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Le festin d’Ésaïe

mel noel14 115 3« Le Seigneur de l’univers va donner un festin de viandes grasses et de vins vieux… »

Le prophète Ésaïe nous parle, au chapitre 25, versets 6 à 9, d’un festin somptueux organisé par YHWH. Un tel festin peut surprendre, alors que le chapitre précédent évoque un tableau apocalyptique de jugement et de fin du monde…

Voici un texte biblique qui rappellera à chacun le faste des repas de Noël en famille, et qui donne chair à la notion trop spiritualisée du salut…

Ésaïe 25, 6 à 9
Un festin pour tous les peuples…

Voilà une belle et alléchante proposition divine… Les meilleurs vins sont sortis de la cave divine, les meilleurs morceaux de viande sont partagés pour tous, c’est bien une image festive qui parcours cette péricope ! Mais elle ne saurait faire oublier le chapitre précédent qui parle du jugement de Dieu, d’une cité désolée, où il n’y a plus de vin (Es 24, 7-9) et où la joie a cessé. Comment donc peut-on concilier la désolation du jugement de Dieu et la joie du festin proposé par Dieu ?

L’image de Dieu qui nous est donnée ici est celle d’un Dieu qui règne et qui est acteur ; acteur de l’Histoire des peuples, acteur de notre histoire. Certes, la trahison, la souffrance, le mensonge, la tristesse, et même la mort ont toujours et encore le dernier mot. Mais « ce jour-là », dit le texte, ce jour-là sera différent, et Dieu prendra le dessus sur ce qui déshumanise l’humain.

Ne pensons pas trop vite que la description qui est faite au chapitre 24 est ce qui caractérise Dieu : violence, humiliation et destruction. Au contraire, dans le prolongement du texte, l’image finale qui nous est donnée de Dieu est celle d’un Dieu qui règne dans la convivialité d’un festin, et qui recherche la joie pour tous. Trop souvent, nous associons le « salut » à une notion très, peut-être trop, spiritualisée. Mais grâce à Ésaïe, et dans la mouvance de l’Ancien Testament toujours très concret dans sa compréhension du monde, le salut se concrétise pour nous sous la forme d’un festin.

Et pas n’importe lequel : un festin avec les meilleurs plats et les meilleurs vins, un festin où nous sommes tous invités, un festin où la mort et l’humiliation ont été bannis au préalable… Quelle audace !

Alors certes, la mort, les larmes et la honte font encore partie de notre quotidien, et il ne suffit pas de parler d’espérance pour les éliminer… Mais l’espérance du banquet de Dieu nous ouvre chacun à la vie et à la joie, elle est le lieu où nous croyons que la vie aura le dernier mot. Cette espérance ne change pas les événements de notre vie, mais la manière de les vivre…

Dans quelques jours, vous allez préparer en famille le « festin de Noël ». Un événement qui réunit la famille, avec la joie des retrouvailles et la tristesse des absences et des vides. Un rassemblement qui réjouit et qui peut raviver des tensions en même temps… C’est le festin du moment présent. Dieu, lui, nous prépare un festin qui, « ce jour-là », sera le festin de l’attente comblée et de l’espérance accomplie. C’est aussi ce que nous fêtons à Noël…

Bibliographie : Lire et Dire n° 36, 1998, p. 13 à 23




Espérer en Exil – Jérémie 29

« Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion… » Nous imaginons bien la tristesse des exilés : transplantés dans un pays ennemi, ils ont perdu patrie, familles et biens, et plus encore leur honneur et la confiance en leur destin. Leur désarroi est total. Où donc est Dieu maintenant ?

L’invitation de Jérémie à s’installer dans le pays les surprend, les prend à contre-courant de leur certitude de retour au pays bientôt. « Construisez… plantez… prenez femme… » Le message est politiquement incorrect. Va-t-on collaborer avec l’ennemi exploiteur ? Pire : « Soyez soucieux de la prospérité de la ville où je vous ai déportés et intercédez pour elle » ! Où Dieu veut-il en venir ? Certains pensent : Jérémie est à côté de la plaque, bientôt nous reviendrons, Dieu ne peut pas nous abandonner à un tel sort…

  • Les circonstances générales

Ce chapitre nous fait entrer dans la première période de l’Exil, entre 597 et 587, et dans les tensions qui agitaient alors les Judéens, tant à Jérusalem qu’en déportation. Il nous montre le prophète aux prises avec un débat qui mêle étroitement la politique et la foi, et dans lequel il s’agit de faire le tri entre la confiance en Dieu et le fanatisme aveugle, entre les illusions et l’espérance vraie.

Comme les chapitres 27-28 de Jérémie, la question concrète qui divise les Judéens est celle de savoir si l’Exil est une épreuve momentanée ou de longue durée, si la domination babylonienne est un accident de l’Histoire ou un fait durable auquel il convient de se soumettre.

La rédaction actuelle de ces chapitres prend, de manière assez naturelle, la défense du prophète Jérémie, parce que les événements lui ont donné raison. Mais pour percevoir le déchirement que sa prédication introduisait tant à Jérusalem qu’en Mésopotamie, il convient de prendre la mesure du caractère profondément religieux de la démarche de ses opposants.

Celle-ci repose en effet sur la conviction que YHWH a choisi Juda et Jérusalem, que le Temple est le signe de sa présence et que rien ne pourra atteindre le peuple qui vit à l’abri de son Dieu. Cette conviction est nourrie par les psaumes de Sion, par la tradition davidique et la promesse de 2 Samuel 7/16 : « ta maison et ton règne seront pour toujours assurés devant toi, ton trône pour toujours affermi. »

Mais aussi par le souvenir d’un événement relativement récent : à la fin du VIIIe Siècle avant JC, l’empire assyrien avait anéanti le royaume du Nord, qui s’était séparé de la dynastie davidique. Par contre, l’armée assyrienne aurait échoué devant Jérusalem grâce à l’intervention de YHWH en faveur de sa ville : Ésaïe 36-37 = 2 Rois18-19 (cf. Ésaïe 34/4-5). Même s’il est probable que le roi Ezéchias a échappé à la destruction de sa capitale en se soumettant à Sennachérib et en versant un tribut important (Il Rois 18/13-10), la présentation de l’épisode en Ésaïe 36-37 est une incitation à faire au Dieu d’Israël une confiance aveugle, envers et contre tout.

La position de Jérémie est radicalement opposée. Depuis la mort tragique de Josias en 609, le prophète dénonce la confiance illusoire placée dans le Temple dont il annonce la destruction (voir Jér 7 et 26). La protection salutaire de Dieu ne saurait être acquise sans une fidélité véritable du peuple. Et celle-ci se traduit dans un vécu au quotidien, non dans les célébrations cultuelles.

Ce qui amène Jérémie à lire dans la défaite judéenne l’accomplissement du jugement de Dieu contre son peuple. Mais si Babylone est l’instrument du jugement de Dieu, résister à Babylone, c’est persévérer dans la révolte contre Dieu.

Cette conviction, Jérémie semble l’avoir exprimée de manière très forte à l’occasion d’une ébauche de coalition anti-babylonienne qui, en 594, aurait pris la forme d’une rencontre, à Jérusalem, d’ambassadeurs venus de petits états également soumis à Babylone (Jérémie 27/13). L’échange de correspondance relaté au chapitre 29 peut être situé à la même période.

La traduction concrète, dans une attitude politique sans équivoque, de sa conviction prophétique va faire de Jérémie un « agent de l’ennemi ». C’est en tout cas ce que lui reprocheront ses adversaires dans les derniers mois de Jérusalem (Jérémie 37/1116 ; 38/4). Mais aussi ce qu’il est possible de déduire des propos du prophète (Jérémie 21/8-9 ; 27/4-8,12,17 ; 34/2-5 ; 37/5-10 ; 38/17-23) comme du traitement de faveur dont Jérémie est l’objet de la part des vainqueurs de 587 (39/11-14 ; 40/1-6).

Pour apprécier la position du prophète, il faut encore tenir compte du fait que, dans la situation troublée où nous le rencontrons, il disposait de quelques appuis dans « les allées du pouvoir » de Jérusalem.

