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Introduction générale à la géographie biblique, Ancien et Nouveau Testaments

L’histoire de cette région, et donc l’histoire des peuples de la Bible, est très largement impactée par la géographie. Comprendre la géographie du Moyen Orient, comprendre comment, dans l’Antiquité, elle dictait en grande partie l’évolution des nations est vraiment utile pour lire la Bible. En réalité, pour le lecteur de la Bible, il y a « 2 géographies » à avoir à l’esprit : celle de l’Ancien Testament, centrée sur le Croissant fertile, et celle du Nouveau Testament, centrée sur la Méditerranée.

Avec l’appui des ouvrages et sites :
– Atlas de l’étudiant de la Bible, Tim DOWLEY, Ed. Farel, 1989
– http://notreeglise.files.wordpress.com/2013/03/histoire_biblique_mai_2012.pdf

Préambule :

De l’usage des mots « Palestine » et « Israël ». « Palestine », en hébreu : phélèshet :  signifie « le pays des philistins » même si les philistins n’en ont finalement occupé qu’une petite partie.
C’est un territoire dont les limites sont vagues, mais qui correspond en gros à l’actuel État d’Israël + Cisjordanie et la Bande de Gaza.
Nous avons déjà rencontré le terme de Palestine pour cette région dans le livre des Juges. C’est seulement au 1er siècle que les Romains ont intégré la région à la grand province de Syrie.
« Israël », le peuple d’Israël, c’est à dire les hébreux, le peuple juif dans l’Ancien Testament.

Géographie de l’Ancien Testament

Situation de la Palestine dans la région

D’abord, dans le Moyen Orient , c’est-à-dire qu’on se situe là où 3 continents se rejoignent.
Cet élément pris en compte en dit déjà beaucoup sur les déplacements, sur les échanges, les influences culturelles, sur le commerce et aussi bien sûr, sur les enjeux politiques que représente ce carrefour des civilisations.
N’oublions pas que le Canal de Suez ne date que du 18ème siècle et qu’auparavant il était impossible de passer de la Méditerranée à la Mer Rouge par bateau. Le passage entre l’Asie et l’Afrique se faisait à pied, par le delta du Nil.
La Mer Méditerranée était considérée dans l’antiquité comme « La Grande Mer ». La franchir par bateau était une expédition risquée. Au nord et à l’est de cette grande région, les chaines montagneuses rendent la circulation possible mais difficile. À l’ouest du Nil, les déserts d’Afrique, et au sud du croissant fertile, les déserts d’Arabie, rendent difficiles les voyages vers ces contrées.
Par ce simple regard général sur la situation géographie de la Palestine, on découvre déjà beaucoup d’enjeux. Mais surtout on découvre que si cette région n’est pas totalement coupée du monde,  elle est tout de même relativement isolée. Et à cause de cet isolement cette région est nommée « Croissant fertile ».

Le Croissant fertile

En observant la carte on peut repérer les différentes villes dont chacune est citée dans la Bible pour un événement particulier ou un personnage. Pour exemple, Abraham part d’Our (il est mésopotamien), à une époque où on ne voyageait pas tant que ça. En quittant son pays, la géographie rend plus ou moins inévitable que ce soit en direction de l’Égypte, parce qu’il n’y a pas vraiment d’autre direction.

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Deux grands centres de civilisation (avec la Palestine entre les deux)

À l’Est : la Mésopotamie (méso = entre ; potamos = fleuve, entre le Tigre et l’Euphrate) qui a vu naître l’écriture cunéiforme vers -3000 av JC.

À l’Ouest : l’Égypte, qui a vu naître les hiéroglyphes vers -3000 av JC
Mésopotamie et Égypte ont vu naître, à peu près en même temps, les deux premières grandes civilisations du monde, toutes les deux le long des fleuves qui, par leur apport abondant d’eau douce, permettaient le développement de l’agriculture et par conséquent d’une population sédentaire importante.

Ces deux régions fertiles qui ont données naissance aux deux premières grandes civilisations étant relativement isolées vers l’extérieur à cause des montagnes, mers et déserts, il était logique et même inévitable que leurs regards extérieurs principaux aillent l’une vers l’autre.

Or, le seul chemin pratique pour passer de l’Égypte à la Mésopotamie passe le long de la côte est de la Méditerranée pour rejoindre l’Euphrate en Syrie, ce qui permet de passer par les plaines de la Mésopotamie pour rejoindre les grandes villes de la moyenne et de la basse Mésopotamie. Et on constate que la Palestine se trouve sur ce passage. Il n’y a donc pas de hasard : l’histoire du peuple hébreu est inévitablement liée à la géographie et aux relations entre les puissances de ces deux régions.

Repères calendaires

> 13ème – 10ème s : lors de la sortie d’Égypte du peuple de Moïse la Palestine était sous administration Égyptienne.
> – 650: Assyrie > déportation
> – 550 : Babylone > déportation
> – 450 : Perse > droit de retour
> – 300 : les grecs, puis les Séleucides
> -160 : les Maccabées
> 0 : les romains

Du fait des invasions, directement liées à la géographie, Israël ne sera jamais une grande puissance militaire ou économique.

Géographie du Nouveau Testament

La situation « d’entredeux » de la Palestine se modifie profondément à l’époque du Nouveau Testament.
Les grandes puissances ne sont plus au Moyen Orient mais en Europe. D’abord la Grèce et ensuite Rome vont dominer toute la région.

Par exemple pour Rome le commerce est à son apogée en 117 !

À l’époque romaine, la Palestine sera une petite province lointaine, sans grande importance. Le chemin de circulation principale n’est plus le Croissant fertile passant de l’Égypte jusqu’à Babylone, mais la Méditerranée où les redoutables navires romains étendent leur puissance militaire depuis l’Euphrate jusqu’à l’Atlantique.

La Méditerranée remplace le Croissant fertile comme centre de civilisation.

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Et que remarque t-on du côté de l’histoire biblique ? Les voyages missionnaires de Paul !

Le climat

Dans un pays qui fait à peine 300 km de long par 80km de large on se retrouve avec une multiplicité de climats
– méditerranéen sur les côtes
– désert du Judée, Sinaï, Néguev
– presque tempéré vers Jérusalem ou en Galilée

On passe des grandes plaines au Nord, grenier cultivé, à des montagnes assez hautes au centre et à montagnes plus arrondies vers le sud, avec de la roche partout. Les déserts (on pense au désert de sable, Sahara) sont en réalité des déserts de pierres. On comprend mieux les expressions comme « l’Éternel est mon rocher ». Dans un pays où il n’y a pratiquement que de la roche, où une bonne partie du pays est de la roche, dire : « Eternel est mon rocher » c’est dire qu’il est présent pratiquement partout où je mets les pieds. « Éternel est mon rocher » c’est celui qui me protège et en même temps c’est celui que je prie quotidiennement et qui fait partie de mon quotidien.

Crédit : Point KT

 

 




Nourritures de la terre, nourritures du ciel – Une exploration des aliments de la Bible

Un dossier destiné aux animateurs de l’Éveil à la foi pour leur permettre de préparer un programme sur le thème de la nourriture avec les tout-petits. Une source de réflexion spirituelle et un trésor de bons trucs et de combines.

Dossier biblique – Quelques repères

« Ainsi la terre fournit aux hommes de quoi vivre : du vin pour les rendre gais, de l’huile pour leur donner bonne mine du pain pour leur rendre des forces » Ps 104, 15. Se nourrir est une nécessité de tout être vivant. Pour vivre et survivre, l’être humain doit s’alimenter. Ce  besoin  fondamental repose sur la  finitude de l’homme et sa dépendance à l’égard de la nature et des autres  humains.
Dans la bible, la nourriture, le fait  de « manger », de « ne pas manger », occupent une place considérable.

Dans l’ancien Testament :

Dès le livre de la Genèse,  la nourriture est présentée comme un don de Dieu. C’est lui qui pourvoit à la  nourriture de ses créatures  :

… « Je vous  donne toute herbe qui porte sa semence…  et tout arbre dont le fruit porte sa semence ; ce sera votre  nourriture ».
… « A toute bête de la terre… je donne  pour nourriture tout herbe nourrissante » Genèse 1, 29-30.

La nourriture donnée à l’homme est présentée ici d’origine exclusivement végétale. Après le déluge, elle  comportera aussi la viande : « Tout  ce  qui  remue  et qui  vit  vous servira de nourriture » Genèse 9,3 .

Ainsi est soulignée la dépendance de l’homme par rapport à la nature sans laquelle il ne peut vivre. Pourtant,  l’homme exerce son autonomie. À la différence de l’animal qui mange l’herbe qu’il trouve ou la proie qu’il  poursuit, l’homme se nourrit du fruit de son travail, du produit de la culture et de l’élevage, de « l’œuvre de  ses mains ». Se nourrir est nécessaire pour se développer, grandir et vivre. Cependant, l’homme n’arrive pas à réguler ses  appétits et il se laisse aller à des excès désagréables pour lui et pour l’entourage.
Les chapitres 31,12 -1 et 37,27-31 du Siracide, avec bon sens et réalisme, appellent à la modération. Devant une table débordante, l’homme risque d’oublier que toute nourriture vient de la main de Dieu et qu’elle est donc partage avant d’être possession.

Pour signifier le lien étroit avec Dieu qui pourvoit, les sacrifices et les offrandes d’une part, les interdits alimentaires de l’autre, ont joué un rôle capital : les repas de Fête se célèbrent après être monté au sanctuaire pour immoler une bête, offrir les prémices de la récolte. De même, l’interdiction des animaux impurs (Lévitique 11) souligne l’importance d’une nourriture « sainte » pour un peuple »saint ». Durant la longue et difficile marche dans le désert vers la Terre Promise, Dieu prend en charge l’existence de son peuple. Ce dernier se souvient alors que c’est le Dieu de l’Alliance qui fait vivre.

« Du haut du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous »….
« Au  crépuscule, vous  mangerez de la viande, le matin, vous vous rassasierez de pain et vous connaîtrez que c’est moi le Seigneur, votre Dieu » Exode 16, 4 et 12.

La manne, nourriture pour le corps, l’est aussi pour la foi. Israël apprend dans et par ces signes, à mettre sa confiance dans le Seigneur, à attendre sa subsistance de la « parole qui sort de la bouche de Yahweh » Deutéronome 8,3.
En Terre Promise, pays d’abondance et de richesse, rien ne manquera à Israël ; il mangera à satiété et il bénira Dieu « pour le bon pays qu’il lui a donné » Deutéronome 8,10.

Dans le Nouveau Testament :

Le thème de la nourriture est présent également tout au long du Nouveau Testament. Jésus a mangé, a partagé des repas avec ses amis. Il a éprouvé la faim dans le désert et il a nourri ceux qui avaient faim, distribuant à tous du pain, des poissons, sa parole et sa présence ; il a transformé les lieux arides où les hommes meurent de faim et de soif en terre d’abondance (Matthieu 14,13 – 21). Il montre que Dieu son Père, lui suffit et que sa nourriture est de faire sa volonté.

« Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre »  Jean 4,34.

Il invite les hommes à mettre leur foi en Dieu, à s’ouvrir au partage, à œuvrer pour le Royaume de Dieu et sa justice :

« Ne vous inquiétez pas en disant : « qu’allons-nous manger ? Qu’allons-nous boire ? Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et tout cela vous sera donné par surcroît » (Matthieu 6,31-33).

Jésus va plus loin encore. Il se donne sans réserve, corps livré, pour que l’homme, tout l’homme et tous les hommes vivent, se nourrissent de ses paroles, de ses gestes, de sa vie.

« C’est moi qui suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura pas faim » Jean 6,35.

La vie de Dieu devient nourriture de vie éternelle : La veille de sa mort, Jésus a partagé du avec ses amis en disant « prenez et mangez en tous, c’est ma vie ». Le pain rompu pour une vie nouvelle dit Dieu qui se donne, Dieu qui se révèle, en la personne de Jésus comme don. Le Corps du Christ partagé invite le chrétien à donner sa vie. Dans ce don de soi, la vie passe.

« Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité » Jean 6,59

Dieu est nourriture :

Dieu apparaît bien comme celui qui donne et communique la vie aux hommes. Croire cela, c’est se nourrir de la Parole. C’est elle qui fortifie et renouvelle. Ainsi en est-il du prophète Ezéchiel :

« Fils d’homme » nourris ton ventre, remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne »… Je le mangeai : Il fut dans ma bouche d’une douceur de miel… » Ezéchiel 3,3.

Cette manducation de la Parole est un acte important ; la bouche, qui a saisi et mangé, une fois vide, libère la Parole, celle-là même qui donne la force de la mission :

« Fils d’homme, va et parle leur avec mes paroles » Ezéchiel 3,4.

On retrouve encore ce même thème en Apocalypse 10,9-11.

Dossier l’huile

L’olivier est symbole de la paix (rameau d’olivier de la colombe Gn 8,11) et de l’alliance. Sa croissance, très lente lui permet d’atteindre plus de 16 m de hauteur mais il faut attendre 10 ans avant la première récolte. L’huile employée en Palestine était toujours de l’huile d’olive. Elle servait à la cuisine, mais aussi à l’éclairage, les soins de toilette, la fabrication de remèdes et de pommades, sans oublier les onctions.
Répandre de l’huile sur la tête de ses invités était un signe d’hospitalité. Ainsi le Psaume 23,5 : « Tu m’accueilles en versant sur ma tête un peu d’huile parfumée ».
L’huile servait aussi à l’onction des rois (1 Samuel 10, 1-6) en tant que signe de l’élection divine. Ce lien entre l’onction et l’esprit se retrouve dans la pratique de l’onction des malades tel qu’en témoignent Marc 6,13 et Jacques 5,14.
Dans le livre de l’apocalypse (11, 4), les deux témoins de Dieu sont comparés à des oliviers : témoins de l’amour et de la fidélité de Dieu.

Dossier le miel

Dans ses pages, l’Ancien Testament chante l’immense bonté de Dieu et nous invite à la goûter : « Goûtez et voyez comme le SEIGNEUR est bon. Il est heureux, celui qui s’abrite en lui ! » est-il écrit dans le Psaume 34 au verset 9.
Un autre verset de psaume compare la douceur de la parole de Dieu à la douceur du miel :
« Dans ma bouche, tes paroles sont douces, plus douces que le miel. » Psaume 119,103.
Plusieurs fois dans l’Ancien testament, il est question du lait et miel qui sont les signes d’une abondance agréable, à l’image du pays promis par Dieu :
« Je suis donc descendu pour le délivrer du pouvoir des Égyptiens. Je veux l’emmener d’Égypte dans un pays beau et grand qui déborde de lait et de miel. » Exode 3,8.
Se souvenant de cette phrase, la Poste israélienne a émis, le 15 février 1983, un timbre de 30 shekels. Le dessin représente une abeille, un rayon de miel et, sur la gauche, des fleurs. Sur la bandelette apparaît, en hébreu et en anglais, le verset 8 du chapitre 3 de l’Exode ; « … une terre où ruissellent lait et miel ». Au centre de l’inscription en hébreu, figure une alvéole hexagonale d’un rayon de miel.

Dossier le pain

Le pain est par excellence et pour une grande partie de l’humanité, le symbole de la nourriture essentielle, de celle qui est nécessaire à la vie. Il est aussi un aliment de base et de partage (co-pain !). En arabe égyptien, le mot qui désigne le pain est « aish » qui signifie « la vie ». Il est présent dans de nombreuses expressions comme : « gagner son pain à la sueur de son front », « C’est du pain bénit », « avoir du pain sur la planche », « long comme un jour sans pain ». etc…. Dans la Bible, il est présent à de nombreuses occasions, importantes. Le pain azyme (non levé) est lié à la fête de Pâques. Chez les Hébreux 2 fêtes sont liées au pain qui vont se mêler pour devenir la fête de Pâques chez les chrétiens. Aux yeux des croyants, le pain est tout à la fois fruit du travail des hommes mais tout autant don de Dieu (cf. Notre Père). Il est symbole de la vie en communauté et partagé en signe d’amitié. Jésus est présenté comme le « Pain de vie » (Jn 6,48) qui apporte l’espérance de la résurrection. Le pain « fortifie le coeur » (Gn 18,5 ; Juges 19,5). Il ne suffit néanmoins pas quand il s’agit de pain « terrestre » : « L’homme ne vivra pas de pain seulement » (Mt 4,4 ; Lc 4,4). Les disciples de Jésus le reconnaissent sur la route d’Emmaüs « au moment où il rompit le pain » (Lc 24,35) Dans l’AT, chaque situation caractérise le goût donné au pain : souffrance = pain de larmes, d’angoisse (Ps 42,4) ; bonheur = pain de joie (Eccl 9,7) ; paresse = pain d’oisiveté (Pr 31,27) ; Péché = pain de mensonge (Pr 4,17). Manger le pain avec quelqu’un, c’est être son ami (Ps 41,10 = Jn 13,18). Dans la prière du Notre Père, Jésus enseigne que le pain résume tous les dons qui nous sont nécessaires (Luc 11,3). Paul écrira que tout don vient de Dieu, à commencer par le pain (2 Cor 9,10).
Dans la prière du Notre Père, Jésus enseigne que le pain résume tous les dons qui nous sont nécessaires (Luc 11,3). Paul écrira que tout don vient de Dieu, à commencer par le pain (2 Cor 9,10).

