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L’âne savant

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christmas-crib-figures-1060026_640Tout le monde s’en été allé. Les mages à dos de chameau. Les bergers sont retournés à leurs moutons. L’étoile s’est faite filante. Même Marie, Joseph et le bébé Jésus, ont pris la route vers l’Égypte. Ne restaient, dans cette crèche, plus que l’âne et le bœuf se regardant dans le blanc des yeux. Si le bœuf ruminait ses pensées, l’âne avait sa tête, et surtout ses oreilles, dans la lune. Il songeait à tout ce qu’il avait vu et entendu en cette nuit de Noël, et comment tous ces gens importants s’étaient agenouillés dans son caca devant Jésus. Il se disait que s’il avait été au premier rang de ce spectacle, c’est que peut-être Dieu avait une mission spéciale pour lui. Cela le changerait de porter des charges lourdes et se faire taper dessus. Il se confia au bœuf et celui-ci, mâchouillant quelques brins, lui répondit tranquillement :

  • Mon pote l’âne, je pense que tu te trompes. Si Dieu nous a montré toutes ces merveilles ce n’est pas à nous de les raconter. Ce n’est pas notre boulot !
  • Ah ? Et quel est, selon toi, notre travail ?
  • Le mien c’est de tirer la charrue dans les champs de mon maître. Le tien, j’imagine, est de porter des marchandises et des outres remplies d’eau. C’est dans la nature des choses…

L’âne n’en cru pas ses longues oreilles et n’écouta plus le bœuf qui continuait à ruminer dans son coin. Les vaches sont quelquefois folles alors les bœufs…Pas la peine d’en faire un tel foin… Le lendemain, il défonça les barrières de l’étable et, ivre de liberté, se mit à gambader, ruer et se rouler dans l’herbe. Soudain, il marcha droit et prit un air sérieux lorsqu’il rencontra un chameau qui tournait la roue d’un puits. Immédiatement, il se mit à l’instruire. Le chameau blatéra de contentement devant tant de belles paroles, le félicita, mais continua à tourner sa roue mécaniquement. L’âne continua sa marche et à chaque animal rencontré, raconta les merveilles du récit de Noël. Toutes ses bêtes étaient admiratives devant tant de prodiges. C’était des bêtes simples, qui louaient Dieu de s’être ainsi adressé à un âne aussi humble.

Du coup, l’âne grisé par le succès, commença à avoir les sabots qui enflent et se mit en tête d’aller annoncer la grande nouvelle de Noël à Jérusalem. A l’entrée de la ville, près de la fontaine de Siloé, l’âne rencontra une troupe de ses frères chargée d’outres d’eau. Sans présentation, il leur annonça la grande nouvelle. Les ânes agitèrent leurs oreilles et se moquèrent de lui :

  • Hi Han ! Hi Han ! Hi Han, la naissance d’un enfant-Dieu, dans une étable, avec des anges chantant autour, des rois offrant des cadeaux. Quelle rigolade et pourquoi pas le père-noël…C’est bien un âne de village celui-là qui raconte des sornettes…

Un peu plus loin sur la place, stationnait une caravane de dromadaires. Les bêtes étaient à genoux et recevaient leur chargement. Rassuré par la bonne gueule des dromadaires, l’âne commença, à nouveau, à raconter son histoire. Mais un chamelier arriva et l’éloigna vite à grands coups de bâton. Les oreilles basses, le nez entre les sabots, l’âne se mit à murmurer contre cette brute d’humain qui battait ainsi un envoyé de Dieu. Têtu, l’âne essaya de faire la conversation avec la mule d’un marchand, qui lui dit ne pas comprendre le dialecte de Bethléem. Puis, avec le cheval d’un soldat romain qui ne comprenait que le latin et qui, d’une ruade, faillit lui casser la mâchoire. Ensuite avec l’âne d’un prêtre qui lui répondit n’avoir pas de temps à perdre avec des histoires d’un monde meilleur. Plusieurs fois, il tenta d’aborder d’autres animaux, mais à chaque fois, il était remballé. Fatigué et affamé, il se réfugia dans une étable vide et s’y coucha. Le propriétaire de l’étable, voyant que personne ne vint réclamer l’âne, le vendit à un marchand qui partait pour l’Egypte. Et là le voyage fut terrible. L’âne regretta beaucoup son premier maître. Il souffrait d’ampoules aux sabots, de la chaleur et de la soif. Il n’en pouvait plus. Epuisé, il se laissa tomber dans le sable. Le marchand essaya bien de le relever à coups de fouet mais cela ne servit à rien et il le laissa finalement servir de repas aux chacals et aux vautours.

Et alors qu’il voyait déjà planer sur lui l’ombre de la mort, il entendit de douces voix qui lui parlaient tendrement, pensant que c’étaient des anges. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit, â ses côtés, un homme avec un bébé sur les bras et une jeune femme dont les gestes et les paroles répandaient une lumière. Soudain, plein d’une nouvelle vie, il se leva d’un coup et les reconnut…

Ils passèrent tous la nuit sous un palmier dattier voisin. Le lendemain, l’âne s’agenouilla et offrit son dos à Marie qui portait Jésus…Elle y monta et, marchant à leurs côtés, avec une branche de palmier, Joseph les éventait doucement.

Version remaniée de Frédéric Gangloff d’après L. Mercier