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Evangile et chlorophylle

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Les animaux ont leur roi, dit-on, les humains en beaucoup. Et les végétaux alors ? S’ils en voulaient un, cela ferait peut-être bien des histoires… une en tout cas, créée par Claire de Lattre-Duchet, à l’occasion du culte d’inauguration de l’église rénovée de Hurtigheim, le 8 octobre 2017.

Evangile et chlorophylle

On raconte qu’en ce temps-là, il y eut un immense rassemblement de tous les végétaux qui peuplent la Création, sur une haute montagne, à l’écart des oreilles et des yeux humains ou animaux. Juste des plantes, des fleurs, des arbres rassemblés en un lieu désert pour discuter d’une chose de la plus haute importante : Qui serait le roi du règne végétal ? Après tout, les humains avaient leurs rois, les animaux le leur, alors pourquoi pas les végétaux ?

Il y avait beaucoup de monde, ou plutôt beaucoup de feuilles et pas mal d’agitation aussi, car chacun avait son idée et entendait bien la défendre.

C’est l’olivier qui prit la parole en premier :

« Chers amis, mes frères, sans vouloir me vanter, permettez-moi de penser que c’est moi qui devrais être votre roi. Non à cause de la force de mon tronc, pas davantage à cause de la beauté de mes feuilles, encore que…non, je devrais être votre roi à cause de ce que je représente. Depuis des temps immémoriaux, postdiluviens plutôt, la fin du déluge quoi, je suis un symbole universel de paix. C’est l’un de mes rameaux que la colombe a ramené à Noé lui annonçant ainsi que le déluge était terminé, qu’hommes et bêtes pouvaient quitter l’arche et repeupler la terre. En me voyant, comment ne pas penser à Noé et surtout à la bénédiction de Dieu sur la Création en général et sur l’humanité en particulier ? »

Il y eu un grand silence dans l’assemblée. Personne ne s’était attendu à cela. Tous avaient pensé que le débat porterait sur la force, la résistance ou encore la beauté de tel ou tel, mais voilà que l’olivier portait le débat à un tout autre niveau : il n’était plus question d’être le plus beau, le plus fort ou le plus résistant, mais de signifier, de symboliser quelque chose et en plus il avait trouvé moyen de ramener, dans le débat, Dieu qui n’en demandait pas tant !

« Certes, je reconnais que tu as bien parlé, intervint le chêne. Je ne doute pas de tes qualités et je ne mets pas en doute ce que tu symbolises. Je ne me permettrais pas de discuter le choix que Dieu a fait après le déluge. Mais … permets-moi tout de même de ne pas totalement partager ton avis. Car je pense pour ma part que je ferais un bien meilleur roi que toi. Noé est important, n’en doutons pas, mais Abraham l’est bien davantage à mon avis. Les humains ne disent-ils pas qu’il est le père des croyants ? Il est celui à travers qui Dieu a voulu bénir toutes les nations de la terre. En tout cas, c’est à l’ombre de mes branches qu’Abraham a fait une rencontre inattendue qui a changé sa vie,  il a reçu trois messagers de Dieu qui venaient lui annoncer la naissance de son fils Isaac. Et c’est à travers cette promesse qu’Abraham a appris à avoir confiance en Dieu, car lorsque son fils est né, il a compris que Dieu tient parole. Moi, le chêne je rappelle et symbolise cette histoire.»

Le chêne et l’olivier discutaient ferme, lorsqu’un buisson aux jolies fleurs violettes, l’hysope, prit la parole :

« Chers amis, ne vous disputez pas ! Allons… nous avons entendu vos arguments, mais je crois que vous vous trompez l’un et l’autre. C’est moi qui devrais être votre roi. C’est vrai, je n’ai ni la taille, ni la force de l’olivier et du chêne. Mais, s’ils peuvent se vanter de leurs liens avec Noé et Abraham, je peux faire bien mieux ! Car, moi je peux en appeler à Moïse et à Jésus-Christ, le fils de Dieu lui-même ! »

Un murmure parcourut l’assemblée et voyant que le chêne allait objecter, l’hysope poursuivit :