On remarque notamment que la famille de Shafan, secrétaire du roi Josias (2 Rois 22/3,8-14), protège le prophète en diverses occasions (Jérémie 26//24 ; 29/3 ; 36/10-13). Ces scribes influents sont assurément du parti pro-babylonien, puisque l’un d’entre eux est désigné comme gouverneur de la province conquise après 587 (Jérémie 39/14 ; 40/5-41/2). On peut bien sûr s’interroger sur les motifs de leur bienveillance envers Jérémie : sympathie personnelle ? Accord de nature religieuse à propos de la réforme cultuelle de Josias ?ou manipulation politique ?

Le caractère fragmentaire des informations qui nous sont conservées ne permettent en aucun cas de conclure. Et l’attitude personnelle de Sédécias, qui consulte Jérémie et lui assure une protection minimum, sans jamais suivre ses avis montre bien qu’il était possible d’avoir pour Jérémie un certain respect sans pour autant adhérer à sa prédication…

  • Le texte du chapitre 29

Jérémie 29 ne nous donne pas le texte intégral et authentique d’une lettre du prophète aux exilés. Les indications fournies aux versets1-3, ainsi que la fin du chapitre, versets 24-32, montrent qu’il s’agit plutôt d’un compte-rendu à propos d’un échange de correspondance assez complexe : Jérémie adresse une lettre aux déportés. Certains d’entre eux réagissent en écrivant à un responsable du Temple (versets 25-28), lequel montre cette lettre au prophète (v. 29) qui réagit oralement, sans qu’il soit précisé que cet oracle soit effectivement envoyé à son destinataire.

L’auteur de ce « compte-rendu » se situe clairement après les événements, puisqu’il est obligé d’en préciser les circonstances à l’intention de ses lecteurs (v. 2). Il n’est pas intéressé seulement par le contenu du message prophétique, mais aussi par les réactions qu’il provoque chez des prophètes adversaires de Jérémie. De ce point de vue, le chapitre 29 forme un ensemble avec les chapitres 26-28, où l’on retrouve les mêmes éléments constitutifs :
– message prophétique
– opposition des adversaires
– confirmation du message prophétique et condamnation des adversaires.

Il est probable que, dans ce processus de rédaction, l’auteur du compte-rendu ait mêlé des éléments divers de la correspondance de Jérémie (les versets 15/21-23, par exemple, pourraient ne pas faire partie de la même lettre que les versets 47) et ajouté ici ou là quelques traits personnels, surtout aux versets 10-14.

Il est par contre certain que les versets 16-20 ne font pas partie de la correspondance originale. En effet, la traduction grecque ancienne (La Septante) du livre de Jérémie ne comporte pas ces versets, qui ne se trouvaient sans doute pas dans le manuscrit hébreu utilisés par les traducteurs. Un travail minutieux permettrait d’ailleurs de mettre en évidence que ces versets sont composés de fragments empruntés à d’autres passages du livre de Jérémie.

L’intention de cet ajout est assez claire : à la lettre qui, malgré tout, annonce un avenir aux déportés, il oppose des éléments de la prédication du prophète qui affirment le jugement et l’anéantissement des Judéens restés à Jérusalem. Il s’agit donc de se réclamer de la prédication de Jérémie pour asseoir la prétention des exilés : eux seuls représentent le véritable Israël, le peuple fidèle à Dieu. Tous ceux qui, après 587, ont survécu en Judée, et tous leurs descendants ne peuvent se réclamer d’une appartenance au peuple saint…

Ce n’est certainement pas ce que Jérémie voulait dire, mais, autant cette dérive nous choque, autant il importe d’en prendre conscience, parce qu’elle traduit un risque inévitable : dès lors que la parole de Dieu n’est pas dite de toute éternité, mais s’incarne au fil de l’Histoire dans des situations réelles, la tentation est grande de s’emparer d’une parole dite ailleurs et autrefois pour en faire un usage dévoyé dans des circonstances différentes.

C’est ce qui est arrivé au message de foi et d’espoir d’Ésaïe, devenu prétexte contre l’appel à la conversion lancé par Jérémie. Puis au message de condamnation de Jérémie, devenu prétexte à exclusion.

Découvrir cela dans les textes bibliques eux-mêmes devrait nous inciter à une certaine prudence, quand nous faisons appel à la Bible pour justifier nos prises de position : démarche de foi ou sclérose de la Parole dans un texte figé derrière lequel nous nous réfugions ?
Pour notre parcours avec les enfants nous ne retiendrons que les versets 1-7 et, partiellement, 24-32.

  • Les détails du texte :

À tous les Anciens : ce sont sans doute les vrais destinataires de l’envoi du prophète, les autres destinataires mentionnés constituent en effet une liste « standard » souvent reproduite dans le livre de Jérémie (par ex. en 26/7).

Cette mention des Anciens montre que les exilés gardaient, dans leur résidence forcée, une part d’autonomie et leur administration propre.

 Il la confia à… Le prophète ne dispose pas de courriers qui porteraient ses missives là où il veut. Il aurait cependant pu confier sa lettre à un marchand ou à une caravane. En fait, il s’agit de personnages importants à la cours royale de Jérusalem : des descendants de Shafan et d’Hilqiya, respectivement prêtre et secrétaire royal du temps de Josias et qui ont participé à la réforme religieuse de ce roi (2 Rois 22). Jérémie est assuré de leur concours. Ils ne lui sont pas opposés.

Que Sédécias, roi de Juda, envoyait à Nabuchodonosor : on peut se demander quelle est la raison de cette mission. Il peut s’agir de la livraison du tribut annuel que l’état de Juda devait au roi de Babylone. Ou d’une ambassade régulière pour rendre compte et recevoir des ordres. Cependant, si cette ambassade peut être datée quelques temps après l’esquisse de coalition anti-babylonienne évoquée par Jérémie 27, il s’agit aussi d’apaiser une éventuelle irritation de Nabuchodonosor.
Dans ce cas, la lettre de Jérémie est à double effet : destinée aux exilés, mais apportée « officiellement », elle sert de témoignage de bonne volonté envers Babylone. Ce n’est pas nécessairement l’intention du prophète, mais une sorte d’échange de service avec les porteurs de la lettre.
 

Ainsi parle le Seigneur : cette formule n’est pas un début de lettre, mais un début d’oracle prophétique (voir Jérémie 23/16 ; 22/18 ; 19/1 ; etc.). C’est peut-être Jérémie qui écrit, mais, à travers lui, Dieu s’adresse directement aux exilés.
Cette manière de s’exprimer est commune à tous les prophètes. Elle laisse évidemment ouverte la question : mais comment le prophète connaît-il cette parole de Dieu ?
S’il est possible de donner à ce sujet quelques pistes de réflexion, il faut reconnaître aussi que tout repose, en fin de compte, sur la conviction personnelle du prophète d’exprimer la parole de Dieu qui s’impose à lui.

COMMENT DIEU PARLE :
« La parole de Dieu s’imposa à moi » : telle est sans doute la meilleure traduction d’une formule que nous trouvons plus de trente fois chez Jérémie (TOB : « s’adressa à moi ») : Jérémie 1/4,11 ; 2/2 ; etc.
Elle recouvre deux choses :
1 – Le processus par lequel le prophète découvre quelle est la parole de Dieu dans des circonstances données. Le support de ce processus peut-être :
– une vision (Jérémie 1/11-14.18) : le prophète a sous les yeux une image réelle ou une image de rêve (mais voir Jérémie 14/14) qui lui suggère une parole.
– la méditation de la loi, la liturgie du culte dans leur harmonie ou, plus souvent dans leur divergence absolue avec ce que le prophète constate dans la réalité vécue (par exemple : 7/4 ; 8/7-10 ; 5/1-2)
– les paroles des prophètes qui l’ont précédé, dans la mesure où elles s’adaptent à la circonstance présente. C’est ainsi qu’on retrouve chez Jérémie des expressions du prophète Osée qui a vécu les dernières années du royaume du Nord.
– les événements, enfin, qu’ils soient historiques, familiaux (Jérémie 32) ou une rencontre (Jérémie 35). Pour le prophète, il n’y a pas de hasard, Dieu est le maître de l’Histoire, et chaque fait parle.2 – Le mystère qui fait que la parole de Dieu s’impose comme telle au prophète : « elle devient au-dedans de moi comme un feu dévorant » (Jérémie 20/9).
Il n’y a donc ni moyen ni truc. Ce qui est déterminant, c’est la relation du prophète avec Dieu, relation grâce à laquelle tout peut devenir parole de Dieu pour le prophète.
C’est d’ailleurs ce qui met les auditeurs du prophète en difficile position de liberté : il leur arrive d’avoir à choisir entre des discours prophétiques différents, et, même en face d’un seul prophète, il leur appartient de reconnaître son discours comme parole de Dieu ou de le rejeter.