Dossier le raisin

Jean 15,1-12
Ce texte biblique ne se trouve que dans l’évangile Jean et pas dans les trois autres évangiles. C’est un texte d’un genre un peu particulier ; il se rapproche d’une parabole, mais n’en est pas vraiment une. On pourrait parler d’un enseignement par « image-comparaison ».
c’est une des manières dont Jésus a parlé de lui-même et de son Père par une image : « je suis la vraie vigne et mon père est le vigneron » Jean 15,1
C’est une image, nous, les humains, avons besoin de représentations. Et les questions des enfants sont souvent très concrètes comme « pourquoi est-ce qu’on ne peut pas voir Dieu ? »
Ce texte, comme d’autres textes bibliques qui parlent de Dieu par image, sont une chance, Ils nous ouvrent des pistes de réponses !

 L’intégralité de ce document PDF peut être téléchargé ici

Le dossier imprimé est disponible en prêt au CIDOC (envoi postal possible) sous la côte 10A-01.101-28. / www.cidoc.ch

 

 




Tous invités, réjouissons-nous ensemble !

La première moitié du chapitre 14 de Luc rapporte une série de quatre récits (une guérison, deux paraboles, une instruction), tous situés dans le cadre d’un repas chez un pharisien, le jour du sabbat.

L’ensemble de ces textes concerne les relations existant entre celui qui invite et ceux qui participent au repas. Inviter constitue une des formes de l’accueil. À l’occasion d’un repas chez un pharisien, Jésus, l’invité, prend tout au long l’initiative du dialogue et montre comment, à travers des actes tout à fait concrets, peut se manifester le véritable amour de Dieu pour les hommes, la manière dont il les accueille, et ce que peut être l’amour des hommes entre eux.

Chacune des quatre prises de parole de Jésus apporte un élément surprenant, pour ne pas dire choquant, pour les pharisiens auxquels elles sont adressées :
– la guérison d’un malade passe avant le respect du sabbat (1-6),
– la conscience de sa propre valeur passe après la réelle humilité (7-11),
– la perspective de la résurrection bouleverse la règle de la réciprocité possible des invitations (12-14),
– au repas du royaume de Dieu, les participants pourraient bien être autres que les invités (15-24).

 

1. Jésus est invité

Luc 14, 1-6

Jésus saisit l’occasion de la présence d’un malade pour manifester la volonté de Dieu de faire, avant tout, vivre l’homme. Son argumentation s’appuie sur tes sentiments humains et le bon sens de ses auditeurs. La Loi observée selon la lettre conduit à l’absurdité et lui fait perdre sa vraie signification.

v. 1 Jésus était entré chez un des chefs des pharisiens, un jour de sabbat. Les pharisiens (au sens littéral « les séparés ») forment un parti né au second siècle av. J.-C., en réaction à un certain relâchement vis-à-vis de la Loi. Ils s’efforcent de « marcher sur les chemins de la fidélité et de la justice ». Pour eux, la Loi est l’expression parfaite de la sagesse divine; par amour pour Dieu, elle doit être respectée scrupuleusement. Cet amour même pousse les pharisiens à en préciser les moindres détails, au point d’en négliger l’esprit et de s’attacher à la lettre.

Les pharisiens se regroupent en communautés assez fermées sous la direction de chefs ; ils se réunissent en assemblées, généralement liées à un repas au début du sabbat. Plus que n’importe quel autre Juif, ils sont respectueux de la Loi du repos absolu ce jour-là.

Pour y prendre un repas. Le repas, dans la tradition de l’époque, est l’expression de la communion la plus intime. Il sert d’image du royaume dans la dernière partie du texte. Luc est le seul évangéliste à dire, à trois reprises, que•Jésus est invité par un pharisien (Luc 7, 36; « , 37). Il ne présente pas d’emblée les pharisiens comme des opposants farouches à Jésus. Ils l’observent cependant pour voir s’il obéit bien à la Loi.

v. 2 Un hydropique. L’hydropisie est une maladie qui provoque des enflures de tout ou d’une partie du corps, qui est comme plein d’eau.

v. 3 Est-il permis ou non de guérir un malade le jour du sabbat ? Jésus, en posant cette question, provoque les pharisiens ; ceux-ci considèrent la guérison d’une maladie chronique comme un acte médical non urgent et ne peuvent l’autoriser, selon leurs principes, un jour de sabbat.

v.4 Mais ils gardèrent le silence. Alors Jésus, prenant le malade, le guérit et le renvoya. Les pharisiens refusent de s’engager par une réponse à la question. Jésus, lui, donne sa réponse : il guérit. En guérissant, Jésus a donné son vrai sens au sabbat ; en redonnant la vie à un homme malade, il montre que Dieu veut faire vivre. La guérison accomplie, le malade peut retourner chez lui.

v.5 puis il leur dit : « Lequel d’entre vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne le hissera pas aussitôt en plein jour de sabbat ? ». Jésus désire aller jusqu’au bout ; les pharisiens doivent répondre : sauveraient-ils leur bien propre, leur bœuf, plus encore leur fils, le jour du sabbat ? Le jour du sabbat peut-il être autre chose qu’un jour de salut ? C’est le sens premier qu’il a dans la Loi de Moïse.

v. 6 Et ils ne purent rien répondre à cela. Les pharisiens ont décidé (v. 4) de garder le silence, aussi ne peuvent-ils plus prendre la parole pour donner une réponse. La parole est à Jésus et elle ne peut être remise en cause.

2. Quelle place choisir ?

Luc 14,7-11

Jésus part de l’observation de faits courants pour rappeler aux invités des pharisiens que c’est Dieu qui décide de la place de chacun dans le royaume.

v.7 parabole, a ici le sens de règle de conduite, de maxime de sagesse. Il remarquait qu’ils choisissaient les premières places. Les repas se prenaient à la mode romaine ; les convives s’allongeaient sur des lits autour de la table.

v.8 Quand tu es invité à des noces. Dans les repas de noces, le rang de chacun est plus strictement observé que dans un repas ordinaire : les invités de marque, en raison de leur âge ou de leur situation sociale, arrivent les derniers et ont droit aux premières places. Contrairement à ce qui se passe chez nous, ce n’est pas l’hôte qui place les invités ; ceux-ci doivent savoir où se mettre ; l’hôte n’intervient que si une modification est nécessaire en raison de la préséance.

L’invité risque, soit la confusion, s’il s’est lui-même installé à la première place, soit l’honneur si, s’étant mis modestement au bout de la table, l’hôte, devant tous les convives, le fait « avancer plus haut ».

v. 11 Car tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. Cette sentence, que nous retrouverons en Luc 18, 14, dépasse de beaucoup le sens d’une simple règle de bonne conduite ou d’une leçon d’humilité. Luc fait allusion, comme le laisse entendre la suite du texte, à la réalité du royaume de Dieu. Jésus invite chacun à vivre dans la perspective du royaume qu’il ouvre à tous et à renoncer à sa propre justice.

3. Qui inviter ?

Luc 14, 12-14

S’adressant maintenant à son hôte, Jésus continue à bouleverser la manière de concevoir les relations humaines. Celles-ci ont dès maintenant, selon Jésus, une signification pour la « résurrection des justes ».

v.12 il dit aussi it celui qui l’avait invité. Noter le parallélisme entre les paroles adressées aux invités (v. 7-11) et à celui qui invite (v. 12-14). La coutume voulait que l’on invite ses proches et ses égaux : un chef des pharisiens, hôte de Jésus ce jour-là, avait sans doute comme relations des gens éminents de son monde. Il allait de soi que chacun n’invite que celui qui pouvait inviter en retour, pour qu’il y ait réciprocité ; peut-être pour ne pas gêner celui qui ne pouvait rendre l’invitation.

v. 13 des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. Les malheureux énumérés ici sont les types mêmes des pauvres qui, en aucun cas, ne seront en mesure de rendre une invitation. Écartés non seulement de la vie sociale mais aussi religieuse, ils sont, le plus souvent, réduits à mendier leur nourriture. Ils sont précisément ceux pour qui Jésus est venu proclamer l’accueil du Seigneur (cf. Luc 4,16-21).

v.14 Cela te sera rendu à la résurrection des justes. Jésus utilise ici une expression que son hôte comprend bien, mais qui est obscure pour nous. Tout Juif fidèle, notamment un chef des pharisiens comme Simon, se considère comme un juste, parce qu’il obéit à la Loi de Dieu. En récompense de son obéissance il attend « la résurrection des justes », c’est-à-dire de vivre toujours avec Dieu après sa mort.
Mais Jésus renverse complètement la perspective : les justes ne sont pas ceux qui veulent s’assurer des premières places, ceux qui restent « entre amis », mais ce sont ceux qui auront accueilli à leur table (c’est-à-dire dans la plus étroite des communions) ceux qui sont démunis et exclus.

4. Dieu ouvre à tous son royaume

Luc 14, 15-24

La parabole que Jésus raconte ensuite est la réponse donnée à un des convives qui avait compris et exprimé son désir de participer à ce repas.

v.15 Heureux qui prendra part au repas dans le royaume de Dieu. Le convive qui prend la parole a bien discerné l’enjeu : il s’agit du royaume de Dieu et du festin qui en est une des images classiques pour les Juifs. Le prophète Ésaïe, par exemple, avait annoncé à plusieurs reprises ce festin que le Seigneur allait donner (Esaïe 25, 6 ; 5, 1-2) et qui ouvrirait un temps nouveau.

v. 16-17…iI invita beaucoup de monde. À l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : « Venez, maintenant c’est prêt ».
Jésus revient à la forme habituelle de la parabole pour annoncer la réalité de ce royaume.

L’homme riche pouvant inviter beaucoup de monde, et donnant un grand dîner, agit conformément à l’usage du temps et du lieu : l’invitation est envoyée longtemps à l’avance. Au dernier moment, quand le repas est prêt, l’hôte envoie chercher ses invités ; c’est une marque particulière de politesse.

v. 18-20 ils se mirent à s’excuser. Les invités, unanimement, refusent de se rendre à l’invitation pour des motifs qui concernent tous une richesse : un champ, cinq paires de boeufs, un mariage ; leur situation de nouveaux propriétaires les détourne du grand dîner préparé pour eux. On retrouve ici une situation déjà évoquée, lorsque Jésus appelle des hommes à le suivre (cf. Luc 9,59-64).

v.21 amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boîteux. La défection des invités entraîne la colère du maître de maison envers ceux qui auraient dû, normalement, honorer cette invitation ; une nouvelle invitation est destinée à ceux-là mêmes dont Jésus vient de dire qu’ils ne peuvent pas la rendre. Aussi bien n’est-il plus question d’inviter, mais « d’amener »; au v. 22, le terme employé sera encore plus fort : « force les gens à entrer ».

v. 22 il y a encore de la place. L’invitation est très large, puisqu’une fois les pauvres de la ville amenés, il y a encore de la place.

v. 23 Va-t-en par les routes et les jardins, et force les gens à entrer, afin que ma maison soit remplie. La recherche de convives pour le dîner va au-delà des limites de la ville, vers ceux qui sont le plus éloignés du maître de maison et qui vont être « forcés » d’entrer.
Le verbe grec traduit par « forcer » ou « contraindre » peut avoir deux sens : obliger par la violence ou inviter avec insistance. Dans l’histoire de l’Église on a souvent retenu le premier sens, notamment en vue de la conversion des païens ; ce sens n’est pas justifié dans le contexte de la parabole. Un seul impératif dirige l’action du maître et du serviteur : la maison doit être pleine, quels que soient les convives.

v. 24 aucun de ceux qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner. Cette dernière phrase de la parabole retentit comme un terrible avertissement pour ceux qui écoutent; à eux de l’entendre pour qu’elle ne devienne pas un jugement.
Les paroles de Jésus dans la maison du pharisien montrent pourquoi dès aujourd’hui, les relations entre les hommes sont totalement bouleversées : dans le royaume, Dieu invite ceux qui ne peuvent rien lui offrir en retour. Dès maintenant, nos actes peuvent attester quelque chose de ce temps nouveau.

Animations possibles

Après l’étude du chapitre 14 faire avec les enfants un projet d’invitation. Cette invitation pourrait prendre la forme d’une fête qui aurait pour thème : « Tous Invités, réjouissons-nous ensemble »

On pourra poser quelques questions et noter les réponses au fur et à mesure.

– Qu’évoquent pour vous les mots invité ou être invité ?
– Qui invite•t-on en général (parents, amis… ?)
– À un grand repas, noce, banquet, comment les gens sont-ils placés ? On peut apporter des photos que l’on observera (mariage. cérémonie…)
– À certaines occasions, y a-t-il des places d’honneur, des places réservées, des places meilleures que les autres ?
– Quand vous en avez la possibilité, quelle place choisissez-vous en classe, dans une foule, au spectacle, dans un jeu ? Pourquoi ?

1 – Jésus donne la force à un malade
Luc 14, 1-6

L’invité donne un signe du royaume

Jésus est invité chez un chef des pharisiens, (pensez à votre dictionnaire) un jour de sabbat :

Il guérit un malade au lieu d’observer la règle du sabbat, Pourquoi ?

Pour la bonne compréhension de tout ce chapitre, il ne faut pas perdre de vue le lien qui existe entre les actes de Jésus – ici la guérison de l’homme malade au cours de l’invitation, le Jour du sabbat, et ses enseignements aux invités, ici, à celui qui invite, dans la parabole du maître, à tous.

2 – Quelle place choisir ?
Luc 14, 7-11

L’invité du fond de la salle

Quelle place choisir dans une Invitation ?

Il sera intéressant de comparer ce que Jésus en dit avec ce qui a été noté au cours de la discussion.

3 – Qui Inviter ?
Luc 14, 12-14

Mes invités et ceux de Jésus

Qui Inviter ?

Quels sont les gens que Jésus conseille d’inviter ? Établissons, la liste et comparons-la à celle que nous avons faite.

4 – Dieu ouvre son royaume à tous
Luc 15, 15-24

a)    La maison remplie

– Qui sont les premiers Invités ?
– Pourquoi ne viennent-ils pas ?
– Quels sont ceux que le maître fait chercher ? remplacer ?
– Pourquoi le maître veut-iI que sa maison soit remplie ?

b)    Remplissons notre maison

Tous ces textes nous font comprendre qu’à travers nos actes, ici en particulier celui d’inviter, nous pouvons vivre, donner ou reconnaître des signes du royaume de Dieu.

Préparation d’une Invitation ou d’une fête.

C’est le moment de parler de ce projet avec les enfants et de décider avec eux qui nous invitons ou éventuellement chez qui nous voudrions être invités ? Avec qui ? Commencer une liste.

Remplir et décorer des cartes d’invitation. Deux cartes d’invitation sont proposées. Les enfants peuvent y apporter une note personnelle en illustrant le verso. Le poster, qui se trouve dans la pochette et qui peut être donné aux enfants à ce moment de la séquence, pourrait servir d’illustration à une affiche pour cette occasion. Les enfants après avoir contemplé et observé ce dessin pourraient composer un texte court ou un titre qui l’accompagnerait.

N’est-ce pas l’occasion de rajouter un couplet à votre chant ?

La fête et le chant

Il n’y a pas de fête sans chants joyeux et sans musique. Il est donc important de prévoir cet aspect de la fête à l’avance.
Un chant est proposé « Venez maintenant » n° 774 dans le recueil Arc en ciel et n° 55-09 dans le recueil Alléluia.
Nous suggérons de travailler l’accompagnement de ce chant avec des instruments de musique.
Pour permettre la participation active des enfants, nous proposons que du temps soit prévu pour que chaque enfant fabrique un instrument et, au cours de la fête, pour que les enfants invités qui le désirent puissent aussi fabriquer leur instrument.

Chant : « Venez maintenant »
ARC : 774 ou ALLÉLUIA : 55-09
Les invités

Refrain
Venez maintenant, tout est prêt.
Venez partager le banquet !
Heureux celui qui prendra son repas
Au Royaume avec moi !

1. Le premier a dit : « Je vais voir mon champ ;
Je n’ai pas le temps de venir manger.
Auprès de ton maître, il faut m’excuser :
Je n’ai pas le temps, je n’ai pas le temps ! » Refr.

2. Le deuxième a dit : « Je viens d’acheter
Dix bœufs ce matin ; c’est bien du souci.
Auprès de ton maître, il faut m’excuser :
J’ai trop de soucis, j’ai trop de soucis. » Refr.

3. Le troisième a dit : « Je me suis marié ;
Je n’ai pas envie de partir d’ici.
Auprès de ton maître, il faut m’excuser :
Je n’ai pas envie, je n’ai pas envie. » Refr.

4. Et le maître a dit à son serviteur :
« Va chercher dehors tous les estropiés.
Il reste des places autour de mon cœur.
Fais venir aussi tous les mal aimés ! » Refr.