« Je me souviens de la première Pâque juive. Les Hébreux étaient alors esclaves en Egypte. Dieu pour contraindre les Egyptiens à les laisser partir leur a envoyé toutes sortes de calamités. La dernière, la plus terrible était la mort des premiers nés. Pour s’en protéger, les Hébreux devaient répandre le sang d’un agneau sacrifié sur les montants de la porte de la maison : c’est avec mes branches que les Hébreux ont fait cela. Moi, l’hysope, je rappelle cette première Pâque, la tendresse de Dieu pour son peuple dont les cris de détresse l’avaient ému. Et je rappelle la libération : car Dieu a libéré son peuple de l’esclavage en Egypte. Conduit par Moïse, les Hébreux…

  • Oui, oui, on la connait l’histoire, intervint le chêne. Mais en ce qui concerne Jésus, là… ne te vanterais-tu pas un peu ?
  • Pas du tout, répartit l’hysope vexée. Lorsque les hommes ont crucifié le fils de Dieu, il a eu soif. Alors un soldat a accroché une éponge imbibée de vinaigre à l’une de mes branches pour lui donner à boire. Lorsque Dieu a libéré son peuple de l’esclavage, j’étais là, lorsque Dieu a libéré les humains de tout ce qui pouvait les séparer de lui, en particulier la mort, j’étais là. Je symbolise la libération !
  • Mais moi aussi, je symbolise la libération, intervint le myrte. Dieu a prescrit de ramasser mes branches le premier jour de la fêtes des Tentes en souvenir de la première nuit de liberté passée par le peuple d’Israël dans le delta du Nil.
  • Oui, rétorqua l’hysope, tu rappelles aussi la libération d’Egypte, mais c’est tout.
  • Non, ce n’est pas tout, reprit le myrte. Les prophètes, surtout Esaïe, ont parlé de moi pour évoquer la paix et la prospérité que Dieu donnera à son peuple. Ils ont vu dans mon parfum si agréable et mes fruits délicieux des signes de la bonté, de la générosité et de la fidélité de Dieu. Et puis, ce sont mes rameaux que la foule a brandis lorsque le Christ est entré triomphalement à Jérusalem. Dans leurs mains, j’ai acclamé le Fils de Dieu venu s’offrir aux humains pour qu’ils comprennent à quel point Dieu les aime. »

L’olivier, le chêne, l’hysope et le myrte discutaient encore pour savoir qui devaient être roi, lorsqu’intervint la vigne.

« Je dois reconnaitre que vous avez, les uns et les autres, de bons arguments, mais j’en ai de bien meilleurs encore. Tant de textes bibliques parlent de moi. Je suis un peu l’emblème du peuple de Dieu, car je suis souvent utilisée pour décrire les relations entre Dieu et son peuple, surtout la sollicitude de Dieu pour son peuple. Le Christ aussi a beaucoup parlé de moi. Il s’est comparé à moi pour expliquer à ses disciples qu’ils devaient être liés à lui, aussi étroitement que les sarments au cep de vigne :  » Je suis la vraie vigne, vous êtes les rameaux. Celui qui demeure uni à moi, et à qui je suis uni, porte beaucoup de fruits. » Et si cela ne suffit pas encore à vous convaincre que je devrais être votre roi, je peux encore ajouter que mes fruits sont présents sur la table de la Sainte Cène, c’est donc moi que le Christ a choisi pour accompagner les humains de sa grâce.

  • Oh là, doucement ! Tu n’es pas seul sur la table de la Sainte Cène. J’y suis aussi, intervint le blé. Et le Christ a aussi beaucoup parlé de moi pour expliquer l’action de Dieu, dans les paraboles du Royaume notamment. Il m’a utilisé pour parler de sa parole dans la parabole du Semeur. Il a même annoncé sa mort et sa résurrection et évoqué la vie éternelle grâce à moi : « Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul, si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance. » Bref, je peux aussi prétendre à être roi ! »

Ces paroles n’apportèrent ni consensus, ni paix. Car chacun, l’olivier, le chêne, l’hysope, le myrte, la vigne, le blé et quelques autres encore profitant de la cohue générale, chacun essayait de convaincre en criant de plus en plus fort, à grand renfort de moulinet de branches et d’agitation de feuilles, si bien que la bagarre générale n’était plus très loin…

  • Oh ! ça va pas la tête ! Vous êtes tous devenus fous ! On dirait des humains !

