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Alors on danse ?

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500e1717-b7d5-4dfd-98d7-c033fd9d2ed8« Alors on sort pour oublier tous les problèmes…alors on danse » (Stromae). Si de nombreuses représentations de danses nous sont parvenues des peuples de l’antiquité tels les mésopotamiens et les égyptiens, il n’en va pas de même concernant la Syrie-Palestine. Et pourtant la danse est omniprésente dans la Bible, y compris dans le Nouveau Testament. Rarement programmée d’avance, elle est souvent une manifestation spontanée de la joie ou de la tristesse. Auteur : Frédéric Gangloff

Mais quel est le véritable impact de la danse dans la Bible ? Quelles sont ses fonctions ? Qui danse ? Avec qui ? Prenons-nous par la main et laissons nous entraîner à quelques pas…Et si l’on dansait ?
Les termes, évoquant l’idée de danser, regroupent un large champ sémantique : sauter, tournoyer, virevolter, plier les genoux… La danse semble prioritairement un acte social qui se pratiquait essentiellement dans un contexte de réjouissance et d’allégresse.

Le Psaume 30,12 l’illustre de manière assez prégnante par une citation choc : « Tu as changé mon deuil en une danse (ou place pour la danse), tu as dénoué mon sac pour m’enserrer de joie ».

fd80604e-80f2-4ac2-9058-3d620a6efdd9Car qui dit danse, dit obligatoirement musique pour l’accompagner ! S’il n’est pas possible d’identifier de façon certaine les divers instruments, on peut néanmoins en énumérer quelques uns :

  •  les hautbois produisant des sons aigus ;
  • des instruments métalliques rappelant des trompettes ;
  • plusieurs types de flûtes ;
  • des instruments à cordes comme des harpes ou des lyres ;
  • des instruments à percussion tels les cymbales, sistre, tambourins ;
  • des cors et des trompes fabriqués à partir de cornes d’animaux. Un oracle de restauration en Jérémie 31, 4 exprime ce retournement d’une situation de détresse en une nouvelle ère de prospérité : « De nouveau, je veux te bâtir, et tu seras bâtie, jeune fille Israël. De nouveau, parée de tes tambourins, tu mèneras la ronde… ».

Par ailleurs, s’il n’y a aucune référence spécifique dans la Bible à des danses de deuils ou de lamentations, nous savons que des rites de ce type étaient pratiqués. Ils consistaient à se vêtir de vieux vêtements, à se lamenter, et à se répandre de la cendre sur le corps.

Certains corps professionnels étaient composés de pleureuses qui accompagnaient les cortèges funèbres en se lacérant les vêtements, se tailladant le corps, s’arrachant les cheveux et en se frappant la tête, la poitrine ou le visage. Il n’est pas exclu que de tels gestes aient été exécutés sur des pas de danse, en procession, sans être accompagnés forcément de musique.

Concernant la danse, on peut en distinguer plusieurs types :

1.  Danse sacrée ou religieuse

La danse pouvait avoir un caractère religieux et servait, dans ce cas, au service cultuel, tout comme la musique, à une époque où le culte du Temple s’est fortement codifié. Le Psaume 149, 3 évoque cela : « Qu’ils louent son nom par la danse, qu’ils jouent pour lui du tambour et de la cithare ». L’association du tambour et de la danse se retrouve également au Psaume 150, 4.

En 2 Samuel 6, 21 lorsque David se fait rabrouer par son épouse Mikal pour s’être exhibé devant ses gens en « petite tenue », il persiste et signe en déclarant : « Oui, je danserai devant Yhwh ».

Dans la plupart des contextes, la danse semble néanmoins contenue, discrète et plutôt processionnelle à une époque ou l’establishment sacerdotal contrôle et canalise pour éviter tous débordements.

Ainsi, les danses plus bruyantes, tapes à l’œil et forcément suspectes, sont attribuées à des manifestations en l’honneur d’idoles ou de divinités étrangères. En Exode 32, 17-19, les cris et le bruit du camp font penser à Josué qu’il s’agit d’un état de guerre. Or, il n’en n’est rien ! Au contraire, Moïse chargé des tables de la Loi aperçoit le veau d’or et les danses effectuées en son honneur. Ces dernières sont jugées négativement. Même présentation dans le récit de 1 Rois 18, 25-29 où les prophètes de Baal dansent auprès de l’autel pour le solliciter. Comme il n’eurent aucune réponse ni réaction, Élie en profita pour se moquer d’eux ! Si l’on écarte les a priori bibliques concernant les danses un peu trop sonores et exubérantes, on constate que la danse sacrale biblique peut aussi servir comme un rite de passage, et que, le danseur en dansant son Dieu, le personnifie et lui permet d’exister.