À tous les exilés que j’ai fait déporter
: Dieu prend ici l’entière responsabilité de la déportation. Pas question d’invoquer les hasards de la guerre ou la supériorité momentanée de l’ennemi.
C’est le Dieu des Judéens, celui en qui ils plaçaient leur confiance, qui a fait venir sur eux le malheur. Il s’agit là d’un des thèmes essentiels de la prédication de Jérémie. Insupportable à tous ceux qui comptaient sur Dieu pour apporter un rapide renversement de situation, cette affirmation deviendra, pour les rescapés de la catastrophe finale un des motifs d’espérance et de foi.

Construisez… habitez… plantez, mangez… Ces propos sont de vraies promesses. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Deutéronome 28/30-34, dans la série des malédictions annoncées au peuple qui ne respecte pas l’Alliance. Ici les termes sont inversés : celui qui entre dans la démarche de Dieu envers son peuple profitera pleinement de ses efforts.

« La fiancée que tu auras choisie, un autre couchera avec elle ; la maison que tu auras construite, tu n’y habiteras pas ; la vigne que tu auras plantée, tu n’en cueilleras même pas les premiers fruits. Ton bœuf sera abattu sous tes yeux et tu n’en mangeras pas ; on t’enlèvera ton âne et il ne reviendra pas chez toi ; tes brebis seront livrées à tes ennemis sans personne pour venir à ton secours ; tes fils et tes filles seront livrés à un autre peuple ; et tes yeux s’épuiseront à force de guetter tout le jour, mais tu n’y pourras rien. Le fruit de ton sol et tout le fruit de ta peine seront mangés par un peuple que tu ne connais pas, et tu ne seras jamais qu’un homme exploité et broyé… » (Deutéronome 28/30-34)

Par ailleurs, les notions de construire et planter sont un des thèmes du livre de Jérémie, avec leur contraire, « arracher et démolir ».
Si, pour les exilés, le temps de construire et de planter est venu, c’est que, pour eux au moins, le jugement (arracher et démolir) est passé, et qu’ils peuvent se tourner résolument vers l’avenir.

Prenez femme, ayez des fils et des filles… Cet avenir n’est pas simplement celui des individus. C’est aussi celui du peuple de l’Alliance. Le mariage, les enfants, c’est la poursuite de l’existence du peuple, parce que c’est la vie familiale que de transmettre la culture, la tradition et la foi.

Soyez prolifiques… l’invitation évoque le récit de la Création (Genèse 1/28) et la promesse faite à Abraham (Genèse 16/10). Par-delà le jugement et l’Exil, la promesse de Dieu demeure, en tout cas pour ceux qui savent s’en saisir.

Soyez soucieux de la prospérité de la ville… Tout en restant une promesse pleine et entière, le discours s’incurve et fait soudain percevoir l’effet de « douche froide » de la prédication de Jérémie adressée à des gens dont l’attente, l’espoir, et la prière (psaume 137 !) sont tout entiers tendus vers l’anéantissement de la ville de l’Exil.

Avec ses promesses de renouveau et d’avenir pour le peuple en Exil, Jérémie balaie toutes les illusions de restauration immédiates. La promesse inclue le jugement. Il est impossible de faire l’impasse sur la colère de Dieu, et sur les raisons qui l’ont provoquée. Et ce n’est qu’en acceptant la démarche de Dieu que les exilés pourront vivre de la promesse.

On peut observer l’habileté (littéraire) du prophète, qui n’accable pas les exilés de jugement ou de reproches. On est loin en effet des diatribes qu’il adresse aux Jérusalémites (Jérémie 15/1-3 par exemple). Ici, c’est la promesse même qui contient le rejet des illusions, c’est la promesse qui, pour être reçue, exige un véritable retournement des pensées et des altitudes…
Mais sans doute n’est-ce pas que de l’habileté dans le mode d’expression. Il appartient au message même du prophète d’être, non pas ambigu, mais à double face. Il revient aux destinataires de lui donner son vrai caractère en le recevant comme promesse ou comme condamnation.

Intercédez pour elle… II faut être Jérémie, membre du peuple judéen vaincu, pour demander cela à d’autres membres du même peuple vaincu. De la part des Babyloniens ou même d’un spectateur non impliqué, cela ne serait qu’odieux.

Mais, même venant d’un des leurs, cet appel à la prière pour les vainqueurs avait des échos insupportables. Pour eux, il n’était pas même certain qu’ils puissent prier valablement en terre d’Exil, impure et livrée aux divinités étrangères. De sorte que l’invitation à prier est encore un élément de promesse : même loin de Jérusalem, même sans le Temple, le peuple peut continuer à prier. La relation à la terre, à l’état, est rompue, mais cela ne brise pas la relation avec Dieu.

Mais prier pour Babylone, c’est accepter d’être des vaincus. C’est accepter de ne survivre qu’au travers de la bonne volonté pas toujours évidente du vainqueur. C’est dépasser toutes les violences subies, toutes les rancœurs, toutes les souffrances…
On peut se demander combien de temps il aura fallu pour que certains exilés parviennent à franchir le pas que leur propose Jérémie.
Encore qu’il ne demande pas aux exilés « d’aimer leurs ennemis » (Matthieu 5/44). Mais simplement d’accepter le fait que, pour un temps au moins, leur sort est lié à celui de Babylone, et qu’il y va de leur intérêt.

Quand 70 ans… Il sera sans doute toujours impossible de dire si Jérémie a vraiment lancé ce chiffre ou s’il s’est imposé par la suite et s’est introduit dans les textes.

On peut en effet observer que ce chiffre est très proche de la réalité, qu’il s’agisse de la durée de l’empire babylonien (de 612 à 538 = 74 ans), de la durée de son emprise sur la Syrie-Palestine (de 605 à 538 = 67 ans) ou de la durée de l’Exil de 597-530 = 67 ans).

On peut tout aussi bien relever qu’il s’agit sans doute d’un nombre d’années approchant, mais jamais exact, quel que soit le mode de calcul et considérer que le nombre 70 a surtout une valeur symbolique soulignant à la fois que l’Exil aura un terme, mais que ni Jérémie, ni les destinataires de sa lettre ne verront ce terme.

Plus clairement, tardive est la mention du rassemblement du peuple dispersé parmi les nations : ce trait est improbable, avant qu’il y ait eu réellement dispersion, c’est à dire avant 587.
De toute manière, l’ensemble de ces versets ne modifie pas fondamentalement la prédication du prophète aux versets 4-7.

À Shemayahou le Néhlamite… Le texte enchaine les versets 23 et 24, comme si nous avions là la suite de la lettre de Jérémie aux exilés Cependant, il s’agit nécessairement d’un oracle et, éventuellement, d’un courrier ultérieur. L’enchainement des événements ne peut en effet se comprendre qu’ainsi :
1° lettre de Jérémie aux exilés
2° lettre de Shemayahou à Céfania, citant expressément Jer 29/4-7
3° Céfania informe Jérémie
4° Jérémie réplique.

On ignore tout de Shemayahou. Ce qui est dit de lui ici le montre comme un de ces déportés qui rejettent la prédication de Jérémie au nom de la grandeur du Dieu d’Israël. Il n’était certainement pas isolé.