Et je peux vous dire que dans la bouche d’un végétal, ce n’est pas vraiment un compliment… et pourtant c’était bien avant les produits chimiques qui empoisonnent la terre, l’eau et l’air, avant le béton et le bitume qui dévorent les terres agricoles et les espaces naturels, défigurant la Création.

Après donc, ces paroles qui n’étaient pas un compliment pour les humains, un grand silence se fit et tout le monde chercha qui avait osé parler ainsi.

  • Qui a dit ça ? finit par demander le chêne d’une voix sévère.
  • C’est moi, répondit une toute petite herbe, tellement petite et insignifiante que personne n’avait pris la peine de lui donner un nom.
  • Comment oses-tu ?! poursuivit l’olivier.
  • Comment j’ose ? ! reprit la petite herbe insignifiante. Comment j’ose ? ! Elle est bonne celle-là ! Et vous, comment osez-vous ? ! Vous êtes là à vous chamailler comme des humains pour savoir qui est le plus grand, qui doit être roi ! Non mais vous avez craqué ou quoi ?! N’avez-vous donc rien compris à l’histoire dont vous avez été les témoins silencieux et dont vous devriez être des messagers ? S’il faut un roi au règne végétal, pourquoi pas, mais ne mêlez pas Dieu à vos histoires ! Comme si on pouvait couper son amour en tranches, opposer Noé à Abraham ou à Moïse, opposer l’Ancien et le Nouveau Testament ! N’importe quoi ! Ne voyez-vous pas que c’est une même histoire que Dieu a commencée avec Noé, avant lui d’ailleurs aussi, et qu’il a poursuivie tout au long de l’histoire humaine. Ce n’est pas un hasard si l’hysope était là à la libération d’Egypte et à la croix, si le blé et la vigne sont cités dans l’Ancien et le Nouveau Testament, même toi, l’olivier, tu n’évoques pas que Noé, tu es lié à l’annonce prophétique de la venue du Messie. C’est le même message de l’amour de Dieu pour les humains qui s’est dit à travers vous comme à travers tant d’autres témoins… Aucun de vous tout seul ne suffit à dire l’amour de Dieu !

Brusquement, l’olivier eut envie de rentrer sous terre avec toutes ses racines, le chêne se sentit rougir comme si l’automne était déjà là, le myrte et l’hysope baissèrent la tête, le blé sentit ses grains trembler de désarroi et la vigne sembla se cacher dans ses feuilles. Tous avaient honte.

L’olivier se racla la gorge, puis prit la parole :

  • Merci, petite herbe, de nous avoir soufflé dans les branches pour nous rappeler à la raison. L’orgueil est bien mauvais conseiller… Nous n’avons pas le droit d’utiliser Dieu pour assoir nos rêves de gloire et de pouvoir. Et surtout, tu as entièrement raison : aucun de nous seul ne suffit à dire l’immensité de l’amour de Dieu, l’immensité de sa bonté et de sa générosité, mais tous ensembles, nous avons beaucoup à dire aux humains… et, les connaissant un peu, je crois que nous ne serons pas trop de nous tous pour qu’ils écoutent !

C’est ainsi que la paix est revenue dans le règne végétal qui finalement ne s’est pas choisi de roi. Et vous pouvez penser à juste titre que c’est là fantaisie de théologienne, mais toujours est-il que l’olivier et le chêne, l’hysope et le myrte, la vigne et le blé ornent ensemble et en paix les vitraux de l’église d’un village alsacien : écoutez-les, écoutez bien… ils vous racontent une très vieille histoire qui est pourtant toujours nouvelle, une histoire d’amour, l’histoire de l’amour de Dieu pour les humains.

Crédit texte : Claire de LATTRE-DUCHET (UEPAL) Point KT Crédit photos : Arnaud DUCHET