Marie-Annick Rétif *1944
© Studio SM, autorisation SECLI 09/002 (68)

Des instruments

a) En KIT (cf. matériel scolaire) Il existe maintenant des carillons de bonne qualité en « Prêt-à-monter ». Chaque enfant pourra monter le sien.
S’il y a dans votre église un bricoleur, il n’aura aucune peine à en monter un, en réalisant une base en bois, puis éventuellement s’il est un peu pédagogue, à en faire monter aux enfants. La notice d’instruction est très bien faite.

b) Livre « Musique à construire » Il y aura toujours la possibilité de réaliser des instruments originaux avec l’ouvrage d’Agnès Chaumet, édité par « Enfance et musique »

Une fête pour les autres ?  –  Une fête avec les autres ?

Que préparerons-nous ?

Nous signalons l’excellent livre « Toutes ces rencontres », 12 célébrations complètes pour célébrer Dieu avec les enfants de 5 à 12 ans. Ce livre donne un certain nombre d’idées qui devraient inspirer le projet de fête.

1)    L’accueil
Dès leur arrivée, les enfants doivent sentir qu’ils sont attendus, que le lieu où ils se trouvent est vivant, qu’il va se passer quelque chose :
– une équipe d’accueil est en place : « bonjour, comment t’appelles-tu ? Chaque enfant reçoit un badge sur lequel est inscrit son prénom.
– Les enfants s’installent sur un grand tapis étalé au centre de l’église où une 2° équipe les attend pour chanter en attendant que tous les participants soient arrivés.
Déjà c’est la fête : on chante, on se salue, on s’accueille, on fait connaissance. Tout de suite on pose un geste ensemble : le long d’un mur est fixée une longue bande de papier kraft sur laquelle sont dessinés des ceps et des sarments au-dessous de l’inscription : « ils planteront des vignes et ils en mangeront les fruits ». Les enfants sont invités à y coller leur badge représentant une baie de raisin et de former des grappes de raisin. La vigne est plantée ! Puis c’est l’éclatement du groupe. Dans différents endroits de l’église 7 ateliers sont prêts pour préparer la fête.
La silhouette de la fiche « invitation à la fête » pourrait être utilisée de cette façon.

2)    Les ateliers
Ils seront fonction du projet, mais l’idée est à retenir afin que chacun soit vraiment actif dans la préparation et la célébration de la fête.

3)    La fête-célébration
Tout est prêt ; voici venu le moment de se rassembler pour célébrer la fête.
Être ensemble, c’est pouvoir se réjouir du travail, de l’apport de chacun, c’est pouvoir goûter et partager ce que chacun a préparé, comme le font les vendangeurs au moment des vendanges.
Chaque groupe va pouvoir faire découvrir aux autres ce qu’il a vécu : l’histoire, la musique, la danse, le dessin, la prière, la dégustation du jus de raisin, les cartes en souvenir du moment que l’on vient de passer ensemble ; le tout entrecoupé des chants qui ont été appris au moment de l’accueil, de rires, d’applaudissements, de cris de joie.
Pour tous c’est la fête.

4)    Conclusion
Constatations à propos du déroulement de la fête.
Importance du lieu qui doit être grand et fonctionnel pour permettre :
– l’installation du matériel
– la formation d’ateliers
– le déplacement des enfants
Importance de l’accueil :
dès le début il faut éviter les moments de flottement et faciliter les contacts entre les participants.
Importance de la préparation
Sans s’enfermer dans un carcan qui risquerait de couper la spontanéité de l’enfant, il faut que le déroulement de la fête soit prévu dans ses moindres détails et que chaque participant ait participé à l’élaboration du projet pour bien le posséder et connaître son rôle.
– Pour la fin nous rencontrons la même exigence que pour l’accueil ; il s’agit d’éviter une fin en « queue de poisson ».

 

 

 

 

 




Nourriture et repas dans le premier évangile – Partie II

PARTIE 2.    LES RÉCITS DES « REPAS» DE JÉSUS (Mt 9,9-19 ; 26,6-13 ; 26,17-29)

Trois fois dans le premier Évangile Jésus se trouve « à table » (verbe anakeimai avec Jésus pour sujet : 9,10 ; 26,7 et 20 ; autre emploi du verbe : 22, 10-11, un passage sur lequel nous reviendrons en conclusion) : le repas avec Lévi (Mt 9,9-19), le repas chez Simon le lépreux (Mt 26,6-13) et le dernier repas avec ses disciples (Mt 26,17-29).

2.1.    Le repas avec Lévi (Mt 9 ,9-19)

Sur l’épisode de l’appel et du repas chez Lévi, nous faisons cinq remarques en lien avec notre thème.

(1) Dans cet espace de « la maison» (v. 10), c’est non seulement le repas avec les pécheurs qui se déroule mais aussi la controverse sur le jeûne. Toujours la problématique de la nourriture.

(2) Pour un pharisien de la fin du premier siècle, la scène du repas de Jésus avec les pécheurs est scandaleuse. Ce qui est en jeu c’est l’identité sociale et religieuse. Ceux avec qui l’on mange sont ceux que l’on reconnaît comme appartenant au même univers, au même groupe. La commensalité et ses limites structurent la représentation du monde et permettent un vivre ensemble cohérent : il y a le permis et le défendu, ceux avec qui il n’est pas possible de manger (païens et juifs impies).

(3) Le v. 13 (Jésus n’est pas venu appeler les « justes » mais les « pécheurs ») est une ré-interprétation du messianisme juif. Seuls ceux qui se préparent à sa venue, qui se purifient et obéissent à la Loi, accueillent le Messie. Ici, au contraire, ceux pour qui il n’est pas normalement venu sont les premiers et uniques bénéficiaires de cette venue : les impurs et les pécheurs. Dit autrement : entendre l’appel du Messie/Jésus suppose d’abord une compréhension de soi comme pécheur.

(4) C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter la citation d’Osée : en mangeant avec les pécheurs Jésus manifeste la grâce miséricordieuse de Dieu. En partageant la table de communion il montre une autre voie d’accès que la logique de séparation entre le pur et l’impur. Jésus devient ici la personnification de la miséricorde. Les disciples de Jésus sont désormais dans cette logique : il y a toujours une identification par le partage des tables. Mais le critère n’est plus le même : d’un côté la Loi éthique qui assure le maintien dans l’alliance même en l’absence de Temple. De l’autre la christologie au nom de laquelle tous sont appelés, c’est-à-dire tous ceux qui se reconnaissent pécheurs (la « miséricorde » selon Matthieu, laquelle n’est plus une « œuvre de justice » des hommes mais l’appel même de Dieu).

(5) À propos de la controverse sur le jeûne  : les disciples n’ont pas à jeûner quand l’époux est là. Le « jeûne » n’est pas une règle qui a son sens en elle-même mais par rapport à la personne du Christ ; il ne se comprend pas comme une marque religieuse identitaire (cf. les trois piliers de la piété que sont le jeûne, l’offrande et la prière), mais se vit dans un rapport existentiel à la personne de l’époux. La pertinence du jeûne est liée à la christologie, c’est-à-dire ordonnée à la personne de Jésus. La pratique du jeûne ne suit plus le calendrier liturgique pharisien, baptiste ou même essénien. Il est ordonné à un nouveau temps, celui inauguré par l’événement pascal . Lorsque les disciples de Jésus jeûnent, ils ne font donc pas la même chose que les pharisiens ou les disciples du Baptiste. Leur pratique de ce rite relève d’un ordre de choses totalement nouveau. En outre, le Sermon sur la Montagne (cf. Mt 6,16-18) a indiqué l’esprit dans lequel doit se vivre le jeûne : cela ne doit pas se voir car ce qui est en jeu relève non pas du signe visible (le marqueur religieux) mais d’une expérience ou l’intime est en « je(u) » (devant le « Père Céleste » qui voit « dans le secret »). Ainsi, le jeûne ne relève plus du rite religieux mais de la vie intime. Il est en quelque sorte métaphorisé : il y a un temps de l’expérience de la présence (jouissance ?) avec l’époux, puis le temps de l’absence où l’on jeûne dans le secret de sa chambre.

Contrepoint: Jean-Baptiste l’ascète et Jésus le glouton (Mt 11, 18-19)

Car Jean est venu : il ne mangeait ni ne buvait, et l’on dit : « Il a un démon ! » Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant et l’on dit : « C’est un glouton et un buveur, un ami des collecteurs de taxes, des pécheurs ! » Mais la Sagesse a été justifiée par ses œuvres . De Jean-Baptiste le monde ne voit que le démoniaque car son attitude est incompréhensible dès lors qu’elle n’entre pas dans le cadre défini par le religieux officiel. Il est donc « possédé » dès lors qu’il s’oppose au pouvoir religieux en place (même accusation contre Jésus qui encadre celle portant contre Jean-Baptiste, cf. 9,32-34 et 12,22-30). De Jésus, le monde ne voit que ce qui relève du « besoin », de l’immédiateté, de la luxure (il se goinfre avec les pécheurs) sans percevoir ce que signifie son attitude (il communie avec tous ceux qui se savent perdus). On ne retient que l’aspect scandaleux de son geste mais on ne l’interprète pas : on reste dans la fascination idolâtre de l’image. Mais, dans les deux cas, « la Sagesse est justifiée par ses œuvres » qu’on pourrait traduire : on reconnaît l’arbre à ses fruits, c’est-à-dire aux effets de vie ou de mort dans l’existence de ceux qui entendent Jean-Baptiste ou croisent Jésus.

2.2.    Le repas à Béthanie (Mt 26,6-13)

L’épisode de l’onction à Béthanie est un récit riche de sens. En fonction du thème qui nous occupe, nous limitons notre lecture à trois remarques.

(1) Dans le geste de la femme les disciples ne discernent ni onction royale ni geste amoureux, mais gaspillage. Leur jugement se situe dans l’ordre de la rentabilité et de la morale : le parfum perd toute signification symbolique pour être ramené à sa simple valeur marchande. Ce que souligne Matthieu c’est que la logique comptable, même utilisée pour les causes justes, passe à côté d’une dimension fondamentale de la vie humaine. À savoir que les gestes ont du sens et que celui-ci n’est pas appréciable à l’aune de la seule valeur marchande qu’il met en jeu, ni même de la morale commune au plus grand nombre.

(2) Jésus interprète le geste comme signifiant (v. 10-13). Dans sa singularité, il est une « belle œuvre », non pas pour un collectif (les pauvres), mais pour un singulier (Jésus). Autrement dit, la loi morale demeure mais ne relève pas du même ordre que celui de la rencontre entre un « je » et un « tu ». La rencontre c’est l’instant où le temps de ce monde est mis entre parenthèses, où les règles de ce monde sont suspendues. Un temps où se joue l’essentiel de ce qui fait l’existence véritable de l’individu. C’est un temps qu’on ne possède pas, qu’on ne maîtrise pas et qu’on ne peut faire advenir selon sa volonté (alors qu’aller vers les pauvres peut se décider à tout moment). C’est un temps qu’on reçoit et à la rencontre duquel il faut savoir aller dans l’instant où il se manifeste à nous, pour lequel aussi il faut tout donner et tout perdre. Dans ce geste excessif, la femme atteste que le temps de la rencontre est venu pour elle, que là se joue l’essentiel de son existence. Voilà pourquoi, aux yeux de Jésus, il prend une signification particulière en lien avec l’essentiel même de sa mission : la Passion. Le geste de la femme reçoit une signification qui le dépasse dans sa singularité historique même. Pour chacune et chacun des auditeurs futurs de l’Évangile, par delà les lieux et les temps, il devient « signifiant ».

(3) Le geste de la femme a lieu pendant le repas. Le repas est donc le lieu privilégié de cette rencontre qui fait non seulement éclater les frontières du pur et de l’impur (cf. Lévi et les pécheurs ; Simon le lépreux) mais qui hiérarchise les valeurs : l’éthique est seconde par rapport à l’instant de la rencontre où se joue l’identité des sujets. Le repas est un temps privilégié car il suspend l’ordre de ce monde pour ouvrir au temps de la rencontre.

2.3. Le dernier repas de Jésus (Mt 26,]7-29)

Là encore, nous limitons notre lecture de cet épisode clé du récit de la Passion à cinq remarques.

(1) Mt 26, 17-29. C’est « chez un tel » Cv. 18 : pros ton deîna) que les disciples vont préparer le repas de la Pâque. Matthieu s’éloigne du scénario assez complexe de Marc 14,13-14, « un homme portant une cruche d’eau », « propriétaire » de la maison… La concision de la description et la façon indéfinie dont est caractérisée l’hôte fait peut-être sens : n’est-ce pas, potentiellement, chez tout homme (« un tel », i. e., untel ou une telle, chaque lecteur) que Jésus et ses disciples peuvent venir « manger la Pâque » (cf. Ap 3,20) ?

(2) L’annonce de la trahison de Judas et l’institution du « dernier repas » se situent pendant le même repas. Outre que Judas est ainsi pleinement participant au repas pascal, il est notable qu’un lien étroit s’établit (par le truchement du repas de communion) entre trahison et pardon des péchés : celui qui va bientôt « livrer un sang innocent » (Mt 27,4) est, de manière anticipée, bénéficiaire du sang de l’alliance répandu pour le pardon des péchés.

(3) À la question de chacun de ses disciples, « Est-ce moi Seigneur ? », Jésus répond : « Celui qui a mis avec moi la main dans le plat, c’est celui qui me livrera » (v. 23). Or, le narrateur ne précise pas que c’est Judas qui met la main dans le plat. II y a ici un non-dit du texte que le lecteur s’empresse généralement de combler en suivant par exemple l’Évangile de Jean : « Qui est-ce ? Jésus lui répond : c’est celui pour qui je tremperai moi-même le morceau et à qui je le donnerai. Il trempe le morceau, le prend et le donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote » (Jn 13,25-26). Ici, le narrateur laisse ce non-dit comme un blanc du récit. En fait, tous les disciples ont forcément mis la main dans le plat avec Jésus puisque c’est ainsi qu’alors on partageait le repas ! Risquons une interprétation de ce « blanc » : pour l’évangéliste, il n’y a pas d’un côté le « traître » et de l’autre les « fidèles ». Il n’y a que des disciples qui ont la capacité de « livrer » leur maître.

(4) Matthieu, à la suite de Marc, met en scène la Pâque de Jésus. Pour l’évangéliste, le repas que Jésus prend avec ses disciples est bien un repas pascal, le repas de la fête juive. Or, en insérant ici le partage du pain et de la coupe, Matthieu montre que la fête effectivement célébrée par Jésus et ses disciples est la fête du Messie, sa Pâque, son « passage » de la mort à la vie et à la libération qu’il offre à ceux gui mangent avec lui. Ce récit préfigure donc le banquet céleste où celui qui est absent aujourd’hui et se donne dans du pain et du vin, comme dans le récit qui en est fait, sera de nouveau présent auprès des siens. Dans cette attente, le langage liturgique permet d’affirmer que l’absent est mystérieusement présent au milieu des siens. Dans le partage des paroles du Maître désormais absent, et le partage du pain et de la coupe, le Christ atteste sa présence particulière au milieu des siens dans l’attente d’une communion nouvelle dans le Règne de Dieu. Il s’agit désormais de vivre la présence de Dieu et de son envoyé au sein même de leur absence, d’avancer à la lumière d’une parole et à la faveur d’un signe, l’une et l’autre caractérisés par la fragilité.

(5) La « section des pains » (14,13-16, 12), en particulier à travers les deux récits de multiplication des pains, anticipe ce qui se joue dans le dernier repas : ouverture universaliste (cf. Mt 14,16-21 et 15,32-38 : les deux multiplications ; 15,21-28 : la femme cananéenne), dépassement de la question du pur et de l’impur (cf. Mt 15,1-20, controverse sur le pur et l’impur), métaphorisation de la nourriture comme enseignement (cf. Mt 16,5-12 : le levain des pharisiens). Le dernier repas explicite, ce qui est au cœur de ce processus, c’est la personne même du Christ qui, dans le même mouvement, se donne comme nourriture en se retirant (en mourant) c’est-à-dire en privant ses disciples de la possibilité de le posséder (Jésus ne « gave » pas ses disciples, il les nourrit ; il ne les « comble » pas, il les met en mouvement vers les autres, cf. Mt 28,16-20).

CONCLUSION : ÊTRE OU NON PARTICIPANT AU REPAS DU FILS (MT 22,11 -14)

Terminons ce parcours thématique par un rapide regard sur la parabole des invités à la noce (22,1-14). Elle met en scène un roi qui organise des noces pour son « fils » (la portée christologique de l’allusion est évidente). Suite au refus des premiers invités, « méchants et bons » (v. 10) se retrouvent invités à la noce. La précision est essentielle. Elle signifie que, désormais, ce ne sont donc plus la bonté/justice ou la méchanceté/injustice qui constituent le critère d’invitation : tous « bons et méchants » se retrouvent en effet invités (v. 10 : anakeimenôn). Pourtant la parabole se poursuit par la visite du roi qui chasse de la salle de noce celui des convives qui n’avait pas « d’habit de noce » (v. 11-14, cf. v. 11). Il est cependant significatif que le critère d’exclusion explicitement mentionné ne soit plus la méchanceté ou l’injustice (et, en retour, le critère d’inclusion, la bonté ou la justice) mais bien le vêtement de noce. Sans rentrer dans le débat sur 1’histoire de l’interprétation de l’image, nous proposons ici de le comprendre sous un angle anthropologique : il est reproché à l’homme de ne pas admettre qu’il a besoin d’être « revêtu » d’un autre vêtement que les siens propres, autrement dit, de ne pas se reconnaître dépendant d’une instance qui le revendique. Son silence atteste qu’il est replié sur lui-même, incapable d’entrer en dialogue avec l’autre qui est venu à sa rencontre. En fait cet invité ne participe pas au repas de noce du « fils ». Il n’est pas dans le « désir » de l’époux mais dans le simple « besoin » de nourriture. Or, Matthieu ne cesse de dire que le repas avec Jésus est l’opportunité pour qu’advienne autre chose dans l’existence des convives. Mais que ce repas ne peut être lieu de communion que s’il est lieu de la rencontre avec l’autre, lieu de l’expérience de l’altérité.

