en Éthiopie (impossible de savoir si c’était le cas à cette époque), il n’est pas possible que cet eunuque éthiopien soit juif car le judaïsme interdit fermement la castration.
    • C’est un sympathisant du judaïsme : il est venu de très loin pour chercher Dieu.
    • Il est peut-être un « craignant Dieu ». Les « craignants-Dieu » étaient des païens, ils n’étaient pas membres du peuple juif, mais ils s’efforçaient de respecter les prescriptions de la loi juive à l’exception de la circoncision. Ils étaient souvent dans une situation difficile car les païens ne les comprenaient pas et les Juifs ne les considéraient pas comme des membres du peuple juif.
    • Il est peut-être un « prosélyte » c’est-à-dire un païen qui s’est converti pleinement au judaïsme et en respecte donc toutes les règles y compris la circoncision. Mais il est peu probable que l’Éthiopien ait été accepté en tant que prosélyte en raison de sa castration.
      Mais quoi qu’il en soit : comme il est eunuque (mutilé sexuellement et ne pouvant pas avoir d’enfant), dans le judaïsme de l’époque, il ne peut pas avoir accès au Temple de Jérusalem, ni à la bénédiction de Dieu (Deutéronome 23/1). De fait, son séjour à Jérusalem ne semble pas avoir comblé ses attentes et sa recherche de Dieu : c’est seulement après son baptême qu’il est « tout joyeux ».
  • « haut fonctionnaire… » : c’est un homme riche et puissant, mais cette réussite sociale ne le comble pas puisqu’il est en recherche de sens, comme le prouve son voyage à Jérusalem.
  • « Candace, la reine d’Éthiopie » : Candace n’est pas un nom propre, ni un prénom, c’est un titre (comme « pharaon » pour désigner les rois d’Égypte).
  • Passage d’Ésaïe : cité d’après la Septante (la plus ancienne traduction de l’Ancien Testament en grec : pendant un temps, elle a été utilisée par les Juifs vivant hors de Palestine qui parlaient grec, avant d’être complètement abandonnée dans le judaïsme).
  • « Philippe descendit dans l’eau avec lui » : le baptême a donc lieu par immersion.
  • « il continua son chemin tout joyeux » : sa rencontre avec Philippe qui a permis une rencontre avec le Christ a changé et embelli sa vie ! Malgré sa couleur de peau (le racisme existait aussi à cette époque !), malgré la mutilation qu’il a subie, il est accepté tel qu’il est par Dieu. Être accepté tel qu’il est n’a pas dû lui arriver si souvent ! En racontant cette histoire, Luc défend un christianisme qui n’exclut personne, alors que l’Église chrétienne naissante s’interroge sur son identité et les conditions d’entrée dans l’Église (annonce de l’Évangile seulement aux Juifs ou aussi aux païens ? circoncision pour tous ou non ?…). L’eunuque éthiopien est le premier « étrange étranger » (à plus d’un titre : noir, pas membre du peuple juif, mutilé sexuellement) à entrer dans l’Église chrétienne. Il ne sera pas le dernier !
  • « Eunuque » : Il y a peu de chance que les enfants sachent ce que cela veut dire, donc ils risquent de poser la question : il vaut mieux avoir un peu réfléchi avant, pour savoir comment répondre.

Quelques conseils :

  • Utiliser des mots simples, par exemple : un eunuque est un homme qui a subi une opération qui le rend incapable d’avoir des enfants et le fait paraitre moins masculin (pas de barbe qui pousse par exemple) ;
  • Ne pas avoir peur d’appeler un chat « un chat » si les questions sont précises. Par exemple : cette opération consiste à enlever les testicules (mot à expliquer simplement s’ils ne le connaissent pas : tout dépend de l’âge des enfants et de la connaissance qu’ils ont de leur corps ou qu’elles ont du corps des garçons) ;
  • Ne pas minimiser : c’est une mutilation !

Découvrir la narration en lien avec cette fiche biblique.

Crédits : Claire de Lattre-Duchet, (UEPAL), Point KT




Philippe et l’Éthiopien, narration

Narration ; la Fiche biblique est à télécharger Philippe et l’eunuque pour découvrir une belle rencontre… (Actes 8, versets 26 à 39)

C’était un homme important, enfin un homme… il n’était pas sûr d’en être tout à fait un, pas dans le regard des autres en tout cas : on l’avait mutilé dans son enfance pour en faire un eunuque afin qu’il puisse entrer au service de la reine d’Éthiopie. La blessure physique avait guéri, la blessure à l’âme pas tout à fait, même s’il avait des compensations : la reine lui avait confié le soin d’administrer ses richesses. Donc non seulement il était riche et vivait dans le luxe, mais en plus, il était craint, car on savait qu’il avait la confiance de sa reine. C’était une belle réussite. Il n’avait ni colère, ni regret, les choses étaient ainsi. Il avait appris à les admettre, mais le luxe et les honneurs ne lui suffisaient pas, il avait en lui une soif, une attente que jusque-là rien n’avait pu combler. Alors il s’était mis en quête…

Il avait entrepris un long voyage, vers Jérusalem. On lui avait dit que c’était une ville sainte, qu’on y honorait un Dieu, un Dieu unique qui n’avait rien à voir avec les divinités et les idoles des autres nations. Il s’était mis en route espérant trouver là des réponses, un sens à sa vie, quelque chose enfin qui comblerait ce manque qu’il sentait dans sa vie.

Mais à Jérusalem, il n’avait pas vraiment trouvé ce qu’il cherchait. Il n’y avait pas sa place : les gens comme lui, les eunuques, les castrés, étaient exclus du culte rendu à ce Dieu qu’il voulait connaître. Même s’il avait voulu se convertir à cette religion, respecter toutes ses prescriptions et ses lois, il n’aurait jamais sa place dans le peuple qui servait ce Dieu. Son voyage lui laissait un goût amer. Pourtant avant de repartir de Jérusalem, il avait acheté un livre saint écrit par un prophète du peuple juif. Il essayait de lire mais s’il comprenait les mots, le sens continuait à lui échapper. Le livre parle d’un homme important qui, à un moment donné, est descendu de son piédestal, s’est abaissé, oui c’est bien le mot qui est employé, « abaissé ». Il est comparé à une brebis qu’on conduit à l’égorgeur, à un agneau qui, sans broncher, se laisse tondre. Non, décidément il ne comprend pas.

Plongé dans ses pensées, il n’a pas vu approcher Philippe, mais il entend son interpellation : « Comprends-tu ce que tu lis ? » L’eunuque regarde Philippe : on dirait qu’il est juif, cela se voit à sa tenue, alors pourquoi l’interpelle-t-il ? Il n’y a pas de moquerie ni dans sa voix, ni dans son regard. Il semble sincèrement s’intéresser à lui. L’eunuque en est surpris.

A vrai dire, Philippe est peut-être aussi surpris que lui de se trouver là et de parler à cet homme : après avoir dû fuir Jérusalem pour échapper aux mauvais traitements infligés aux premiers chrétiens. Philippe a commencé à annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à des non-juifs, à des Samaritains, ce qui lui a déjà valu quelques soucis et remontrances dans l’Église chrétienne à peine naissante. On lui a reproché de parler de Jésus-Christ hors du peuple d’Israël : la mort et la résurrection de Jésus-Christ sont encore si proches que l’universalité de l’Évangile n’a pas encore été apprivoisée ni comprise par les disciples. Ils pensent devoir rester au sein de la religion juive, dans le peuple juif. Et après les Samaritains, qui croient au même Dieu que les juifs, voilà que Philippe s’adresse à un Éthiopien, peut-être sympathisant de la religion juive, mais pas un vrai juif. Il parle à un eunuque, alors que certains passages de l’Ancien Testament recommandent de tenir à distance du culte, que certains passages de l’Ancien Testament considèrent comme impur. En s’adressant à lui, Philippe se demande ce qu’en diront ces frères chrétiens, mais c’est l’Esprit de Dieu qui l’a conduit à cet homme, il en est surpris, c’est vrai, mais Dieu doit bien savoir ce qu’il fait, non ?!

L’eunuque lui répond : « Non, je ne comprends pas ce que je lis. Comment le pourrais-je, puisque personne ne m’éclaire ? » Lui, le puissant ministre des finances de la reine d’Éthiopie reconnaît en toute humilité avoir besoin d’un guide. Et espérant trouver enfin les réponses qu’il cherche, il invite Philippe à monter dans son char confortable. Indifférent aux secousses du char sur les pavés, Philippe explique : il parle d’un homme, Jésus de Nazareth, venu de la part de Dieu pour parler aux hommes, pour partager toute leur destinée jusque dans la mort. Il lui dit qu’il a voulu s’adresser à chacun, même aux pécheurs, même à ceux qui ont fait de mauvais choix dans leurs vies, même aux mal-vus, même aux mal-aimés, même aux méprisés, ou peut-être pas « même », mais surtout à tous ceux-là. Et il leur a annoncé le pardon et la tendresse de Dieu. Philippe lui parle de la mort et de la résurrection de ce Jésus. Et de son commandement d’aller dans le monde entier, pour faire des disciples et les baptiser. Il ne lui parle pas de la frilosité des premiers chrétiens qui hésitent encore à quitter le giron du peuple d’Israël : on n’efface pas si facilement des réflexes et des préjugés vieux de plusieurs siècles.

L’eunuque écoute et il découvre autrement ce Dieu dont il a entendu parler à Jérusalem : il n’est pas comme il lui avait été dit. Il découvre un Dieu proche, un Dieu bienveillant, un Dieu qui accueille et bénit, un Dieu fidèle aussi qui tient parole puisque Philippe lui affirme que Jésus est le sauveur que Dieu a promis à son peuple dans ce livre du prophète Ésaïe qu’il s’efforçait de comprendre. C’est comme si un poids lui était enlevé : il a sa place devant ce Dieu-là, lui : lui le mutilé, lui que les autres craignent mais ne respectent pas, lui que tant d’autres ne considèrent pas comme un homme à part entière. Il a sa place, une vraie place, une vraie dignité, celle que lui donne ce Dieu capable d’envoyer son propre fils pour déclarer son amour aux humains. C’est comme si sa vie prenait un autre sens : il est aimé de Dieu. C’est comme s’il sentait cet amour remplir son cœur, combler ses manques. C’est si doux et fort à la fois qu’il voudrait se plonger entièrement dans cet amour et dans cette paix qui l’envahissent…

Alors, quand il voit la rivière, il demande à Philippe s’il peut recevoir le baptême. Ils descendent du char, entrent dans l’eau et il est baptisé. Quand ils ressortent de l’eau, Philippe disparaît, il poursuit sa route vers d’autres juifs ou païens, pour leur parler du Dieu de Jésus-Christ. Quant à l’eunuque, premier africain et tout premier païen à devenir chrétien, nul à part Dieu ne sait ce qu’il est devenu, mais jusqu’à aujourd’hui son histoire témoigne que Dieu accueille et bénit chacun tel qu’il est, chacune telle qu’elle est…

Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL), Point KT




La petite servante du général Naaman


Lire le texte de 2 Rois 5:1-14 dans la version Nouvelle français courant de Parole de vie, c’est plus fluide à l’oreille des enfants.

Éléments de compréhension du texte

A l’époque où le pays d’Israël était un royaume, il y avait souvent des conflits et même des guerres avec la Syrie. L’armée syrienne, conduite par le célèbre général Naaman, était très forte, elle avait remporté la guerre contre Israël et avait pris une partie de la population comme esclaves : des jeunes gens robustes et bien portants capables de travailler à leur service. Parmi ces esclaves, il se trouve une petite fille qui devient servante dans la maison de Naaman. Elle est en terre étrangère, chez l’ennemi qui a tué et saccagé son pays. Peut-être même que sa famille a été assassinée par les Syriens puisque cette pauvre enfant se retrouve toute seule exilée en Syrie. C’est une épreuve très difficile et traumatisante. Le texte ne dit pas comment elle est accueillie par la femme de Naaman (cette dernière devient-elle une mère de substitution pour la petite fille ?), mais l’histoire nous laisse entendre que le général et sa femme sont à l’écoute de la petite fille, malgré son statut d’esclave. Ce qui nous intéresse ici, c’est que la petite servante dont on ne saura jamais le nom va donner une leçon d’humanité et de compassion sans précédent à ses oppresseurs. C’est un enseignement majeur qui rejoint le passage de l’évangile où Jésus dit : « Aimez vos ennemis… » (Matthieu 5:44)

Aimer ses ennemis

La petite servante qui travaille chez le général Naaman apprend que son maître a une grave maladie de la peau (nos versions bibliques disent qu’il s’agit de la lèpre, mais c’était peut-être une autre maladie). Naaman est handicapé par cette maladie qui ternit l’éclat de ses victoires militaires : comment un général à qui Dieu a donné la victoire peut-il être frappé de maladie ? À cette époque, toute maladie était considérée comme conséquence du péché et châtiment de Dieu. Peut-être que Naaman ne peut plus porter son armure car sa peau est abîmée ? S’il ne peut plus aller au combat et servir son pays – car les maladies de peau étaient considérées comme contagieuses – le grand général risque de finir sa vie en reclus, enfermé dans une maison loin de tous… Quelle triste fin !

La petite servante a compassion du général Naaman, elle prend son courage à deux mains pour lui conseiller d’aller voir le prophète Elisée afin qu’il soit guéri. Il faut de l’audace à une esclave pour oser parler de la situation de santé de son maître, c’est le genre de choses qui pouvait lui valoir un châtiment exemplaire, voire la mort ! Mais la petite fille n’y pense même pas, et elle ne raisonne pas en esclave qui veut se venger de ses ennemis. Elle ne pense pas à elle-même, elle voit d’abord un homme qui souffre et elle fait ce qu’elle estime bon pour l’aider à aller mieux. 

Lorsqu’une personne nous a traités en ennemi et nous a fait souffrir, on se dit que si elle souffre aussi, ce n’est que justice, on n’a pas envie de l’aider, on rechigne à faire du bien à nos ennemis… Mais la Parole de Dieu nous encourage à aimer nos ennemis. Car Dieu notre Père aime tout le monde, même ceux qui font du mal aux autres. Nous-mêmes, n’avons-nous jamais fait de mal à personne ? Jésus dit : « Aimez vos ennemis. » Et on ne sait jamais, peut-être qu’un geste de compassion va toucher le cœur de l’ennemi et le transformer pour en faire un frère ? En effet, Naaman part en Israël où il est guéri de sa lèpre, et il revient en croyant qui adore le Dieu d’Israël, il partage désormais la même foi que la petite fille ! Le général et la petite servante sont devenus frère et sœur dans la foi…

Bien sûr, le « happy end » n’est pas garanti à chaque fois ! Parfois l’ennemi reste un ennemi qui ne veut pas changer et devenir plus charitable envers les autres, mais Dieu nous demande de toujours nous montrer gentils, respectueux, bienveillants. C’est le témoignage chrétien le plus fort…

L’estime envers les plus petits 

Naaman est un homme de haut rang, mais il écoute le conseil d’une petite esclave. Il fait preuve d’une humilité peu commune ! Cela montre que dans la vie, comme dit la fable de La Fontaine à propos du lion et du rat, on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Il ne faut jamais mépriser les plus petits/jeunes en pensant qu’ils sont trop bêtes pour comprendre la situation ou pas assez compétents pour contribuer à trouver la solution. 