Au prêtre Céfania : Céfania est mentionné en Jérémie 21/1 comme membre d’une délégation envoyée par Sédécias pour consulter Jérémie. Ce qui indique qu’il avait la confiance du roi et qu’il ne partageait pas l’hostilité de son prédécesseur Pashehour envers le prophète (Jérémie 20/1-6). Ce qui est confirmé dans notre passage : non seulement il ne sévit pas contre. Jérémie, mais il va jusqu’à l’informer des démarches de ses adversaires.
Cela est particulièrement étonnant pour un prêtre, dont le milieu était généralement en conflit avec le prophète (Jér 8/10-12 ; 26/11…). Mais cela est aussi un signe du désarroi de ce temps…

C’est le Seigneur qui t’a installé
La lettre de Shemayahou souligne bien ce qu’a d’anormal aux yeux des exilés l’attitude de Céfania. Sa fonction est de maintenir l’ordre dans le Temple. Cette fonction, il la tient de Dieu, en tant que prêtre né dans une lignée de prêtres. C’est dans le même sens qu’est évoqué le prêtre Yehoyada, prêtre très actif sous le règne du roi Joas (835-796 av JC ; voir 2 Rois 11-12), qui aurait institué cette fonction de surveillance. Il s’agit de dire à Céfania : tu ne fais pas ton travail, celui que Dieu t’a confié ! Critique d’autant plus sensible qu’elle vient des exilés, c’est-à-dire de personnages qui détenaient les responsabilités religieuses et politiques occupées par leurs « remplaçants à titre provisoire ».
De tout homme qui divague… Cette remarque vise directement Jérémie. Il est assimilé aux extatiques et aux personnes à l’esprit dérangé, pour lesquelles on avait à la fois crainte et mépris (voir 1 Samuel 9/11 ; Il Rois 9/11…). Il est donc totalement disqualifié pour dire une parole de Dieu et la seule chose à faire est de le mettre au pilori comme l’avait fait Pashehour (Jérémie 20/1-6).

***

Jérémie 29 nous donne donc une image assez précise des tensions qui agitaient les Judéens après 597. Le refus des illusions d’un rapide retournement de situation permet à Jérémie de poser une parole d’espérance vraie. Espérance difficile, qui ne peut être saisie qu’au prix d’un renoncement aux idéologies religieuses et nationalistes entretenues par ses adversaires, de l’acceptation de la défaite comme chemin de la survie du peuple.

Les faits ont montré que la majorité des autorités de Jérusalem a choisi l’illusion qui semblait sans doute plus pieuse et plus courageuse et n’ont pas entendu le prophète.
Mais la fin de Jérusalem en 587 lui a donné raison, et sa prédication, reconnue de fait comme parole de Dieu, a sans doute joué un rôle décisif dans la compréhension des événements et dans la survie d’Israël comme peuple de Dieu.

On peut par contre s’interroger sur la portée à long terme de la prédication de Jérémie. Après la destruction du second Temple, en 70 après Jésus-Christ, les Juifs ont été dispersés dans l’empire romain, puis dans toute l’Europe. Et les historiens soulignent leur étonnante capacité à survivre comme peuple sans pays. Mais ils relèvent aussi toutes les brimades, toutes les humiliations, toutes les violences souvent atroces, toutes les haines qui les ont poursuivis jusqu’à la tentative de « solution finale » du XXe siècle. Et surtout l’espèce de soumission et d’acceptation qu’ils ont presque toujours manifestées : et si c’était parce qu’ils ont trop bien ou trop longtemps écouté Jérémie ?

Cette fiche biblique est en lien avec l’article : Là-bas au bord des fleuves de Babylone

Crédit : – Point KT




Espérer en Exil – Ezéchiel 34

 Ézéchiel était prêtre à Jérusalem (Ez. 1,1). Il a été déporté dès 597, avec Yoyakin. Son ministère prophétique s’est écoulé de l’été 593 au printemps 571. Ezéchiel est ainsi un témoin de l’Exil dans sa première période, sous le règne de Nabuchodonosor et la domination triomphale des Babyloniens. Jusqu’en 587, sa prédication sera pour les déportés comme l’écho en Mésopotamie de la prédication de Jérémie à Jérusalem. Prêtre, il est particulièrement informé des pratiques du Temple, directement concerné par ce qui advient de l’édifice sacré.

Ezéchiel 34, est à la fois un chapitre facilement compréhensible, et qui, bien que non daté, donne un peu le ton de la prophétie d’Ezéchiel, entre le jugement sur le passé – et le présent – et l’annonce d’un avenir où s’inscrit le règne de Dieu sur son peuple.

Il y eut une parole du Seigneur pour moi : on retrouve 50 fois cette formule chez Ezéchiel et 113 fois dans tout l’Ancien Testament. Elle sert pour les prophètes anciens (1 Samuel 15,10 ; Il Samuel 7,4 ; 1 Rois 12,22 ; 13,20 ; 16,1 ; 17,2.8 ; 18,1 ; 21,17.28), est presque absente dans les livres des prophètes préexiliques, réapparaît chez Jérémie et est utilisée systématiquement par Ezéchiel.
Ce choix d’une formule ancienne n’est pas un hasard. Il permet de retrouver une force d’expression pour dire le surgissement de la parole de Dieu.
La parole de Dieu apparaît ainsi comme une grandeur en soi, douée de sa propre efficacité. Elle est aussi très clairement une parole qui survient comme un événement dans une situation donnée. C’est pourquoi, même si ce n’est pas le cas ici, les « venues » de la parole sont souvent datées de manière précise chez Ezéchiel. La parole du Seigneur n’est pas « pour tous les temps », elle s’inscrit, s’actualise, s’incarne dans une réalité précise.

Fils d’homme : c’est aussi une expression typique d’Ezéchiel, qui l’emploie 93 fois, contrairement à d’autres prophètes qui sont appelés par leur nom (Amos 7,8 ; 8,2 ; Jérémie 1,1 ; 24,3). L’accent est mis sur la distance entre Dieu et l’homme. Ezéchiel n’est pas l’homme de Dieu, comme certains de ces prédécesseurs. Il est pleinement homme.
Il fait partie de la masse du peuple dont il n’est isolé que par cette parole de Dieu, qui s’adresse à lui du haut de sa majesté divine.

Les bergers d’Israël : la désignation des rois et des chefs comme les bergers des peuples est traditionnelle dans tout le Moyen-Orient Ancien et fait partie du langage de cour.
L’Ancien Testament est en plein dans ce langage conventionnel. Mais comme les bergers sont aussi, de manière continue, la réalité de la Palestine, l’image garde toujours une force concrète. Moïse, David, Amos ont été bergers. Ceux qui sont ainsi mis en cause sont donc les rois d’Israël et de Juda, et, avec eux, tous les responsables et dirigeants, membres de la cour et prêtres influents.
Et tous les dirigeants de l’Histoire d’Israël sont mis en accusation, de manière intemporelle – David seul échappant à la critique.
L’image du berger se prête d’autant plus à la critique des dirigeants qu’ils se l’appliquaient eux-mêmes, et que le berger n’est que très rarement le propriétaire du troupeau. Il n’est en général que celui qui le dirige et s’en occupe pour le propriétaire. Telle est la situation des bergers d’Israël : ils gardent le troupeau de Dieu.

Vous mangez la graisse : en fait, il ne peut s’agir de la graisse. Le sacrifice des animaux est en effet mentionné en troisième rang, et la graisse n’est jamais mangée (Lévitique 3,17 ; 7,25 ; Deutéronome 32,38). Par contre, une très légère correction du texte hébreu permet de traduire ici « le lait ». Il ne s’agit alors pas encore d’un reproche, puisque le berger pouvait tout naturellement se nourrir du lait et des fromages produits par le troupeau.

Vous vous revêtez de la toison : là, on est déjà à la limite de la légalité, car aucune tonte de mouton ne peut avoir lieu sans que le propriétaire soit présent.
Cependant les deux premières touches ne sont pas des reproches. D’une certaine manière il est naturel que le troupeau assure la vie du berger, comme il est naturel que le peuple assure au roi les moyens de gouverner et d’assurer sa fonction. Encore faut-il que le berger, en contrepartie, fasse correctement son métier de berger.

Sacrifiant les bêtes grasses : l’abattage des bêtes par le berger n’est pas autorisé. Là, le berger outrepasse ses droits.

Mais le troupeau, vous ne le paissez pas : l’accusation est maintenant formulée : les bergers usent et abusent du troupeau à leur profit, mais ils ne font pas le travail pour lequel ils sont là et qui est décrit par la suite dans l’énumération de ce que les bergers ne font pas.

