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Histoire d’un presque rien

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Voici une méditation proposée par Titia ES-SBANTI (pasteure à Nîmes) et mise en scène par Corinne et Jean Lafabrègue. Le texte biblique est celui de Marc 6 : 30 à 44 – Jésus nourrit une grande foule. Le texte de la méditation  et le  diaporama avec les figurines bibliques se trouvent tout en bas de l’article. Corinne est formatrice AFiBi 

30 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus. Ils lui racontent tout ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont enseigné.  31 Jésus leur dit : « Venez avec moi dans un endroit isolé, loin de tout le monde, pour vous reposer un peu. » En effet, il y a beaucoup de gens qui vont et viennent, et les apôtres n’ont même pas le temps de manger. 32 Ils partent dans une barque, seuls, pour aller dans un endroit isolé. 33 Mais les gens les voient partir, et beaucoup les reconnaissent. Alors ils viennent en courant de toutes les villes et ils arrivent avant Jésus et ses disciples. 34 Quand Jésus descend de la barque, il voit une grande foule. Son cœur est plein de pitié. En effet, les gens sont comme des moutons sans berger, et il se met à leur enseigner beaucoup de choses. 35 Il est déjà tard. Les disciples s’approchent de Jésus et lui disent : « Il est déjà tard et cet endroit est isolé. 36 Renvoie les gens dans les fermes et les villages des environs. Là, ils pourront acheter quelque chose à manger. » 37 Jésus répond à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Ils lui disent : « Est-ce que nous devons aller acheter du pain pour 200 pièces d’argent ? Ainsi nous leur donnerons à manger. » 38 Jésus leur dit : « Vous avez combien de pains ? Allez voir. » Ils se renseignent et lui répondent : « Nous avons cinq pains et deux poissons. » 39 Jésus donne cet ordre à ses disciples : « Dites à tout le monde de s’asseoir par groupes sur l’herbe verte. » 40 Les gens s’assoient, par groupes de 100 et par groupes de 50. 41 Jésus prend les cinq pains et les deux poissons. Il lève les yeux vers le ciel et dit une prière de bénédiction. Il partage les pains et les donne aux disciples. Alors les disciples les distribuent à la foule. Jésus partage aussi les deux poissons entre tout le monde. 42 Tous mangent autant qu’ils veulent.  43 On emporte les morceaux de pain et les poissons qui restent : cela remplit douze paniers ! 44 Et il y a 5 000 hommes qui ont mangé.

PHOTO 1 BIBLE OUVERTE

Tout  est  excessif dans ce texte : c’est une multiplication de l’histoire avant d’être celle des pains ! Ensuite, lorsqu’on ouvre la porte de  ce récit, on découvre que tout déborde : non seulement le pain, mais aussi les gens, les mots et les gestes :

1er  excès : l’ampleur de la  foule qui suit – poursuit – Jésus et ses disciples.

2ème  excès : la durée de l’enseignement de Jésus.

3ème excès : Le ton des disciples.

4ème excès  : La nourriture :  5 pains et 2 poissons  c’est excessivement… peu  pour 5000 personnes !

5ème excès : Il reste pourtant des corbeilles pleines à la fin de l’histoire.

Il y a donc trop de monde, pas assez de pain, puis trop de pain puisqu’il en reste….

Alors, que faire de tous ces excès, de ces débordements ? Soulevons-les,… un à un … pour voir ce qu’il a en dessous.

PHOTO 2 JÉSUS PARLANT

Le soir tombe… Il se fait tard, Jésus parle encore…

 

 

 

 

PHOTO 3 LA FATIGUE EST AU RENDEZ-VOUS

La foule est toujours là, plus nombreuse que jamais. Et les apôtres n’ont toujours pas mangé.

La fatigue est au rendez-vous.

« Renvoie la foule » disent les apôtres.