Élian CUVILLIER
Institut protestant de théologie de Montpellier

Directeur des études des cycles Licence et Master – Nouveau Testament IPT – Montpellier

Article paru dans la revue ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES 82e année – 2007/2 – P. 193 à 206

Publié ici avec autorisation




La Bible épicée

La Bible épicée  (Auteur: Frédéric Gangloff)

Depuis la très haute antiquité, les épices ont toujours été recherchées ardemment. La moindre d’entre elles était capable de transformer une pitance ordinaire en un catalogue de saveurs méconnues. Les plus humbles plats deviennent une explosion de goûts et de sens mettant les papilles en émoi. Car les épices ou aromates désignent communément les parties séchées de plantes diverses : bourgeons, fruits, racines, graines ou gousses.

De plus en plus de recherches scientifiques tendent à démontrer que certaines épices et plantes auraient des effets antioxydants sur le corps et pourraient peut-être éviter certains problèmes cardiovasculaires ou cancéreux. Ainsi, les épices seraient bénéfiques pour le moral, la santé, la beauté, l’intelligence, l’imagination, voire la libido ? Pour l’humain de la Bible, les épices ont prioritairement une fonction gustative pour agrémenter un régime alimentaire assez sommaire et tributaire des saisons, de la terre et de l’agriculture, mais pas uniquement…Nous vous convions à un petit tour sur le marché des épices haut en couleurs et en sensations « hot »…

Le commerce des épices : de quoi mettre des « épices » dans les épinards…

Étant donné les conditions d’hygiène aléatoires du monde antique, les épices et surtout les parfums, étaient utilisés également comme cosmétiques. On les trouve dans les différentes huiles parfumées, les baumes, les poudres sensées protéger la peau du soleil et du dessèchement. Ils entraient dans la composition des médicaments et jouaient un rôle vital dans les rituels religieux. Les plantes aromatiques très variées étaient broyées et mélangées à d’autres substances et servaient de libations ou étaient brûlées sur les autels dans des coupes à encens.
Très rapidement, les épices et aromates font l’objet d’un important commerce international. Les échos bibliques associent cette course aux épices aux Madianites, une peuplade vivant dans le sud du Néguev, ou aux Ismaélites, les ancêtres bibliques des peuplades caravanières. La route des épices transitait depuis la Somalie en Afrique orientale et le sud de l’Arabie vers les ports de la Méditerranée et charriait des marchandises précieuses. Certaines épices rares provenaient même d’Extrême-Orient, mais leur parcours exact jusqu’au Proche-Orient reste incertain jusqu’à ce jour. Toutefois, la Palestine n’a guère profité de la prospérité occasionnée par ces voies caravanières, si ce n’est le royaume de Juda à partir du 7ème s av. JC, contrôlant provisoirement l’axe traversant le nord du Néguev jusqu’à Gaza. Ce commerce s’est considérablement développé à l’époque hellénistique et plusieurs puissances caravanières en ont tiré des bénéfices importants, notamment les Nabatéens et les Palmyréens. L’usage des épices dans la nourriture des peuples de la Bible est courant, mais leur importance s’étend vers tous les domaines, tant cosmétiques que médicaux, cultuels et érotiques…

Séduire un homme passe par l’estomac, mais pas que par là…

Il n’est peut-être pas anodin de débuter par une touche de romantisme et d’érotisme. La Bible sait, certes, être un livre poétique, pleine de couleurs, de récits épiques, mais aussi de goûts et d’odeurs qui mettent nos sens en éveil lorsque nous prenons la peine de l’ouvrir. Le Cantique des Cantiques est en pôle position dans ce domaine. A côté des images issues de la flore et de la faune palestinienne, sont mentionnés certains épices qui auraient des vertus aphrodisiaques :

Safran

Cette épice était connue depuis des siècles pour être un ingrédient essentiel des divers aphrodisiaques, élixirs et autres philtres d’amour. Homère cite le safran comme le nid douillet des amours charnels entre Zeus et Rhéa. Pline l’Ancien le déclarait : « apte à exciter l’amour… » On le considérait comme capable de retarder les effets du vieillissement. Aujourd’hui encore, certains phytothérapeutes le recommandent en cas d’impuissance pour les hommes et de frigidité pour les femmes.

Cannelle (aussi Cinnamome)

Il s’agit très certainement d’une variété de cannelle-cassis, qui poussait en Chine. C’est une épice très couteuse et précieuse. On la fabriquait avec l’écorce de l’arbre. Le roi David, pour ne pas laisser insensible les dames, se faisait oindre « d’une huile d’allégresse et parfumait ses vêtements de myrrhe, d’aloès et de cannelle ». Cet ingrédient joue un rôle prépondérant dans le bain que pris Bethsabée et la séduction qu’elle exerça sur le roi. Les prophètes Ezéchiel et Jérémie protestèrent contre l’utilisation abusive de ce produit qui incitait au péché de chair. Le Cantique des Cantiques, profondément influencé par les chants d’amour de l’Égypte ancienne, la décrit « elle » inondant ses vêtements de parfum et portant des sachets de poudre et de graines aromatiques, chargés de rehausser le désir de « lui ». Avant d’être présentée au roi des Perses, l’Esther de la Bible, s’est pliée à des rites de purification et de préparation aux « feux de l’amour »: six mois de massages et d’onctions à l’huile de myrrhe, puis six mois de fumigations au styrax, au safran, au nard, à l’oliban et à la cinnamome.

Câpres

La réputation aphrodisiaque de la câpre est très antique. C’est le livre de l’Ecclésiaste, dans son portrait de la vieillesse au chapitre 12, 5, qui fait mention de ce verset curieux : « …que le fruit du câprier éclate… » et que l’homme « âgé » s’en va vers la mort car plus aucun remède ne saurait lui redonner sa vigueur d’antan. D’où l’adage antique : « Quand la câpre n’agit plus, l’homme doit renoncer à l’amour ».

Fenouil

Il aurait la réputation d’avoir des vertus aphrodisiaques. Dans le Nouveau Testament, il est cité dans une liste de produits énumérés par Jésus lorsqu’il tance « vertement » les pharisiens, leur reprochant de payer la dîme sur les choses les plus insignifiantes, mais en négligeant les points essentiels de la Loi.

Coriandre

C’est une plante commune qui pousse dans tout le bassin méditerranéen et qui possède de petits fruits. Une fois séchés, ils dégagent une odeur très forte et agréable. Epice avec une puissante saveur aromatique, elle est employée en parfumerie, en médecine et pour relever les plats. Elle participe à l’élaboration de toutes sortes de vins aromatisés qui laissent supposer des effets secondaires aphrodisiaques.

A usage cosmétique et médical

Henné

Dans le Cantique des Cantiques, « Henné » est traduit également par « camphre ». C’est une plante odoriférante, qui, à l’époque romaine, serait même cultivée en Palestine, dans la contrée d’Ashqelon. Il s’agit d’un arbre menu dont les fleurs, au parfum suave, poussent en grappes. Le procédé consiste à broyer les racines, les mélanger avec les feuilles, et dissoudre le tout dans l’eau afin d’obtenir une sorte de pigment ocre ou orangé. Célèbre dans l’Orient, cette préparation faisait office de parfum ou de teinture pour les cheveux jusqu’à aujourd’hui, mais aussi les ongles, les dents…Elle était utilisée à des fins thérapeutiques pour soulager les maladies et infections urinaires. Les égyptiens recouvraient les momies avec ce produit.

ID 1288 vase khol

Récipient à khol en verre  (époque romaine)

Baume

C’est le terme générique qui désigne toutes sortes de parfums. Des auteurs antiques précisent néanmoins qu’il s’agit d’une résine aromatique extraite d’un arbre poussant en Arabie. On vante partout son parfum merveilleux. Les fouilles archéologiques, menées près de la mer morte, établissent l’existence d’un centre de production d’huile de baume, remontant au 7ème siècle av. J.C et qui aurait probablement était réactivé quelque temps sous le mandat néo-babylonien. Le baume est l’un des ingrédients primordiaux dans l’industrie cosmétique et pharmaceutique. Rare et onéreux, il s’inscrit dans toute une gamme de produits raffinés que Juda était en position de fournir à des clients fortunés. L’accès au marché mésopotamien devait représenter une opportunité à saisir et la possibilité de l’enrichissement d’une petite élite qui contrôlait ces différents centres d’industrie de luxe. La production de baume va connaître un essor considérable durant la période Perse et deviendra célèbre dans tout le bassin méditerranéen à l’époque Romaine.

Kalamos

C’est un ingrédient un peu mystérieux qui composait le baume. Il s’agit d’une épice onéreuse, importée de très loin et commercialisée par les Tyriens. On l’identifie actuellement avec une plante indienne dont le nom latin évoque bien la puissance de son arôme : Kalamos aromaticus. Certaines sources tardives en repèrent même, à l’état sauvage, dans la haute vallée du Jourdain.

Myrrhe

L’un des parfums les plus cités dans la Bible. Cet épice entrait dans la préparation de l’huile sacrée royale conçue pour oindre les monarques. C’est dans cette perspective qu’elle est citée comme l’un des présents des mages à l’enfant Jésus. Mais c’est dans le domaine cosmétique qu’elle rencontra un vif succès, car très prisée par les dames. Elle est extraite par incision de l’écorce d’un arbuste qui pousse en Afrique tropicale et en Arabie. Elle se trouvait à l’état liquide et solide, mélangée à de la gomme ; ce qui permettait de l’économiser tout en la vendant au prix fort.

Nard

Parfum au très fort potentiel aromatique et qui était recherché par les femmes. C’est un extrait de plusieurs plantes qui poussaient sur les contreforts du Népal et dans les hautes montagnes de l’Himalaya. Il a pu parvenir jusqu’au bassin méditerranéen via les circuits de distribution transitant par l’Inde et la Perse. Le nom sanskrit résume à lui-seul le produit : nadala –odoriférant-. C’est une marchandise extrêmement coûteuse atteignant des sommes astronomiques. C’est, du moins, l’avis partagé par les disciples de Jésus devant le « gaspillage » opérée par cette inconnue qui déversa l’intégralité de son précieux flacon sur les pieds de Jésus. Là encore, la fonction séductrice et érotique du nard est loin d’être négligeable…

A usage cultuel

Aloès

C’est un parfum qui provient d’une résine d’arbre, originaire du nord de l’Inde et de Malaisie. Très vite, il a été utilisé dans les cérémonies religieuses en guise de libations ou comme brûle-parfums.

Encens

Elément indispensable pour les parfums consumés au Temple. Il s’est maintenu depuis des millénaires jusqu’à nos jours. Il se présente sous la forme de gomme-résine extraite d’arbustes poussant en Ethiopie, Somalie et en Arabie du sud. Son prix « élevé » l’a « élevé » au rang de trésor, stocké dans une pièce spéciale qui lui était destinée au Temple. Mélangé à du vin, il faisait office d’anesthésiant et on le faisait boire aux condamnés à des supplices cruels comme la croix.

ID-1288 cuillère à encens

Cuillère à encens (1200-800 av. J.C)

Galbanum

Gomme résineuse entrant dans la fabrication du parfum brûlé dans le Tabernacle et surtout le Temple. Polyvalent, et à l’instar de beaucoup d’épices citées ici, le galbanum servait aussi d’épice culinaire et de remède médical.

Onyx

Encore un ingrédient qui entre dans la composition du parfum à brûler. On le surnomme « ongle odorant ». Il provient de l’opercule qui ferme la coquille de certains mollusques présents dans la mer rouge. Cet élément, une fois brûlé, dégage une odeur très forte et pénétrante…

A usage culinaire

Moutarde

La fameuse graine issue des plus petites de toutes les semences du monde et qui devient, une fois semée, la plus grande des plantes potagères. On ignore si la moutarde servait d’aliment, de légume ou de condiment ? Toujours est-il qu’elle est connue à Rome et dans la Grèce Antique. Elle était censée exalter le dynamisme des gens à tempérament froid.

Miel

Un texte en Ezéchiel 27,17 cite le miel comme l’un des fleurons de l’industrie exportatrice judéenne. Peu d’études traitent de la fabrication et du commerce de ce dernier, mais nous savons par les textes de l’Ancien Testament, qu’il était le symbole de la prospérité en Palestine. Il était surtout fabriqué dans les régions montagneuses et sa qualité était connu et appréciée. Comme nous savons par ailleurs que le miel était rare en Mésopotamie et qu’il était un produit indispensable qui entrait dans le processus de fabrication des parfums et des produits cosmétiques, tout comme les augments, il était d’autant plus recherché et constituait un produit de luxe. En l’absence de sucre, il est le principal édulcorant. Il devait aussi exister à l’état naturel : en plein champ, dans une crevasse, dans la carcasse d’un lion… Selon certains savants, le miel de la Bible ne serait qu’un sirop produit à partir de dattes ou de fruits du caroubier.

Cumin

Son nom provient des langues sémitiques (kammon) et c’est une ombellifère répandue en Palestine. Épice commune dans l’alimentation frugale et peu variée de l’époque, elle est citée par Jésus dans sa diatribe à l’encontre des Pharisiens. Ces derniers s’acquittant consciencieusement de la dîme sur les plantes les plus usuelles et perdant de vue où sont les vrais besoins.

Menthe

Cité avec le cumin dans le même reproche, elle était très répandue en Palestine comme condiment et en parfumerie. A noter que Pline estimait qu’elle était aphrodisiaque pour les hommes et néfaste pour la conception, une fois appliquée sur les parties génitales de la femme. Une légende chrétienne considère la menthe comme une plante stérile que la Vierge, se cachant sous du blé pour échapper aux soldats d’Hérode, maudit, parce que celle-ci dénonça sa présence -heureusement trop bas pour être entendue-. La Vierge lui dit:  » Tu es menthe et tu mentiras toujours ; tu fleuriras, mais tu n’auras pas de graines. « 

Sel

C’est le minéral indispensable dans le Levant. Son usage remonte à l’âge du Bronze ancien (2500 av JC). Il donnait un goût aux aliments bien fades et on le consommait dans de grandes quantités. Il était vital dans le processus sacrificiel. Il avait aussi une haute symbolique et était consommé lors de la conclusion d’une alliance entre deux parties. Des qualités médicinales lui étaient attribuées comme le fait de frotter de sel les nouveau-nés ou pour assainir des eaux insalubres. Il est devenu l’élément majeur du commerce international. On pouvait l’extraire naturellement dans toute la région au sud de la Mer Morte ou à travers des marais salants. Il ne servait pas uniquement à assaisonner la nourriture mais également à faciliter le tannage des peaux et surtout la conservation de viande et de poissons. A l’époque romaine, la salaison du poisson du lac de Galilée était très appréciée et exportée dans tout l’empire. On se souviendra, bien sûr, des paroles de Jésus :  « Vous êtes le sel de la terre… ».

Une foi(s) n’est pas coutume, l’on constate que la Bible n’est pas un livre de recettes de cuisine. Il y a certainement bien d’autres épices communes utilisées dans la préparation des plats, et la vinification, qui ne sont pas citées. Par contre, les épices jouent un rôle fondamental dans la rencontre : rencontre avec soi-même et entretien de son propre corps, rencontre avec Dieu où la bonne odeur du corps va supplanter la bonne odeur du sacrifice, rencontre avec l’autre dans un certain corps à corps…Il suffit d’ajouter un soupçon d’épice pour que l’ambiance se réchauffe et que les sens s’échauffent…Une Bonne Nouvelle en cette période de glaciation relationnelle !

ID 1288 215

Bol à cosmétiques (Samarie IXe siècle av J.C)

Crédit : Frédéric Gangloff (UEPAL) , Point KT




Nourriture et repas dans le premier évangile -Partie I

Manger et boire : deux actes fondamentaux de l’existence humaine au travers desquels se jouent la vie et la mort de l’individu, non seulement sur un plan physique mais également sur un plan psychologique. L’être humain traduit quelque chose de sa compréhension de lui-même et du monde dans le rapport qu’il entretient à la nourriture (ainsi le boulimique ou l’anorexique)…. Dans sa façon de sélectionner la nourriture (ce qui se mange et ne se mange pas) de la préparer (crue, cuite, apprêtée de telle ou telle manière), de la manger (les rituels qui, dans toutes les sociétés humaines, entourent la prise de nourriture) et de la partager avec d’autres (la commensalité), se joue, non seulement un point de jonction essentiel entre nature et culture, mais également un rapport à soi-même et à l’autre incluant l’existence physique, psychologique, sociale ou religieuse de l’individu. Sans oublier, dans le domaine religieux, les relations complexes unissant nourriture, sang, violence et sacrifice .