Vous n’avez pas : cette description négative du travail des bergers met en évidence les difficultés et les dangers auxquels est affronté un troupeau.
En effet, la Palestine ne dispose pas de vastes prairies où le troupeau pourrait paitre derrière des clôtures qui le mettraient à l’abri. Le berger guide donc le troupeau à l’écart des terres habitées ou cultivées, le menant, selon les pluies, d’un lieu de pâturage à un autre.
Les animaux se fatiguent, se blessent, tombent malades, s’écartent du troupeau et se perdent, sont aussi la proie des bêtes sauvages. Le rôle du berger est précisément de remédier à tout cela, de rassembler et de protéger le troupeau, de veiller à ce que les bêtes les plus faibles puissent suivre et se nourrir, de soigner et de guérir (Exode 22,9.13).

Violence et oppression : ces deux mots résument toute l’accusation contre les bergers, mais aussi des siècles de prédication prophétique contre les abus du pouvoir royal (I Sam.8,10-18 ; I Rois 21,1-24 ; Michée 3,1-4 ; Sophonie 3,3 ; Ésaïe 3,13-15 ; 10,1-3 ; Jérémie 12,10-12 ; 22,13-17).

Sans doute ne faut-il pas se tromper : les rois d’Israël et de Juda n’étaient ni meilleurs ni pires que les autres rois et roitelets du Moyen-Orient Ancien, et les peuples voisins avaient tout autant à se plaindre de leurs rois. Mais justement, aux yeux des prophètes, Israël n’est pas un peuple comme les autres, c’est le peuple de Dieu dont tous les membres, y compris le roi, sont soumis à la volonté de Dieu et à la foi de l’Alliance.

Par ailleurs, et malgré l’idéalisation de la royauté de David, Israël s’est toujours souvenu du temps où il n’y avait pas de roi en Israël, où les tribus et les clans vivaient librement sur leur terre, les Anciens réglant les problèmes de la vie commune et les questions judiciaires. La royauté ne s’est imposée que difficilement, en raison des circonstances extérieures, de nécessités stratégiques. Saül, puis David, ne sont devenus rois que parce qu’il fallait quelqu’un pour mener la guerre contre les Philistins. Encore n’ont-ils vécu longtemps qu’à la manière des « Juges ». Et ce n’est que vers la fin de son règne que David bascule dans une royauté à l’orientale que Salomon portera à son achèvement.
La royauté est donc bien comprise en Israël comme devant servir le peuple et non l’inverse. Mais les rois et leur cour l’ont trop souvent oublié.

Sur les montagnes, les hauteurs : allusion aux cultes des hauts-lieux, où Israël s’égarait loin de son Dieu (voir 6,13 ; 20,28).

Sur toute la terre : mention de l’Exil qui vient ainsi comme l’aboutissement des errements et des égarements du peuple loin de son Dieu. La catastrophe était en germe dans la faute, et l’Exil n’est pas présenté comme une punition, mais comme le fruit amer des agissements des bergers.

Je viens chercher moi-même mon troupeau : les mauvais bergers sont accusés, jugés, chassés. Alors le propriétaire du troupeau vient et s’en occupe lui-même. Il va faire, lui, le travail que les bergers n’ont pas fait, il va s’occuper du troupeau avec attention, veillant à ce qu’il trouve ce dont il a besoin, et s’occupant tout particulièrement des plus faibles et des plus menacés. Le jugement d’exclusion que Dieu prononce sur les bergers est ainsi oracle de salut pour le troupeau.

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Je vais juger : l’intérêt que Dieu, propriétaire du troupeau Israël, porte aux petits et aux faibles se traduit par un jugement qui n’atteint pas seulement les rois et les hauts responsables. Car si les bergers ont manqué à leur charge, certains membres du troupeau en ont pris à leur aise et fait jouer la loi du plus fort.
Ici encore, Ezéchiel ne fait que reprendre les incessantes polémiques de la Loi et des prophètes contre les abus des puissants et des riches (Amos 2,6-8 ; 3,9 ; 4,1 ; 8,4-6 ; Osée 4,1-3 ; Esaïe 3,16-24 ; 5,8-13 ; Jér. 7,9-11 ; Deutéronome 15,1-18 ; 23,16-17.20 ; 24,6.14-15.17-22 ; Lévitique 19,11). La fréquence de ces condamnations des injustices de toutes sortes témoigne de la réalité des abus, mais aussi de l’importance donnée par le Dieu d’Israël au respect des droits des plus faibles. Mépriser le droit de ceux qui ne peuvent se défendre, ne pas respecter les limites qui empêchent le pauvre d’être broyé, c’est briser l’Alliance et ne pas respecter les règles rituelles du culte.

Je viendrai au secours de mes bêtes : le salut que Dieu, le berger apporte à son peuple n’est pas seulement le retour de l’Exil et le rassemblement du troupeau sur la terre d’Israël. C’est aussi la restauration ou l’établissement de la justice sociale à l’intérieur du peuple. Le salut annoncé par Ezéchiel ne se conçoit pas sans retour à la justice. Mais le jugement de Dieu apparaît ici comme un acte de salut. Si la catastrophe est la conséquence des fautes, le jugement prononcé par Dieu sur les mauvais bergers et les brebis violentes est d’abord un geste de délivrance en faveur des plus faibles.

Je susciterai… un berger unique : il y a une contradiction entre l’annonce des versets 11-22, où Dieu annonce qu’il s’occupera lui-même du troupeau et la promesse de berger unique, mais humain. La contradiction n’est qu’apparente.
En Exode 3,7-10, Dieu annonce de la même manière qu’il est descendu pour délivrer son peuple, et envoie Moïse. Il en est de même ici. L’action personnelle de Dieu en faveur de son peuple se traduit par la désignation d’un berger unique. Unique, cela veut dire un seul chef pour tout le peuple, c’est le dépassement de la division du peuple élu.

Ce sera mon serviteur David : c’est sans doute le trait le plus surprenant de tout le chapitre. Le roi à venir sera le roi idéal du passé. Pourtant on ne peut pas penser ici à un David ressuscité.
À partir de la promesse de Dieu à David de II Samuel 7,11-16, et du constat de l’infidélité des rois de Juda, le peuple attend qu’un descendant de David rétablisse la royauté davidique dans son double aspect de fidélité envers Dieu et d’indépendance nationale (Ésaïe 9,5-6 ; Jérémie23,5 ; Zacharie 3,8 ; 6,12). En annonçant, comme Osée 3,5 ; Jérémie 23,4 la venue de David lui-même, Ézéchiel insiste bien sur le fait que le roi ne peut pas être un descendant de David parmi d’autres, qui viendrait régner à Jérusalem. Le chef à venir sera la copie conforme de David, il sera le serviteur de Dieu, celui qui peut, comme un berger, agir de manière autonome, dans la mesure-même où il le fait en toute fidélité envers Dieu et dans l’intérêt du peuple.

Moi Seigneur, je serai leur Dieu : on retrouve ici une formule d’Alliance. Le Seigneur, nom propre de Dieu (voir ce qui est dit à propos du Ps 137) sera le Dieu d’Israël, David le berger, et le peuple sera le peuple de Dieu.

Mon serviteur David sera prince au milieu d’eux : Ézéchiel évite le mot « roi ». Le mot est usé, il est international, et il évoque la royauté passée. Il lui préfère un mot de l’ancien Israël (utilisé en Exode 22-27). Il souligne ainsi que le berger qu’il promet à son peuple n’a rien à voir avec la royauté déchue, ni avec les royautés des grandes puissances du moment.

Moi, le Seigneur, j’ai parlé : les formules de ce genre servent à garantir ce qui vient d’être dit par le prophète : il ne s’agit pas d’une parole d’homme, bien intentionnée, mais sans force. Et Dieu, qui l’a prononcée, s’engage à l’accomplir. Une Alliance de paix : à partir de ce verset, le texte quitte l’image du berger et du troupeau pour évoquer des images de la paix. En Lévitique 26, 3-6, il y a les mêmes images de la paix. Elles sont la récompense de l’obéissance à la loi. Mais ici, la paix est promise, donnée par Dieu qui n’a pas abandonné son peuple. On remarque ici que, pour l’Ancien Testament, la paix (SHALOM) n’est pas seulement une absence de guerre, mais la plénitude de la vie débarrassée de toute peur. Cette paix est l’objet d’une Alliance : car seul le rétablissement des relations entre Dieu et son peuple peut apporter la paix. Quand le Seigneur entre dans l’Alliance, la vie du peuple tout entier est illuminée.