L’évangile de Jean nous raconte l’histoire d’un enfant qui devient la solution pour nourrir une foule immense. C’est un petit garçon qui apporte cinq pains et deux poissons que les disciples trouvent insignifiants : « Qu’est-ce que c’est pour un si grand nombre de personnes ? » Mais le Seigneur Jésus reçoit avec reconnaissance le modeste casse-croûte de l’enfant qui donnera la multiplication grâce à laquelle cinq mille hommes vont manger à leur faim (Jean 6, 9).

La Parole de Dieu nous invite au respect et à l’écoute de ceux qui sont plus petits par l’âge, le statut social, la fonction, l’expérience ou les capacités cognitives.

Sans la petite servante, le général Naaman serait resté malade toute sa vie. Vous avez peut-être connu des situations où l’aide d’un plus petit a été précieuse. Faites-en le témoignage, ça encouragera certainement beaucoup de gens ! ☺

Cantiques : Seigneur, tu cherches tes enfants – YouTube / Cantiques EPUdF :

Crédit Ruth-Annie Mampembé-Coyault (EPUdF) – Point KT




Le sommeil du juste – Psaume 4

Psaume 4, 9 : Le sommeil du juste !

En paix, je me couche en même temps que je m’endors !

Car toi (seul), le seul Yhwh, tu me fais demeurer (habiter) en confiance (sécurité)

Cette traduction, plus littérale, essaye de rendre compte d’un verset qui, mine de rien, n’incite guère au sommeil, mais bien plus à l’insomnie, tellement chacun de ses termes est lourd de sens… Invitation à une petite immersion dans ce texte riche avant de s’écrouler de fatigue :

Les Psaumes

Dans sa forme finale, ce que l’on nomme le Psautier, est d’un point de vue littéraire une anthologie de divers textes. Les éditeurs ont recherché des œuvres variées qu’ils ont regroupées selon un classement bien précis et théologique. Le recueil est, par exemple, divisé en cinq collections débutant par un prologue (Psaume 1) et ouvrant sur un épilogue (Psaume 150). Les 5 collections 1. Psaumes 2 à 41 ; 2. Psaumes 42 à 72 ; 3. Psaumes 73 à 89 ; 4. Psaumes 90 à 106 ; 5. Psaumes 107 à 149. Notre extrait est la conclusion du Psaume 4, qui se situe dans la première collection. Par la symbolique du cinq, les compilateurs des Psaumes signifient que le Psautier est un enseignement primordial dans le domaine liturgique. Mais revenons à nos moutons que nous allons compter, cherchant vainement le sommeil, une fois l’ensemble du Psaume 4 parcouru…

Psaume 4

Le psaume fait partie de la collection des Psaumes dits de « confiance » où un croyant harcelé par son entourage, se sait exaucé par Dieu en milieu hostile. Il vaut la peine de parcourir tout le chemin pour vraiment comprendre sa conclusion au verset 9.

  • v. 1 : Indications de la provenance, du genre musical et de la dédicace…
  • v. 2 : Invocation à Dieu du plaignant comptant sur la justice divine !
  • v. 3 : Reproches à ceux qui le calomnient par des paroles mensongères et creuses -Pause-
  • v. 4 : Le Seigneur entend la plainte du fidèle
  • v. 5 : Ceux qui parlent trop, mettez-la en veilleuse car la nuit porte conseil une fois que vous aurez ruminé tout cela en vos cœurs… -Pause-
  • vv. 6-7 (eux) : Les actes de justice contribuent au bonheur des individus…
  • v. 8 (moi) : Le bonheur est dans mon cœur et non dans les temps de prospérité !
  • v. 9 : Une fois cela intégré, je dors du « sommeil du juste » !

L’on constate que jusqu’au verset 5, celui qui parle, crie, supplie, invoque… dénonce une situation de stress où des gens mal intentionnés lui mettent la pression ! Ce n’est qu’une fois qu’il les réduit au silence – en tous cas il en a fermement l’intention – qu’il leur indique une voie à suivre et qu’il sombre dans un sommeil profond et non plus peuplé de cauchemars.

Psaume 4, 9 ou comment passer de l’insomnie au sommeil réparateur ?

Comment cet individu peut-il passer du stade du harcèlement et de la médisance à un abandon à la confiance divine ? Comment peut-il se calmer intérieurement en un temps record, alors que je mets un temps fou à réduire cette nervosité qui ne me quitte pas ? Cette conclusion, en guise de happy end, contient différents thèmes, regroupés de manière condensée ici :

  • Le shalom (la paix) qui n’est pas simplement un état de non-guerre, mais bien cette condition ultime où plus rien ne saurait m’atteindre…
  • Le processus de se coucher implique une attitude physique, mais également une symbolique forte. Se coucher à terre évoque l’idée d’être renversé de son trône, de la position d’être humain debout et digne… L’acte dernier étant la mort à travers la fameuse expression du Livre des Rois : « Il se coucha avec ses pères… »
  • L’endormissement est vu comme un processus dangereux qui place l’humain en situation de grande vulnérabilité. Selon l’Ancien Testament c’est l’apanage du paresseux et de l’indolent, sans cesse fatigué et très mal vu par la littérature de sagesse…
  • S’asseoir, s’installer, se laisser mettre en place, habiter, demeurer sont inhérents à la sédentarisation de l’individu. C’est tout de même vu comme un grand luxe à cette époque ou le commun des mortels passe le plus clair de son temps dans des activités agricoles ou en chemin, à gagner sa « croûte ». La sédentarisation reste une affaire de « riches »… C’est lorsque l’on a le temps de se poser de tout son long que la machine à « ressasser » démarre…
  • Pour avoir accès à cette sédentarisation, il faut un climat de confiance et se sentir en sécurité… Du style : « Prière de ne pas déranger… »

La qualité de la literie à l’époque

L’humain ordinaire, en ces temps bibliques, dormait quotidiennement à même le sol sans véritable confort. Quelquefois on pouvait utiliser une simple natte, que l’on roulait en journée ou emportait en voyage, comme « tapis de sol » contre l’humidité. Il n’y avait pas vraiment de pièce réservée au couchage et la famille au sens large dormait ensemble. Les « riches » avaient néanmoins des lieux « privés et climatisés » – chambres hautes – avec de véritables cadres de lits, assortis de matelas fins et d’une literie raffinée. L’humble devait se contenter d’une couverture ou de son long manteau dont il pouvait se recouvrir… A part le mobilier de luxe qui possédait une sorte de porte-nuque, il n’y avait pas non plus d’oreiller pour poser sa tête… En général, le repos est considéré comme quelque chose de mérité après une rude journée de labeur, mais il met aussi l’individu en position de fragilité… En effet, la nuit est le royaume des démons où rodent tous les dangers. Pour cette raison, Dieu ne dort jamais… Il est sans-cesse sur le qui-vive ! Etant donné la mortalité très importante, sombrer dans le sommeil pouvait aussi impliquer ne plus se réveiller le lendemain ! Il semblerait que les gens de l’époque avaient plutôt le sommeil léger et qu’ils se méfiaient de cette tentation de sombrer dans les bras de « Morphée ». D’ailleurs ceux qui y ont cédé, sont plutôt raillés dans les textes ou ont pâti de certaines conséquences désagréables (jugement peut-être un peu trop subjectif) :

  • Dieu envoie Adam faire la sieste et il en ressort sans côte, mais avec une partenaire…
  • Elie ridiculise Baal parce qu’il dort et qu’il a du mal à se réveiller…
  • Samson s’endort sur les genoux de Dalila et se retrouve « chauve » …
  • Jonas dort à fond de cale pendant que la tempête menace…
  • A plusieurs reprises dans le nouveau Testament, ceux qui veillent sont valorisés au détriment de ceux qui s’endorment…

Et nous, ça nous parle ?

Un rap des années 80 qui décrit bien nos situations

Ce précurseur dans le domaine peut être un point de départ pour amorcer les discussions avec des adultes ou des enfants :

Cinq heures du mat’ j’ai des frissons/Je claque des dents et je monte le son
Seul sur le lit dans mes draps bleus froissés/C’est l’insomnie, sommeil cassé
Je perds la tête et mes cigarettes/Sont toutes fumées dans le cendrier
C’est plein d’Kleenex et d’bouteilles vides

J’suis tout seul, tout seul, tout seul…

 (Chagrin d’amour : « Chacun fait c’qui lui plait… »)

Questions à débattre avec les jeunes

  • Pour beaucoup d’entre nous c’est l’insomnie, sommeil cassé… Le stress, les soucis, les rumeurs, les critiques, la pression des résultats, la responsabilité croissante, la peur d’un avenir incertain ; voilà déjà de quoi alimenter le débat…
  • Mais aussi tous ces simulateurs qui, sans cesse, nous maintiennent en éveil : les ordinateurs, les smartphones, les téléviseurs, les SMS et autres notifications sonores à toute heure de la nuit… N’est-ce pas une forme de harcèlement à laquelle nous nous soumettons de bon gré et comment la surmonter ?
  • Tous ces stimuli ressemblent à un train de jour et de nuit qui ne cesserait de rouler, à fond, vers nulle part sans arrêt ni but… Le tout serait de nous maintenir éveillé pour ne plus être en état de penser ?
  • Si les adultes ont le sommeil agité, beaucoup d’enfants également. Cette idée, des démons de la nuit, se retrouve dans leurs cauchemars et peurs…
  • Le doudou n’est-il pas cet « objet » de confiance que l’on traîne avec soi dans des endroits inconnus ?
  • Et si foncer, éveillé et toujours sollicité, était une manière d’oublier Dieu, d’oublier de trembler, de peser les choses, d’avoir peur, trembler de vigilance face à moi-même et me retrouver seul avec mon « cœur » ?
  • Qu’est-ce qui perturbe ma vie et m’interdit le repos ? La routine, la vitesse, le désir, la norme, l’opinion des autres, la barre que je me place trop haute ?

Et si cette confiance (sécurité) offerte en Dieu, rendait l’humain qui tremble et fuit en avant, soudain capable de vivre sa propre solitude et ses limites en les déposant dans son cœur et justifié devant Dieu ? En paix, je me couche en même temps que je m’endors ! Car toi (seul), le seul Yhwh, tu me fais demeurer (habiter) en confiance (sécurité) !

Crédit Frédéric Gangloff (UEPAL) – Point KT




Le sage sur le roc…

Étude de Matthieu 7,24-27 : les deux maisons. Voici une parabole que l’on raconte volontiers aux enfants… et si les adultes l’étudiaient… qu’en feraient-ils ?

Introduction à l’Evangile selon Matthieu – sa place dans la Bible. Un des livres du Nouveau Testament
Le Nouveau Testament (NT) comprend 27 livres de longueurs variables, tous écrits en grec par divers auteurs à des dates différentes au cours du 1er siècle. Ils ont été transmis par d’innombrables manuscrits, le plus ancien est daté de l’an 135. Les livres sont rangés par leur genre littéraire : évangiles, actes, lettres, apocalypse et par leur longueur. Chaque livre est divisé en chapitres, selon la division proposée par Etienne Langton et attestée en 1226. Les chapitres ont été eux-mêmes divisés en versets par Robert Estienne, au cours d’un voyage en diligence en 1551 [1]. Ces précisions sont importantes : elles obligent tout lecteur du Nouveau Testament à lire de manière critique les extraits bibliques, à vérifier le début et la fin de chaque « histoire » et à prendre en considération ce qui précède, ce qui suit et même tout le livre. Le livre de Matthieu est composé de 28 chapitres et de 1 068 versets (il a presque la même taille que l’évangile de Luc).

Matthieu, le premier évangile
Le mot français « évangile » est directement dérivé du grec « euaggelion » qui désignait primitivement la récompense que l’on accordait à un messager pour la transmission d’une bonne nouvelle. Par extension, ce terme désigna la bonne nouvelle elle-même [2]. Cette Bonne Nouvelle concerne Jésus de Nazareth, le fils de Dieu, le Messie. L’auteur de l’évangile de Matthieu respecte profondément le livre et l’autorité de Marc, qu’il recopie. Il a conservé 606 des 661 versets de Marc, bien qu’il abrège presque chaque épisode de Marc (de 20 à 30 % en moyenne). Mais en bon scribe, il traduit et interprète. Plus exactement, il réécrit l’évangile de Marc pour donner un sens nouveau à son texte [3]. Il a 330 versets que l’on ne retrouve ni chez Marc, ni chez Luc [4]. En évangéliste, Matthieu rapporte, à sa manière propre, la vie et l’enseignement de Jésus [5], le Christ. L’intention de l’œuvre est donnée dès le début du livre : son nom sera Emmanuel, « Dieu avec nous » et il va « être avec » les disciples jusqu’à la fin des temps [6].

Un plan de livre difficile à établir
Les spécialistes discutent la question de la composition du livre de Matthieu. Trois plans différents se dégagent aujourd’hui.
Le plan géographique permet de situer le ministère de Jésus en Galilée (4,12 à 13,58), puis dans les régions limitrophes et en route vers Jérusalem (chapitres 14 à 20) et enfin à Jérusalem même (chapitres 21 à 28). Nul n’a pu montrer l’intention théologique d’une telle répartition qui a le mérite de donner un cadre géographique [7].
Le plan didactique met en évidence les cinq « discours » de Jésus, chacun se rapportant à un thème précis. Ils se terminent tous par la formule « Or, quand Jésus eut achevé ces instructions… » De fait, on distingue cinq blocs : les chapitres 5 à 7 ; 10 ; 13 ; 18 et 24-25. Chaque discours est précédé d’une section narrative plus ou moins longue. Les récits de l’enfance inaugurent le livre de Matthieu et les récits de la Passion et de la Résurrection de Jésus terminent le livre [8].
Le plan en deux parties. Dans la première (chapitres 3 à 13), Jésus se présente à son peuple, mais celui-ci refuse de croire en lui. Tout puissant en œuvres et en paroles, Jésus envoie ses disciples annoncer la Bonne Nouvelle ; les auditeurs sont confrontés à l’option pour ou contre lui. Dans la deuxième partie (chapitres 14 à 28), Jésus parcourt le chemin qui le mène à Jérusalem, de la croix à la Résurrection [9].

Histoire du livre de Matthieu
Si Matthieu 22,7 fait allusion à la destruction du Temple et de Jérusalem, alors la rédaction de l’évangile selon Matthieu peut être située après les années 70 de notre ère. Les spécialistes s’accordent pour situer la rédaction du livre de Matthieu vers les années 80-90 [10].

