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Luther, rebelle, génie, libérateur

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La vie fascinante du Réformateur en DVD ! « Qui est ce Luther ? Juste un moine plein de son orgueil ? Ou un humain terrifié par l’idée d’aller en Enfer ? » Nous trouvons à la fois la question et les mille et une réponses dans la grande fresque historique d’une heure et demie, avec un casting à envier. Martin Luther, ce moine qui provoqua un schisme majeur dans l’Église d’Occident, au XVIe siècle, reste encore aujourd’hui une figure historique à découvrir, à comprendre, à mieux placer dans l’histoire du christianisme.  

Luther (1483-1546) est souvent mal connu :  » il a divisé la chrétienté et jeté un encrier à la tête du diable !…  » dit-on. Il  voulait une réforme de la vie religieuse et de l’Église. Il ne voulait pas créer une nouvelle religion. Il désirait restaurer la foi personnelle et trouvait la source de cette nouvelle spiritualité dans les Évangiles. Dans son combat pour un renouveau, il déclara un jour que Dieu l’avait conduit “comme un cheval aveugle”.

Transporté par l’expérience d’une tempête durant laquelle la foudre tomba tout près de lui, le 2 juillet 1505, Luther fait serment de se faire moine si le ciel consent à l’épargner. Luther est ainsi incité à abandonner ses études de droit pour rejoindre un monastère Augustin. La vie au monastère est tout sauf sèche et poussiéreuse pour Luther qui, conduit par sa foi et une étude étroite de la Bible, commence à mettre en cause la pratique religieuse établie.

En fait, la division a été décidée par l’excommunication lancée par la Bulle “Exsurge Domine” du pape Léon X contre Luther (1520-21) et par “la mise au ban de l’Empire” (privation des droits civils et des protections légales) promulguée par Charles-Quint après la Diète de Worms (1521).

Peut-on reprocher de faire du camping dans les environs à ceux qu’on a violemment mis à la porte de la maison ?
Comme Jésus aussi, il savait risquer sa vie pour ses convictions. Un siècle avant Luther, le réformateur tchèque Jean Hus, muni d’un sauf-conduit par l’Empereur Sigismond, avait été condamné par un Concile d’évêques (qui déposa le premier pape Jean XXIII) réuni à Constance.

Hus fut brûlé vif à Constance (1414-15). Érasme et les “bibliens” avaient contesté les idées anachroniques de l’Église et la corruption des “princes de l’Église”. Luther, cet homme du peuple, fut écouté et suivi.

Moine à Wittenberg, il découvrit dans l’Épitre aux Romains que la “justification” de l’homme n’est pas due à son propre “mérite” mais à la seule grâce de Dieu par la foi du croyant.
Un acte prit par la suite une valeur symbolique : l’affichage d’une manière provocante sur les portes de l’église de Wittenberg (selon la coutume des universités) , de 95 thèses contre les indulgences et les reliques (en versant de l’argent pour soi ou pour d’autres, le donateur obtenait la libération des Enfers) . Les tensions s’accélèrent, beaucoup de notables d’Église en avaient profité…. Cette date du 31 octobre 1517 a été retenue depuis 1617 pour la célébration de la Réformation.
Cette critique théologique s’aggravait du refus par les allemands d’une soumission à Rome. Ce vaste mouvement religieux et national émut l’Empereur Charles-Quint.
Celui-ci convoqua le moine les 17 et 18 avril 1521 à Worms pour se justifier de ses idées religieuses au cours d’un interrogatoire public (“Diéte” avec les princes et les Electeurs). On connait la courageuse réponse : “Je ne puis autrement. Il est dangereux d’agir contre sa conscience”…

Caché dans le château de la Wartburg par son ami le Prince de Saxe, Frédéric, il traduisit le Nouveau Testament et la Bible en allemand. Œuvre littéraire et spirituelle considérable. Les œuvres du Réformateur sont souvent rééditées.

Un credo que nous pouvons retenir de Luther se trouve dans le feuillet retrouvé après sa mort : “Que personne ne pense avoir suffisamment pratiqué l’Écriture Sainte sauf s’il a dirigé des communautés pendant 100 ans avec des prophètes comme Élie et Élisée, Jean-Baptiste, le Christ et les apôtres… Prosterne-toi sur leurs traces dans la prière ! Nous sommes des mendiants. Voilà la vérité”.