Je supprimerai du pays les bêtes féroces : en Ezéchiel 5,17 ; 14,15.21 ; 33-27, les animaux sauvages participent au jugement de Dieu. Lorsqu’ils sont écartés, c’est que la paix est rétablie entre Dieu et l’homme.

Une pluie de bénédiction : la bénédiction est comme l’achèvement de la paix. Comme souvent dans l’Ancien Testament, la pluie est la traduction concrète de la bénédiction, parce que la Palestine est un pays, où la vie est entièrement suspendue à la venue des pluies (voir Deutéronome 11,10-18). D’elle dépend le résultat de tout travail agricole et la venue des fruits.

Plus de razzia : on retrouve ici un écho des versets 5, 8, 10, 11, mais la situation du peuple est complètement renversée.

Une plantation renommée : ou plantation de salut. On ne sait pas très bien à quoi pense Ézéchiel : est-ce une allusion au thème du Jardin d’Eden ? Ou plutôt à l’image d’Israël, vigne plantée par Dieu comme au Ps 80 ? Ou encore une reprise de l’annonce de salut au travers de l’acte de planter comme en Jérémie 1,10 ou bien Ésaïe 61,3 ?

Je suis le Seigneur, leur Dieu qui suis avec eux : le chapitre se termine sur la formulation de l’alliance reprise de deux manières différentes qui expriment toutes deux le face-à-face confiant, la reconnaissance réciproque du peuple et de son Dieu, d’où jaillit la vie et la paix.

Il s’y ajoute la promesse de la présence de Dieu auprès de son peuple. Promesse d’autant plus importante pour les exilés, qu’ils ressentent l’Exil comme une absence de Dieu.
Toute polémique contre les mauvais bergers a cessé au profit de l’annonce de salut qui domine tout le chapitre.
Le ton fondamental de tout le chapitre est bien celui de l’espérance. À deux reprises, aux versets 2 à 15, puis 17 à 24, le prophète nous conduit des reproches et du jugement à l’annonce du rétablissement de l’Alliance, de la reconstitution du peuple par une initiative personnelle et gratuite de Dieu qui reste attaché à son troupeau égaré et dispersé.
Mais s’il est tout entier tourné vers un avenir que la promesse de Dieu rend possible, le prophète n’ignore pas ce qui a conduit à la catastrophe. Il dénonce les rois, les responsables et les plus influents membres d’Israël, qui n’ont pas respecté et n’ont pas enseigné à respecter les clauses de l’alliance entre Dieu et son peuple. Ézéchiel rappelle que l’Exil et l’anéantissement de Jérusalem sont la conséquence directe de la rupture du contrat qui unissait Dieu et le peuple.

un berger et son troupeau 345

Il y a donc chez Ézéchiel une dénonciation qui est aussi une confession des péchés d’Israël. Pour lui la catastrophe n’est plus inexplicable. Et c’est précisément parce que le peuple peut en reconnaître l’origine en lui-même que la fidélité de Dieu laisse la porte ouverte à l’espérance d’une restauration qui ne sera pas un simple retour en arrière : Dieu vient s’occuper lui-même de son peuple.
On remarquera que tout l’ensemble des livres de Josué à II Rois développe systématiquement la même réflexion : ce sont les fautes des dirigeants d’Israël qui ont abouti à l’anéantissement. Mais pour ces livres, la responsabilité des rois est appréciée presque uniquement du seul point de vue de leur attitude envers le Temple de Jérusalem et les cultes des hauts-lieux. Il est d’autant plus remarquable que le prêtre Ézéchiel, dont l’intérêt pour le Temple est indéniable, souligne pourtant ici avec force toutes les violations de l’idéal de justice et de respect des faibles et des malheureux qui est un des piliers de la foi d’Israël : croire en Dieu, c’est croire que sa justice qui donne à chacun non seulement le droit théorique de vivre, mais aussi les moyens d’exister dignement.
Enfin, il faut relever que cette annonce de salut pour le peuple de Dieu ne s’appuie sur aucun signe extérieur. Les oracles d’Ézéchiel sont proclamés, alors que Nabuchodonosor est au sommet de sa puissance, quand rien ne semble pouvoir résister aux armées de Babylone. À vues humaines, aucun espoir n’est possible. Pourtant comme Jérémie au cœur même de l’effondrement (Jérémie 32), Ézéchiel invite les exilés à regarder l’avenir avec espérance, une espérance qui ne se fonde sur rien, sauf sur la confiance inébranlable du prophète en son Dieu, ou plutôt sur sa certitude absolue que le Dieu d’Israël est fidèle au-delà de tous les errements du peuple et qu’il n’abandonnera pas son peuple.

Crédit : – Point KT




La résurrection du fils de la veuve de Naïn

Cette femme a tout perdu : son mari d’abord, et maintenant son fils unique. Jésus est touché par sa détresse et s’approche d’elle dans sa souffrance. Voici quelques explications pour mieux comprendre cette histoire qui nous est racontée en Luc 7/11-17.

Notes bibliques sur Luc 7/11-17 :
Jésus fait route avec ses disciples et une grande foule le suit : on comprend que Jésus est un prédicateur itinérant. Ils arrivent à Naïn : c’est un village de Galilée à 10 km au sud-est de Nazareth. Jésus est donc en terrain connu, la proximité avec Nazareth explique peut-être la foule qui le suit.

A la porte de la ville, Jésus croise un « convoi mortuaire » : on porte un mort sur une civière vers l’extérieur de la ville. Sur une « civière » : on n’utilise pas de cercueil, mais le mort était habillé (on s’imaginait le mort dans le « shéol » vêtu comme dans sa vie terrestre) et en général recouvert d’un linceul.

« A l’extérieur de la ville » : à cette époque, les cimetières étaient toujours à l’extérieur des villes, ça n’a pas toujours été le cas : des fouilles à Jéricho ont montré que des morts ont parfois été ensevelis dans les cours des maisons ou dans leur sous-sol. Mais à l’époque du Nouveau Testament, on séparait très clairement le domaine des vivants du domaine des morts, probablement par manque de place à l’intérieur des murs des villes et des villages et par souci d’hygiène.
La tombe était normalement une tombe familiale d’où l’expression « être réuni à ses pères » qu’on trouve parfois dans l’Ancien Testament, et utilisait souvent une cavité naturelle, parfois agrandie ou alors complètement creusée. Les tombes utilisées par les gens pauvres étaient très simples (on a retrouvé des mélanges d’ossements dans ce genre de tombes), tandis que celles des gens aisés comportaient des niches pour y placer les corps. On plaçait quelques aliments dans les tombes, mais en Israël, on ne peut pas parler de culte des morts comme chez les peuples voisins, donc les récipients étaient très simples.

La « veuve » : elle n’a plus de mari. Mais ici, elle est veuve dans le plein sens du terme, tel qu’il était employé à l’époque : elle n’a plus de mari, plus de fils, ni gendre (« fils unique » donc elle n’a pas de fille) qui pourrait l’entretenir. Et comme son fils est déjà un jeune homme (c’est ainsi que Jésus s’adresse à lui) elle est probablement trop âgée (d’après les critères de l’époque) pour qu’un parent de son mari l’épouse : comme on le voit dans le livre de Ruth par exemple, il était d’usage que le plus proche parent épouse la veuve afin de donner une descendance au mari défunt. Le premier enfant du nouveau couple était considéré comme le fils du défunt et de son épouse. Cette coutume s’appelle le lévirat.
La veuve est dans une situation très précaire qui résulte de son isolement dans une société fondée sur les solidarités familiales : par le mariage, elle s’est séparée de sa famille d’origine et une fois veuve et sans enfants elle n’a pas de lien avec la famille de son mari. Elle peut certes retourner dans la famille de son père, mais celle-ci n’a pas l’obligation de l’entretenir. On comprend l’insistance de l’Ancien Testament à rappeler la nécessité de protéger les veuves : Ex 22/21 ; Dt 10/18 ; 14/29 ; 16/11 et 14 ; 24/17,19-21 ; 26/12 ; 27/19 ; Es 1/17, 23 ; 10/2 ; Jr 7/6, 22/3 ; Ez 22/7 ; Za 7/10 ; Mi 3/5.
Donc : outre sa peine d’avoir perdu son fils unique, elle est dans une situation particulièrement difficile, on comprend que Jésus soit ému par sa situation. D’ailleurs, les paroles de consolation précèdent la résurrection : alors même que socialement elle n’existe plus (puisqu’elle n’a ni mari, ni fils), Jésus s’adresse à elle dans sa peine, il la reconnaît en tant que personne. Pour nous c’est une piste pour offrir la consolation aux endeuillés : seul Dieu peut ressusciter les morts, mais nous pouvons offrir aux endeuillés présence et écoute pour supporter l’absence.