2. La danse extatique

La danse extatique échappe aux standards figés par la danse cultuelle. Les textes signalent ainsi l’existence de confréries prophétiques vivant surtout en Israël du 10ème au 9ème siècle avant J.C. Ces groupes itinérants étaient saisis par la divinité. L’extase apparaît comme un moyen d’entrer en communication avec le monde divin. La musique et le déplacement en bande pouvait mener à différents gestes et actions. Par exemple, Saül à la poursuite des ânesses de son père, va trouver la royauté, tout en se confrontant à ces groupes.

À leur contact, il entre en transe, se déshabille et tombe en catalepsie tout un jour et une nuit (1 Samuel 19, 20-24, 1 Samuel 10, 5-7 et 10-13).

864de7a4-3a7a-4985-ab29-40f3a3112e07Cette danse débouche sur une « union mystique » avec la divinité de prédilection. Une telle tradition s’est peut-être maintenue parmi les cercles des derviches tourneurs.

 

3. La danse de victoire 

C’est le type de danse le plus commun et le mieux attesté. Dans la plupart des textes, cela semble une discipline réservée aux femmes. Ces dernières sont les premières à venir au devant des combattants en les accueillant dignement en cas de succès. Il s’agit de danses exprimant la joie, la fierté et l’hommage aux guerriers vainqueurs. Ces témoignages sont aussi accompagnés de chants ou de slogans reprenant d’anciennes traditions poétiques comme dans Exode 15, 20-21 où Miryam, sœur de Moïse, qualifiée de prophétesse, danse en jouant du tambourin et entonne : « Chantez le Seigneur, il a fait un coup d’éclat. Cheval et cavalier, en mer il les jeta ».

Mais certains mouvements d’allégresse et débordements de la foule en liesse ne sont pas au goût de tout le monde. Saül en a fait l’amère expérience lors de ses victoires sur les Philistins remportées conjointement avec David. Au retour d’expéditions victorieuses : « (…) les femmes sortirent de toutes les villes d’Israël au-devant du roi Saül pour chanter en dansant au son des tambourins, des cris d’allégresse et des sistres. (…) Saül en a battu mille, et David dix-mille ».

En Ezéchiel 6, 11, Dieu demande au prophète de « battre des mains et de taper du pied ». Au-delà d’un acte symbolique prophétique annonçant un châtiment divin, ne pourrait-on pas y voir là une danse préparatoire à un combat, dans le style du  traditionnel « Haka» ?

 4. La danse de mariage 

Les mariages étaient toujours agrémentés de musique, de chants et de danses. L’Ancien Testament n’en fait cependant pas étalage.

5. Les techniques de danse

Une allusion claire à une danse nuptiale est évoquée dans le Cantique des Cantiques 7, 1-2 : « Reviens, reviens Sulamite ! Reviens, reviens, que nous te contemplions ! (lui) Comment contemplerez-vous la Sulamite ? Comme en une danse à deux ? » Soit ce sont les deux partenaires qui se rencontrent pour danser ensemble, soit deux groupes se font face et se répondent… On pratiquait aussi la danse au cours de fêtes agraires (moisson, tonte, vendange…). Le vignoble était le lieu d’expression chorégraphique exclusivement réservé aux femmes. Il n’est pas exclu que nous ayons là des références à d’anciens rites de fertilité.


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6. Quelques danses atypiques

    Les danses processionnelles comportaient plusieurs groupes constitués à l’avant de chantres, à l’arrière des musiciens et, au centre, des danseurs (danseuses). On connaît peu la technique des danses bibliques. Certaines sont désarticulées, d’autres décrivent des cercles ou des rondes. On exécutait également des sauts, des sautillements et l’on pliait les genoux.
  •  La circambulation de l’autel se pratiquait dès la plus haute antiquité. Pour les danses joyeuses, les participants portent des palmes, des branches de saule, ou des couronnes de branches d’olivier. La plupart des danses étaient accomplies séparément par des femmes et des hommes.

 

6.1 La danse du roi David (2 Samuel 6, 12-23)

David fait monter l’arche de Dieu vers Jérusalem. Après avoir offert des sacrifices, le texte précise qu’il tournoyait de toutes ses forces devant Yhwh. Il était ceint d’un éphod de lin… Or quand l’arche du Seigneur entra dans la Cité de David, Mikal, fille de Saül, se pencha à la fenêtre : elle vit le roi David qui sautait et tournoyait devant le Seigneur et elle le méprisa dans son cœur. Il fit ensuite distribuer à tout le peuple une galette, un gâteau de dattes et un gâteau de raisins secs par personne, et tout le peuple s’en alla chacun chez soi. Mikal, la fille de Saül, sortit au-devant de David et lui dit : « Il s’est fait honneur aujourd’hui, le roi d’Israël, en se dénudant devant les servantes de ses esclaves comme le ferait un homme de rien ! ».