Qui est Matthieu ? Qualités littéraires
Matthieu insiste sur les Écritures juives qu’il connaît, sur la Loi et les coutumes juives qu’il n’explique pas : ses auditeurs ou lecteurs doivent donc comprendre le sujet du débat, étant du même milieu que lui. Il insiste sur l’accomplissement de l’Écriture en la personne de Jésus. Le Christ est présenté comme le Messie promis, mais aussi comme le Maître par excellence, enseignant une nouvelle justice, une nouvelle fidélité à la loi de Dieu [11]. Il ne s’agit pas d’être un « nouvel Israël » mais « LE véritable Israël » [12]. La différence est importante, car la nouveauté religieuse était assimilée à une secte alors qu’en affirmant que Jésus accomplit la tradition juive, Matthieu proclame Jésus comme le Messie attendu – et non reconnu – par Israël. Le livre de Matthieu montre l’accomplissement par Jésus des prophéties faites à Israël.

Sa théologie
(en lien avec l’histoire des deux maisons) : pour l’auteur de l’évangile, Jésus est le Messie. Il propose une nouvelle Alliance, qui est ouverte à tous. Il s’agit maintenant de faire le bon choix.

D’après la tradition historique
La plus ancienne tradition ecclésiale (Papias, avant l’an 150) identifie l’auteur avec l’apôtre Matthieu-Lévi, ainsi que le feront de nombreux Pères de l’Eglise (Origène, Jérôme…). A travers son œuvre, l’auteur se révèle être un lettré juif, devenu chrétien, versé dans les Écritures et passé maître dans l’art de présenter Jésus, insistant toujours sur les conséquences pratiques de son enseignement. Le texte est pétri de traditions juives et utilise un vocabulaire palestinien [13].

Aujourd’hui, la thèse selon laquelle le disciple Matthieu est l’auteur de l’évangile (9,9 et 10,3b) n’est plus défendue [14]. Certains exégètes pensent que Matthieu a « fait son autoportrait » dans le scribe « devenu disciple du royaume des cieux » (Matthieu 13,52) [15]. La grande majorité pense que Matthieu était sans aucun doute un juif. Probablement de Palestine, qu’il a pu être témoin de la guerre juive de 66-73. On trouve des allusions possibles à la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70. Il pourrait appartenir à une communauté hellénistique, composée de juifs convertis et de gentils, ce qui expliquerait son bilinguisme. Pour certains, Matthieu est le témoin d’une transition douce entre le judaïsme et le christianisme [16]. Pour d’autres, Matthieu est le témoin d’une séparation consommée entre la communauté à laquelle s’adresse l’évangéliste et le judaïsme de son temps [17]. Certains spécialistes pensent que l’Église de Matthieu était importante, souvent identifiée à l’Église d’Antioche de Syrie [18].

Tous reconnaissent en Matthieu un génie bilingue. Il écrit en grec, pense en hébreu [19] et développe une très grande qualité de composition pour son écriture (voir les différentes propositions de plan ci-dessus). Il utilise un vocabulaire typiquement palestinien et le texte a pu être écrit en Syrie ou en Phénicie. Il y a des expressions typiquement matthéennes, par exemple « leurs synagogues – votre synagogue ». Elles prouvent que l’auteur est dans une situation non définie, encore mouvante et complexe. Il semblerait que les chrétiens ne vont déjà plus à la synagogue mais n’ont pas encore coupé les ponts avec le judaïsme officiel. « Il s’agit de frères ennemis non encore séparés » [20].

Les deux maisons

Les discours
Cinq discours rythment le livre de Matthieu :
  • Chapitres 5 à 7 : le discours sur la montagne règlemente la vie pour ceux qui suivent Jésus. Relations humaines et relations avec Dieu.
  • Au chapitre 10 : ordres et conseils à ceux qui partent annoncer la Bonne Nouvelle,
  • puis au chapitre 13 : présentations de paraboles du royaume et clauses de la vie dans la future Église.
  • Le chapitre 18 aborde comment vivre ensemble entre frères et sœurs dans une communauté chrétienne
  • et les chapitres 24-25 : comment attendre la victoire finale ou les évènements eschatologiques.

Le discours du Sermon sur la montagne
Le « Sermon sur la montagne » est le premier des cinq discours de Jésus. Il représente presque un cinquième de l’évangile de Matthieu. C’est un joyau qu’il s’agit de lire entièrement, mais aussi à l’intérieur de l’évangile, afin de n’en pas perdre le sens. Le Sermon sur la montagne n’est pas le début de l’histoire de Jésus. D’après Matthieu, des disciples le suivent, des guérisons ont eu lieu. Le discours s’adresse à des chrétiens, lesquels viennent du judaïsme, et qui se demandent comment vivre harmonieusement la Loi de Moïse et sa mise en pratique à la lumière de l’exigence de Jésus.

Parabole des deux maisons
Qu’est-ce qu’une parabole ? Ce n’est en tout cas pas un message simplifié du Christ, des paroles pour les enfants. Au contraire, la parabole est difficile, « son vrai sens est réservé, non pas à l’intellectuel, mais au croyant » [21]. Jésus utilise la parabole pour trier les croyants des incroyants, pour donner une image du Royaume de Dieu… il emploie ce langage caché qui contraint à la recherche.

╬ Animation

Attention : nous étudions uniquement le texte de Matthieu 7 (pas de comparaison avec Luc ou autre source – pour le moment)
Avant d’entrer dans la parabole que nous connaissons peut-être, écrivons ce dont nous nous souvenons chacune pour soi. Restituer le texte biblique de tête aiguisera notre attention lors de la lecture qui suivra.
Mise en commun (avons-nous, ensemble, restitué tout le texte) : dessiner l’histoire façon bande dessinée
Lire le texte : (plusieurs traductions)
Travailler les sentiments : qu’est-ce que je n’aime pas ? Qu’est-ce qui me dérange ? Qu’est-ce qui me met mal à l’aise ?
Travailler l’intellect : Qu’est-ce qui distingue les deux personnes ? La tempête est-elle de même intensité ?
En groupe de 2 personnes, reconstituer le puzzle (télécharger le puzzle)

Quels versets pourrions-nous superposer ? Cet exercice nous fait découvrir la structure du texte.

Mathieu 7,24-27 « Donc tout (homme) qui écoute ces miennes paroles et les pratique sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur le roc. Et la pluie est tombée et les torrents sont venus et les vents ont soufflé et ils se sont précipités contre cette maison, et elle n’a pas croulé car elle avait été fondée sur le roc. Et tout (homme) qui écoute ces miennes paroles et ne les pratiquant pas sera comparé à un homme fou qui a bâti sa maison sur le sable. Et la pluie est tombée et les torrents sont venus et les vents ont soufflé et ils se sont heurtés contre cette maison et elle a croulé et sa chute était grande ».

Donc (oun) L’expression ne doit pas être négligée : la suite du texte introduite par « donc » est directement liée à ce qui précède, au minimum les versets 21 à 23 (traduction TOB) « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’ pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. Beaucoup me diront en ce jour-là : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? En ton nom que nous avons chassé les démons ? En ton nom que nous avons fait de nombreux miracles ? Alors je leur déclarerai : ‘Je ne vous ai jamais connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité !’ » Ces paroles sont très dures ! Matthieu, préfère l’expression « Royaume des cieux » à celle de « Royaume de Dieu » des autres évangiles. La nature de ce Royaume et les modalités de son avènement sont longuement décrites dans les paraboles des chapitres 13 et 22. Le Royaume des cieux est déjà là, mais d’une façon cachée. Il est surtout une réalité paradoxale : avant d’être promis aux justes, il l’est aux pécheurs ; avant d’être promis aux Juifs, il l’est aux païens. Enfin, l’entrée dans le Royaume est exigeante, les richesses sont considérées comme un obstacle majeur [22].

Il faut faire la volonté de mon Père. Dans le discours de Jésus, il y a ceux qui parlent (« Seigneur ! Seigneur ! »)… et ceux qui font. Et parmi ces derniers, il y aura encore une distinction précisée plus tard.

mon Père qui est aux cieux. L’expression rappelle la prière « Notre Père… », donnée en Matthieu 6,9. Reconnaître Jésus comme Seigneur n’est pas suffisant, il faut aussi faire la volonté du Père. La puissance de Dieu est totale dans le ciel. Le ciel devient un modèle que la prière « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » évoque mal. Il vaudrait mieux dire « Que ta volonté soit faite sur la terre comme elle l’est déjà au ciel ». Aujourd’hui, placer Dieu dans le ciel, c’est l’envoyer très loin de notre vie quotidienne. Or, il s’agit de le placer au cœur de nos choix et de notre vie : dans notre ciel intérieur !

Beaucoup me diront en ce jour-là… Faut-il comprendre l’expression « en ce jour-là » comme le jour du jugement ? Le texte rappelle Matthieu 25, 31 et suivants. Jésus replace toute la vie de l’homme chrétien dans la perspective du jugement dernier qui finalement révélera la manière dont la Parole du Royaume aura été mise en pratique [23].

Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? en ton nom que nous avons chassé les démons ? en ton nom que nous avons fait de nombreux miracles ? Voilà l’autre catégorie de personnes mentionnée plus haut. Des personnes chassent les démons au nom de Jésus, elles font même des miracles, mais elles ne seront pas reconnues par Jésus lorsque le temps viendra de rendre des comptes ; et pour aider à apprendre à distinguer les prophètes des faux prophètes, Jésus donne deux images : les fruits des arbres (verset 15 à 20) et les deux maisons (versets 24 à 27).

Traduction TOB « Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous vêtus en brebis, mais qui au-dedans sont des loups rapaces. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur des buissons d’épines, ou des figues sur des chardons ? Ainsi tout bon arbre produit de bons fruits. Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre malade porter de bons fruits. Tout arbre qui ne produit pas un bon fruit, on le coupe et le jette au feu. Ainsi donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. »

Donc, quand un discours commence par « donc », il faut se prendre le temps de se souvenir de ce qui a été dit avant. Et « donc » ici devient presque menaçant : personne ne saurait se soustraire à l’avertissement qui va suivre.

Tout homme qui écoute mes paroles – mes paroles que voilà – ces miennes paroles (tous logous toutous aux versets 24, 26 et 28). Les paroles sont celles de Jésus : elles ont été déployées dans les trois chapitres précédents, dans son enseignement. L’expression insiste sur l’autorité de l’enseignement de Jésus. Nous avons lu depuis le verset 21, mais « ces paroles que voilà » font référence au début du discours (chapitre 5). Pour Matthieu, Jésus est le Messie que le peuple juif attendait. Ses paroles sont bien plus puissantes que les paroles de rabbins ou de prophètes. « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir ». L’affirmation de Jésus en Matthieu 5,17 se trouve être un passage particulier à Matthieu. L’auteur du livre de Matthieu veut prouver que Jésus de Nazareth est bien le Messie annoncé par les prophètes. Dans le Sermon sur la montagne, Jésus reconnait l’autorité de la Torah et l’accomplit par son enseignement et sa manière d’être. L’enseignement de Jésus se termine, et l’auditeur, tout comme le lecteur actuel sont mis en face d’une grande alternative : celle de suivre les commandements et en conséquence, de recevoir les bénédictions… ou de ne pas mettre en pratique et d’encourir le malheur [24]. L’examen de conscience peut commencer.

Mettre en pratique /ne pas mettre en pratique – Faire /ne pas faire (poiein). Dans cet exemple, nous avons donc deux catégories de personnes : ceux qui écoutent les paroles de Jésus, les mettent en pratique… et ceux qui ne les mettent pas en pratique ; ils sont comparés tous deux à un homme qui construit sa maison. « Mettre en pratique », à la lumière de l’Ancien Testament, est très fortement lié au vocabulaire de l’Alliance contractée entre Dieu et son peuple. Mais ce qui est révolutionnaire dans le livre de Matthieu, c’est qu’on n’entre plus dans l’Alliance en appartenant au peuple d’Israël, mais en reconnaissant Jésus comme Seigneur et Maître. Le déplacement théologique est considérable : le pilier de la foi n’est plus la Loi, mais la reconnaissance du Christ comme Messie, qui a autorité sur elle. Il y a ici une tension, car pour bien écouter, il ne faut rien faire (cela nous rappelle Marthe et Marie). Et l’auditeur est à l’écoute de l’enseignement de Jésus. Mais justement, pour Jésus, écouter ne suffit pas, il faut une mise en application, il faut faire. Le verbe poiein se trouve en Matthieu 5,19 et 46 ; 7,12, 24 et 26. Le verbe « faire » revient 9 fois dans les versets 13 à 27 ; lorsque la négation est associée au verbe, elle se teinte d’une notion menaçante. Pour ceux qui ne mettent pas en pratique, c’est la ruine qui leur est annoncée. La lecture de ces versets nous questionne (même aujourd’hui) : qu’elle action as-tu faite pour être témoin de ma Bonne Nouvelle, pour réaliser les volontés de mon Père ? [25] La pointe de la parabole est très précise et plutôt agressive : elle en veut à ceux qui écoutent mais ne mettent pas en pratique.

Sera comparé à un homme (omoiothesetai). Le grec utilise le futur pour dire que l’homme sera comparé (omoiothesetai)… l’expression n’est pas très logique en grec, car l’homme ne sera pas comparé dans une circonstance future, comme au jour du jugement. C’est maintenant (imparfait sémitique) que Jésus va dire à qui cet homme ressemble [26]. L’utilisation du futur indique le temps du jugement qui viendra… et le thème de la tempête qui surgit dans la suite du texte permet l’association d’idées avec le jugement [27].

Sage/fou. Le premier homme est qualifié de prudent, de sage (phronimos). Le deuxième constructeur est qualifié de fou, de stupide, d’insensé (moros). Il est facile de retenir cette parabole en utilisant les parallélismes antithétiques comme homme sage/homme fou ou bâtir sur roc/bâtir sur le sable. Mais pourquoi sont-ils qualifiés de sage et de fou ? Tous deux ont entendu l’enseignement de Jésus, tous deux construisent une maison… mais sur des terrains différents ! Et c’est le choix de ce terrain qui les qualifie de sage ou de fou.

Construire une maison. Dans la parabole de Matthieu, l’homme qui écoute l’enseignement de Jésus ressemble à l’homme construisant sa maison. L’exemple n’est pas absurde, l’homme est dans ce qu’il construit. Matthieu de donne pas de détails : l’homme est-il seul à construire ? A-t-il des amis ? des ouvriers ? Est-ce une grande maison ? ou une petite ? combien de pièces ? Pas de détail architectural : maison palestinienne ? romaine ? toit plat ? Ces détails n’ont aucune importance pour l’enseignement donné. Par contre, le choix du lieu de la construction est très important. Là est la sagesse de l’homme prudent qui a su choisir le bon fondement. Là est la folie de l’homme qui a construit sur le sable.