L’Évangile de Matthieu est constamment traversé, du début à la fin, d’allusions à la nourriture et aux repas. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons recensé près de trente passages (du simple logion à la péricope entière ) qui parlent de prise de nourriture ou de repas. Une enquête rapide à travers l’ensemble de ces occurrences permet d’identifier cinq entrées possibles  qui permettent de rendre compte de la richesse de ce thème de la nourriture et du repas dans l’Évangile de Matthieu.

a)    Les récits mentionnant la « faim» de Jésus et de ses disciples (Mt 4,1-11 ; 12, 1-8 ; 21,18-22).
b)    Les paroles sur la nourriture et le jeûne dans le Sermon sur la Montagne (Mt 5,6; 6,11 ; 6,16-18 ; 6,25-34; 7, 7-11).
c)    Les récits mentionnant des « repas» de Jésus (Mt 9, 9-19 ; 26, 613 ; 26, 17-29).
d)    La « section des pains» (14, 13-16, 12) et ses multiples allusions à la nourriture et aux repas (Mt 14, 15-21 ; 15, 1-20; 15,21-28 ; 15,3239; 16,5-12).
e)    Le thème de la faim, du manger et du boire, de l’excès de table et du repas de noce dans les paraboles de Jésus, en particulier dans le discours eschatologique (Mt 22, 1-14 ; 24, 37-41 ; 24, 45-51 ; 25, 1-13 ; 25,31-46).

Le cadre de cette contribution ne permet pas de parcourir l’ensemble du matériau relatif à un thème aussi riche. Nous avons donc choisi de privilégier les deux entrées où les thèmes de la faim et du repas apparaissent dans des récits mettant en scène Jésus et/ou ses disciples (à savoir les points a. et c.).

PARTIE 1.    LA « FAIM » DE JÉSUS ET DE SES DISCIPLES (Mt 4, 1-11 ; 12, 1-8 ; 21, 18-22)

À trois reprises, le narrateur utilise le verbe peinaô (avoir faim) pour indiquer la faim de Jésus et de ses disciples : 4, 2, epeinasen ; 12, 1, epeinasan ; 21,18, epeinasen (cf. également 25,35.37.42.44 : epeinasa ei peivônta deux fois, passages sur lesquels nous reviendrons à la fin de cette première partie). Ces trois mentions renvoient à trois épisodes dont l’analyse constitue l’objet du présent chapitre.

1.1.    La « faim » de Jésus comme discours d’incarnation (Mt 4, 1-11)

Faisant suite au récit du baptême, le récit de la tentation permet de vérifier ou d’éprouver la qualité de « fils » attribuée à Jésus depuis la révélation du baptême (Mt 3, 13-17) : comment celui que la voix du ciel a proclamé « Fils bien-aimé» (3, 17) est-il « Fils de Dieu » ? (4, 3.6). Cinq remarques en lien avec notre thème sur ce récit.

(1) La première tentation est relative à la nourriture. La faim est la première expérience du manque et le jeûne que vit Jésus en constitue une traversée. En se soumettant à la privation de nourriture, le Jésus de Matthieu subit rien moins que l’épreuve de l’incarnation.

(2) Le tentateur propose à Jésus de résorber l’expérience du manque, constitutive de l’humanité, par l’expérience de la toute-puissance qui est négation de la réalité commune (dans le monde des hommes une pierre ne se transforme jamais en pain). Sous forme d’un défi, il propose la disparition du manque en convoquant la puissance divine supposée demeurer dans la personne de Jésus. En somme, le tentateur déclare qu’est « Fils de Dieu » celui qui échappe à la condition humaine : ne plus connaître ni la faim (v. 3) ni la mort (v. 6) et recevoir le pouvoir (v. 9).

(3) À la tentation qui propose de ne plus connaître l’épreuve de la faim qu’expérimente tout homme, Jésus oppose son refus, fissurant ainsi la figure du Dieu définie par le tentateur. Jésus n’est « Fils de Dieu» qu’en renonçant à être « dieu » au sens où le terme définit le contraire de ce qu’est l’homme. Il n’est « Fils de Dieu » qu’en refusant en tout premier lieu le prodige permettant d’apaiser artificiellement la faim. Jésus refuse en somme le déni de la réalité.

(4) Outre ce refus de la toute-puissance, Jésus déplace la problématique de la faim du plan physiologique au plan métaphorique : non seulement, il ne succombe pas à la tentation du prodige qui n’est ni plus ni moins que la négation de la réalité, mais en outre il ne se laisse pas capturer par la fascination du simple assouvissement de la faim physique. Celle-ci est métaphore de la faim véritable. Se nourrir en vérité c’est écouter la parole de Dieu.

(5) L’épisode se termine par la mention « des anges vinrent auprès de Jésus et le servaient» (v. 11). On doit comprendre ici qu’ils viennent lui apporter de la nourriture (cf. Mt 8,15 ; 25,44 ; et 1 R 19,8 -où l’ange nourrit Élie pour lui permettre de marcher 40 jours et 40 nuits vers le Mont Horeb). On peut aussi entendre que Jésus est nourri dans le désert comme le peuple autrefois recevait la manne. Au « Fils » qui refuse de transformer les pierres en pain, Dieu accorde la nourriture nécessaire. Le Fils ne « force » pas le Père, il fait confiance en sa parole et reçoit de surcroît la nourriture du corps (cf. 6,33). Il n’y a donc pas négation du besoin physique.

Le récit de la tentation trace ainsi quatre directions : (1) le refus de la toute-puissance laquelle est déni de la réalité ; (2) l’ouverture sur une écoute métaphorique des signifiants : la « nourriture» véritable c’est l’écoute de la parole de Dieu ; (3) cette ouverture au symbolique n’est pas négation du besoin physique ; (4) est nourri celui qui, ne succombant pas à la tentation du refus de la limite, se sait dépendant de l’Autre.

1.2. La « faim » des disciples au risque de l’interprétation de Jésus (12, 1-8)

Le récit de la tentation a dénoncé un premier risque de déshumanisation (risque si on se réfère à Gn 3,5) : le désir de puissance et le refus des limites comme dénis de la réalité. Le « Fils de Dieu» y résiste en empruntant la voie de l’incarnation supposant acceptation du manque et confiance en une altérité secourable. Le récit des épis arrachés le jour du sabbat (Mt 12,1-8) met en scène une seconde tentation de déshumanisation de l’humain : le rapport dévoyé à la Loi entravant chez l’homme ce qui est du côté de la vie pour le lier à une règle asservissante et mortifère. Cinq remarques à l’appui de cette lecture.

(1) Dans Mt, la péricope se trouve directement reliée au logion de 11,28-30. Mt 12,1-8 se présente ainsi comme l’illustration directe de l’affirmation selon laquelle le «joug » – métaphore souvent utilisée dans la tradition juive pour désigner la Loi – de Jésus est « facile à porter et [s]on fardeau léger  » (11,30). En 12, 1-8 sont donc opposés le «joug» des pharisiens et le «joug » de Jésus. Autrement dit, ce n’est plus à la Loi de Moïse telle que les pharisiens en sont les dépositaires qu’il faut obéir (dont il faut se charger) mais à la Loi (i.e., au « joug ») de Jésus (cf. Mt 5,21-48 : « Vous avez entendu qu’il a été dit […]. Mais moi je vous dis [… ] »). On est ici au cœur du changement radical de paradigme que propose Matthieu : ce n’est plus la Torah mais le Messie qui est au centre de la piété.

(2) Les disciples sont caractérisés par trois déterminations : ils ont faim; ils arrachent des épis ; ils mangent. Ils ne sont donc pas confrontés à la tentation de nier leurs limites en demandant par exemple à Jésus de les nourrir miraculeusement (cf. à l’inverse Mt 14,28-33 où Pierre demande à Jésus de marcher sur les eaux). Ils font simplement ce que chacun fait au quotidien : ils assument pleinement leur humanité. Ils sont dans le « besoin» de nourriture et ils l’assouvissent en humains, c’est-à-dire par un « travail » qui consiste à arracher les épis avant de les manger.

(3) Les disciples sont accusés de transgresser la règle du sabbat. Premièrement et principalement, du point de vue des pharisiens tels qu’ils sont mis en scène par Matthieu ; ils ne se soumettent pas à une obéissance stricte, légaliste, aurait-on envie de dire. Mais les disciples semblent aussi transgresser le sens premier du sabbat, son sens fondamental pourrait-on dire. Originellement, le sabbat est en effet compris comme un temps de rupture avec l’activité quotidienne, avec le besoin quotidien de nourriture, de travail, d’activité. II fait intervenir de l’écart, de la différence, de la distance par rapport au quotidien. En d’autres termes, le sabbat fait passer du besoin (par exemple de nourriture) au désir (de se « nourrir » de la parole de Dieu). Les disciples semblent s’en tenir à l’assouvissement de leur besoin primaire. Un besoin certes important mais non vital, en ce sens que s’ils avaient attendu la fin du sabbat pour manger, ils ne seraient pas morts!

(4) Pourtant Jésus justifie ses disciples. D’abord de la transgression de la lettre du sabbat telle que les pharisiens la défendent. Ici, le lien avec ce qui précède (le« joug» léger) indique bien que ce qui est enjeu c’est un rapport perverti à la loi du sabbat. Elle ne se soucie pas de l’humain mais de l’application stricte d’une règle. Elle ne se soucie pas du sens à donner au sabbat comme temps de mise à distance de l’activité quotidienne, possibilité de métaphoriser son agir, de penser différemment le rapport au monde, aux choses et aux autres. Le seul souci est l’application de la règle. Or ici, Jésus est clair ; sa parole fait autorité pour refonder un rapport à la Loi qui libère de son caractère mortifère.

(5) Mais de façon plus fondamentale, notre hypothèse est que la parole de Jésus lève l’accusation selon laquelle les disciples transgressent l’esprit même du commandement du sabbat. Pour affirmer cela nous nous appuyons sur le constat de l’étendue de l’argumentation par laquelle le Jésus matthéen justifie l’attitude de ses disciples (6 versets sur les 8 que contient la péricope). Cette longue argumentation a pour effet de donner à l’attitude des disciples une épaisseur qu’elle ne possède pas dans la narration lapidaire du v. 1 (« Ses disciples qui avaient faim, se mirent à arracher des épis et à manger »). Il aurait pourtant suffi que Jésus affirme qu’il ne faut pas appliquer la Loi de façon casuiste et légaliste, qu’il en appelle au souci de l’autre constitutif de la Loi mosaïque . Au lieu de cela, le Jésus matthéen répond par un long détour, pas moins de quatre arguments dont l’essentiel peut se résumer ainsi :

a)     v. 3-4 : en faisant ce qu’ils font les disciples remémorent rien moins qu’une situation où David a sauvé la vie de ses compagnons en danger de mort (l S 21,3-7) ; ils accomplissent un geste assimilé à un geste de salut ;

b)     v. 5-6 : ils sont, dans le même mouvement, «prêtres» de Jésus, plus grand que le Temple ;

c)     v. 7 : ils accomplissement également la parole prophétique d’Osée dont ils reçoivent une interprétation autorisée  ;

d)     v. 8 : ils sont sous l’autorité souveraine du Fils de l’homme.

Le moins qu’on puisse dire est que tout cela n’était pas exprimé dans la narration de leur action initiale ! Autrement dit, cette longue argumentation a pour effet de donner de la profondeur à l’agir des disciples et, avec la profondeur, une interprétation théologique qu’elle reçoit de la seule parole de Jésus. Les paroles de Jésus donnent du sens au geste des disciples tout comme les paroles de Jésus donneront du sens à l’attitude de la femme de Béthanie (Mt 26,4-13). Les paroles de Jésus font faire au geste des disciples un détour qui est le détour de l’interprétation. Elles construisent un écart entre leur attitude et le sens qui lui est donnée. Ainsi, les paroles de Jésus fonctionnent comme le sabbat: elles créent un écart entre le « besoin» des disciples (leur faim) et l’interprétation que Jésus en donne ; une interprétation qui renvoie à la christologie et au lien qui unit les disciples à Jésus.
Concluons. Pas plus qu’apaiser la faim ne suppose d’en appeler à une toute-puissance divine qui est déni de la réalité, la Loi n’exige qu’on entrave ce qui en l’homme relève de son humanité au nom d’une obéissance aveugle, oubliant que le commandement a été fait pour le bonheur de l’homme. L’autorité du « Fils » qui a assumé pleinement l’humanité et ses limites libère les disciples des règles mortifères qui entravent leur vie d’hommes. En même temps, la parole du Fils de l’homme donne du sens à l’agir des disciples, interprétant leur geste non comme simple « besoin» de nourriture mais comme rien moins qu’accomplissement des prophéties. En arrachant des épis un jour de sabbat, parce qu’ils avaient faim, les disciples – du point de vue du récit évangélique – se sont tout simplement mis sous l’autorité du Fils de l’homme et de sa parole. Est-il exagéré de dire qu’en transgressant la lettre du sabbat les disciples en accomplissent l’esprit si l’on se souvient que Jésus est celui qui donne le « repos» (v. 28 : anapauô, verbe – substantif anapausis -, souvent utilisé dans la LXX pour indiquer le repos du sabbat, cf. Ex 23,12) ? Quoi qu’il en soit, ce surplus de sens donné au geste des disciples est donné par la parole de l’interprète autorisé de la Loi qu’est Jésus.

1.3.    Faim de Jésus et malédiction du figuier (Mt 21, 18-22)

Jésus passe devant un figuier. Il a faim. Il ne trouve rien. Il ordonne et le figuier sèche. Ses disciples ébahis l’interrogent sur ce prodige. Il répond que foi et prière peuvent les rendre capables de prodiges plus grands encore. Deux questions se posent alors : Jésus aurait-il finalement cédé à la tentation de la toute-puissance ou, à tout le moins, la frustration créerait-elle chez lui une violence vengeresse ? Les disciples seraient-ils invités, en fin de compte à entrer dans la logique de la demande de puissance ? Trois remarques sur cet épisode.

(1) Notons d’abord que Jésus ne fait pas venir des figues sur un arbre qui n’en possède pas. Il n’y a donc pas déni de la réalité (il ne fait pas pousser « miraculeusement» des figues) mais, au contraire, prise en compte de celle-ci comme pour constater qu’il ne peut pas en aller autrement. La parole de Jésus entérine un état de fait : elle révèle la mort du figuier en la rendant visible. On reconnaît l’arbre à ses fruits dit ailleurs en substance le Jésus matthéen (cf. Mt 7,15-20). Pourquoi donc s’obstinerait-on ici à attendre de cet arbre ce qu’il ne peut pas donner. Là résiderait le déni de la réalité !

(2) Ensuite, l’encadrement de l’épisode invite le lecteur à entendre le figuier comme une métaphore du Temple. Certes Matthieu ne reprend pas la construction marcienne « en sandwich » (cf. Mc 11,12-14 et 20-25). Dans Matthieu, l’épisode des vendeurs chassés du Temple (Mt 21,12-17) et celui de la controverse sur l’autorité (Mt 21,23-27) encadrent notre récit (Mt 21,18-22). Pourtant, le sens n’en est pas moins évident que dans Marc : les figues que Jésus n’a pas trouvées, ce sont bien ces fruits qu’il était en droit d’attendre de l’institution religieuse du Temple. Il n’a donc pas été nourri par elle.

(3) Enfin, les disciples sont invités à avoir la foi qui permet de recevoir tout ce qu’on demande. Mais que demander ? L’assouvissement du fantasme de toute-puissance (cf. Mt 21, 22, « tout ce que vous demanderez ») ou l’ouverture à la volonté de Dieu ? Le récit global offre une réponse à mon sens assez claire. Pour ne nous en tenir qu’à trois passages en lien direct avec notre thème, en amont, c’est le « donne-nous notre pain quotidien » (Mt 6, 11) du « Notre Père» et l’invitation à vivre dans la confiance en cherchant prioritairement le Royaume de Dieu (cf. Mt 6,25-34) ; en aval c’est le « s’Il est possible que cette coupe s’éloigne, toutefois non pas ce que je veux mais ce que tu veux» (Mt 26,42) de Jésus. Bref, l’enjeu est le suivant : à lire l’épisode coupé de son contexte narratif large et étroit, on a un réinvestissement d’une figure puissante du Messie et une invitation faite aux disciples à se situer dans sa lignée ; le thaumaturge tout-puissant qu’est Jésus peut combler la frustration de ses disciples en les faisant participer à sa puissance. À replacer l’épisode dans son cadre narratif, on poursuit les axes précédemment entrevus : refus de la toute-puissance ; confiance dans une extériorité bienveillante ; métaphorisation. Quant à la prière elle n’est pas satisfaction des pulsions et frustrations infantiles mais ouverture au désir de l’Autre.