David lui répondit : « C’est devant Yhwh, qui m’a choisi et préféré à ton père et à toute sa maison pour m’instituer comme chef sur le peuple du Seigneur, sur Israël, c’est devant le Seigneur que je m’ébattrai. Je m’abaisserai encore plus et je m’humilierai à mes propres yeux, mais, près des servantes dont tu parles, auprès d’elles, je serai honoré. » Et Mikal, fille de Saül, n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort.

David se laisse aller à une danse mystique pendant laquelle il rencontre la divinité… Il danse devant son Dieu et c’est une manière de le personnifier. Il n’est vêtu que d’un éphod de lin. C’est peut-être un vêtement sacerdotal assez court qui laisse une certaine ouverture au niveau de l’abdomen. Montrer les parties génitales de son corps est considéré comme un déshonneur et une honte et l’on comprend la réaction offusquée de Mikal. Fille du roi Saül, le narrateur la place en opposition à David. Il en profite pour régler ses comptes avec la dynastie de Saül qui est maintenant rejetée par Yhwh par la déclaration de la stérilité de Mikal. Le récit a pour vocation de présenter David comme prêtre, prophète et roi. Il cumule les trois fonctions et incarne ici une espérance messianique matérialisée par cette danse « endiablée ».

6.2 La danse de la fille de Jéphté (Juges 11, 29-40)

Cet épisode est hautement tragique. Jephté, dans son combat contre les Ammonites, fait un vœu à Yhwh et promet de lui offrir la première personne sortant des portes de sa maison et venant à sa rencontre, en cas de victoire. Or, c’est sa fille unique qui « sortit à sa rencontre, dansant et jouant du tambourin… ». Ce qui ressemble à une danse d’allégresse pour célébrer la victoire va se muer en danse de deuil. En effet, avant d’être sacrifiée, la fille de Jephté obtient l’autorisation de son père d’aller pleurer sa virginité dans les montagnes pendant deux mois. Le texte conclut en disant que cette coutume s’est établie depuis lors en Israël. Nous aurions ainsi un récit étiologique fondant un rite de lamentation pratiqué par les jeunes vierges, certainement avant leur mariage.

6.3 La danse de Salomé (Matthieu 14, 3-12, Marc 6, 17-29)

Nous avons ici une autre composition dramatique de toute beauté. Jean-Baptiste est en prison pour avoir reproché à Hérode Antipas son adultère notoire avec Hérodiade, épouse du demi-frère de Hérode. Le Baptiste s’est attiré la haine d’Hérodiade qui se heurte néanmoins à l’admiration craintive que le souverain porte à Jean. Salomé, fille d’Hérodiate va dénouer la situation en exécutant une danse remarquée devant le roi et sa cour. Ce dernier, séduit, n’a visiblement plus sa tête et prononce un de ces serments démesuré qui correspond bien à la mégalomanie de certains souverains orientaux. Avec la tête de Jean Baptiste offerte sur un plat, la mise en scène macabre est hautement suggestive et préfigure d’une certaine manière la passion de Jésus à travers le martyre de Jean.

Conclusion

ae47fd36-b22e-4de7-ad4c-8c9976858173Dans sa prière dansée, David était authentiquement plein de joie et il ne se bornait pas à ce que les autres pouvaient penser de lui .La danse et la musique permettent d’entrer en contact avec l’autre et le divin. Le battement du pied décuple les énergies et la gestuelle des bras pointe vers le ciel. L’être humain devient ainsi un pont entre le ciel et la terre. Ce qui compte, est bien la qualité de la relation avec Dieu.

La danse exprime bien l’allégresse culturelle, l’action de grâces… Elle touche aux domaines de la fertilité, de la fécondité et aux faits d’armes.

Dans le Nouveau Testament elle a aussi une forte portée symbolique à travers Matthieu 11, 17 et Luc 7, 32 : « Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons entonné des chants de deuil, et vous ne vous êtes pas frappés la poitrine ». Ici, l’auditeur n’a envie de rien et trouve toujours de quoi justifier sa passivité ! Jean-Baptiste est venu et vous le trouvez trop austère, un peu « mortel ». Jésus est venu et vous lui reprochez son manque de sérieux et en faite un « serial noceur ». Or, la danse est un avant-goût du royaume de Dieu en ce sens qu’elle anticipe la joie des espérances messianiques et eschatologiques. Alors quoi, c’est permis ! Alors ? On danse ?

Crédit : Frédéric Gangloff (UEPAL) Point KT