Roc/Sable. Matthieu met en scène deux sols différents : le roc et le sable. En Palestine, le roc propice à la construction ne manque pas. Le constructeur n’est pas spécialement intelligent, il fait ce qu’il y a à faire dans les conditions concrètes du sol palestinien. Le rocher (petra) y est propre à la construction en Galilée comme en Judée [28]. Luc utilise la même image, mais y ajoute bien plus de sueur car son constructeur avisé doit creuser et poser des fondations sur le roc. Cette partie de l’image est souvent comprise ainsi : on fait de la parole de Jésus le roc sur lequel édifier sa vie. Mais la pointe du texte est ailleurs : elle est dans le fait de mettre en pratique les paroles de Jésus [29]. Il n’est pas précisé comment ces deux constructeurs mettent en pratique la parole de Jésus. Le sable (ammos) dans l’Ancien Testament est qualifié de sable de mer, mais c’est aussi une terre meuble comme celle de l’Egypte. On peut songer en Galilée à ces terres légères qui sont au sud du lac ou dans la plaine de Génésareth. Choisir un pareil sol est insensé. C’est ainsi que la parabole de Matthieu est parfaitement cohérente. Personne dans le pays ne se soucie de faire des fondations profondes : le sage bâtit sur la roche, l’autre sur un terrain peu résistant [30]. L’un est qualifié de sage, l’autre de fou parce qu’ils ont choisi le terrain de construction [31]. Le fou aurait pu être sage s’il avait construit sa maison sur des pilotis, donnant ainsi des fondations solides à sa maison.

 Et… L’écrivain grec a placé 14 fois cette conjonction (kai), elles donnent du rythme à l’histoire et tiennent le lecteur en haleine.

Pluie, torrents, vents. Arrivent la pluie, les torrents et les vents. La pluie (broke) peut désigner la pluie d’irrigation ou la pluie orageuse. Ici pas de doute, c’est bien d’une pluie d’orage qu’il s’agit. Les torrents (potamoi) sont les torrents de la mauvaise saison palestinienne (de décembre à mars). Ils se forment pendant les grosses pluies, sont imprévisibles et surtout, ils emportent tout sur leur passage [32]. Les vents (anemoi) sont la dernière calamité météorologique de l’histoire. Certains les comprennent comme des tourbillons locaux [33]. Le père Lagrange préfère y voir une météorologie normale et connue des habitants du bord du lac de Galilée « Il est rare que le vent renverse une maison. Mais outre que le vent est l’accompagnement inéluctable des grandes pluies, il est quelquefois assez violent pour abattre des toits et même des murs en terre battue, comme nous l’avons vu à Jéricho en 1912 » [34]. Bref, ce sont les grosses bourrasques de vent et de pluie mêlées. L’image de la tempête, dans l’AT, désigne souvent la colère et la condamnation divines. Attention à une interprétation hâtive ! Cette tempête ne fait probablement pas allusion aux difficultés courantes de la vie (maladie, deuil, adversités diverses). Les versets 25 et 27 sont des parallélismes exacts selon les habitudes sémitiques. Et introduisent deux conclusions différentes…

Se sont précipités contre / sont venus battre (prosepesan) / (prosekopsan). Le radical de ce verbe est utilisé à deux reprises. Et pourtant, la nuance pourrait induire que l’intensité de la tempête était grande, bien plus grande que la seconde tempête. Le plus important, c’est la suite.

Elle n’a pas croulé car elle avait été fondée sur le roc – Elle a croulé et sa chute était grande. Le résultat de l’histoire est différent par rapport à l’attitude du début ! Une maison en place pour l’un, une maison écroulée pour l’autre propriétaire. Les derniers mots du discours produisent un effet chez le lecteur que nous sommes. « Il n’est pas possible d’échapper à une réflexion sérieuse sur l’enjeu vital qui accompagne la décision inéluctable de conformer ou non son existence à l’enseignement de Jésus » [35]. Ce qui est clairement mis en avant dans cet enseignement, c’est l’action éclairée après l’écoute de l’enseignement de Jésus. Après le Sermon sur la montagne, un temps nouveau a commencé. Un temps qui ne détruit pas le monde existant, dans lequel nous sommes appelés à vivre intelligemment, qu’il faut gérer, pour soi et pour les autres en attendant la fin. Ici un appel est fait à l’intelligence, par opposition à la bêtise. Il est intelligent et profitable d’écouter la parole de Dieu et celui qui l’explique avec clarté, Jésus.

  • Les deux maisons chez… Elicha ben Abouyà

Vers 130 après JC Elicha ben Abouya disait « Celui qui a beaucoup de bonnes œuvres et sait bien résoudre les difficultés d’après la Loi, à qui ressemble-t-il ? A un homme qui en construisant met d’abord des blocs de pierre, puis des briques. Les flots qui viennent battre la construction ne peuvent l’entrainer de sa place. Au contraire celui qui a de grandes connaissances de la Loi, mais peu de bonnes œuvres, à qui ressemble-t-il ? A un homme qui en bâtissant met d’abord les briques, puis ensuite les blocs ; le bâtiment tombe pour un peu d’eau » [36]. D’après Lagrange, cette citation rabbinique ne pourrait être la source de la parole de Jésus, au contraire ! Elle aurait été utilisée par Elicha pour développer la pensée de Jésus.

… et chez Luc 6,47-49. Dans Matthieu, comme dans Luc, la réinterprétation de la loi par Jésus se termine par cette parabole : « Tout (homme) venant à moi et écoutant mes paroles et les pratiquant, je vous montrerai à qui il est comparable. Il est comparable à un homme bâtissant une maison, qui a creusé et approfondi et a posé le fondement sur le roc. Une crue s’étant produite, le torrent s’est rué contre cette maison et il n’a pu l’ébranler, pour cela (qu’) elle avait été bien bâtie. Mais celui qui a écouté et n’a pas pratiqué est comparable à un homme ayant bâti une maison sur la terre, sans fondement, contre laquelle s’est rué le torrent, et aussitôt elle s’est écroulée et la ruine de cette maison fut grande. »

Les différences de contenu entre les deux versions de la parabole :

  • Luc décrit avec force détails la technique de construction : il faut creuser, excaver profondément avant de poser les fondations. Chez Matthieu, pas autant d’efforts ! La solidité de la maison matthéenne dépend du fondement (roc) alors que chez Luc, l’accent est mis sur la construction (décrit par trois verbes : creuser, approfondir, fonder sur le roc).
  • Matthieu décrit les pluies torrentielles de la Palestine, alors que Luc dépeint une inondation venant de la crue d’un cours d’eau.
  • Enfin, Matthieu détaille l’intempérie pour arriver à une chute, alors que Luc parle de ruine. Il est certain que les auteurs ont adapté la parabole aux conditions géologiques et climatiques de leur milieu.
  • Pour Luc il faut prendre de la peine. De même que quiconque n’a pas pris la peine de creuser des fondations est exposé à voir tomber sa maison au jour de l’inondation, ainsi le disciple qui ne pratique pas résolument ce que le Christ a enseigné se laissera emporté par l’épreuve.[38] Pour Matthieu, le message est de mettre en pratique l’enseignement de Jésus.
  • Matthieu a répété son texte sans avoir peur de lasser son auditoire : au contraire, ses répétitions permettent de s’en souvenir par cœur : c’est un procédé mnémotechnique rabbinique. Chez Luc, l’histoire est la même, mais le parallélisme bien moins grand. Ce qui fait dire aux spécialistes que l’écriture de Luc est plus tardive que celle de Matthieu [39].

Conclusion
Finalement, quelle actualisation tirer de l’enseignement de Jésus ? Tous entendent l’enseignement de Jésus. Certains mettent en pratique cet enseignement… et ils vivront heureux. La conclusion renvoie au début de la parabole, ces gens-là seront comparés à un homme sage. D’autres ne mettent pas en pratique les paroles entendues, leur folie n’est pas de ne pas avoir discerné les paroles de Jésus, mais d’en n’avoir rien fait. Et pour eux, la chute sera grande. A la lumière de 1 Corinthiens 10,4, la tradition de l’Eglise a souvent interprété cette parabole comme une allégorie, affirmant que le roc, c’était Jésus [40], lecture devenue courante chez les réformateurs. Mello ose une double conclusion « La parole, c’est l’écoute. La roche c’est la pratique. Une écoute qui n’a pas de fondation s’évanouit. La foi doit s’enraciner dans l’amour. Mais peut-être que la parabole de Matthieu est une parabole en acte : la maison c’est le discours sur la montagne, au terme duquel nous sommes arrivés, et la roche c’est la ‘Loi et les Prophètes’ sur lesquels il est fondé : il ne peut y avoir d’écoute des paroles de Jésus qui ne tienne compte de l’Ancien Testament. L’enseignement de Jésus est ‘l’accomplissement’ de la construction, mais ses fondations incontournables sont celles-là même que le Père avait déjà mises en place par la bouche de Moïse et des prophètes » [41]. Pour Thayse, « Mettre en pratique, c’est aller à la rencontre de la réalité quotidienne, c’est s’immerger dans la vie, vocation de chaque homme… Le génie de Jésus a été de percevoir que c’est dans la vie ordinaire la plus simple, dans des actes accessibles à tous, et donc compréhensibles par tous, que se joue et se construit la vie, que se parcourt le chemin où ‘la vie de l’ego va se changer en celle de Dieu lui-même’ (M. Henry) » [42]. Pour Suzanne de Dietrich, « Jésus veut être obéi ; croire en lui, c’est accepter de se laisser constamment juger et rappeler à l’ordre par sa parole ; c’est naître à cette vie de l’amour que lui seul peut créer en nous ; c’est vivre jour après jour le du pardon de Dieu… » [43]. Roux de son côté est affirmatif « Autrement dit, la foi qui ne produit pas les œuvres n’est pas la foi ; et, inversement, les œuvres ne peuvent pas exister sans la foi… mais pouvons-nous délibérément nous ranger de nous-mêmes et avec sérénité du côté de ceux qui écoutent la Parole et la mettent en pratique ? » [44]

Actualisation d’écriture : « Celui qui entend vraiment les paroles que je dis et les transforme en actes est semblable à un maçon qui construit sur le roc : bien des cataclysmes surviendront, mais la maison résistera. Celui qui m’entend sans m’entendre, qui ne transforme pas les intentions en actes, est semblable au maçon qui construit sur le sable : si les mêmes cataclysmes surviennent, la maison de sa vie sera emportée » [45].

La conclusion du Sermon sur la montagne, versets 28-29, développe ce que la parabole a commencé : « Quand Jésus eu achevé ces instructions, il arriva que les foules étaient hors d’elles-mêmes du fait de son enseignement ; c’est qu’il enseignait avec autorité, non comme leurs scribes » [46].

Bibliographie

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ALBRIGHT WF and MANN CS, Matthew, introduction, translation, and notes, Doubleday & Company, 1971
BARLOW Michel, L’Evangile en relief, Matthieu. Pistes bibliques tout au long de l’année liturgique (Année A), collection Parole Vive, Editions Olivétan, 2016
BENOIT Pierre et BOISMARD Marie-Emile, Synopse des quatre évangiles en français, avec parallèle des apocryphes et des Pères, tome 1 Textes, Les éditions du Cerf, 1979
BONNARD Pierre, L’évangile selon Saint Matthieu, Commentaire du Nouveau Testament 1, Labor et Fides, Genève 2002
CUVILLIER Élian, ‘Évangile selon Matthieu’, in Le Nouveau Testament commenté, texte intégral TOB, sous la direction de Camille FOCANT et Daniel MARGUERAT, Bayard, Labor et Fides, 2012
DE DIÉTRICH Suzanne, Mais moi, je vous dis. Commentaire de l’Evangile de Matthieu, Editions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1965
DUMAIS Marcel, Le Sermon sur la Montagne, Etat de la recherche, Interprétation, Bibliographie, Letouzey et Ané, 1995
DURAND Alfred, Evangile selon Saint Matthieu, Beauchesne ed. 1938
JAY Bernard, Introduction au Nouveau Testament, Collection théologique CLE, éditions Clé, Yaoundé, 1969
LAGRANGE MJ, Évangile selon Saint Matthieu, Gabalda et Cie éditeurs, 1948
LOISY Alfred, Les évangiles synoptiques, tome 1, Ceffonds, 1907
LUZ Ulrich, Das Evangelium nach Matthäus (Mt 1-7), EKK, Benziger, Neukirchener, 2002
MAILLOT, Les paraboles de Jésus, Labor et Fides, Cerf, 1993
MELLO Alberto, Évangile selon saint Matthieu, commentaire midrashique et narratif, Lectio Divina 179, Les éditions du Cerf, 1999
PARMENTIER Roger, L’évangile autrement. L’évangile de Matthieu et l’apocalypse relus pour notre temps, Editions Le Centurion, 1977
ROUX Hébert, L’Evangile du Royaume. Commentaire sur l’Evangile selon saint Matthieu. Editions Labor et Fides, Genève, 1956
SCHWEIZER Eduard, Das Evangelium nach Matthäus, NTD band 2, Vandenhoeck & Ruprecht in Göttingen, 1986
THAYSE André, Matthieu, l’évangile revisité, Editions Racines, collection Lumen Vitae, 1998
TOB – Traduction Œcuménique de la Bible, La Bible, Bibli’O, Société biblique française et éditions du Cerf, 2015

[1] Léon-Dufour, Introduction XV,3
[2] Jay, page 87
[3] Mello, page 23-24
[4] Jay, page 95
[5] Les spécialistes actuels abandonnent de plus en plus la théorie d’une seconde source appelée « Paroles de Jésus » ou « Logias » ou « Source Q » (du mot allemand Quelle = source). Matthieu et Luc auraient utilisés cette collection de paroles, ce qui expliquerait les points en communs entre ces évangiles.
[6] TOB, Introduction à Matthieu
[7] TOB, Introduction à Matthieu, page 1611
[8] Jay, pages 96-97
[9] Bonnard nomme Léon-Dufour, page 7
[10] TOB, Introduction à Matthieu
[11] TOB, Introduction à Matthieu
[12] TOB, Introduction à Matthieu, page 1613
[13] TOB, Introduction à Matthieu
[14] Cuvillier, page 22
[15] Mello, page 15
[16] Mello, page 52 cite K. Stendahl « The School of St Matthew and Its Use for the Old Testament »
[17] Cuvillier, pages 22-23
[18] Jay, page 106
[19] Mello, page 16
[20] Bonnard, page 3
[21] Maillot, page 10
[22] Jay, page 103
[23] Roux, page 88
[24] Dumais, page 306
[25] Bonnard, page 107 « Ces versets ne décrivent pas une loi psychologique selon laquelle l’obéissance à la loi renouvelée assurerait la solidité de l’homme ; ils sont un avertissement prophétique adressé à des auditeurs déjà menacés par un certain quiétisme spirituel. »
[26] Lagrange, page 157
[27] Dumais, page 306
[28] Lagrange, page 157
[29] Bonnard, page 109
[30] Lagrange, page 158
[31] Bonnard, page 109 Attention. Il ne faudrait pas y voir une allusion aux passions, désirs, bonnes volontés fragiles de la vie sans Dieu
[32] Lagrange, page 157
[33] Bonnard, page 109
[34] Lagrange, page 157
[35] Dumais, page 306
[36] Lagrange, pages 158-159
[37] Benoit et Boismard, paragraphe 75
[38] Lagrange, page 158
[39] Dumais, page 305
[40] Dumais, pages 306-307
[41] Mello, page 152
[42] Thayse, pages 67-68
[43] De Diétrich, page 58
[44] Roux, page 89
[45] Parmentier, page 38
[46] Bonnard, page 110

Crédit, Laurence Gangloff (UEPAL) – Point KT




Les prophètes du retour de l’exil : Aggée, Zacharie et Malachie

Les derniers livres prophétiques dans nos bibles, Aggée, Zacharie et Malachie, se situent tous trois durant une période bien précise, celle du retour de l’exil à Babylone. Voici une Introduction générale, et des notes pour les moniteurs :
Ces livres sont à étudier en parallèle avec les livres historiques d’Esdras, de Néhémie et d’Esther (voir aussi la fin du deuxième livre des Chroniques).