1.4.    Ouverture : se laisser nourrir par les autres

Indiquons seulement deux références qui abordent la question de la faim et de la nourriture en dehors des textes que nous venons d’analyser. Ces deux références confirment les perspectives entrevues (à savoir les axes que sont refus de la toute-puissance, confiance en un autre, métaphorisation des signifiants sans pour autant nier le « besoin » physique). En Mt 25,31-46, après les trois récits que nous venons de lire, c’est le « Fils de l’homme » glorieux qui s’identifie à l’un de ces « petits » affamés qui ne doivent leur survie qu’à ceux qui les nourrissent. Une image anticipée par les recommandations de Jésus aux disciples dans le discours missionnaire : invités à partir sans rien prendre en route car l’ouvrier « mérite sa nourriture » (10,10), ils se retrouvent liés à ceux qui voudront bien leur donner un « verre d’eau » en leur qualité de « petits» et de « disciples» (cf. Mt 10, 42).

Élian CUVILLIER

Directeur des études des cycles Licence et Master – Nouveau Testament IPT – Montpellier

Article paru dans la revue ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES 82e année – 2007/2 – P. 193 à 206

Publié ici avec autorisation

 




Le festin d’Ésaïe

mel noel14 115 3« Le Seigneur de l’univers va donner un festin de viandes grasses et de vins vieux… »

Le prophète Ésaïe nous parle, au chapitre 25, versets 6 à 9, d’un festin somptueux organisé par YHWH. Un tel festin peut surprendre, alors que le chapitre précédent évoque un tableau apocalyptique de jugement et de fin du monde…

Voici un texte biblique qui rappellera à chacun le faste des repas de Noël en famille, et qui nous donne donne chair à la notion trop spiritualisée du salut…

Ésaïe 25, 6 à 9

Un festin pour tous les peuples…

Voilà une belle et alléchante proposition divine… Les meilleurs vins sont sortis de la cave divine, les meilleurs morceaux de viande sont partagés pour tous, c’est bien une image festive qui parcours cette péricope ! Mais elle ne saurait faire oublier le chapitre précédent qui parle du jugement de Dieu, d’une cité désolée, où il n’y a plus de vin (Es 24, 7-9) et où la joie a cessé. Comment donc peut-on concilier la désolation du jugement de Dieu et la joie du festin proposé par Dieu?

L’image de Dieu qui nous est donnée ici est celle d’un Dieu qui règne et qui est acteur ; acteur de l’Histoire des peuples, acteur de notre histoire. Certes, la trahison, la souffrance, le mensonge, la tristesse, et même la mort ont toujours et encore le dernier mot. Mais « ce jour-là », dit le texte, ce jour-là sera différent, et Dieu prendra le dessus sur ce qui déshumanise l’humain.

Ne pensons pas trop vite que la description qui est faite au chapitre 24 est ce qui caractérise Dieu : violence, humiliation et destruction. Au contraire, dans le prolongement du texte, l’image finale qui nous est donnée de Dieu est celle d’un Dieu qui règne dans la convivialité d’un festin, et qui recherche la joie pour tous. Trop souvent, nous associons le « salut » à une notion très, peut-être trop, spiritualisée. Mais grâce à Ésaïe, et dans la mouvance de l’Ancien Testament toujours très concret dans sa compréhension du monde, le salut se concrétise pour nous sous la forme d’un festin.

Et pas n’importe lequel : un festin avec les meilleurs plats et les meilleurs vins, un festin où nous sommes tous invités, un festin où la mort et l’humiliation ont été bannis au préalable… Quelle audace !

Alors certes, la mort, les larmes et la honte font encore partie de notre quotidien, et il ne suffit pas de parler d’espérance pour les éliminer… Mais l’espérance du banquet de Dieu nous ouvre chacun à la vie et à la joie, elle est le lieu où nous croyons que la vie aura le dernier mot. Cette espérance ne change pas les événements de notre vie, mais la manière de les vivre…

Dans quelques jours, vous allez préparer en famille le « festin de Noël ». Un événement qui réunit la famille, avec la joie des retrouvailles et la tristesse des absences et des vides. Un rassemblement qui réjouit et qui peut raviver des tensions en même temps… C’est le festin du moment présent. Dieu, lui, nous prépare un festin qui, « ce jour-là », sera le festin de l’attente comblée et de l’espérance accomplie. C’est aussi ce que nous fêtons à Noël…

Bibliographie : Lire et Dire n° 36, 1998, p. 13 à 23




Espérer en Exil – Jérémie 29

 « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion … »  Nous imaginons bien la tristesse des exilés : transplantés dans un pays ennemi, ils ont perdu patrie, familles et biens, et plus encore leur honneur et la confiance en leur destin. Leur désarroi est total. Où donc est Dieu maintenant ? L’invitation de Jérémie à s’installer dans le pays les surprend, les prend à contre-courant de leur certitude de retour au pays bientôt. « Construisez… plantez… prenez  femme… » Le message est politiquement incorrect. Va-t-on collaborer avec l’ennemi exploiteur ? Pire : « Soyez soucieux de la prospérité de la ville où je vous ai déportés et intercédez pour elle » ! Où Dieu veut-il en venir ? Certains pensent : Jérémie est à côté de la plaque, bientôt nous reviendrons, Dieu ne peut pas nous abandonner à un tel sort…

  • Les circonstances générales

Ce chapitre nous fait entrer dans la première période de l’Exil, entre 597 et 587, et dans les tensions qui agitaient alors les Judéens, tant à Jérusalem qu’en déportation. Il nous montre le prophète aux prises avec un débat qui mêle étroitement la politique et la foi, et dans lequel il s’agit de faire le tri entre la confiance en Dieu et le fanatisme aveugle, entre les illusions et l’espérance vraie.

Comme les chapitres 27-28 de Jérémie, la question concrète qui divise les Judéens est celle de savoir si l’Exil est une épreuve momentanée ou de longue durée, si la domination babylonienne est un accident de l’Histoire ou un fait durable auquel il convient de se soumettre.

La rédaction actuelle de ces chapitres prend, de manière assez naturelle, la défense du prophète Jérémie, parce que les événements lui ont donné raison. Mais pour percevoir le déchirement que sa prédication introduisait tant à Jérusalem qu’en Mésopotamie, il convient de prendre la mesure du caractère profondément religieux de la démarche de ses opposants.

Celle-ci repose en effet sur la conviction que YHWH a choisi Juda et Jérusalem, que le Temple est le signe de sa présence et que rien ne pourra atteindre le peuple qui vit à l’abri de son Dieu. Cette conviction est nourrie par les psaumes de Sion, par la tradition davidique et la promesse de 2 Samuel 7/16 : « ta maison et ton règne seront pour toujours assurés devant toi, ton trône pour toujours affermi. »

Mais aussi par le souvenir d’un événement relativement récent : à la fin du 8è Siècle avant JC, l’empire assyrien avait anéanti le royaume du Nord, qui s’était séparé de la dynastie davidique. Par contre, l’armée assyrienne aurait échoué devant Jérusalem grâce à l’intervention de YHWH en faveur de sa ville : Ésaïe 36-37 = 2 Rois18-19 (cf. Ésaïe 34/4-5). Même s’il est probable que le roi Ezéchias a échappé à la destruction de sa capitale en se soumettant à Sennachérib et en versant un tribut important ( Il Rois 18/13-10), la présentation de l’épisode en Ésaïe 36-37 est une incitation à faire au Dieu d’Israël une confiance aveugle, envers et contre tout.

La position de Jérémie est radicalement opposée. Depuis la mort tragique de Josias en 609, le prophète dénonce la confiance illusoire placée dans le Temple dont il annonce la destruction (voir Jér 7 et 26). La protection salutaire de Dieu ne saurait être acquise sans une fidélité véritable du peuple. Et celle-ci se traduit dans un vécu au quotidien, non dans les célébrations cultuelles.

Ce qui amène Jérémie à lire dans la défaite judéenne l’accomplissement du jugement de Dieu contre son peuple. Mais si Babylone est l’instrument du jugement de Dieu, résister à Babylone, c’est persévérer dans la révolte contre Dieu.

Cette conviction, Jérémie semble l’avoir exprimée de manière très forte à l’occasion d’une ébauche de coalition anti-babylonienne qui, en 594, aurait pris la forme d’une rencontre, à Jérusalem, d’ambassadeurs venus de petits états également soumis à Babylone (Jérémie 27/13). L’échange de correspondance relaté au chapitre 29 peut être situé à la même période.

La traduction concrète, dans une attitude politique sans équivoque, de sa conviction prophétique va faire de Jérémie un « agent de l’ennemi ». C’est en tout cas ce que lui reprocheront ses adversaires dans les derniers mois de Jérusalem (Jér37/1116 ; 38/4). Mais aussi ce qu’il est possible de déduire des propos du prophète (Jérémie 21/8-9 ; 27/4-8,12,17 ; 34/2-5 ; 37/5-10 ; 38/17-23) comme du traitement de faveur dont Jérémie est l’objet de la part des vainqueurs de 587 (39/11-14 ; 40/1-6).

Pour apprécier la position du prophète, il faut encore tenir compte du fait que, dans la situation troublée où nous le rencontrons, il disposait de quelques appuis dans « les allées du pouvoir » de Jérusalem.

On remarque notamment que la famille de Shafan, secrétaire du roi Josias (2 Rois 22/3,8-14), protège le prophète en diverses occasions (Jérémie 26//24 ; 29/3 ; 36/10-13). Ces scribes influents sont assurément du parti pro-babylonien, puisque l’un d’entre eux est désigné comme gouverneur de la province conquise après 587 (Jérémie 39/14 ; 40/5-41/2). On peut bien sûr s’interroger sur les motifs de leur bienveillance envers Jérémie : sympathie personnelle ? Accord de nature religieuse à propos de la réforme cultuelle de Josias ?ou manipulation politique ?

Le caractère fragmentaire des informations qui nous sont conservées ne permettent en aucun cas de conclure. Et l’attitude personnelle de Sédécias, qui consulte Jérémie et lui assure une protection minimum, sans jamais suivre ses avis montre bien qu’il était possible d’avoir pour Jérémie un certain respect sans pour autant adhérer à sa prédication…

  • Le texte du chapitre 29

Jérémie 29 ne nous donne pas le texte intégral et authentique d’une lettre du prophète aux exilés. Les indications fournies aux versets1-3, ainsi que la fin du chapitre, versets 24-32, montrent qu’il s’agit plutôt d’un compte-rendu à propos d’un échange de correspondance assez complexe : Jérémie adresse une lettre aux déportés. Certains d’entre eux réagissent en écrivant à un responsable du Temple (versets 25-28), lequel montre cette lettre au prophète (v. 29) qui réagit oralement, sans qu’il soit précisé que cet oracle soit effectivement envoyé à son destinataire.

L’auteur de ce « compte-rendu » se situe clairement après les événements, puisqu’il est obligé d’en préciser les circonstances à l’intention de ses lecteurs (v. 2). Il n’est pas intéressé seulement par le contenu du message prophétique, mais aussi par les réactions qu’il provoque chez des prophètes adversaires de Jérémie. De ce point de vue, le chapitre 29 forme un ensemble avec les chapitres 26-28, où l’on retrouve les mêmes éléments constitutifs :
– message prophétique
– opposition des adversaires
– confirmation du message prophétique et condamnation des adversaires.

Il est probable que, dans ce processus de rédaction, l’auteur du compte-rendu ait mêlé des éléments divers de la correspondance de Jérémie (les versets 15,21-23, par exemple, pourraient ne pas faire partie de la même lettre que les versets 47) et ajouté ici ou là quelques traits personnels, surtout aux versets10-14.

Il est par contre certain que les versets 16-20 ne font pas partie de la correspondance originale. En effet, la traduction grecque ancienne (La Septante) du livre de Jérémie ne comporte pas ces versets, qui ne se trouvaient sans doute pas dans le manuscrit hébreu utilisés par les traducteurs. Un travail minutieux permettrait d’ailleurs de mettre en évidence que ces versets sont composés de fragments empruntés à d’autres passages du livre de Jérémie.

L’intention de cet ajout est assez claire : à la lettre qui, malgré tout, annonce un avenir aux déportés, il oppose des éléments de la prédication du prophète qui affirment le jugement et l’anéantissement des Judéens restés à Jérusalem. Il s’agit donc de se réclamer de la prédication de Jérémie pour asseoir la prétention des exilés : eux seuls représentent le véritable Israël, le peuple fidèle à Dieu. Tous ceux qui, après 587, ont survécu en Judée, et tous leurs descendants ne peuvent se réclamer d’une appartenance au peuple saint…

Ce n’est certainement pas ce que Jérémie voulait dire, mais, autant cette dérive nous choque, autant il importe d’en prendre conscience, parce qu’elle traduit un risque inévitable : dès lors que la parole de Dieu n’est pas dite de toute éternité, mais s’incarne au fil de l’Histoire dans des situations réelles, la tentation est grande de s’emparer d’une parole dite ailleurs et autrefois pour en faire un usage dévoyé dans des circonstances différentes.

C’est ce qui est arrivé au message de foi et d’espoir d’Ésaïe, devenu prétexte contre l’appel à la conversion lancé par Jérémie. Puis au message de condamnation de Jérémie, devenu prétexte à exclusion.

Découvrir cela dans les textes bibliques eux-mêmes devrait nous inciter à une certaine prudence, quand nous faisons appel à la Bible pour justifier nos prises de position : démarche de foi ou sclérose de la Parole dans un texte figé derrière lequel nous nous réfugions ?
Pour notre parcours avec les enfants nous ne retiendrons que les versets 1-7 et, partiellement, 24-32.

  • Les détails du texte :

À tous les Anciens : ce sont sans doute les vrais destinataires de l’envoi du prophète, les autres destinataires mentionnés constituent en effet une liste « standard » souvent reproduite dans le livre de Jérémie (par ex.en 26/7).

Cette mention des Anciens montre que les exilés gardaient, dans leur résidence forcée, une part d’autonomie et leur administration propre.

 Il la confia à…. Le prophète ne dispose pas de courriers qui porteraient ses missives là où il veut. Il aurait cependant pu confier sa lettre à un marchand ou à une caravane. En fait, il s’agit de personnages importants à la cours royale de Jérusalem : des descendants de Shafan et d’Hilqiya, respectivement prêtre et secrétaire royal du temps de Josias et qui ont participé à la réforme religieuse de ce roi (2 Rois 22).Jérémie est assuré de leur concours. Ils ne lui sont pas opposés.

Que Sédécias, roi de Juda, envoyait à Nabuchodonosor : on peut se demander quelle est la raison de cette mission. Il peut s’agir de la livraison du tribut annuel que l’état de Juda devait au roi de Babylone. Ou d’une ambassade régulière pour rendre compte et recevoir des ordres. Cependant, si cette ambassade peut être datée quelques temps après l’esquisse de coalition anti-babylonienne évoquée par Jérémie 27, il s’agit aussi d’apaiser une éventuelle irritation de Nabuchodonosor.
Dans ce cas, la lettre de Jérémie est à double effet : destinée aux exilés, mais apportée « officiellement », elle sert de témoignage de bonne volonté envers Babylone. Ce n’est pas nécessairement l’intention du prophète, mais une sorte d’échange de service avec les porteurs de la lettre.
 

Ainsi parle le Seigneur : cette formule n’est pas un début de lettre, mais un début d’oracle prophétique ( voir Jérémie 23/16 ; 22/18 ; 19/1 etc…). C’est peut-être Jérémie qui écrit, mais, à travers lui, Dieu s’adresse directement aux exilés.
Cette manière de s’exprimer est commune à tous les prophètes. Elle laisse évidemment ouverte la question : mais comment le prophète connaît-il cette parole de Dieu ?
S’il est possible de donner à ce sujet quelques pistes de réflexion, il faut reconnaître aussi que tout repose, en fin de compte, sur la conviction personnelle du prophète d’exprimer la parole de Dieu qui s’impose à lui.

 

COMMENT DIEU PARLE :
« La parole de Dieu s’imposa à moi » : telle est sans doute la meilleure traduction d’une formule que nous trouvons plus de trente fois chez Jérémie (TOB : « s’adressa à moi ») : Jérémie 1/4,11 ; 2/2 etc..
Elle recouvre deux choses :1 – Le processus par lequel le prophète découvre quelle est la parole de Dieu dans des circonstances données. Le support de ce processus peut-être :
– une vision (Jérémie 1/11-14.18) : le prophète a sous les yeux une image réelle ou une image de rêve (mais voir Jérémie 14/14) qui lui suggère une parole.
– la méditation de la loi, la liturgie du culte dans leur harmonie ou, plus souvent dans leur divergence absolue avec ce que le prophète constate dans la réalité vécue (par exemple : 7/4 ; 8/7-10 ; 5/1-2)
– les paroles des prophètes qui l’ont précédé, dans la mesure où elles s’adaptent à la circonstance présente. C’est ainsi qu’on retrouve chez Jérémie des expressions du prophète Osée qui a vécu les dernières années du royaume du Nord.
– les événements, enfin, qu’ils soient historiques, familiaux (Jérémie 32) ou une rencontre (Jérémie 35). Pour le prophète, il n’y a pas de hasard, Dieu est le maître de l’Histoire, et chaque fait parle.

