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Philippe et l’éthiopien, narration

Narration et Fiche biblique à télécharger ici Philippe et l’eunuque pour découvrir une belle rencontre… (Actes 8, versets 26 à 39)

C’était un homme important, enfin un homme… il n’était pas sûr d’en être tout à fait un, pas dans le regard des autres en tout cas : on l’avait mutilé dans son enfance pour en faire un eunuque afin qu’il puisse entrer au service de la reine d’Éthiopie. La blessure physique avait guéri, la blessure à l’âme pas tout à fait, même s’il avait des compensations : la reine lui avait confié le soin d’administrer ses richesses. Donc non seulement il était riche et vivait dans le luxe, mais en plus, il était craint, car on savait qu’il avait la confiance de sa reine. C’était une belle réussite. Il n’avait ni colère, ni regret, les choses étaient ainsi. Il avait appris à les admettre, mais le luxe et les honneurs ne lui suffisaient pas, il avait en lui une soif, une attente que jusque là rien n’avait pu combler. Alors il s’était mis en quête…

Il avait entrepris un long voyage, vers Jérusalem. On lui avait dit que c’était une ville sainte, qu’on y honorait un Dieu, un Dieu unique qui n’avait rien à voir avec les divinités et les idoles des autres nations. Il s’était mis en route espérant trouver là des réponses, un sens à sa vie, quelque chose enfin qui comblerait ce manque qu’il sentait dans sa vie.

Mais à Jérusalem, il n’avait pas vraiment trouvé ce qu’il cherchait. Il n’y avait pas sa place : les gens comme lui, les eunuques, les castrés, étaient exclus du culte rendu à ce Dieu qu’il voulait connaître. Même s’il avait voulu se convertir à cette religion, respecter toutes ses prescriptions et ses lois, il n’aurait jamais sa place dans le peuple qui servait ce Dieu. Son voyage lui laissait un goût amer. Pourtant avant de repartir de Jérusalem, il avait acheté un livre saint écrit par un prophète du peuple juif. Il essayait de lire mais s’il comprenait les mots, le sens continuait à lui échapper. Le livre parle d’un homme important qui, à un moment donné, est descendu de son piédestal, s’est abaissé, oui c’est bien le mot qui est employé, « abaissé ». Il est comparé à une brebis qu’on conduit à l’égorgeur, à un agneau qui, sans broncher, se laisse tondre. Non, décidément il ne comprend pas.

Plongé dans ses pensées, il n’a pas vu approcher Philippe, mais il entend son interpellation : « Comprends-tu ce que tu lis ? » L’eunuque regarde Philippe : on dirait qu’il est juif, cela se voit à sa tenue, alors pourquoi l’interpelle-t-il ? Il n’y a pas de moquerie ni dans sa voix, ni dans son regard. Il semble sincèrement s’intéresser à lui. L’eunuque en est surpris.

A vrai dire, Philippe est peut-être aussi surpris que lui de se trouver là et de parler à cet homme: après avoir dû fuir Jérusalem pour échapper aux mauvais traitements infligés aux premiers chrétiens. Philippe a commencé à annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à des non-juifs, à des Samaritains, ce qui lui a déjà valu quelques soucis et remontrances dans l’Église chrétienne à peine naissante. On lui a reproché de parler de Jésus-Christ hors du peuple d’Israël : la mort et la résurrection de Jésus-Christ sont encore si proches que l’universalité de l’Évangile n’a pas encore été apprivoisée ni comprise par les disciples. Ils pensent devoir rester au sein de la religion juive, dans le peuple juif. Et après les Samaritains, qui croient au même Dieu que les juifs, voilà que Philippe s’adresse à un Éthiopien, peut-être sympathisant de la religion juive, mais pas un vrai juif. Il parle à un eunuque, alors que certains passages de l’Ancien Testament recommandent de tenir à distance du culte, que certains passages de l’Ancien Testament considèrent comme impur. En s’adressant à lui, Philippe se demande ce qu’en diront ces frères chrétiens, mais c’est l’Esprit de Dieu qui l’a conduit à cet homme, il en est surpris, c’est vrai, mais Dieu doit bien savoir ce qu’il fait, non ?!

L’eunuque lui répond : « Non, je ne comprends pas ce que je lis. Comment le pourrais-je, puisque personne ne m’éclaire ? ». Lui, le puissant ministre des finances de la reine d’Éthiopie reconnaît en toute humilité avoir besoin d’un guide. Et espérant trouver enfin les réponses qu’il cherche, il invite Philippe à monter dans son char confortable. Indifférent aux secousses du char sur les pavés, Philippe explique : il parle d’un homme, Jésus de Nazareth, venu de la part de Dieu pour parler aux hommes, pour partager toute leur destinée jusque dans la mort. Il lui dit qu’il a voulu s’adresser à chacun, même aux pécheurs, même à ceux qui ont fait de mauvais choix dans leurs vies, même aux mal-vus, même aux mal-aimés, même aux méprisés, ou peut-être pas « même », mais surtout à tous ceux-là. Et il leur a annoncé le pardon et la tendresse de Dieu. Philippe lui parle de la mort et de la résurrection de ce Jésus. Et de son commandement d’aller dans le monde entier, pour faire des disciples et les baptiser. Il ne lui parle pas de la frilosité des premiers chrétiens qui hésitent encore à quitter le giron du peuple d’Israël : on n’efface pas si facilement des réflexes et des préjugés vieux de plusieurs siècles.

L’eunuque écoute et il découvre autrement ce Dieu dont il a entendu parler à Jérusalem : il n’est pas comme il lui avait été dit. Il découvre un Dieu proche, un Dieu bienveillant, un Dieu qui accueille et bénit, un Dieu fidèle aussi qui tient parole puisque Philippe lui affirme que Jésus est le sauveur que Dieu a promis à son peuple dans ce livre du prophète Ésaïe qu’il s’efforçait de comprendre. C’est comme si un poids lui était enlevé : il a sa place devant ce Dieu-là, lui : lui le mutilé, lui que les autres craignent mais ne respectent pas, lui que tant d’autres ne considèrent pas comme un homme à part entière. Il a sa place, une vraie place, une vraie dignité, celle que lui donne ce Dieu capable d’envoyer son propre fils pour déclarer son amour aux humains. C’est comme si sa vie prenait un autre sens : il est aimé de Dieu. C’est comme s’il sentait cet amour remplir son cœur, combler ses manques. C’est si doux et fort à la fois qu’il voudrait se plonger entièrement dans cet amour et dans cette paix qui l’envahissent…

Alors, quand il voit la rivière, il demande à Philippe s’il peut recevoir le baptême. Ils descendent du char, entrent dans l’eau et il est baptisé. Quand ils ressortent de l’eau, Philippe disparaît, il poursuit sa route vers d’autres juifs ou païens, pour leur parler du Dieu de Jésus-Christ. Quant à l’eunuque, premier africain et tout premier païen à devenir chrétien, nul à part Dieu ne sait ce qu’il est devenu, mais jusqu’à aujourd’hui son histoire témoigne que Dieu accueille et bénit chacun tel qu’il est, chacune telle qu’elle est…

Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL), Point KT