Ils couvrent le dernier siècle de l’histoire juive telle qu’elle est contée dans la Bible hébraïque c’est-à-dire, approximativement, de 538 à 433 avant Jésus-Christ. Les événements décrivent les décennies qui suivent le renversement de l’empire babylonien par Cyrus, roi de Perse, en 539 avant notre ère.

Si nous ne pouvons avec exactitude nommer les rédacteurs de ces textes, il est généralement admis que l’essentiel du contenu est réalisé à partir des souvenirs personnels d’Esdras et de Néhémie. Ensemble, les deux précités couvrent le règne de cinq rois perses et décrivent le retour de l’exil en trois vagues :

  • Un premier contingent, le plus nombreux, revient sous la conduite de Zorobabel vers 538
  • Un second groupe revient avec Esdras vers 458
  • Un troisième avec Néhémie en 445.

Le livre d’Esther, quant à lui, se situerait entre la restauration du temple à Jérusalem et le retour d’Esdras.

Comme les prophètes l’avaient annoncé, la Babylonie est tombée à son tour, tel un colosse aux pieds d’argile, aux mains de l’empire perse. Dès sa victoire, un des premiers actes de Cyrus, roi des Mèdes et des Perses de 559 à 530, est d’ordonner le rapatriement des exilés vers leurs terres d’origine (en réalité il s’agit, bien entendu, essentiellement des descendants des exilés). Ce retour, qui correspond sans doute avec la fin de la vie de Daniel, est relaté au chapitre 1er du livre d’Esdras.
Darius 1er, qui succède en 522 avant Jésus-Christ à Cambyse (dont les Ecritures ne parlent guère), est contemporain des prophètes Aggée et Zacharie. Durant son règne a lieu la reconstruction du temple (confer Esdras 4, 5 et 6, 15 : « Le temple fut achevé le troisième jour du mois d’Adar, dans la 6e année du règne du roi Darius »).
Assuérus (Xerxès 1er) succède à Darius pour 21 années, en 486. C’est lui qui éleva la fille adoptive de Mardochée à la dignité de reine (cf. Esther 2, 5 à 18) et le juif Mardochée comme premier après lui (confer Esther 10, 3).
Enfin, Artaxerxés 1er régna de 464 à 423, son histoire est notamment décrite en Esdras 4, 7 à 23 ; 7, 1 et Néhémie 2, 1.

Dès leur retour, les Hébreux, essentiellement issus du Royaume du Sud, vont se mettre à reconstruire le temple, afin de rétablir le culte et le sacrifice. Ils veulent rétablir le culte de l’Eternel tel que la prescrit la loi mosaïque. Ce sera là le ferment d’une nouvelle unité nationale face à ceux que les Ecritures nomment les Samaritains, la population établie dans la « Terre promise » par Asarhaddon, roi d’Assyrie, en « remplacement » des juifs déportés. La question de l’origine des Samaritains nous est relatée dans le 2e livre des Rois, au chapitre 17, les versets 24 à 41. On y lit la cause de leur rejet par les juifs revenus de l’exil : « Ils craignaient l’Eternel mais servaient en même temps leurs dieux d’après la coutume des nations d’où on les avait transportés » (2 Rois 17, 23).

Les cinq premiers versets du chapitre 4 du livre d’Esdras nous expliquent pourquoi les travaux de reconstruction du Temple ont été interrompus pendant quinze années du règne de Cyrus et ne reprennent que sous Darius 1er. Les versets 6 à 13 du même chapitre forment une séquence à part, hors chronologie, qui explicite les raisons durables de l’opposition jusqu’au temps d’Esdras et de Néhémie.
Grâce aux actions conjuguées des prophètes Aggée et Zacharie, et malgré une nouvelle opposition sous Darius 1er, le peuple reprend et poursuit la construction du temple jusqu’à son achèvement.
Plus d’un demi-siècle s’est écoulé entre le dernier verset du chapitre 6 du livre d’Esdras et le premier verset du chapitre 7. C’est durant cette période que la reine Esther s’élèvera pour empêcher le massacre de tous les juifs de la cour assyrienne et donc, indirectement, de sauver la vie d’Esdras et de Néhémie, échanson et gouverneur sous le règne d’Artaxerxés.

Analyse succincte du livre d’Aggée
Selon les Ecritures, le prophète Aggée a proclamé la parole du Seigneur en 520 avant Jésus-Christ et Zacharie deux ans plus tard. Suite à l’Edit de Cyrus, un premier contingent d’exilés, fort de plus de 40 000 hommes, revient en Israël en 538, sous la conduite de Zorobabel, petit-fils du roi Joachim, prince de Juda et gouverneur de Jérusalem.
Remarque : Zorobabel est, selon toute vraisemblance, né à Babylone pendant la période de captivité des Juifs. Petit-fils de Joachim (roi de Juda en 598-597 av. Jésus-Christ), il est de la lignée davidique. Zorobabel dirigea le premier rapatriement et fut nommé gouverneur laïque de Jérusalem par Cyrus. Il y organisera la reconstruction du Temple qui avait été détruit en 586 avant notre ère par Nabuchodonosor II de Babylone. La suite de son existence est méconnue.
L’opposition, notamment « samaritaine » et l’apathie générale mirent fin à la reconstruction du Temple jusqu’au message inspiré et mobilisateur qu’Aggée et Zacharie proclament au nom de l’Eternel (cf. Esdras 5, 1 et 2). Outre son caractère historique, le message d’Aggée est d’une brûlante actualité car il appelle chacun et chacune à établir, pour sa vie personnelle et communautaire, un ordre de priorité. Ce dernier n’est, à ses yeux, que la matérialisation de décisions libres que les hommes ont prises et auxquelles dès lors ils doivent être fidèles.
A quatre reprises, la Parole de l’Eternel est adressée à Aggée pour qu’il l’annonce au peuple et à Zorobabel :

  • Première séquence : Aggée chapitre 1er
    Le peuple égoïste se préoccupe d’abord, et chaque membre pour lui-même, de son propre bien être. Dès lors, aucune bénédiction de Dieu n’est possible. Par son message, Aggée « réveille » la conscience du gouverneur Zorobabel et celle du peuple et ils se remettent à l’œuvre.
  • Deuxième séquence : Aggée 2, 1 à 9
    Dans la mémoire collective du peuple subsiste le souvenir de la grandeur du temple de Salomon. Certes, la construction nouvelle n’a pas cette splendeur-là, mais que Zorobabel et les constructeurs n’en soient pas découragés : L’Eternel des Armées est fidèle à son alliance et rendra la gloire de cette maison visible pour toutes les nations.
  • Troisième séquence : Aggée 2, 10 à 19
    Aggée use de l’exemple des lois alimentaires pour montrer, aux sacrificateurs et au peuple, que la bénédiction de Dieu ne peut atteindre qu’une nation purifiée. Dès que le peuple sera purifié, les bénédictions divines l’atteindront.
  • Quatrième séquence : Aggée 2, 20 à 23
    Il s’agit ici d’une parole que transmet Aggée au seul Zorobabel. Plusieurs commentateurs considèrent que cette prophétie s’applique non à Zorobabel en tant que tel, mais à cet homme en tant que sceau attestant de l’importance de la descendance davidique. Le thème de l’élection est clairement exprimé au verset 23b : « Je te garderai comme un sceau, car je t’ai choisi… ».

 

Utilisation à l’école du dimanche

Pour les petits (6 à 9 ans)
Accrochage
a) Donner à chaque enfant présent quelques blocs de construction (en bois ou plastique mais sans système d’accrochage) et demander qu’ils construisent une maison avec ces blocs.
b) Constater avec eux que, même si ce qu’ils ont réalisé est bien, cela ne fait pas un édifice très complet. S’il est possible, on peut également montrer la faiblesse des petites constructions face aux éléments (pluie/eau, vent/souffle, tremblement de terre/secousse, etc.). Dans ce cas, on réutilisera les mêmes éléments pour tester la construction du point c et constater, avec les enfants, les différences.
c) Leur proposer de joindre leurs blocs et leurs capacités de bâtisseurs, en les aiguillant pour bâtir un édifice beaucoup plus majestueux, avec des bases solides, des murs épais et une couverture de toit. Cette fois, si l’on entre dans cet édifice on est à l’abri contre les intempéries ! Il y a donc avantage à s’unir pour en recevoir, tous ensemble, les avantages.

Corps de la séance
Raconter l’histoire du retour de l’exil en insistant sur le fait qu’ils reviennent dans un monde inhospitalier et où nulle demeure ne les attend. Reprendre alors l’accrochage pour leur montrer que seule l’union permet de réaliser un édifice qui apporte à tous une satisfaction. Si le moniteur en a l’occasion, il peut ajouter qu’il est plus agréable de travailler ensemble que chacun dans son coin (utiliser l’exemple des jeux : il est plus gai de jouer ensemble que tout seul !). Cette union, autour d’un projet commun, est conforme à la volonté de Dieu. Il faut d’abord construire tous ensemble la maison de Dieu (le temple) avant de bâtir sa propre demeure. C’est alors que les hommes et les femmes seront bénis par Dieu.

Pour les grands (10 à 12 ans)
Accrochage
Il sera similaire à ce détail près que les 10 à 12 ans devront répondre, par leur construction, à certains critères établis en fonction des blocs que l’on met à leur disposition. Hauteur, superficie, toiture. Ainsi, ipso facto, leur construction sera fragilisée et l’on pourra aisément démontrer la nécessité de s’unir pour que l’édifice construit soit plus résistant.

Corps de la séance
L’accrochage sera réalisé plus rapidement et l’on pourra développer avec eux plusieurs thématiques, après avoir lu (dans une version en français courant) ou raconter l’histoire du livre.
Si l’on a une « échelle des temps bibliques » dans la salle d’Ecole du Dimanche, ce qui est chaudement recommandé, on montrera clairement aux enfants quand se passent les événements décrits et quels sont les autres livres bibliques qui traitent des mêmes questions et de la même période.

Thèmes à développer (en choisir deux ou trois maximum)
1) La priorité que nous avons à donner à Dieu dans nos vies.
2) Les enfants de cet âge sont à même de comprendre que si l’on vit de façon nombriliste, uniquement axés sur nos propres besoins, nous ne serons jamais satisfaits. Seule une œuvre menée en commun peut vraiment apporter dans nos vies une réelle satisfaction.
3) Il nous est demandé de nous mettre à l’œuvre et d’achever ce que nous pouvons. Ce ne sera peut-être pas ce que nous avions imaginé mais, pour le reste, nous pouvons nous en remettre à Dieu qui, fidèle à son alliance, peut rendre le produit de notre action beaucoup plus visible que nous ne l’imaginons.
4) On ne se moque pas de Dieu ! Dieu veut œuvrer avec un peuple purifié. Si nous ne sommes pas purifiés par lui, nos actions risquent bien d’être vaines.
5) Les moniteurs peuvent également introduire, par les derniers versets, le thème de l’élection, mais il existe d’autres textes plus significatifs dans ce cadre.




Genèse 11 : 1 à 9 : version J.N. Darby

landscape-1431149_640La version de J.N. Darby du texte de Genèse 11 :

1 Et toute la terre avait une seule langue* et les mêmes paroles.
2 Et il arriva que lorsqu’ils partirent de** l’orient, ils trouvèrent une plaine dans le pays de Shinhar ; et ils y habitèrent.
3 Et ils se dirent l’un à l’autre : Allons, faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et ils avaient la brique pour pierre, et ils avaient le bitume pour mortier.
4 Et ils dirent : Allons, bâtissons-nous une ville, et une tour dont le sommet [atteigne] jusqu’aux cieux ; et faisons-nous un nom, de peur que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre.
5 Et l’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes.
6 Et l’Éternel dit : Voici, c’est un seul peuple, et ils n’ont, eux tous, qu’un seul langage*, et ils ont commencé à faire ceci ; et maintenant ils ne seront empêchés en rien de ce qu’ils pensent faire.
7 Allons, descendons, et confondons là leur langage, afin qu’ils n’entendent pas le langage l’un de l’autre.
8 Et l’Éternel les dispersa de là sur la face de toute la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville.
9 C’est pourquoi on appela son nom Babel***, car là l’Éternel confondit le langage* de toute la terre ; et de là l’Éternel les dispersa sur la face de toute la terre.


* v. 1, 6, 9 : litt. : lèvre.
** v. 2 : ou : vers.
*** v. 9 : confusion.




Babylone : une des plus grandes cités du monde antique

Un travail biblique extrêmement fouillé qui pourra servir à diverses animations catéchétiques. On peut rechercher un certain nombre de documents iconographiques sur Internet, en plus de ceux déjà présent dans le document. Bien au-delà du portrait archéologique, historique et architectural de la ville, de ces habitants et de ces divinités, cette synthèse aborde la thématique des hébreux en exil, la politique de Nabuchodonosor et celle de Cyrus, le Messie perse. La fiche introduit aussi les références bibliques et symboliques de Babylone dans le Nouveau Testament et le christianisme.

1. Babylone : une des plus grandes cités du monde antique

À Babylone, tout paraît démesuré aux exilés. La ville est gigantesque, les bâtiments sont immenses.
Nabuchodonosor, voulait faire de sa ville la reine des cités. Le progrès des techniques, le développement économique, l’apport des richesses des territoires conquis donnaient à Nabuchodonosor les atouts nécessaires à la réalisation de son projet.
Tous les talents, dont ceux des élites des pays conquis, furent donc mobilisés pour la gloire de l’Empire.