2 – Le mystère qui fait que la parole de Dieu s’impose comme telle au prophète : « elle devient au-dedans de moi comme un feu dévorant » (Jérémie 20/9).
Il n’y a donc ni moyen ni truc. Ce qui est déterminant, c’est la relation du prophète avec Dieu, relation grâce à laquelle tout peut devenir parole de Dieu pour le prophète.
C’est d’ailleurs ce qui met les auditeurs du prophète en difficile position de liberté : il leur arrive d’avoir à choisir entre des discours prophétiques différents, et, même en face d’un seul prophète, il leur appartient de reconnaître son discours comme parole de Dieu ou de le rejeter.

À tous les exilés que j’ai fait déporter : Dieu prend ici l’entière responsabilité de la déportation. Pas question d’invoquer les hasards de la guerre ou la supériorité momentanée de l’ennemi.
C’est le Dieu des Judéens, celui en qui ils plaçaient leur confiance, qui a fait venir sur eux le malheur. Il s’agit là d’un des thèmes essentiels de la prédication de Jérémie. Insupportable à tous ceux qui comptaient sur Dieu pour apporter un rapide renversement de situation, cette affirmation deviendra, pour les rescapés de la catastrophe finale un des motifs d’espérance et de foi.

Construisez…habitez…plantez, mangez… Ces propos sont de vraies promesses. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Deutéronome 28/30-34, dans la série des malédictions annoncées au peuple qui ne respecte pas l’Alliance. Ici les termes sont inversés : celui qui entre dans la démarche de Dieu envers son peuple profitera pleinement de ses efforts.

« La fiancée que tu auras choisie, un autre couchera avec elle ; la maison que tu auras construite, tu n’y habiteras pas ; la vigne que tu auras plantée, tu n’en cueilleras même pas les premiers fruits. Ton bœuf sera abattu sous tes yeux et tu n’en mangeras pas ; on t’enlèvera ton âne et il ne reviendra pas chez toi ; tes brebis seront livrées à tes ennemis sans personne pour venir à ton secours ; tes fils et tes filles seront livrés à un autre peuple ; et tes yeux s’épuiseront à force de guetter tout le jour, mais tu n’y pourras rien. Le fruit de ton sol et tout le fruit de ta peine seront mangés par un peuple que tu ne connais pas, et tu ne seras jamais qu’un homme exploité et broyé… » (Deutéronome 28/30-34)

Par ailleurs, les notions de construire et planter sont un des thèmes du livre de Jérémie, avec leur contraire, « arracher et démolir ».
Si, pour les exilés, le temps de construire et de planter est venu, c’est que, pour eux au moins, le jugement (arracher et démolir) est passé, et qu’ils peuvent se tourner résolument vers l’avenir.

Prenez femme, ayez des fils et des filles… Cet avenir n’est pas simplement celui des individus. C’est aussi celui du peuple de l’Alliance. Le mariage, les enfants, c’est la poursuite de l’existence du peuple, parce que c’est la vie familiale que de transmettre la culture, la tradition et la foi.

Soyez prolifiques… l’invitation évoque le récit de la Création (Genèse 1/28) et la promesse faite à Abraham (Genèse 16/10). Par delà le jugement et l’Exil, la promesse de Dieu demeure, en tout cas pour ceux qui savent s’en saisir.

Soyez soucieux de la prospérité de la ville… tout en restant une promesse pleine et entière, le discours s’incurve et fait soudain percevoir l’effet de « douche froide » de la prédication de Jérémie adressée à des gens dont l’attente, l’espoir, et la prière (psaume 137 !) sont tout entiers tendus vers l’anéantissement de la ville de l’Exil.

Avec ses promesses de renouveau et d’avenir pour le peuple en Exil, Jérémie balaie toutes les illusions de restauration immédiates. La promesse inclue le jugement. Il est impossible de faire l’impasse sur la colère de Dieu, et sur les raisons qui l’ont provoquée. Et ce n’est qu’en acceptant la démarche de Dieu que les exilés pourront vivre de la promesse.

On peut observer l’habileté (littéraire) du prophète, qui n’accable pas les exilés de jugement ou de reproches. On est loin en effet des diatribes qu’il adresse aux Jérusalémites (Jérémie 15/1-3 par exemple). Ici, c’est la promesse même qui contient le rejet des illusions, c’est la promesse qui, pour être reçue, exige un véritable retournement des pensées et des altitudes…

Mais sans doute n’est-ce pas que de l’habileté dans le mode d’expression. Il  appartient au message même du prophète d’être, non pas ambigu, mais à double face. Il revient aux destinataires de lui donner son vrai caractère en le recevant comme promesse ou comme condamnation.

Intercédez pour elle… II faut être Jérémie, membre du peuple judéen vaincu, pour demander cela à d’autres membres du même peuple vaincu. De la part des Babyloniens ou même d’un spectateur non impliqué, cela ne serait qu’odieux.

Mais, même venant d’un des leurs, cet appel à la prière pour les vainqueurs avait des échos insupportables. Pour eux, il n’était pas même certain qu’ils puissent prier valablement en terre d’Exil, impure et livrée aux divinités étrangères. De sorte que l’invitation à prier est encore un élément de promesse : même loin de Jérusalem, même sans le Temple, le peuple peut continuer à prier. La relation à la terre, à l’état, est rompue, mais cela ne brise pas la relation avec Dieu.

Mais prier pour Babylone, c’est accepter d’être des vaincus. C’est accepter de ne survivre qu’au travers de la bonne volonté pas toujours évidente du vainqueur. C’est dépasser toutes les violences subies, toutes les rancœurs, toutes les souffrances…
On peut se demander combien de temps il aura fallu pour que certains exilés parviennent à franchir le pas que leur propose Jérémie.
Encore qu’il ne demande pas aux exilés « d’aimer leurs ennemis » (Matthieu5/44). Mais simplement d’accepter le fait que, pour un temps au moins, leur sort est lié à celui de Babylone, et qu’il y va de leur intérêt…
 

Quand 70 ans… Il sera sans doute toujours impossible de dire si Jérémie a vraiment lancé ce chiffre ou s’il s’est imposé par la suite et s’est introduit dans les textes.

On peut en effet observer que ce chiffre est très proche de la réalité, qu’il s’agisse de la durée de l’empire babylonien (de 612 à 538 = 74 ans), de la durée de son emprise sur la Syrie-Palestine (de 605 à 538 = 67 ans) ou de la durée de l’Exil de 597-530 = 67 ans).

On peut tout aussi bien relever qu’il s’agit sans doute d’un nombre d’années approchant, mais jamais exact, quel que soit le mode de calcul et considérer que le nombre 70 a surtout une valeur symbolique soulignant à la fois que l’Exil aura un terme, mais que ni Jérémie, ni les destinataires de sa lettre ne verront ce terme.

Plus clairement tardive est la mention du rassemblement du peuple dispersé parmi les nations : ce trait est improbable, avant qu’il y ait eu réellement dispersion, c’est à direavant587.

De toute manière, l’ensemble de ces versets ne modifie pas fondamentalement la prédication du prophète aux versets 4-7.

À Shemayahou le Néhlamite… Le texte enchaine les versets 23 et 24, comme si nous avions là la suite de la lettre de Jérémie aux exilés Cependant, il s’agit nécessairement d’un oracle et, éventuellement, d’un courrier ultérieur. L’enchainement des événements ne peut en effet se comprendre qu’ainsi :
1° lettre de Jérémie aux exilés
2° lettre de Shemayahou à Céfania, citant expressément Jer 29/4-7
3° Céfania informe Jérémie
4° Jérémie réplique.

On ignore tout de Shemayahou. Ce qui est dit de lui ici le montre comme un de ces déportés qui rejettent la prédication de Jérémie au nom de la grandeur du Dieu d’Israël. Il n’était certainement pas isolé.
 

Au prêtre Céfania :

Céfania est mentionné en Jér21/1 comme membre d’une délégation envoyée par Sédécias pour consulter Jérémie. Ce qui indique qu’il avait la confiance du roi et qu’il ne partageait pas l’hostilité de son prédécesseur Pashehour envers le prophète (Jérémie 20/1-6). Ce qui est confirmé dans notre passage : non seulement il ne sévit pas contre. Jérémie, mais il va jusqu’à l’informer des démarches de ses adversaires.

Cela est particulièrement étonnant pour un prêtre, dont le milieu était généralement en conflit avec le prophète (Jér 8/10-12 ; 26/11…). Mais cela est aussi un signe du désarroi de ce temps…

C’est le Seigneur qui t’a installé

La lettre de Shemayahou souligne bien ce qu’a d’anormal aux yeux des exilés l’attitude de Céfania. Sa fonction est de maintenir l’ordre dans le Temple. Cette fonction, il la tient de Dieu, en tant que prêtre né dans une lignée de prêtres. C’est dans le même sens qu’est évoqué le prêtre Yehoyada, prêtre très actif sous le règne du roi Joas (835-796 av JC ; voir 2 Rois 11-12), qui aurait institué cette fonction de surveillance. Il s’agit de dire à Céfania : tu ne fais pas ton travail, celui que Dieu t’a confié ! Critique d’autant plus sensible qu’elle vient des exilés, c’est-à-dire de personnages qui détenaient les responsabilités religieuses et politiques occupées par leurs « remplaçants à titre provisoire ».
De tout homme qui divague… Cette remarque vise directement Jérémie. Il est assimilé aux extatiques et aux personnes à l’esprit dérangé, pour lesquelles on avait à la fois crainte et mépris (voir 1Samuel 9/11 ; Il Rois 9/11…). Il est donc totalement disqualifié pour dire une parole de Dieu et la seule chose à faire est de le mettre au pilori comme l’avait fait Pashehour (Jérémie 20/1-6).

***

Jérémie 29 nous donne donc une image assez précise des tensions qui agitaient les Judéens après 597. Le refus des illusions d’un rapide retournement de situation permet à Jérémie de poser une parole d’espérance vraie. Espérance difficile, qui ne peut être saisie qu’au prix d’un renoncement aux idéologies religieuses et nationalistes entretenues par ses adversaires, de l’acceptation de la défaite comme chemin de la survie du peuple.

Les faits ont montré que la majorité des autorités de Jérusalem a choisi l’illusion qui semblait sans doute plus pieuse et plus courageuse et n’ont pas entendu le prophète.

Mais la fin de Jérusalem en 587 lui a donné raison, et sa prédication, reconnue de fait comme parole de Dieu, a sans doute joué un rôle décisif dans la compréhension des événements et dans la survie d’Israël comme peuple de Dieu.

On peut par contre s’interroger sur la portée à long terme de la prédication de Jérémie. Après la destruction du second Temple, en 70 après Jésus-Christ, les Juifs ont été dispersés dans l’empire romain, puis dans toute l’Europe. Et les historiens soulignent leur étonnante capacité à survivre comme peuple sans pays. Mais ils relèvent aussi toutes les brimades, toutes les humiliations, toutes les violences souvent atroces, toutes les haines qui les ont poursuivis jusqu’à la tentative de « solution finale » du XXe siècle. Et surtout l’espèce de soumission et d’acceptation qu’ils ont presque toujours manifestées : et si c’était parce qu’ils ont trop bien ou trop longtemps écouté Jérémie ?

Cette fiche biblique est en lien avec l’article : Là-bas au bord des fleuves de Babylone 

 

 

 

 




Espérer en Exil – Ezechiel 34

 Ézéchiel était prêtre à Jérusalem (Ez. 1,1). Il a été déporté dès 597, avec Yoyakin. Son ministère prophétique s’est écoulé de l’été 593 au printemps 571. Ezéchiel est ainsi un témoin de l’Exil dans sa première période, sous le règne de Nabuchodonosor et la domination triomphale des Babyloniens. Jusqu’en 587, sa prédication sera pour les déportés comme l’écho en Mésopotamie de la prédication de Jérémie à Jérusalem. Prêtre, il est particulièrement informé des pratiques du Temple, directement concerné par ce qui advient de l’édifice sacré.

Ezéchiel 34, est à la fois un chapitre facilement compréhensible, et qui, bien que non daté, donne un peu le ton de la prophétie d’Ezéchiel, entre le jugement sur le passé -et le présent- et l’annonce d’un avenir où s’inscrit le règne de Dieu sur son peuple.

Il y eut une parole du Seigneur pour moi : on retrouve50 foiscette formule chez Ezéchiel et 113 fois dans tout l’Ancien Testament. Elle sert pour les prophètes anciens (1 Samuel 15,10 ; Il Samuel 7,4 ; 1 Rois 12,22 ; 13,20 ; 16,1 ; 17,2.8 ; 18,1 ; 21,17.28), est presque absente dans les livres des prophètes pré-exiliques, réapparaît chez Jérémie et est utilisée systématiquement par Ezéchiel.
Ce choix d’une formule ancienne n’est pas un hasard. Il permet de retrouver une force d’expression pour dire le surgissement de la parole de Dieu.
La parole de Dieu apparaît ainsi comme une grandeur en soi, douée de sa propre efficacité. Elle est aussi très clairement une parole qui survient comme un événement dans une situation donnée. C’est pourquoi, même si ce n’est pas le cas ici, les « venues » de la parole sont souvent datées de manière précise chez Ezéchiel. La parole du Seigneur n’est pas «pour tous les temps», elle s’inscrit, s’actualise, s’incarne dans une réalité précise.

Fils d’homme : c’est aussi une expression typique d’Ezéchiel, qui l’emploie 93 fois, contrairement à d’autres prophètes qui sont appelés par leur nom (Amos 7,8 ; 8,2 ; Jérémie 1,1 ; 24,3). L’accent est mis sur la distance entre Dieu et l’homme. Ezéchiel n’est pas l’homme de Dieu, comme certains de ces prédécesseurs. Il est pleinement homme.
Il fait partie de la masse du peuple dont il n’est isolé que par cette parole de Dieu, qui s’adresse à lui du haut de sa majesté divine.

Les bergers d’Israël : la désignation des rois et des chefs comme les bergers des peuples est traditionnelle dans tout le Moyen-Orient Ancien et fait partie du langage de cour.
L’Ancien Testament est en plein dans ce langage conventionnel. Mais comme les bergers sont aussi, de manière continue, la réalité de la Palestine, l’image garde toujours une force concrète. Moïse, David, Amos ont été bergers. Ceux qui sont ainsi mis en cause sont donc les rois d’Israël et de Juda, et, avec eux, tous les responsables et dirigeants, membres de la cour et prêtres influents.
Et tous les dirigeants de l’Histoire d’Israël sont mis en accusation, de manière intemporelle –David seul échappant à la critique-.
L’image du berger se prête d’autant plus à la critique des dirigeants qu’ils se l’appliquaient eux-mêmes, et que le berger n’est que très rarement le propriétaire du troupeau. Il n’est en général que celui qui le dirige et s’en occupe pour le propriétaire. Telle est la situation des bergers d’Israël : ils gardent le troupeau de Dieu.

Vous mangez la graisse : en fait, il ne peut s’agir de la graisse. Le sacrifice des animaux est en effet mentionné en troisième rang, et la graisse n’est jamais mangée (Lévitique3,17 ; 7,25 ;Deutéronome 32,38). Par contre, une très légère correction du texte hébreu permet de traduire ici «le lait». Il ne s’agit alors pas encore d’un reproche, puisque le berger pouvait tout naturellement se nourrir du lait et des fromages produits par le troupeau.

Vous vous revêtez de la toison : là, on est déjà à la limite de la légalité, car aucune tonte de mouton ne peut avoir lieu sans que le propriétaire soit présent.
Cependant les deux premières touches ne sont pas des reproches. D’une certaine manière il est naturel que le troupeau assure la vie du berger, comme il est naturel que le peuple assure au roi les moyens de gouverner et d’assurer sa fonction. Encore faut-il que le berger, en contrepartie, fasse correctement son métier de berger.

Sacrifiant les bêtes grasses : l’abattage des bêtes par le berger n’est pas autorisé. Là, le berger outrepasse ses droits.

Mais le troupeau, vous ne le paissez pas : l’accusation est maintenant formulée : les bergers usent et abusent du troupeau à leur profit, mais ils ne font pas le travail pour lequel ils sont là et qui est décrit par la suite dans l’énumération de ce que les bergers ne font pas.

Vous n’avez pas : cette description négative du travail des bergers met en évidence les difficultés et les dangers auxquels est affronté un troupeau.
En effet, la Palestine ne dispose pas de vastes prairies où le troupeau pourrait paitre derrière des clôtures qui le mettraient à l’abri. Le berger guide donc le troupeau à l’écart des terres habitées ou cultivées, le menant, selon les pluies, d’un lieu de pâturage à un autre.
Les animaux se fatiguent, se blessent, tombent malades, s’écartent du troupeau et se perdent, sont aussi la proie des bêtes sauvages. Le rôle du berger est précisément de remédier à tout cela, de rassembler et de protéger le troupeau, de veiller à ce que les bêtes les plus faibles puissent suivre et se nourrir, de soigner et de guérir (Exode22,9.13).

