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La Pâque de Cléopas

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La Pâque de Cléopas. Les trois narrations présentées ici par Edmond Stussi sont destinées aux enfants et aux jeunes. Elles veulent être une fresque de l’essentiel des événements qui conduisent de la Passion à la Mort et à la Résurrection du Christ. La tâche n’est pas aisée : où est l’essentiel, l’incontournable ? Qu’est-ce qui est constitutif de la foi ? C’est un essai, il demande l’indulgence et le sens critique du catéchète.

Les narrations racontent les événements avec le regard d’un jeune juif contemporain qui découvre progressivement le Christ. Elles cherchent ainsi à éviter de tomber dans le piège du manichéisme juif-chrétien et de l’antisémitisme. Elles veulent dire la continuité de la foi biblique qui de la Pâque juive conduit à la Pâques chrétienne. S’inscrivant dans l’histoire d’une famille juive faisant le pèlerinage de Jérusalem à l’occasion de Pâque, elles évoquent le contexte géographique, historique, politique et religieux local.

Le scénario : Cléopas, originaire de Galilée, disciple supposé de la deuxième sphère des disciples de Jésus et son compagnon suggèrent les deux compagnons d’Emmaüs (Luc 24). D’autres pèlerins et des témoins anonymes de certaines scènes introduisent un espace de dialogue dans lequel l’auditeur ou le lecteur est invité à entrer. Ils permettent aux événements d’être dits de manière dialogale, voire interrogative.

Il a souffert sous Ponce Pilate

Le silence tombe, pesant, sur le Mont des Oliviers. La lune, pleine en ces mois de fête, fait scintiller la toiture d’or du Grand Temple et les murs de la ville renvoient leurs reflets brillants vers la colline. Les pèlerins se préparent à une nuit de paix avant les grandes fêtes. Cléopas ne trouve pas le sommeil. Les yeux vagues, il regarde au loin… Là-bas, entre les murs qui bordent le chemin des oliviers, des silhouettes se détachent dans l’obscurité. On entend des cliquetis de métal. Des hommes armés et casqués s’approchent. Une lampe à huile discrète semble ici et là éclairer le visage de ceux qui dorment. Cléopas se lève, il a peur.C’est la police du temple. Que viennent-ils faire, qui cherchent-ils ? Ieschoua s’est réfugié ici avec ses Galiléens.

Cléopas en est sûr, il a entendu des rumeurs de complots cet après-midi en ville. La troupe s’arrête et se déploie autour d’un vieil olivier. La silhouette d’un homme, lentement, se dresse… « C’est Ieschoua ! Ils l’ont trouvé ! »

Cléopas reconnaît son visage dans la lueur de la lanterne qui l’éclaire. Une ombre s’approche et l’embrasse. Ieschoua parle aux soldats. Un instant, ils reculent, comme s’ils hésitaient, puis cela va très vite : ils avancent et lui ligotent les mains. Quelques hommes sortent des fourrés. La lame d’un glaive brille au clair de lune. Puis c’est le silence.

« Les lâches ! » se dit Cléopas tout haut. La sombre cohorte emmène Ieschoua, redescend la colline pour remonter vers la ville. Longtemps encore Cléopas la suit du regard. La nuit est redevenue sombre et muette comme la vallée des ténèbres et de la mort.

Il est mort, il est descendu aux enfers…

Le soleil est levé quand Cléopas se réveille. Le champ des oliviers s’est déjà vidé de ses pèlerins partis en ville faire les derniers préparatifs de la fête. Cléopas se presse et court lui aussi vers la ville. Il se faufile à travers les étalages des marchands d’épices, de tissus, d’huile et d’essences. Là, soudain, tout est bloqué. On n’avance plus, ni ne recule. La foule jusqu’alors bigarrée et gesticulante se fige. Les yeux se tournent vers le bas de la voie principale. Des gardes romains se taillent un passage d’un pas martial à travers la marée humaine.

Derrière eux, d’autres gardes. Sous une grosse poutre, un homme, plié en deux, traîne péniblement les pieds. Il porte sur la tête un tressage de branches sèches. Derrière lui deux autres suppliciés. Cléopas comprend : » C’est Ieschoua,  ils vont l’exécuter, ils le traînent devant les murs et vont le crucifier ! »

Il veut voir. La souffrance des hommes a toujours attiré sa compassion. Il se faufile en avant, à travers les spectateurs. Pétrifié, il voit Ieschoua, là tout près devant lui. Des cris de haine et de lamentation sortent, pêle-mêle, de la foule ivre de spectacles et l’étouffent. La foule se disperse. Les uns retournent à leurs occupations. Les autres suivent de loin le cortège. Cléopas les suit. À côté de lui, des femmes pleurent, des hommes résignés serrent les poings.

De rage, ils voudraient hurler : « Que leur a fait Ieschoua à ces diables de Romains », marmonne l’un d’eux en veillant à ne pas être trop entendu. « Qu’est-ce qu’ils lui reprochent », dit un autre levant le bras au ciel ?Trois croix se dressent maintenant sur la colline. Sur celle du milieu, un écriteau vient d’être cloué. Cléopas lit : « Le Roi des Juifs ».