ID 1411 Empire neo babylonien
Empire babylonien

1.1    La ville
1.1.1    Images de la ville
L’emplacement du site antique n’a jamais été perdu. Mais on n’a vraiment commencé à s’y intéresser qu’au début du XXe siècle. C’est de là que datent les grandes expéditions archéologiques de cette cité mythique.
Les fouilles montrent que la cité couvrait près de 1 000 hectares, soit : 500 ans avt JC, 2 fois plus grande que Paris sous Henri IV !
Babylone était une des plus grandes cités du monde ancien.
Le centre royal « intra-muros » avait une forme grossièrement rectangulaire (2,5 × 1,5 kilomètres), coupée en deux par l’Euphrate, que l’on pouvait franchir par un pont.
En tant que capitale, Babylone abritait plusieurs palais royaux : le palais sud, le palais nord et le palais d’été (hors de l’intra-muros).
Le mur d’enceinte intérieur comportait 8 portes dont la célèbre porte d’Ishtar (une des déesses du panthéon babylonien),

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Déesse Isthar

La célèbre porte a été reconstruite dans un musée à Berlin au Pergamon Museum parce que les grandes expéditions archéologiques du début XXe siècle étaient allemandes.
C’est par cette porte que le roi rentrait triomphalement dans la ville après une campagne militaire.

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La célèbre porte d’Ishtar

Babylone est également une ville sainte, avec de nombreux temples dédiés aux différents dieux de Mésopotamie.
Mais le grand temple est l’Esagil, qui est littéralement la maison du roi des dieux : Marduk.

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Mardouk tuant Tiamat

1.1.2    Marduk, roi des dieux
La Mésopotamie a vu naître 2 grands mythes fondateurs :
L’un est l’épopée de Gilgamesh qui vient de l’époque sumérienne (retrouvé des tablettes écrites en -2000 / -2200).
Les lecteurs de la Bible rencontrent forcément à un moment ou à un autre l’épopée de cet homme-dieu, Gilgamesh, parce que l’Ancien Testament s’en est beaucoup inspiré (récit initiatique d’un jeune roi : le juge Samson, présence d’un dieu soleil Shamash, le déluge).

ID 1411 Gilgamesh
Gilgamesh

L’autre mythe fondateur né en Mésopotamie c’est l’Enuma Elish. Enuma Elish signifie littéralement Lorsqu’en haut, selon les premiers mots du récit.
Ce texte a été rédigé au -XIIe s (l’époque du retour des hébreux hors d’Egypte et installations en Canaan = Juges). Rédigé sur 7 tablettes et seule la 5e est manquante, donc quasi complet. L’Enuma Elish raconte comment le dieu Marduk est devenu roi du panthéon des dieux babyloniens.
Mais surtout ce texte décrit les origines du cosmos, le combat contre le chaos ainsi que la création du monde et de l’Homme.

Début du texte (tablette I, 1-10) :

« Lorsqu’en haut le ciel n’était pas encore nommé
Qu’en bas la terre n’avait pas de nom [ils n’existaient pas],
Seuls l’océan primordial [l’Apsû] qui engendra les dieux,
Et la mer [Tiamat] qui les enfanta tous,
Mêlaient leurs eaux en un tout.
Nul buisson de roseaux n’était assemblé,
Nulle cannaie n’était visible [la végétation n’existait pas],
Alors qu’aucun des dieux n’était apparu,
N’étant appelé d’un nom, ni pourvu d’un destin,
En leur sein, des dieux furent créés. »
Ce texte fait largement écho avec le texte de la Genèse : ce sont les premiers mots qui donnent le nom (« au commencement, berechit bara ») ; rien n’existe, c’est un chaos ; présence de l’eau primordiale ; pas encore de végétation ; les choses n’ont pas été nommées et pour exister Dieu les nomme : « Dieu dit », etc.


Pour les Mésopotamiens l’Esagil, est le centre du Monde, le lieu où fut créée toute chose se trouvant sur terre. Babylone était représentée au centre sur les cartes. Et le « centre du centre », c’était l’Esagil. 

1.1.3    Le développement de ce royaume
Le développement de Babylone est lié à la volonté des rois qui ramènent chez eux les peuples vaincus, surtout les élites et les artisans qu’ils installent dans des villages.
Les documents citent des agglomérations nommées selon le pays d’origine de ses habitants : on trouve ainsi une Ascalon, une Gaza, une Qadesh, une Tyr, et également une certaine « ville de Juda ».

Nabuchodonosor a été un grand roi conquérant, comme ses prédécesseurs, mais il s’est aussi beaucoup consacré à l’embellissement de sa capitale. Il voulait que sa ville devienne le cœur spirituel et intellectuel, rayonnant sur le monde civilisé. Et pas seulement sa capitale : Nabuchodonosor a aussi investi dans le développement économique et architectural des autres villes de son empire (Ur par ex).
Les déportés ont sans doute été affectés à des travaux urbains ou architecturaux de restauration et de construction.
D’autres exilés sont devenus agriculteurs, sur des terres qui leur étaient affectées.
Une autre enceinte jouxtait le temple de Marduk : la ziggurat qui était, de base carrée 100 mètres de long, qui est sans doute à l’origine d’un autre mythe biblique…

1.1.4    La Ziggurat ou Tour de Babel
Le spécialiste de la Mésopotamie Mario Liverani donne une explication intéressante sur ce récit de la Bible. Les Ziggurat sont des temples datant d’une première séquence de l’expansion de la Mésopotamie avec les Sumériens (+ de 2000 ans avant notre ère). L’emploi de la brique crue, juste séchée au soleil, entraine dans cette région une alternance continue d’érosion et de restauration des bâtiments. Certaines Ziggurat étaient laissées à l’abandon au profit de nouveaux temples comme celui de l’Esagil. On peut imaginer l’impression que fit l’énorme ziggurat se détachant de l’horizon sur des déportés juifs qui ne connaissaient pas de tels monuments.

ID 1411 Zigourat
Et pour peu que la Ziggurat ait été en partie en ruine (puisque plus utilisée comme temple), les juifs ont pu fantasmer sur le fait qu’elle n’ait pas pu être achevée à cause d’une malédiction divine.
De plus, dans la situation dégradée qui était la leur, ces déportés juifs côtoyaient d’autres déportés, d’origines, de langues et de cultures différentes (araméens, anatoliens, iraniens).
Tous employés sur les grands chantiers de construction et de restauration de Nabuchodonosor, ils ont probablement, concrètement, du vivre les difficultés de communication qui dérivaient de ces mélanges.

La Bible en a d’ailleurs rajouté une couche en introduisant un jeu de mots dans le nom de Babel.
Babylone signifie « la porte de Dieu », mais la Bible dans son récit de la Tour de Babel introduit l’idée de Babil : « lieu de la confusion », qui a donné le « babillage » en français.
Et pour finir cette découverte, est-il possible de parler de la ville sans évoquer les fameux jardins suspendus ?

1.1.5    Jardin suspendus
Les travaux de construction et d’expansion engagés par Nabuchodonosor sont pour beaucoup attestés pour sa gloire dans la littérature de cette époque (textes cunéiformes). Mais étonnamment, aucun texte babylonien n’évoque les fameux jardins suspendus. Les archéologues n’ont toujours pas réussi à mettre au jour des traces de ces jardins, ni d’une irrigation particulière sur le site.

ID 1411 jardins suspendus

Ils pensent de plus en plus que probablement ces jardins suspendus ont été développés à Ninive où on a retrouvé des traces de jardins spécifiques, ainsi que d’irrigation et, surtout, ces jardins extraordinaires sont cités bien des fois dans les textes assyriens (des confusions entre les 2 villes ont été constatées dans les premiers écrits d’historiens de ces époques).
Ce qui ne signifie pas qu’il n’y en a pas eu à Babylone, mais qu’on en a perdu la trace.

2.    Les hébreux en exil

2.1.1    L’installation
Il ne faut pas imaginer la vie des exilés comme celle de prisonniers dans des cellules. Jérusalem était loin pour qu’ils s’enfuient !
L’histoire de l’exil babylonien nous enseigne en effet que la situation des Juifs dans leur nouveau pays s’est même améliorée, au fil des années.
Un changement favorable a même lieu à la mort de Nabuchodonosor en 562. Son fils, Evil-Mérodach prend des mesures clémentes : II Rois, 25, 27-29.
Les hébreux étaient vivaient regroupés (on sait par exemple qu’il y avait des hébreux à Nippour, au sud-est de Babylone (cf. Ézéchiel 1.1n) dans des communautés relativement autonomes, présidées par des anciens de la communauté et des prophètes (Jérémie 29.1 ; Ezéchiel 8.1).
On peut lire dans la Bible que les exilés semblent mener une vie plutôt confortable, parfois même prospère (quelques-uns ont même des esclaves Esdras 2.65).
Certains ont gravi les échelons de la société pour devenir commerçants, bijoutiers, clients d’une banque dont on a retrouvé les archives. D’autres auront de hautes fonctions à la cour. Si la Bible atteste que les hébreux ont pu s’installer, prospérer et jouir d’une certaine autonomie, d’autres sources insistent sur la tristesse du « petit reste » d’Israël sur cette terre étrangère.

2.1.2    Si je t’oublie Jérusalem…
Lire Esaïe 49, 8-10 et Psaume 137
Ces textes évoquent la servitude, les ténèbres, les cachots, les larmes au bord du fleuve. Une crainte domine : celle d’oublier Israël. Ce serait la pire des malédictions si le peuple oubliait, car la théologie vitale pour les juifs, aujourd’hui encore, c’est « souviens-toi ». Souviens-toi comme ton Dieu t’as libéré hors d’Egypte, souviens-toi comme ton Dieu est intervenu dans ton histoire, souviens-toi…
Mais on voit bien que ce sentiment de nostalgie pour Sion était probablement mitigé ; tous ne le partageaient pas au même degré. Certains se sont très bien accommodés de leur vie dans cette cité développée. Quand ils auront la liberté de retourner au pays, beaucoup choisiront de rester sur place.
Il y a donc eu un phénomène d’assimilation d’une partie des juifs du Royaume de Juda en Babylonie. Comme cela s’est d’ailleurs passé pour les déportés de Samarie en Assyrie après la chute de Samarie en 721, et pour les réfugiés hébreux en Egypte (Juifs qui s’enfuirent en Egypte en -586 après l’assassinat du gouverneur Guédilia nommé par Nabuchodonosor) qui se sont complètement fondus dans ces pays d’accueil.
Donc, selon toute apparence, la réponse au choc de l’exil va être essentiellement littéraire.
Pour garder une cohésion politique, mais surtout religieuse, les anciens des communautés, les prophètes, les scribes qui se trouvent là commencent à consigner par écrit les traditions orales qui portent la foi du peuple. La communauté juive s’organise…

2.1.3    La communauté s’organise
Les Israélites captifs à Babylone ne se sont pas assimilés et ont su non seulement conserver, mais aussi approfondir leur patrimoine spirituel et leur originalité au milieu des nations païennes. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette fidélité :
Juste avant le départ à Babylone, une partie de la Thora venait d’être mise par écrit : les exilés ne partaient pas les mains vides et les écrits qu’ils emportaient avec eux serviront de repères pour leur foi.
De plus, ce sont les élites du pays qui ont été déportées : plus instruits, mieux préparés à s’organiser, privés de temple et donc de culte, ces élites ont su se resserrer autour de la Loi. Sans économie sans politique, la seule instance efficace pour unir le peuple juif était la religion.
Enfin une profonde conviction les animait : n’étaient-ils pas le Petit Reste qui avait survécu et à qui Dieu confiait maintenant la responsabilité de porter l’espérance d’Israël ? Pouvaient-ils oublier les promesses de Dieu ?

Leur réaction face à l’envahisseur est très particulière : ils ne se révoltent pas. Cela faisait plusieurs siècles que l’alliance entre Dieu et son peuple n’était plus trop respectée en Israël, et qu’elle a été souvent trahie par l’adoration des dieux étrangers. Voilà pourquoi, annoncent les prophètes, cet exil doit être considéré comme une punition justifiée. En ce sens, Nabuchodonosor devient un instrument de Dieu pour punir ce peuple infidèle et ce dernier ne doit pas se révolter. C’est ce que leur conseille le prophète Jérémie, lui qui est resté sur place en Israël, dans une lettre qu’il leur envoie : Jérémie 29, 4-14. Jérémie ne propose pas au peuple juif de s’assimiler aux pratiques étrangères. Mais de s’installer, de vivre dans la prospérité, tout en attendant l’heure de la délivrance, la chute de Babylone.
Tout cela fera que les hébreux ne se sont pas laissé entrainer au polythéisme environnant et que leur séjour en Babylonie va au contraire leur permettre d’approfondir leur foi.

2.1.4 L’approfondissement de la foi
Une question centrale taraude ce petit reste : Dieu est-il encore avec son peuple ? Dans l’Antiquité, un dieu était dieu sur une certaine terre mais pas ailleurs. Hors de sa terre, que pouvait faire Yahvé ? Les psaumes ne manquent pas de rapporter les questions des étrangers : « Où est-il, ton Dieu ? » (par ex. Psaume 42,11). La découverte faite en exil est une découverte universelle dans un temps d’épreuve : c’est la découverte de la présence inconditionnelle de Dieu aux siens : Dieu est présent dans le malheur.

La théologie fait un pas en avant : si Dieu est là, en terre étrangère, c’est donc qu’il est Dieu partout dans l’univers. Tous les Hommes peuvent croire en lui. Ce Dieu Yahvé devient donc aussi créateur du tout : du cosmos, du monde, de la nature. C’est l’affirmation centrale du récit de Genèse 1, écrit pendant cette période.

À ce questionnement s’ajoute le désarroi causé par la perte des piliers traditionnels de la foi juive : la terre, le roi, le temple. Autour de quoi la foi va-t-elle maintenant se structurer ? L’exil fait émerger trois nouveaux piliers :
> l’Écriture, tout d’abord. On rédige les grands textes qui, au retour, seront regroupés dans la Torah : notamment on raconte l’histoire d’Israël (Josué, Juges, Samuel, Rois) qui explique le désastre par l’infidélité du peuple et de ses dirigeants ;
> Les synagogues remplacent le Grand Temple unique ;
> les pratiquent rituelles, comme le respect du sabbat ou la circoncision sont instituées comme sacrées.

La Captivité est finalement assez courte (56 ans). Mais en réalité elle sera un temps privilégié pour la maturation de la foi d’Israël.

3.    Cyrus, le Messie perse

En 539 av. J.-C., Cyrus le Grand, roi de Perse, s’empare de Babylone et adopte une nouvelle politique : il se refuse à suivre la politique des déplacements de populations. Cyrus savait que pour maintenir la paix dans son vaste empire il fallait respecter la langue, la religion et les traditions des peuples vaincus. Les textes officiels furent désormais trilingues et l’une de ces langues était celle des gens de la province.