« Jeune homme, je te l’ordonne, réveille-toi ! » : Jésus parle avec autorité et sa parole fait ce qu’elle dit (parole performative) : la royauté messianique de Jésus que Luc a signalé par le titre de « Seigneur » par lequel il le désigne, prend tout son sens. « Réveille-toi » : le verbe utilisé ici est classiquement utilisé pour exprimer la résurrection des morts. C’est ce même verbe que Luc utilise pour parler de la résurrection des morts à la fin des temps et pour désigner la résurrection de Jésus lui-même.
Dans le récit il y a de nombreux points communs avec la résurrection du fils de la veuve par Elie (1 Rois 17/1ss).

Jésus est ému par la peine et la détresse de cette femme. Dieu montre en Jésus-Christ qu’il n’est pas indifférent à ce qui nous blesse et nous fait souffrir. La résurrection qu’opère Jésus est à la fois la preuve de la compassion de Dieu, la révélation de son autorité messianique (même sur la mort) et l’annonce du Royaume d’où toute souffrance et toute larme disparaîtront.

Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL) Point KT




Le massacre des innocents

La violence est omniprésente dans la Bible. Matthieu à partir de trois versets d’une très grande dureté (Matthieu 2, 16-18) livre un exemple de violence absolue dans un cadre : la naissance de Jésus, que l’on imagine volontiers rose.

Le contexte littéraire : les évangiles de l’enfance

Présents seulement chez Luc et Matthieu (sans compter les évangiles apocryphes), ils sont très différents. Chez Matthieu, qui ne raconte pas la naissance elle-même, c’est Joseph qui est le personnage principal. On note l’importance des songes, communication semi directe avec Dieu, et l’importance de l’appellation, et par là des questions d’identité. L’évangile de Matthieu commence par une généalogie de Jésus depuis Abraham (donc juive) qui ne peut pas ne pas évoquer, pour le lecteur averti, l’histoire chaotique du peuple d’Israël, ses guerres, ses souffrances… Puis vient l’annonce à Joseph et la simple mention de la naissance de Jésus. Le chapitre 2 est consacré à la visite des mages (sages mais étrangers et païens) et au massacre des innocents, encadré par la fuite en Egypte de Joseph et sa famille, et son retour. On fait ensuite un bond de 30 ans, avec le ministère de Jean-Baptiste, prélude à celui de Jésus. Il est remarquable que chez Matthieu l’évangile de l’enfance se termine sur le récit tragique d’un massacre.

L’histoire littéraire du texte Jean Daniélou dans son livre « Les Évangiles de l’enfance » (Seuil 1967), propose quatre strates dans l’histoire de la rédaction :

 Une base historique. Les indications de date, le personnage d’Hérode le Grand, roi puissant, demi juif mal accepté par son peuple, mais reconnu par Rome, soupçonneux, retors et très violent ; il a fait massacrer une partie de sa descendance qui aurait menacé son pouvoir ! En dehors de Matthieu on ne sait rien sur la visite des mages et sur le massacre qui en découle. On pense aujourd’hui que ces textes sont plus théologiques qu’historiques. On peut seulement dire que l’épisode du massacre est vraisemblable.

Un travail midrashique. Cette forme de développement littéraire consiste d’une part à développer le merveilleux, d’autre part à établir des correspondances entre des textes différents par reprise de mots et d’expressions. Autour du récit du massacre, des correspondances entre Matt 2, 13 et Ex 2, 15, entre Matt 2, 20 et Ex 4, 19 suggèrent que Jésus est le nouveau Moïse ou le nouvel Israël.

L’apport de « testimonia ». Les testimonia sont des recueils entiers de fragments de textes de l’Ancien Testament prouvant la messianité de Jésus ou montrant qu’il accomplit l’alliance. Il circulait des listes de ces textes. Matthieu a dû en utiliser. Le testimonium de notre récit est une citation libre de Jérémie 31, texte écrit en situation de crise. Le verset 11 cité rappelle le tragique et la désolation, mais il se trouve dans un chapitre de restauration qui annonce l’espérance pour le futur. Libération, salut, espérance ne s’annoncent pas sans que la souffrance et la violence soient rappelées.

Les choix rédactionnels de Matthieu. On comprend les mages, cela signifie l’élargissement de la Bonne nouvelle de la naissance de Jésus, le signe de l’ouverture de l’Évangile au monde de la science et aux autres religions païennes. On comprend la fuite en Égypte (Jésus nouveau libérateur), mais pourquoi un massacre, et pourquoi en parler si brièvement ? Quel est le sens symbolique du meurtre des enfants ?
Aucun des deux récits à forte charge théologique (la reconnaissance de Jésus par les païens, le séjour de Jésus en Égypte) ne nécessitaient un massacre. Y avait-il une tradition à son sujet ? Matthieu, en tout cas a jugé nécessaire de rapporter cet événement à propos duquel Hébert Roux parle de « mystère de l’iniquité » en finale du récit de la naissance de Jésus.
La violence doit être racontée, démasquée et non voilée ou niée.

La forme du texte (travail en groupe)
Concision, concentration, dépouillement caractérisent notre récit. Comme si l’on était devant l’irracontable… ou comme si l’on voulait exprimer le caractère bref de la violence. Seule la « longue plainte » de Rachel rappelle la souffrance qui dure… bien au-delà de l’acte de violence. Le lecteur peut se poser bien des questions sur les circonstances journalistiques du massacre (nombre de soldats, d’enfants, durée de l’opération). C’est le fait brut et lui seul que le texte transmet. Quel titre pour notre bref passage ? Parmi ceux qui ne se contentent pas de nommer l’événement mais qui donnent un début d’interprétation, on peut noter celui-ci : « Échec au roi ».

Présenter le récit aux enfants
C’est ce que propose Marguerite Rosenstiehl dans le dossier de la Société des Ecoles du Dimanche : « Une Nouvelle Étoile, Pour quel Roi ? » Les notes bibliques indiquent bien que « Jésus entre dans un monde cruel et violent, face à des tyrans qui n’hésitent pas à provoquer des massacres pour conserver leur pouvoir, dans un monde de haine qui lui est hostile dès le départ et qui cherche à se débarrasser de lui. Un monde auquel le Christ n’échappera pas et qui finira par le clouer sur une croix. Il vient bien dans notre monde, dans sa réalité la plus difficile ». Le jeu cruel du pouvoir est bien indiqué, la relation avec la passion mise en évidence. Les pistes de réflexion nous indiquent que « le massacre des enfants est (dans l’ensemble de Matthieu 1 et 2) la seule initiative uniquement humaine. De ce projet, Dieu est absent ». Cependant Dieu laisse faire, il laisse chacun face à ses choix et responsabilités dans l’exercice du pouvoir (pas seulement politique). La proposition de narration faite dans ce document à propos du massacre des innocents parle de colère, de jalousie, de soif du pouvoir à propos d’Hérode. Comme le texte biblique, elle ne donne aucun détail sur le massacre lui-même. Le fait que Jésus échappe à la mort n’est pas présenté comme miraculeux, mais mis en rapport avec sa mort bien plus tard sur la croix. Elle parle d’espérance et de vie nouvelle.

En résumé, on pourrait dire démasquons la violence, sans nous laisser submerger par elle.