Tout est fini. Il faut rentrer. Il pense à la journée d’hier, à la Grande Fête qu’il était venu célébrer avec ses parents, à la foule des pèlerins, à ces femmes, à ces hommes, ces enfants qui ont préparé dans la joie la grande fête du Passage. Un moment, il avait cru que le Royaume de paix allait venir. Il pense aussi à l’agneau que son père a préparé, au pain sans levain qu’ils vont partager.Tout est gâché maintenant. Ieschoua est mort. Ils vont le descendre de croix et le mettre dans un tombeau. Ils rouleront une lourde pierre devant.

Cléopas se souvient. Un jour, il avait demandé à son père ce qu’était l’enfer. « C’est quand on est abandonné de tous, même de Dieu », lui avait-il répondu. Aujourd’hui Ieschoua est descendu aux enfers. La nuit tombe, la nuit du Repas de Pâques. C’est dans la tristesse qu’ils partagent l’agneau et le pain. Sans espoir, ils attendent que Dieu vienne enfin les visiter.

Il est vivant !

Au premier jour de la nouvelle semaine. Après le Grand Sabbat, la longue cohorte des pèlerins se remet en route vers la campagne. Cléopas aussi rentre chez lui. Le soleil ardent et la poussière des chemins étirent de fatigue le cortège. Cléopas chemine seul avec un autre pèlerin quand un inconnu les rejoint.

  • « De quoi discutez-vous… ? » les appelle-t-il. » Vous portez la mort sur le visage ! Après ces fêtes, vous devriez revivre ! »
  • « Comment donc, lui rétorque Cléopas scandalisé, comment peux-tu parler ainsi après tout ce qui s’est passé ? N’as-tu donc rien vu, rien entendu ? »
  • « Et quoi donc ? »

Devant tant d’ignorance, le cœur de Cléopas déborde : « N’as-tu rien su des exécutions qui ont eu lieu ? N’as-tu pas entendu parler de Ieschoua ? C’était un homme de Dieu, un vrai prophète… Quand il parlait de paix aux hommes, c’était comme si elle venait… Quand il te tendait la main, c’était comme si tu revivais ! Eh bien, nos chefs l’ont arrêté, ils l’ont condamné, crucifié… Il est mort et enseveli ! N’est-ce pas assez ? »

L’inconnu se tait. Visiblement les paroles du jeune homme le touchent. Il ne peut pas, se dit-il, les laisser poursuivre leur chemin sans répondre à leur désespoir… Il essaie alors de leur expliquer : « Dans la longue histoire de notre peuple, il en a souvent été comme ça. C’est peut-être difficile à comprendre quand on est jeune. Mais chaque fois que nous avons marché dans la vallée de l’ombre et de la mort, c’est alors que Dieu s’est montré vraiment fort… Avec Ieschoua, c’est pareil… » Longtemps l’Inconnu leur parle. Cléopas et son compagnon écoutent attentivement. Ils ne savent pas pourquoi ses paroles apaisent leur amertume. C’est un peu comme s’ils se retrouvaient sur les bords du grand lac et écoutaient les paroles de Ieschoua.

La nuit va tomber. Il faut s’arrêter dans une auberge et prendre du repos. L’inconnu, lui, est pressé de continuer son chemin. « Reste avec nous, lui demande Cléopas. Il va faire nuit et le jour est à son déclin. » Les trois hommes entrent et prennent place dans l’hôtellerie. La table est garnie. Un linge blanc recouvre le pain de Pâque. Cléopas a soudain l’impression d’être l’invité de l’inconnu qui a cheminé avec eux, car il prend le pain, comme le fait un père de famille, au soir de Pâque, il prononce la bénédiction, il le rompt et le leur donne.

L’instant d’un éclair, leur esprit se trouble. Ce geste, ils l’ont fait, ils l’ont vu faire tant de fois, en attendant le jour de la venue du Royaume de Dieu… L’instant d’un éclair, derrière le visage de l’Inconnu, Cléopas reconnaît les traits de Ieschoua « Est-ce toi, est-ce bien toi ? » veut-il dire… Mais au moment de mettre la main sur lui, il leur échappe, comme s’il les appelait à le suivre.

Les deux hommes se lèvent et se remettent en route : « Je ne comprends pas, dit Cléopas, c’était donc lui qui nous parlait pendant que nous marchions, c’était donc lui qui a partagé le pain avec nous… ? Alors… Alors… Cléopas n’ose prononcer les mots qui lui brûlent les lèvres : « Tout le temps que nous marchions avec lui, j’avais en moi comme un feu qui me réchauffait le cœur… Il est vivant ! » « Viens, lui dit son compagnon, cela se voit sur ton visage. Il faut nous remettre en route et aller à la rencontre des autres… »

Crédits : Edmond Stussi Enseignant de pédagogie religieuse, IUFM d’Alsace – N° 16 – Cahiers de la bible contée – Image par Gerd Altmann de Pixabay