Dans le domaine religieux, la méthode de Cyrus fut diamétralement opposée à celle des Babyloniens qui détruisaient et profanaient les territoires asservis. Dès la première année de son règne, Cyrus fit l’Édit d’Ecbatane que nous pouvons lire : Esdras 6, 3-5.
Toutes ces bienveillances de Cyrus le feront nommer « Messie » par les exilés juifs. Un homme, issu de la lignée du Roi David qui amènera à la fin des temps une ère de paix et de bonheur, éternelle et dont bénéficieront la nation israélite et le monde, qui s’élèvera avec elle.
Désormais ils peuvent rentrer au pays, mais quelques-uns seulement feront ce choix. La colonie qui retourne à Jérusalem pour reconstruire se considèrera en Judée comme le véritable Israël (cf. Jr 24), et entrera en conflit avec ceux qui sont demeurés sur place pendant l’exil (le peuple du pays dans Esdras [3.3n] et Néhémie ; cf. Ezéchiel 11.15 ; 33.24ss ; voir aussi Samaritains*).

Plusieurs fiches bibliques en rapport avec ce thème de l’exil et préparées par Jean Hadey sont disponibles sur le site « Point KT » sous le titre « Espérer en exil ».

4.    Babylone en tant que symbole

Une forte valeur symbolique a été attachée au nom Babylone au fil des temps.

4.1    Pour la bible hébraïque
Babylone est le symbole de l’orgueil des Hommes et des puissants du monde, présentée en opposition avec un Israël fidèle à Yahweh.

4.2    Pour le Nouveau Testament et particulièrement dans l’Apocalypse
Babylone représente la société mercantile, décadente, déshumanisée et pervertie. Elle est associée à la Grande prostituée, la fausse religion.

ID 1411 Papessa tiara

4.3    Symbolique rastafari
Les rastafaris y voient l’image de l’esclavage par les puissants du monde. C’est la suite du combat entre Abel le nomade, et Caïn le sédentaire qui construit des villes pour se mettre à l’abri de la nature hostile depuis qu’il a tué son frère.

4.4    Mouvements écologistes
Babylone sert de référence à un grand nombre de militants écologistes et de la décroissance. Pour eux une société qui n’a d’autre objectif que la croissance (économique, énergétique, etc.) ne peut aller qu’à sa perte.

4.5    Interprétations chrétiennes
Pour le catholicisme, elle représente la Rome païenne des premiers siècles de l’ère chrétienne.
Les protestants y ont vu un symbole de l’Église catholique romaine. Les Témoins de Jéhovah, par extension, y voient une représentation de toutes les autres religions hormis la leur.

Bibliographie et sources

– LIVERANI Mario, La Bible et l’invention de l’histoire, Bayard, 2008.
– HADAS-LEBEL Mireille, Entre la Bible et l’Histoire, Le peuple hébreu, Gallimard, 1997.
– Yehezkel Lévy, « L’exil de Babylone : les sources traditionnelles et la question de l’émancipation », Labyrinthe [En ligne], 28 | 2007 (3), mis en ligne le 21 septembre 2007, consulté le 24 novembre 2014.
– DOWLEY Tim, Atlas de l’étudiant de la Bible, Ed. Farel, 1989.
– Article « Babylone un symbole », Wikipédia.

Crédit :




Joseph, beau et favorisé de forme

images_506px-Joseph_and_Potiphars_WifeLes textes bibliques – qui sont pour nous, et dans la foi, Parole de Dieu – ne nous appartiennent pas…
Nous n’en avons pas l’exclusivité. Prenons par exemple la sourate XII du Coran.
« La sourate XII du Coran ? » Ben oui, Genèse 37 à 50, quoi !

Comment imaginons-nous Joseph ? Le Joseph que nous – chrétiens – connaissons : un hébreu du livre de la Genèse (chapitres 37 à 50), un sémite en Égypte… Comment l’imaginons-nous dans cette Égypte où il est d’abord amené et malmené comme esclave, vendu, emprisonné ? Comment l’imaginons-nous dans ce pays a priori inhospitalier où il devient le conseiller du Pharaon ?
Comment les lecteurs du Coran imaginent-ils Yussuf ?
Comment son histoire est-elle transmise, par exemple dans le récit de Ibn CIsa Ahmad (en 973 de l’Hégire, c’est-à-dire 1565 de l’ère chrétienne ) ?
Et comment serait-elle écrite aujourd’hui, comment s’inscrirait-elle dans le contexte que nous connaissons à propos du pays de Canaan… et de l’Égypte actuelle ?
Et comment les croyants d’Amérique latine, d’Inde ou de Madagascar lisent-ils et interprètent-ils le récit concernant Joseph, dans leurs réalités propres ?
Autant de questions dont les réponses nous confirment que les textes bibliques ne nous appartiennent pas.

Bible, Genèse 39, fin du verset 6 : « Et Joseph était beau/élégant/racé, bien formé/favorisé de forme »
Coran, Saurate XII.30. Et dans la ville, des femmes dirent : « La femme d’Al-Azize essaye de séduire son valet ! Il l’a vraiment rendue folle d’amour. Nous la trouvons certes dans un égarement évident. » 31. Lorsqu’elle eut entendu leur fourberie, elle leur envoya [des invitations,] et prépara pour elles une collation [des oranges] ; et elle remit à chacune d’elles un couteau. Puis elle dit : « Sors devant elles, [Joseph !] » – Lorsqu’elles le virent, elles l’admirèrent, se coupèrent les mains et dirent : « à Allah ne plaise ! Ce n’est pas un être humain, ce n’est qu’un ange noble !  »
(Vous trouverez l’ensemble de la Sourate XII sur internet)

images_Yusuf_and_Zulaikha« Le récit de Joseph, qu’il soit en paix », de Ibn CIsa Ahmad : (Zulaykha lui dit) : « Oh Joseph, rien n’égale le noir de tes yeux, ni le noir de tes cheveux, ni les fossettes de tes joues. Aucun parfum n’est aussi pur que le tien, aucune démarche aussi innocente. […] Soumets-toi à moi et je me convertirai à l’Islam avec ton aide » […] La nouvelle se répandit dans Misr parmi toutes les dames qui s’écrièrent : « Zulaykha aime un des adolescents ! » Zulaykha invite alors l’épouse du ministre du Souverain, l’épouse de son chancelier, l’épouse de son vicaire et l’épouse de son trésorier. À chacune elle présente un citrus et un couteau et leur dit : « Jurez-moi toutes que si Joseph venait à vous et vous le demandait, vous lui donneriez chacune une part de citrus… » […] Il ressemblait à l’astre lunaire dans sa nuit de plénitude. Quand les femmes le virent, elles se troublèrent et perdirent la raison à la vue de sa beauté. « Ce n’est pas un être humain, on dirait un ange par son essence ! » Elles ressentirent un tel trouble qu’elles se tailladèrent les mains…

www.lib.utexas.edu_maps_historical_shepherd_ottoman_empire_1481-1683Le récit d’Ibn CIsa Ahmad, inspiré de l’histoire de Joseph, et étudié par Faïka Croisier*, est écrit à la fin du règne de Soliman le Magnifique, Soliman le Législateur. L’empire ottoman est à son apogée (agrandir la carte) et Soliman, tout en étant lié à l’Islam et à la loi suprême de la Charia, promulgue des lois pour soulager le sort des rayas, serfs chrétiens, et le sort des réfugiés juifs qui fuient l’Espagne et l’Europe centrale. En résumé, en ce temps-là, le vaste empire ottoman est une terre d’accueil pour les trois religions monothéistes, et l’Égypte en particulier est une province d’abondance et de bénédictions… Eh oui… !
Ce qui transparaît dans la narration d’Ibn CIsa Ahmad.

* « L’histoire de Joseph, d’après un manuscrit oriental », un ouvrage de Faïka Croisier aux Éditions Labor & Fides, Arabiyya 10, avec la préface du Professeur Robert Martin-Achard, 1989.

Joseph dans son récit est tout de suite apprécié par son maître égyptien Al-CAzïz qui est tenté de l’adopter.
L’auteur, au XVIe s., est l’héritier d’une succession de narrateurs, dans une tradition orale et écrite qui ne s’appauvrit pas. Dans sa culture, il est normal d’en apprendre autant des commentateurs des histoires que des récits eux-mêmes…
Et il a une intention, tout comme nous-mêmes nous désirons porter, transmettre et/ou recevoir un enseignement lorsque nous partageons un récit biblique. Dans la version étudiée ici, le narrateur musulman met l’accent sur l’homme éprouvé mais triomphant des difficultés au moyen de la foi, et sur l’accomplissement de la volonté de Dieu le Tout Puissant et Miséricordieux. Qu’est-il dit là que nous ne puissions partager ?
Le narrateur place aussi le lecteur devant un choix : qui doit gouverner nos vies ? Est-ce Joseph, un homme exemplaire ? Est-ce Pharaon (ou le Sultan, ou n’importe quel homme politique, fut-il « religieux »), qui utilise l’homme exemplaire comme prétexte pour assoir son gouvernement ? Ou est-ce Dieu, auquel tout homme peut s’abandonner avec confiance en toute circonstance ?
Dans son (long) récit de l’histoire de Joseph, Ibn CIsa Ahmad aménage régulièrement des pauses dans lesquelles il invite les auditeurs à la prière : « Nous reprendrons le récit lorsque tous ceux ici présents auront prié pour le Pur. »

images_yusuf_zulaikhaNous avons déjà beaucoup de travail, comme moniteurs et catéchètes, à témoigner de notre foi chrétienne sur base de la Bible que nous connaissons (un peu). Peut-être à certains moments, pourrons-nous lire certains textes dans le Coran, juste pour voir… Peut-être aurons-nous l’occasion d’entrer dans un groupe de dialogue interreligieux ? Peut-être pourrons-nous nous pencher sur l’Histoire, celle du passé qui précède notre actualité et qui bien souvent nous éclaire sur le présent ?

En tant que témoins et enseignants, dans le contexte actuel, il est de notre difficile responsabilité de partager la foi en Dieu sans prétendre aveuglément en avoir le monopole… Partager sa Parole, sans en avoir le monopole… C’est un point important de notre mission, et un défi vis-à-vis des enfants avec lesquels nous souhaitons partager notre identité chrétienne, dans le contexte européen d’aujourd’hui.

« A présent, nous ne voyons qu’une image confuse, pareille à celle d’un vieux miroir ; mais alors, nous verrons face à face. A présent, je ne connais qu’incomplètement ; mais alors, je connaîtrai Dieu complètement, comme lui-même me connaît. Maintenant, ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus grande des trois est l’amour. » 1 Cor 13.12-13
« Pas de monopole » : voilà ce que nous dit l’apôtre Paul, voilà ce que nous dit aussi le beau Joseph !

Crédits Marie-Pierre TONNON

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La visite des mages : approche narrative d’une fiction théologique

Cartouche des (rois) Mages à Arras

L’épisode de la venue des mages à Bethléhem dans l’évangile de Matthieu (Mt 2,1-12) est un récit depuis longtemps prisonnier du folklore de Noël. Dépouiller cet épisode du revêtement merveilleux dont plusieurs siècles d’histoire l’ont revêtu devrait aider à redécouvrir l’interpellation que l’évangéliste souhaitait adresser à ses auditeurs de la fin du premier siècle.

Le récit dans le cadre littéraire et religieux du premier siècle

Le récit de la visite des mages s’apparente aux récits légendaires relatant les événements extraordinaires entourant la naissance d’un personnage important (phénomènes célestes, intervention de mages et autres astrologues). La littérature juive et païenne offre de nombreux motifs parallèles à cet épisode de la visite des mages. Ainsi Pline (Histoire Naturelle 30,1, 16) et Suétone (Vie des Césars, Nero 13) rapportent la venue de mages de Perse pour honorer Néron, en 66, sur l’indication des astres, qui repartent ensuite par un autre chemin. La haggadah du petit Moïse propose les rapprochements les plus significatifs avec l’ensemble du chapitre. Des astrologues (cf. le commentaire de Rachi sur Ex 1,22 ; pour Flavius Josèphe, Antiquités Juives 2,205, il s’agit d' »un scribe expert à prédire exactement l’avenir ») annoncent à Pharaon la naissance de Moïse, Pharaon s’alarme et ordonne le massacre des enfants mâles (Flavius Josèphe, Antiquités Juives 2,206). Dans le contexte propre à Matthieu, le récit se rapproche à certains égards du commentaire midrashique.

La question des sources de l’épisode, et plus largement de l’ensemble constitué par Mt 1,18-2,23, est très controversée. Matthieu a-t-il utilisé des traditions – orales ou écrites – circulant dans son univers religieux ou le récit est-il une composition originale se basant sur un genre littéraire existant ? En faveur de la première hypothèse, on souligne que l’ensemble constitué par Mt 1,18-2,23 fait apparaître une double tradition : l’une centrée autour du personnage de Joseph (1,18-25 ; 2,13-15 ; 2,19-23), l’autre autour d’Hérode (2, 1-12 ; 2, 16-18). Matthieu aurait recueilli ces deux traditions et les aurait enchâssées. À l’encontre de cette hypothèse, on fera valoir que l’ensemble constitué par les quatre épisodes du chapitre 2 est indissociable : l’épisode de la fuite en Égypte (v. 13-15) et celui qui rapporte le retour à Nazareth (v. 19-23) n’ont de sens que par l’existence de l’épisode de la venue des mages (v. 1-12) et celui de la colère d’Hérode (v. 16-18).
Par ailleurs, le style et le vocabulaire matthéens se font fortement sentir dans l’ensemble du chapitre. Il est de toute manière impossible de répondre de manière définitive à la question des sources ; Mt a probablement travaillé à partir de traditions qu’il est aujourd’hui difficile de reconstituer.

Les mages et l’étoile

Le terme « mages » (magos) est dérivé du nom d’une caste sacerdotale de l’ancienne religion perse (Hérodote 1.101, 120, 128). Les mages étaient spécialistes en astrologie et astronomie. Par extension, dans l’antiquité, le terme désigne ceux qui possèdent une connaissance supérieure, les astrologues, les interprètes de rêves (Josèphe, Ant 10.195, 216) mais aussi les magiciens et sorciers de toutes sortes (Philon, De Specialibus Legibus 3,93). Les traditions bibliques (Ancien Testament : Dt 18,9-12 ; Es 4 7,13 ; cf. l’utilisation du terme dans une des versions grecques de Daniel : 1,20 ; 2,2.1 0.27 ; 4,4 ; 5, 7.11.15 ; Nouveau Testament : Ac 13, 6.8) et rabbiniques sont généralement critiques à l’encontre des pratiques divinatoires. Chez Matthieu cependant, aucun indice textuel ne permet de déprécier la figure des mages ; pour lui, ils sont vraisemblablement des savants, hommes sages, venus du monde païen (l’Orient apo anatolon ; cf. Nb 23,7 LXX désigne ici tout ce qui est au-delà du Jourdain). Même si l’évangéliste ne le précise pas, le lecteur peut ainsi induire qu’il s’agit là de l’élite spirituelle du monde païen. Il faut ici faire l’effort de replacer la pratique de l’astrologie dans le contexte d’une époque où elle est indissociablement liée à l’astronomie et constitue ainsi une véritable science.