 

PHOTO 4 RENVOIE LA FOULE

Serait-ce une interrogation ? Non, c’est un ordre : Qu’ils aillent chercher à manger ailleurs ! Qu’ils rentrent chez eux ! On ne peut tout de même pas s’occuper de toute la misère du monde … « Renvoie la foule » La foule a-t-elle faim ? C’est possible, mais le récit ne le dit pas. Ce que l’on sait, c’est qu’il est déjà tard et que la foule est encore là qui écoute Jésus, comme pour ne pas perdre une miette de son enseignement. La foule semble d’abord avoir faim de Paroles, de sens.Ceux qui ont faim dans l’immédiat, ceux qui invoquent l’heure du repas – et qui interrompront Jésus – ce sont ses propres disciples. « Renvoie la foule » Les disciples décident ce qui est bon pour les autres et à la place des autres. Ils prétendent savoir. C’est aussi ce que tu as peut être entendu dans ta paroisse qui considère que l’Eglise n’a ni les moyens, ni vocation à s’occuper du matériel, du corps et de la justice. « Renvoie la foule » La réponse de Jésus aux apôtres sera brutale : « donnez-leur vous-même à manger… » Autrement dit : débrouillez-vous ! Avec sa réponse, Jésus semble dire : Vous n’avez pas besoin de moi, pas besoin de l’évangile pour nourrir les gens. La réponse à votre question, c’est vous. Donnez-leur vous-même à manger… Jésus semble nous dire : vous avez  trop souvent tendance à demander à Dieu ce que lui vous demande à vous. Jésus détourne notre prière et nous dit que Dieu n’est pas un Dieu auquel on expédie les grands problèmes comme la faim dans le monde, la pauvreté, l’injustice, en mettant sur l’enveloppe : « aux bons soins de Dieu »… Sans imaginer que nous  puissions recevoir un « retour à l’envoyeur ».

PHOTO 5 TEXTE ANCIEN

Le problème des chrétiens, c’est qu’ils demandent des interventions de puissance à un Dieu, comme à un super héros doté de superpouvoirs. Alors que le Dieu de Jésus Christ n’intervient que par amour. « Donnez-leur vous-mêmes à manger… » Le chrétien n’a pas le monopole du cœur, mais la différence, c’est que l’Evangile a saisi son cœur. L’évangile est devenu le moteur de sa vie, il est sa respiration, son souffle. Oui, face au Dieu de Jésus-Christ qui l’a saisi tout entier, le croyant peut seulement dire : « Me voici ». « Donnez-leur vous-même à manger … » Quand tu reçois l’évangile d’une personne. En vérité c’est le Christ qui est l’expéditeur. L’évangile, Il te l’envoie en lettre recommandée : à ton nom ; personne ne peut l’ouvrir à ta place.  Il va falloir lire, entendre, ne plus fermer les yeux, et recevoir cet évangile qui t’envoie dehors en te disant : Va avec la force que tu as. Et continue de rêver pour les autres, pour le monde comme pour toi. Aujourd’hui encore, il te faut croire à l’impossible » et t’y attacher. En effet, il y a deux folies dans le monde : Croire qu’on peut tout faire. Croire qu’on ne peut rien faire.« Donnez-leur vous-même à manger … »

 

PHOTO 6 IL N’Y A QUE CINQ PAINS ET DEUX POISSONS

La réponse des disciples : on n’a que cinq pains et deux poissons, on ne va quand même pas acheter de la nourriture pour une foule de gens ? Mais qui parle d’acheter ? De produire plus ? L’erreur faite par nos églises, et nous la répétons: c’est d’avoir baptisé après coup cette histoire « la multiplication des pains », alors que ce mot n’apparaît pas une seule fois dans le texte biblique !

 

 