Violence et oppression : ces deux mots résument toute l’accusation contre les bergers, mais aussi des siècles de prédication prophétique contre les abus du pouvoir royal(1Sam.8,10-18 ; I Rois 21,1-24 ; Michée 3,1-4 ; Sophonie3,3 ; Ésaie3,1315 ; 10,1-3 ; Jérémie 12,10-12 ;22,13-17).

Sans doute ne faut-il pas se tromper : les rois d’Israël et de Juda n’étaient ni meilleurs, ni pires que les autres rois et roitelets du Moyen-Orient Ancien, et les peuples voisins avaient tout autant à se plaindre de leurs rois. Mais justement, aux yeux des prophètes, Israël n’est pas un peuple comme les autres, c’est le peuple de Dieu, dont tous les membres, y compris le roi, sont soumis à la volonté de Dieu et à la foi de l’Alliance.

Par ailleurs, et malgré l’idéalisation de la royauté de David, Israël s’est toujours souvenu du temps où il n’y avait pas de roi en Israël, où les tribus et les clans vivaient librement sur leur terre, les Anciens réglant les problèmes de la vie commune et les questions judiciaires. La royauté ne s’est imposée que difficilement, en raison des circonstances extérieures, de nécessités stratégiques. Saül, puis David, ne sont devenus rois que parce qu’il fallait quelqu’un pour mener la guerre contre les Philistins. Encore n’ont-ils vécu longtemps qu’à la manière des «Juges». Et ce n’est que vers la fin de son règne que David bascule dans une royauté à l’orientale que Salomon portera à son achèvement.
La royauté est donc bien comprise en Israël comme devant servir le peuple et non l’inverse.

Mais les rois et leur cour l’ont trop souvent oublié.

Sur les montagnes, les hauteurs : allusion aux cultes des hauts-lieux, où Israël s’égarait loin de son Dieu (voir 6,13 ; 20,28).

Sur toute la terre : mention de l’Exil qui vient ainsi comme l’aboutissement des errements et des égarements du peuple loin de son Dieu. La catastrophe était en germe dans la faute, et l’Exil n’est pas présenté comme une punition, mais comme le fruit amer des agissements des bergers.

Je viens chercher moi-même mon troupeau : les mauvais bergers sont accusés, jugés, chassés. Alors le propriétaire du troupeau vient et s’en occupe lui-même. Il va faire, lui, le travail que les bergers n’ont pas fait, il va s’occuper du troupeau avec attention, veillant à ce qu’il trouve ce dont il a besoin, et s’occupant tout particulièrement des plus faibles et des plus menacés. Le jugement d’exclusion que Dieu prononce sur les bergers est ainsi oracle de salut pour le troupeau.

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Je vais juger : l’intérêt que Dieu, propriétaire du troupeau Israël, porte aux petits et aux faibles se traduit par un jugement qui n’atteint pas seulement les rois et les hauts-responsables. Car si les bergers ont manqué à leur charge, certains membres du troupeau en ont pris à leur aise et fait jouer la loi du plus fort.
Ici encore, Ezéchiel ne fait que reprendre les incessantes polémiques de la Loi et des prophètes contre les abus des puissants et des riches (Amos 2,6-8 ;3,9 ;4,1 ; 8,4-6 ; Osée4,1-3 ; Esaïe 3,16-24 ; 5,8-13 ; Jér.7,9-11 ; Deutéronome 15,1-18 ; 23,16-17.20 ; 24,6.14-15.17-22 ; Lévitique 19,11 ). La fréquence de ces condamnations des injustices de toutes sortes témoigne de la réalité des abus, mais aussi de l’importance donnée par le Dieu d’Israël au respect des droits des plus faibles. Mépriser le droit de ceux qui ne peuvent se défendre, ne pas respecter les limites qui empêchent le pauvre d’être broyé, c’est briser l’Alliance et ne pas respecter les règles rituelles du culte.

Je viendrai au secours de mes bêtes : le salut que Dieu, le berger apporte à son peuple n’est pas seulement le retour de l’Exil et le rassemblement du troupeau sur la terre d’Israël. C’est aussi la restauration ou l’établissement de la justice sociale à l’intérieur du peuple. Le salut annoncé par Ezéchiel ne se conçoit pas sans retour à la justice. Mais le jugement de Dieu apparaît ici comme un acte de salut. Si la catastrophe est la conséquence des fautes, le jugement prononcé par Dieu sur les mauvais bergers et les brebis violentes est d’abord un geste de délivrance en faveur des plus faibles.

Je susciterai… un berger unique : il y a une contradiction entre l’annonce des versets 11-22, où Dieu annonce qu’il s’occupera lui-même du troupeau et la promesse de berger unique, mais humain. La contradiction n’est qu’apparente.
En Exode 3,7-10, Dieu annonce de la même manière qu’il est descendu pour délivrer son peuple, et envoie Moïse. Il en est de même ici. L’action personnelle de Dieu en faveur de son peuple se traduit par la désignation d’un berger unique. Unique, cela veut dire un seul chef pour tout le peuple, c’est le dépassement de la division du peuple élu.

Ce sera mon serviteur David : c’est sans doute le trait le plus surprenant de tout le chapitre. Le roi à venir sera le roi idéal du passé. Pourtant on ne peut pas penser ici à un David ressuscité.
À partir de la promesse de Dieu à David de II Samuel 7,11-16, et du constat de l’infidélité des rois de Juda, le peuple attend qu’un descendant de David rétablisse la royauté davidique dans son double aspect de fidélité envers Dieu et d’indépendance nationale (Ésaïe 9,5-6 ;Jérémie23,5 ; Zacharie3,8 ; 6,12).En annonçant, comme Osée3,5 ; Jérémie 23,4 la venue de David lui-même, Ézéchiel insiste bien sur le fait que le roi ne peut pas être un descendant de David parmi d’autres, qui viendrait régner à Jérusalem. Le chef à venir sera la copie conforme de David, il sera le serviteur de Dieu, celui qui peut, comme un berger, agir de manière autonome, dans la mesure-même où il le fait en toute fidélité envers Dieu et dans l’intérêt du peuple.

Moi Seigneur, je serai leur Dieu : on retrouve ici une formule d’Alliance. Le Seigneur, nom propre de Dieu (voir ce qui est dit à propos du Ps 137) sera le Dieu d’Israël, David le berger, et le peuple sera le peuple de Dieu.

Mon serviteur David sera prince au milieu d’eux : Ézéchiel évite le mot «roi». Le mot est usé, il est international, et il évoque la royauté passée. Il lui préfère un mot de l’ancien Israël (utilisé en Exode 22-27). Il souligne ainsi que le berger qu’il promet à son peuple n’a rien à voir avec la royauté déchue, ni avec les royautés des grandes puissances du moment.

Moi, le Seigneur, j’ai parlé : les formules de ce genre servent à garantir ce qui vient d’être dit par le prophète : il ne s’agit pas d’une parole d’homme, bien intentionnée, mais sans force. Et Dieu, qui l’a prononcée, s’engage à l’accomplir. Une Alliance de paix : à partir de ce verset, le texte quitte l’image du berger et du troupeau pour évoquer des images de la paix. En Lévitique26, 3-6, il y a les mêmes images de la paix. Elles sont la récompense de l’obéissance à la loi. Mais ici, la paix est promise, donnée par Dieu qui n’a pas abandonné son peuple. On remarque ici que, pour l’Ancien Testament, la paix(SHALOM) n’est pas seulement une absence de guerre, mais la plénitude de la vie débarrassée de toute peur. Cette paix est l’objet d’une Alliance : car seul le rétablissement des relations entre Dieu et son peuple peut apporter la paix. Quand le Seigneur entre dans l’Alliance, la vie du peuple tout entier est illuminée.

Je supprimerai du pays les bêtes féroces : en Ezéchiel 5,17 ; 14,15.21 ; 33-27 les animaux sauvages participent au jugement de Dieu. Lorsqu’ils sont écartés, c’est que la paix est rétablie entre Dieu et l’homme.

Une pluie de bénédiction : la bénédiction est comme l’achèvement de la paix. Comme souvent dans l’Ancien Testament, la pluie est la traduction concrète de la bénédiction, parce que la Palestine est un pays, où la vie est entièrement suspendue à la venue des pluies (voir Deutéronome 11,10-18). D’elle dépend le résultat de tout travail agricole et la venue des fruits.

Plus de razzia : on retrouve ici un écho des versets 5, 8, 10, 11, mais la situation du peuple est complètement renversée.

Une plantation renommée : ou plantation de salut. On ne sait pas très bien à quoi pense Ézéchiel : est-ce une allusion au thème du Jardin d’Eden ? Ou plutôt à l’image d’Israël, vigne plantée par Dieu comme au Ps 80 ? Ou encore une reprise de l’annonce de salut au travers de l’acte de planter comme en Jérémie 1,10 ou bien Ésaïe 61,3 ?

Je suis le Seigneur, leur Dieu qui suis avec eux : le chapitre se termine sur la formulation de l’alliance reprise de deux manières différentes qui expriment toutes deux le face-à-face confiant, la reconnaissance réciproque du peuple et de son Dieu, d’où jaillit la vie et la paix.

Il s’y ajoute la promesse de la présence de Dieu auprès de son peuple. Promesse d’autant plus importante pour les exilés, qu’ils ressentent l’Exil comme une absence de Dieu.
Toute polémique contre les mauvais bergers a cessé au profit de l’annonce de salut qui domine tout le chapitre.
Le ton fondamental de tout le chapitre est bien celui de l’espérance. À deux reprises, aux versets 2 à 15, puis17-24, le prophète nous conduit des reproches et du jugement à l’annonce du rétablissement de l’Alliance, de la reconstitution du peuple par une initiative personnelle et gratuite de Dieu qui reste attaché à son troupeau égaré et dispersé.
Mais s’il est tout entier tourné vers un avenir que la promesse de Dieu rend possible, le prophète n’ignore pas ce qui a conduit à la catastrophe. Il dénonce les rois, les responsables et les plus influents membres d’Israël, qui n’ont pas respecté et n’ont pas enseigné à respecter les clauses de l’alliance entre Dieu et son peuple. Ézéchiel rappelle que l’Exil et l’anéantissement de Jérusalem sont la conséquence directe de la rupture du contrat qui unissait Dieu et le peuple.

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Il y a donc chez Ézéchiel une dénonciation qui est aussi une confession des péchés d’Israël. Pour lui la catastrophe n’est plus inexplicable. Et c’est précisément parce que le peuple peut en reconnaître l’origine en lui-même que la fidélité de Dieu laisse la porte ouverte à l’espérance d’une restauration qui ne sera pas un simple retour en arrière : Dieu vient s’occuper lui-même de son peuple.
On remarquera que tout l’ensemble des livres de Josué à II Rois développe systématiquement la même réflexion : ce sont les fautes des dirigeants d’Israël qui ont abouti à l’anéantissement. Mais pour ces livres, la responsabilité des rois est appréciée presque uniquement du seul point de vue de leur attitude envers le Temple de Jérusalem et les cultes des hauts-lieux. Il est d’autant plus remarquable que le prêtre Ézéchiel, dont l’intérêt pour le Temple est indéniable, souligne pourtant ici avec force toutes les violations de l’idéal de justice et de respect des faibles et des malheureux qui est un des piliers de la foi d’Israël : croire en Dieu, c’est croire que sa justice qui donne à chacun non seulement le droit théorique de vivre, mais aussi les moyens d’exister dignement.
Enfin, il faut relever que cette annonce de salut pour le peuple de Dieu ne s’appuie sur aucun signe extérieur. Les oracles d’Ézéchiel sont proclamés, alors que Nabuchodonosor est au sommet de sa puissance, quand rien ne semble pouvoir résister aux armées de Babylone. À vues humaines, aucun espoir n’est possible. Pourtant comme Jérémie au cœur même de l’effondrement (Jérémie 32), Ézéchiel invite les exilés à regarder l’avenir avec espérance, une espérance qui ne se fonde sur rien, sauf sur la confiance inébranlable du prophète en son Dieu, ou plutôt sur sa certitude absolue que le Dieu d’Israël est fidèle au-delà de tous les errements du peuple et qu’il n’abandonnera pas son peuple.




La résurrection du fils de la veuve de Naïn

Cette femme a tout perdu : son mari d’abord, et maintenant son fils unique. Jésus est touché par sa détresse et s’approche d’elle dans sa souffrance. Voici quelques explications pour mieux comprendre cette histoire qui nous est racontée en Luc 7/11-17

Notes bibliques sur Luc 7/11-17 :
Jésus fait route avec ses disciples et une grande foule le suit : on comprend que Jésus est un prédicateur itinérant. Ils arrivent à Naïn : c’est un village de Galilée à 10k m au sud-est de Nazareth. Jésus est donc en terrain connu, la proximité avec Nazareth explique peut-être la foule qui le suit.

A la porte de la ville, Jésus croise un « convoi mortuaire » : on porte un mort sur une civière vers l’extérieur de la ville. Sur une « civière » : on n’utilise pas de cercueil, mais le mort était habillé (on s’imaginait le mort dans le « shéol » vêtu comme dans sa vie terrestre) et en général recouvert d’un linceul.

« A l’extérieur de la ville » : à cette époque, les cimetières étaient toujours à l’extérieur des villes, ça n’a pas toujours été le cas : des fouilles à Jéricho ont montré que des morts ont parfois été ensevelis dans les cours des maisons ou dans leur sous-sol. Mais à l’époque du Nouveau Testament, on séparait très clairement le domaine des vivants du domaine des morts, probablement par manque de place à l’intérieur des murs des villes et des villages et par souci d’hygiène.
La tombe était normalement une tombe familiale d’où l’expression « être réuni à ses pères » qu’on trouve parfois dans l’Ancien Testament, et utilisait souvent une cavité naturelle, parfois agrandie ou alors complètement creusée. Les tombes utilisées par les gens pauvres étaient très simples (on a retrouvé des mélanges d’ossements dans ce genre de tombes), tandis que celles des gens aisés comportaient des niches pour y placer les corps. On plaçait quelques aliments dans les tombes, mais en Israël, on ne peut pas parler de culte des morts comme chez les peuples voisins, donc les récipients étaient très simples.

La « veuve » : elle n’a plus de mari. Mais ici, elle est veuve dans le plein sens du terme, tel qu’il était employé à l’époque : elle n’a plus de mari, plus de fils, ni gendre (« fils unique » donc elle n’a pas de fille) qui pourrait l’entretenir. Et comme son fils est déjà un jeune homme (c’est ainsi que Jésus s’adresse à lui) elle est probablement trop âgée (d’après les critères de l’époque) pour qu’un parent de son mari l’épouse : comme on le voit dans le livre de Ruth par exemple, il était d’usage que le plus proche parent épouse la veuve afin de donner une descendance au mari défunt. Le premier enfant du nouveau couple était considéré comme le fils du défunt et de son épouse. Cette coutume s’appelle le lévirat.
La veuve est dans une situation très précaire qui résulte de son isolement dans une société fondée sur les solidarités familiales : par le mariage, elle s’est séparée de sa famille d’origine et une fois veuve et sans enfants elle n’a pas de lien avec la famille de son mari. Elle peut certes retourner dans la famille de son père, mais celle-ci n’a pas l’obligation de l’entretenir. On comprend l’insistance de l’Ancien Testament à rappeler la nécessité de protéger les veuves : Ex 22/21 ; Dt 10/18 ; 14/29 ; 16/11 et 14 ; 24/17,19-21 ; 26/12 ; 27/19 ; Es 1/17, 23 ; 10/2 ; Jr 7/6, 22/3 ; Ez 22/7 ; Za 7/10 ; Mi 3/5.
Donc : outre sa peine d’avoir perdu son fils unique, elle est dans une situation particulièrement difficile, on comprend que Jésus soit ému par sa situation. D’ailleurs, les paroles de consolation précèdent la résurrection : alors même que socialement elle n’existe plus (puisqu’elle n’a ni mari, ni fils), Jésus s’adresse à elle dans sa peine, il la reconnaît en tant que personne. Pour nous c’est une piste pour offrir la consolation aux endeuillés : seul Dieu peut ressusciter les morts, mais nous pouvons offrir aux endeuillés présence et écoute pour supporter l’absence.

« Jeune homme, je te l’ordonne, réveille-toi ! » : Jésus parle avec autorité et sa parole fait ce qu’elle dit (parole performative) : la royauté messianique de Jésus que Luc a signalé par le titre de « Seigneur » par lequel il le désigne, prend tout son sens. « Réveille-toi » : le verbe utilisé ici est classiquement utilisé pour exprimer la résurrection des morts. C’est ce même verbe que Luc utilise pour parler de la résurrection des morts à la fin des temps et pour désigner la résurrection de Jésus lui-même.
Dans le récit il y a de nombreux points communs avec la résurrection du fils de la veuve par Elie (1Rois 17/1ss)

Jésus est ému par la peine et la détresse de cette femme. Dieu montre en Jésus-Christ qu’il n’est pas indifférent à ce qui nous blesse et nous fait souffrir. La résurrection qu’opère Jésus est à la fois la preuve de la compassion de Dieu, la révélation de son autorité messianique (même sur la mort) et l’annonce du Royaume d’où toute souffrance et toute larme disparaîtront.

Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL) Point KT