Le thème de l’apparition d’une étoile à l’occasion de la naissance d’un personnage important est un topos classique de la littérature de l’époque. Les parallèles sont nombreux. La prophétie du devin Balaam (Nb 22,7) – venu de l’Orient (Nb 23,7) – sur l’étoile de Jacob (Nb 24, 17), dont l’interprétation messianique est très fréquente en particulier à Qumran (ainsi Écrit de Damas 7,18-21), offre sans doute un arrière-plan plausible à notre passage. L’étoile est, dans les traditions juives, une métaphore du Roi-Messie ; dans le Nouveau Testament, Jésus est lui-même l’étoile du matin, cf. 2P 1,19 ; Ap 22,16. Il convient donc ici de ne pas tomber dans le piège du concordisme : ni comète, ni supernova, ni conjonction planétaire mais bien intervention miraculeuse de Dieu.

Analyse du récit

Contexte
La péricope est inséparable des trois qui lui font suite (v. 13-15 ; v. 16-18 ; v. 19-23) avec lesquelles elle forme un ensemble cohérent consacré à l’enfance de Jésus. Ce thème est construit autour d’un parcours géographique dont la signification est avant tout théologique. À côté du déplacement des mages (de l’Orient à Jérusalem, de Jérusalem à Bethléhem et de Bethléhem vers l’Orient), le chapitre 2 est en effet articulé autour des déplacements de Jésus qui naît à Bethléhem (v. 1), est conduit en Égypte (v. 13), ramené en « terre d’Israël » (v. 21) et installé « dans la région de Galilée » (v. 22), à Nazareth (v. 23).
Le chapitre 2 est d’ailleurs saturé de références géographiques, puisqu’on en compte pas moins de 22, et que les quatre citations scripturaires font référence à un lieu précis (cf. v. 6, 15b, 18 et 23).

Structure
Deux découpages sont envisageables. Insistant sur l’opposition entre la royauté de Jésus et celle d’Hérode, on peut proposer une structure en deux parties principales : après l’introduction annonçant l’arrivée et le projet des mages (v. 1-2), la première partie (v. 3-9a) relate la rencontre entre les mages et le « faux » roi des juifs ; la seconde partie (v. 9b-11) relate la rencontre entre les mages et le « vrai » roi des juifs, le v. 12 constituant la conclusion. On peut aussi rendre compte de l’organisation de la péricope selon une structure plus dynamique : v. 1-2, arrivée des mages à Jérusalem et formulation de leur projet ; v. 3-6, trouble d’Hérode et intervention, sur ses ordres, des grands prêtres et des scribes ; v. 7-8, entrevue d’Hérode avec les mages ; v. 9-11, les mages trouvent Jésus ; v. 12, les mages retournent chez eux.

Lecture du texte

– Versets 1-2 : état initial
L’ensemble des protagonistes et des lieux essentiels au développement de l’intrigue est présenté de façon extrêmement concise : Jésus, Hérode et les mages ; Bethléhem, Jérusalem et l’Orient. La naissance de Jésus est relatée de façon lapidaire. Au plan narratif, la précision est indispensable dans la mesure où 1,18-25 s’en tenait aux circonstances précédant celle-ci. Matthieu en indique le lieu (la précision « de Judée » sert moins à distinguer la cité d’origine du roi David – cf. l S 17,12 – de Bethléhem de Zabulon – cf. Jos 19,15 –, qu’à préparer la citation scripturaire du v. 6, et l’époque (sous Hérode le Grand qui régna de 37 av. J.-C. à 4 av. J.-C.). La naissance a ainsi une portée religieuse (Bethléhem) et politique (Hérode) dont la suite du récit va préciser la teneur.
Par l’expression publique de leur quête (v. 2), les mages jouent le rôle de révélateurs involontaires d’une opposition entre le Roi Hérode à Jérusalem et le Roi Jésus à Bethléhem. La suite du chapitre va en montrer le caractère irréductible. Les mages cherchent le roi des juifs dont ils ont vu l’étoile en te anatole (même expression au v. 9). On peut alors penser qu’il s’agit d’exprimer la situation de l’astre, le point cardinal en quelque sorte, à l’orient ou au levant : l’étoile du roi des juifs apparaît à l’orient, du côté des païens, pour les guider vers le Christ. Les mages viennent pour adorer (proskunesai). On a pu parler ici d’une adoration épiphanique : par leur attitude, les mages reconnaissent la révélation divine dont ils sont bénéficiaires.
Or, s’ils se mettent en route grâce à l’étoile, les mages n’arrivent pas à Bethléhem mais à Jérusalem d’où l’étoile paraît absente.

– Versets 3-6 : complication
Le trouble suscité par les mages peut être une simple émotion causée par un fait insolite ; il peut aussi résulter d’une révélation (cf. Lc 1,12 : Zacharie troublé par l’apparition de l’ange du Seigneur ; Mt 14,26//Mc 6,50 : les disciples troublés par l’apparition de Jésus marchant sur les eaux ; Lc 24,38 : les disciples troublés par l’apparition du ressuscité ; cf., dans des contextes de révélation, Tobie 12,16 ; Dn 5,9 ; 7,15, version Theodotion). Il s’accompagne alors, le plus souvent, de la crainte liée aux manifestations du divin. Compte tenu du genre littéraire de l’ensemble constitué par Mt 1,18-2,23, c’est ce dernier sens qui nous paraît ici le plus probable : les propos des mages constituent, pour Hérode, une révélation. Loin cependant de le pousser à la crainte et à l’adoration, elle produit chez lui une opposition mortelle à celui en qui il découvre un concurrent. Hérode joue ici le rôle de Pharaon par rapport à Moïse : son attitude suggère le thème biblique de l’endurcissement. L’expression « tout Jérusalem » signifie-t-elle que la ville partage ce sentiment et cette attitude ? Le met’ autou (« avec lui ») plaide en cette faveur : pour Matthieu, Jérusalem représente déjà la ville où Jésus va mourir.

Hérode assemble (v. 4) les grands prêtres et les scribes. La mention du « peuple » fait écho à 1,21 et annonce 2,6. Pour la reconnaissance de son Messie (au v. 4, le terme Christos doit être traduit par « Messie » puisqu’il s’agit non pas de Jésus mais du titre générique) le peuple est à la merci de ses responsables religieux. Sans doute, la non-reconnaissance du Messie par Israël fut-elle un trouble pour l’évangéliste et sa communauté, d’autant plus que, comme le montrent les v. 5-6, les scribes avaient, selon Matthieu, tous les éléments pour qu’elle soit possible. La justesse de la démarche exégétique des responsables religieux d’Israël (v. 5-6) ne produit aucun déplacement de ces derniers vers Bethléhem : ils sont immobiles, enfermés dans leur savoir théorique. L’immobilisme qui les caractérise est ici le signe de l’opposition et de l’incrédulité. Dès le début de son évangile, quoique de manière encore mesurée, Matthieu construit négativement le personnage des chefs du peuple.

La réponse des responsables religieux à la question d’Hérode n’est pas, à proprement parler, une citation d’accomplissement (ces dernières apparaissent toujours comme des interventions de l’évangéliste lui-même dans son récit, cf. en Mt 1-2 ; 1,22-23 ; 2,15. 17-18 et 23). La référence aux Écritures n’en a pas moins d’importance ici. Le texte auquel se réfèrent les chefs du peuple est Mi 5,l-3 (+ 2 S 5,2). Matthieu diffère à la fois de la LXX et du texte hébreu. Les trois corrections majeures sont d’abord le remplacement d’Ephrata par terre de Juda, ensuite le renversement complet de la proposition affirmative en proposition négative (tu n’es certainement pas) et enfin, l’adjonction de 2 S 5,2 à la place de Mi 5,3. Comme ses contemporains juifs, Matthieu manie les Écritures avec une grande liberté, au service de sa conviction de la messianité de Jésus. L’utilisation de Mi 5,1-3 s’explique par deux raisons principales : d’une part le passage faisait déjà l’objet, dans les traditions juives contemporaines de Matthieu, d’une interprétation messianique (cf. le Targum de Michée), d’autre part la mention, au v. 2a de la femme enceinte, non reprise par Matthieu mais connue de ses auditeurs.

– Versets 7-8 : dynamique
À la différence des chefs du peuple, Hérode, lui, réagit. Il convoque les mages en secret (lathra, déjà utilisé pour exprimer le projet de Joseph de répudier Marie). Ici le secret ne peut être interprété que comme machination. Le terme contraste en effet avec la publicité faite par les mages à leur arrivée, le trouble de tout Jérusalem et le cadre de révélation donné à l’ensemble de la péricope. À ce point du récit, c’est le seul indice textuel relativement explicite d’un projet négatif d’Hérode. Il recoupe cependant l’image que l’auditoire matthéen a vraisemblablement construit sur la foi de ce qu’il connaît de la figure historique d’Hérode comme souverain usurpateur, inquiet et cruel. Par touches successives, Matthieu connote ainsi l’image négative d’Hérode jusqu’à sa pleine révélation au v. 13. Ainsi s’explique, au v. 7b, l’interrogation des mages par Hérode : narrativement, elle prépare l’énoncé de son projet meurtrier au v. 16 (comp. le v. 7b et le v. 16b). De même encore, l’énoncé de son intention d’aller lui-même adorer l’enfant (v. 8b) ne peut tromper le lecteur. Si Matthieu utilise ici le même terme pour les mages et pour Hérode (« adorer »), le lecteur est invité à être attentif : il y a loin de la parole aux actes, de l’intention exprimée à l’intention réelle.

– Versets 9-11 : résolution
Après leur entrevue avec Hérode, les mages poursuivent leur route. Plutôt qu’obéir, akousantes (v. 9) signifie, dans ce contexte, entendre (cf. 2,3.18 et 22) : les mages sont au bénéfice des informations que leur donne Hérode. On peut cependant s’interroger sur la valeur réelle que Matthieu accorde à ces informations, puisque l’étoile réapparaît aussitôt après le départ de Jérusalem, quand Hérode disparaît de la scène. C’est elle en dernière instance, et non Hérode, qui guide les mages. C’est elle, enfin, et non les informations données par Hérode, qui suscite la joie des mages. Cette joie (ailleurs chez Mt : 13,20.44 ; 25,21.23 ; 28,8) est soulignée par l’évangéliste de façon emphatique. Elle est un indice supplémentaire (avec le thème du projet d’adoration accompli au v. 11) de la construction positive du personnage des mages. Le vocabulaire du v. 11 produit un contraste frappant. D’un côté le geste d’adoration des mages et la qualité de leurs présents (une allusion au pèlerinage eschatologique des nations qui apportent à Sion le meilleur de leurs produits ; cf. Es 60,6 ; Psaumes de Salomon 17,31), sans oublier auparavant l’apparition de l’étoile, l’entrevue avec Hérode à Jérusalem, la confirmation des Écrits sacrés. De l’autre le caractère dépouillé de la royauté de Jésus : une maison, un enfant avec Marie sa mère.

– Verset 12 : état final
Le retour des mages dans leur pays « par un autre chemin » fait suite à une révélation spéciale. Avant que le lecteur ne sache encore ce que manigance Hérode, il sait pourtant qu’il n’est pas, qu’il n’a jamais été, le maître de la situation : Dieu, par son intervention souveraine, rompt définitivement le lien entre les mages et Hérode.

Conclusion
« C’est paradoxalement aux personnages les plus susceptibles d’éveiller la méfiance du lecteur enraciné dans la tradition biblique que Matthieu a choisi de confier le rôle positif en Mt 2,1-12 » annonçant « le rejet de Jésus par les représentants d’Israël et son accueil joyeux par les païens ». D’une certaine manière, l’adoration des mages trouve un écho lointain dans la finale de Mt 28,17-20 où le Christ Ressuscité envoie ses disciples vers toutes les nations : « En ces versets conclusifs du premier évangile où le Ressuscité s’adresse au Onze prosternés devant lui, le mouvement évoqué est inverse : il n’y est plus question des Nations qui marchent vers Bethléem, mais des disciples envoyés vers elles depuis une montagne de Galilée. L’autre chemin par lequel les mages sont rentrés ne prépare-t-il pas, dans la perspective de Matthieu, la route qu’emprunteront plus tard les disciples pour aller là où une étoile a d’abord parlé ? » Si tel est le cas, alors ce récit des mages constitue le premier volet d’une grande inclusion enchâssant un récit par lequel l’évangéliste veut convier son lecteur à comprendre la dimension universelle du messianisme dont il est le témoin.

Thèmes théologiques
– Le contraste entre la démarche positive des mages étrangers et l’opposition ou l’indifférence des autorités politiques et religieuses juives est le moteur principal de l’intrigue. On peut insister sur le fait que l’épisode porte les germes du conflit à venir entre Jésus et son peuple (sous l’aspect de ses responsables politiques et religieux) qui aboutira à la Passion. On peut aussi souligner qu’il préfigure l’universalisme matthéen (sous le signe du déplacement des savants païens vers Jésus et de leur adoration).

– L’épisode amorce également une réflexion sur l’intervention de Dieu dans l’histoire. Jésus est inscrit dans une histoire dont il est, pour l’heure, un acteur passif. Matthieu ne dit pas que Dieu dirige l’histoire (ni le contraire) mais qu’il intervient par des signes forts, des révélations particulières ou encore dans les Écritures. C’est la réaction des individus à ces interventions qui provoque les événements dont ils ne sont cependant pas les maîtres. Pour les uns (les mages) c’est une mise en marche dans la confiance ; pour d’autres (Hérode), l’intervention de Dieu est une contestation de leur pouvoir et ainsi l’occasion d’une opposition.

– À la lecture de ce récit, on peut également être conduit à réfléchir à l’articulation entre sagesse humaine et Révélation divine. Les mages se mettent en marche sur la base d’une révélation miraculeuse (l’étoile) que leur fonction (leur science) les prédisposait à découvrir. Il est ici à rappeler qu’ils arrivent à Jérusalem et non pas à Bethléhem (n’est-ce pas leur sagesse humaine qui les a conduits à la capitale des rois d’Israël ?) et que l’étoile ne réapparaît que lorsqu’ils quittent Hérode. À l’inverse, Hérode et les chefs du peuple connaissent, par les Écritures, ce que les mages cherchent depuis l’Orient lointain. Ce savoir objectif n’est cependant pas synonyme de foi. Les Écritures en elles-mêmes ne produisent pas la foi.

– Au final, faut-il aller jusqu’à dire avec tel exégète, non seulement que l’astrologie s’incline, mais encore, que l’évangéliste souligne la suprématie du Seigneur sur les « Éléments du monde » (Ga 4,3) ? Une chose est sûre : au terme de leur périple, les mages s’en retournent par un autre chemin !

Crédits : Élian CUVILLIER, Point KT