PHOTO 7 GROS PLAN SUR LES 5 PAINS ET LES 2 POISSONS

La force de l’évangile de Marc n’est pas dans la « multiplication » ou la surabondance, mais dans ce peu qu’il y a : en effet cinq pains et deux poissons pour cinq mille personnes, c’est rien ! … Ou plus exactement c’est presque rien. Et comme chacun sait, entre rien et presque rien, il y a un « je ne sais quoi » qui fait toute la différence… Quelle différence ? La voici : nourrir une foule à partir de rien, ça s’appelle un miracle. C’est ce que l’évangéliste Marc a voulu éviter. En revanche, nourrir une foule avec cinq pains et deux poissons, c’est proclamer que la véritable offrande à l’autre ce ne sont pas nos richesses mais c’est notre indigence et notre pauvreté. Tout se passe comme si, avec ces cinq pains et ces deux poissons, avec ce « presque rien », l’évangile nous disait : nous avons tous reçu quelque chose, … qui que nous soyons, … d’où que nous venions. Même le plus démuni des humains. Personne ne peut dire qu’il n’a rien reçu. Tu peux donc devenir pauvre si tu ne donne pas. C’est comme l’amour : il n’enrichit, il ne grandit que s’il est donné. L’amour qui donne, se donne, creuse des rides sur le visage de son auteur, il ressemble à un livre qui a été lu et dont on a tourné et retourné les pages. Cinq pains et deux poissons, c’est ce je-ne-sais-quoi ou presque rien qui reçoit toute l’attention de Dieu. Devant Dieu, le presque rien est célébré et fait venir à l’existence ce qui est insignifiant et méprisé aux yeux des humains. Nous sommes tous un « presque rien » infiniment important aux yeux de Dieu. Ainsi combien de fois le presque rien a-t-il transformé notre quotidien ?

PHOTO 8 JÉSUS REMERCIE

Encore une chose qui interpelle dans le récit de l’évangile de Marc, c’est que Jésus remercie Dieu pour les cinq pains et les deux poissons qu’il a entre les mains. Il remercie non pour cette soi-disant « multiplication » mais pour l’indigence, pour ces trois fois rien. Ce qui importe, c’est le merci pour le presque rien qui est là. La dignité du croyant, c’est d’être capable de dire merci à l’avance. Le cœur de l’évangile n’est donc pas de nourrir les foules mais de pouvoir murmurer : Merci pour ces miettes, mon Seigneur et mon Dieu. C’est recueillir avec infiniment de reconnaissance dans le creux de notre main ce peu de pain, ce peu de présence, ce peu de sens qui donne un peu plus d’épaisseur à notre vie. A chacun de nous de voir, de prendre conscience de ces « petits peu » dont nous sommes nourris dans notre vie quotidienne. Que reste-t-il de cette scène ?

 

PHOTO 9 LA FOULE EST NOURRIE

Il reste … une foule que Jésus nourrit sans distinction. On ne sait pas ce que Jésus a enseigné à cette foule, mais, visiblement, c’était une parole pour tous. On ne sait pas non plus qui sont les gens qui constituent la foule : croyants, incroyants, juifs, samaritains, syriens, galiléens, romains, badauds, charlatans, voleurs, malades ? Que reste-t-il de cette scène ? Remarquons qu’au verset 41 Jésus partage le pain certes, mais il donne morceau à morceau à chaque disciple. Jésus ne reste pas sur le reproche, mais Il renouvelle sans cesse sa confiance en nous. Il ne nous désire pas admiratifs, dépendants et passifs. Dieu ne souhaite pas agir seul, tel un super-héros ; mais il nous met en marche, nous révélant notre propre capacité à donner. Et le pain se multiplie de main en main. N’avait-il pas dit : « donnez-leur vous-même à manger «  ? Dans cette occasion tous, … chacun a participé : a partagé avec son voisin. Que reste-t-il de cette scène ? Il reste non pas un repas d’initié, mais un repas aux allures de fêtes populaires avec du pain et du poisson, autrement dit un vrai repas, Cette histoire est une histoire qui invite toutes les Eglises, chaque chrétien à s’asseoir dans l’herbe verte, à déposer  dogmes et grandes idées, et à dire merci pour le pain de ce jour. Que reste-t-il encore ?

PHOTO 10 CORBEILLES PLEINES

Il reste des corbeilles pleines. Ces restes évoquent les autres, tous ceux qui ne sont pas venus au rendez-vous de la Parole. Pour eux aussi il y a encore et encore de la place. Tout est toujours ouvert. Il n’est jamais trop tard pour Dieu. Rien n’est perdu au regard de Dieu. Ces morceaux de pain et de poissons, C’est le pain de Dieu pour le tout-venant, pour le dernier venu, pour ceux qui arrivent en retard, pour ceux qui n’ont pas compris. Ces morceaux de pains et de poissons, c’est Dieu qui reste avec nous au lieu de partir. Il est encore là et à chacun il dit : « je reste avec toi, malgré tes trahisons, grandes ou petites. »Oui, le plus important, c’est Dieu qui reste pour nous apprendre à aimer.  Amen

 

 

Texte de Titia ES-SBANTI : Histoire d’un presque rien

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