  • Le film d’Éric Till, avec Jospeh Fiennes, sir Peter Ustinov :  « Rebelle, génie libérateur : LUTHER, la vision d’un homme a changé le monde »

Cette évocation de la vie de l’initiateur de la Réforme est esthétiquement belle, servie par des acteurs de qualité, y compris un Peter Ustinov plein de fine ironie dans le rôle du prince électeur Frédéric de Saxe grâce à qui Luther échappera au bûcher. La corruption de l’Église de Rome au XVIe siècle est illustrée avec vigueur, et plus encore le courage inouï du moine augustin Martin Luther révolté par le trafic des reliques et la vente des indulgences, ce qui conduisit à l’affichage de ses 95 thèses sur la porte de l’église de Wittenberg en 1517. Ce sera – on le saura plus tard – le coup d’envoi de la Réforme initialement prévue, comme son nom l’indique, pour réformer certaines pratiques de l’Église. Le Vatican choisissant de radicaliser ses positions, les réformateurs seront contraints à la rupture.
Cela entraînera des troubles politiques qui effrayeront Luther, en particulier la Guerre des Paysans dont il approuvera la répression. Joseph Fiennes endosse fort bien l’habit du moine d’abord terrifié à la perspective d’aller rôtir en enfer, puis de plus en plus joyeux et téméraire à mesure qu’il respire l’oxygène de la grâce de Dieu. Son directeur de conscience, plein de bienveillance chrétienne, est incarné par l’excellent Bruno Ganz. Claire Cox se met dans la peau de Catherine de Bora, cette religieuse qui renoncera à ses voeux pour devenir la légitime épouse de Martin et son assistante énergique.

  • Commentaire de l’historien luthérien Marc LIENHARD (1)  dans le  journal Réforme

Biographe de Martin Luther (Luther, un temps, une vie, un message, Labor et Fides, 1991, et Luther, la passion de Dieu, Bayard, 1999), Marc Lienhard revient sur les points forts et les faiblesses du film consacré au Réformateur allemand. Un portrait sympathique, qui risque pourtant d’omettre la portée du message biblique.

Quelle est votre impression générale sur le film Luther ?

Je suis un peu partagé, car c’est à la fois facile et difficile de faire un film sur Luther. C’est facile, car le personnage lui-même est haut en couleur, et a vécu beaucoup d’histoires aisées à mettre en scène. Mais c’est aussi difficile, car le contexte historique, notamment celui des indulgences, nous est devenu étranger. Et puis beaucoup de choses dans la vie de Luther relèvent du cheminement personnel et de la théologie, ce qui est difficile à filmer.

Le résultat est-il globalement satisfaisant ?

Ma réponse est nuancée. Le film est rythmé, haut en couleur, il montre la personne de Luther dans son époque, ainsi que les moments clés de sa vie : l’orage, le voyage à Rome, les comparutions devant les tribunaux, la guerre des paysans, son mariage. Mais il insiste un peu trop sur les abus de l’Église romaine : le trafic des indulgences et des reliques, la dépravation de Rome… Certes, on voit Luther traduire la Bible, mais cette dernière joue un rôle mineur dans le film. Car si Luther découvre que le Dieu de l’Évangile ne juge pas mais fait grâce, c’est à la lecture de la Bible qu’il le découvre, et cela est absent du film.
Mais, surtout, le film s’arrête en 1530, ce qui peut se comprendre si l’on veut un Luther jeune, héroïque, en action. Mais ce faisant on tombe dans une autre tentation, celle de l’hagiographie, qui montre peu les limites de l’homme : ses écrits sur les juifs, son intolérance vis-à-vis des anabaptistes, ses controverses avec Zwingli et Érasme, ce qu’il dit des Turcs… Dans un pays, la France, qui compte aujourd’hui cinq millions de musulmans, on aimerait savoir ce que Luther disait du Coran.

Le film est-il fidèle à la vérité historique des événements ?

Il prend quelques libertés avec l’histoire. Luther n’a jamais remis un nouveau testament à Frédéric le Sage, qu’il n’a jamais rencontré en personne. Il n’a jamais enterré un suicidé. Et puis le personnage de Hannah, qui a un enfant handicapé, est inventé, mais pourquoi pas ? Malgré ces limites, je crois que ce film donne envie de lire Luther et d’aller plus loin. Car il ne faut pas s’arrêter aux indulgences : ce film est représentatif, mais incomplet.

Que manque-t-il particulièrement ?

Les éléments théologiques, que l’on trouve au détour d’une phrase, auraient pu être mieux montrés : la présence du Christ dans les sacrements, la découverte du Dieu qui fait grâce, la justification par la foi, la lecture de la Bible. Certes, nous avons dans ce film un héros de la foi, dont nous voyons parfois l’intériorité (comme lors de ses combats avec le diable), mais nous restons trop à la surface des choses. Et puis, une question se pose : quelle est la place de l’homme et celle du message ? En tant que protestants luthériens, nous reconnaissons les limites de l’homme mais l’actualité du message. Car la foi chrétienne ne vit pas de grandes figures, elle vit de Jésus-Christ.

(1) Marc Lienhard est doyen honoraire de la faculté de théologie protestante de Strasbourg, historien, spécialiste de Luther.

Pour commander le DVD  “Luther”, 18 € :
La Cause 69, av. Ernest-Jolly, 78955 Carrières-sous-Poissy. 01 39 70 60 52. www.lacause.org (rubrique éditions).