Crédit : – Point KT




Matthieu 2, 13-23 : Noël dans le détail

Le choix du texte de Matthieu 2, 13-23 est dicté par l’actualité du moment, avec l’intention de rappeler la face obscure de la Nativité selon le premier évangile. La tension entre la naissance merveilleuse et la terreur déclenchée par le roi Hérode met en rapport la joie de Noël et la noirceur de l’actualité.

Commentaire de texte

La séquence choisie fait suite au récit lumineux de l’adoration de l’enfant par les mages venus d’Orient (2, 1-12). L’ombre d’Hérode pèse toutefois déjà dans sa demande aux mages de venir l’informer de ce qu’ils ont trouvé à Bethléem (2, 8). Ce que l’on sait historiquement d’Hérode le Grand confirme les données du récit : ce grand roi, ami de Rome, était obsédé par l’idée qu’un rival puisse le détrôner ; c’est pourquoi il fit écarter et assassiner ses concurrents potentiels, et surtout une part importante de sa famille. La réputation sanguinaire de ce souverain, mort en l’an 4 avant notre ère, a aidé à forger le récit ; l’annonce de la naissance d’un « roi des juifs » (2, 2) ne pouvait que l’inquiéter.

Trois moments composent la séquence : la fuite en Égypte (2, 13-15), le massacre des enfants (2, 16-18), le retour d’Égypte (2, 19-23).

Fuite en Égypte (2, 13-15)
L’avertissement de Joseph en songe, comme en 1, 20 et 2, 19-22, manifeste que Dieu prend en main les événements et met Hérode en échec. Royalement comblé par les mages, l’enfant est déjà menacé. L’Égypte, à cinq ou six jours de marche de Bethléem, était la terre classique de refuge en cas de famine ou de guerre (Gn 41, 57 ; 1 R 11, 40) ; province romaine depuis la mort de Cléopâtre, le pays était hors de portée du pouvoir d’Hérode. Joseph obéit sans hésiter et fuit secrètement avec la mère et l’enfant. L’évangéliste voit dans ce séjour l’accomplissement d’Osée 11, 1 interprétant le retour de Jésus comme un nouvel Exode.

Massacre des enfants (2, 16-18)
La colère d’Hérode traduit son angoisse de voir se dresser contre lui un prétendant au trône. Le massacre qu’il ordonne a pu se chiffrer à Bethléem par une vingtaine de victimes, mais la tradition a amplifié ce « massacre des saints innocents ». La citation de Jérémie 31, 15 dramatise l’horreur ; le prophète a choisi la figure de Rachel, mère de trois tribus d’Israël, pour exprimer la douleur du peuple décimé par la guerre et déporté en masse à Babylone. L’ombre de la Passion se profile ainsi au seuil de la vie du Messie.

Retour d’Égypte (2, 19-23)
Le voyage s’opère en deux temps, chacun guidé par un songe. Dieu maintient sa protection providentielle. Le retour en terre d’Israël est suivi, par crainte du fils d’Hérode, d’une migration vers la Galilée. Rentrant d’Égypte en Israël, Jésus et ses parents répètent l’Exode et réassument l’expérience fondatrice du peuple ; une typologie s’aperçoit ici, où l’histoire de Jésus condense celle des enfants d’Israël. L’installation à Nazareth est le choix d’un nouveau domicile, qui donne lieu à une citation scripturaire (2, 23) dont l’origine nous échappe.

Méditation

Cette année encore, on fêtera Noël. J’ose dire : comme d’habitude, et les fêtes ont du bon. La petite musique de Noël s’est réveillée. Avec ses lumières, ses airs de fête dans les magasins, les cadeaux à trouver et les biscuits à cuire, on entre dans la petite bulle de paix des fêtes de fin d’année.

Noël remplit tout… enfin, pas tout à fait. D’un côté, nous préparons la fête. De l’autre, des événements parlent fort en ce mois de décembre : les fracas politiques et le réchauffement de la planète ont de quoi nous inquiéter. Il faudra fêter en oubliant un peu ce qui inquiète, en se bouchant les oreilles pour ne pas être envahis de nouvelles noires.

On fêtera donc Noël en se sentant, au fond, un peu petits : quelle prise avons-nous sur les évènements ? Pour ce qui nous entoure, nous maîtrisons (et encore !). Mais sur les grands événements, ceux qui composent l’actualité et décident de la cherté de la vie, ceux qui habitent le télé-journal, quelle prise avons-nous ? C’est comme si tout se déroulait au-dessus de nos têtes, comme si l’essentiel se décidait ailleurs.

Eh bien, je vais vous étonner. Ce sentiment que l’actualité nous échappe signifie que Noël, cette année, se déroulera effectivement comme d’habitude. Comme dès l’origine, lors du tout premier Noël. Vous l’avez entendu dans l’évangile de Matthieu, lu tout à l’heure. Ces récits de la Nativité, que nous prenons pour des histoires suaves et touchantes, résonnent aussi de fracas et de violences. Pas moins que le télé-journal. Il y a cette colère d’Hérode qui, furieux d’avoir été berné par les mages, fait massacrer les bébés de moins de deux ans à Bethléem. Une liquidation comme il y en a eu et en aura tant d’autres, ensuite. Puis la mort d’Hérode et le retour de Joseph et de sa famille en Galilée, mais sous la menace que représente le pouvoir du fils d’Hérode, Archelaüs.

Le massacre des enfants à Bethléem, la mort d’Hérode et sa succession : voilà les événements qui ont fait l’actualité à l’époque. Voilà ce dont parlaient les gens, dans la rue et au marché. Personne n’a parlé de la fuite de trois personnes en direction d’Égypte, ni du retour de ces réfugiés quelques années plus tard. Leur départ, puis leur retour, se sont décidés dans le secret d’un songe, dans l’intimité d’une parole murmurée sans bruit par Dieu au cours du sommeil de Joseph. Quoi de plus subtil, quoi de plus contestable qu’une voix qui perce le sommeil ? Et pourtant, souvent, la Bible nous parle de ces rêveurs à qui Dieu parle assez doucement pour qu’ils se mettent en route, dans l’absolu mépris de ce qui terrorise tout le monde au dehors.

Ce n’était qu’un détail, rien qu’un détail.

Mais aujourd’hui, de qui parle-t-on ? De Jésus ou d’Hérode ? De qui fête-t-on la naissance : de Jésus ou d’Hérode ? Dieu agit dans le détail. C’est son choix. De tout temps, Dieu a choisi d’agir dans le détail.

Des événements font la Une des journaux. Ils nous accablent ou nous émeuvent. Mais si nous ne cherchons pas Dieu dans le détail, nous risquons de passer à côté de lui. L’apôtre Paul disait : « Les juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie (détail ?) pour les païens » (1 Co 1, 22-23).

Aucun historien romain, aucun chroniqueur de l’empire de Rome n’a retenu la mort de Jésus, ni sa vie, ni même son nom. L’événement était bien trop peu important à leurs yeux : pas plus qu’un détail de l’histoire. En revanche, ils ont retenu les noms et les actions d’une foule de personnages dont plus personne ne parle aujourd’hui.

Dieu s’est fait connaître dans le passé en choisissant un peuple : ni le plus fort, ni le plus grand, ni le plus beau, ni le plus prometteur en termes de marché religieux ; c’était une poignée de tribus qui se sont appelées Israël, coincées entre le géant égyptien au sud et le géant assyrien au nord. Un peuple qui n’avait rien de flamboyant. Et là, dans les replis violentés de leur histoire, faits de conflits, de menaces et d’exils, au travers d’événements sur lesquels ils n’avaient aucune prise, dans cette histoire fracassée par les « grands », Dieu s’est fait connaître comme une force, une sécurité, une source de paix. Dieu s’est manifesté avec l’obstination et la ténacité de ces bougies qui illuminent la nuit. Rien de plus fragile qu’une bougie et pourtant il n’y a qu’elle pour nous faire comprendre que la nuit n’est pas que la nuit.

L’évangéliste Matthieu aurait pu censurer le souvenir du décret d’Hérode. Il a préféré fixer dans notre mémoire cette page noire et faire entendre le cri de la douleur révoltée devant l’inadmissible. Les innocents massacrés appartiennent en effet à notre quotidien : piétinés, abusés, exploités, ils hantent nos consciences et font mesurer notre impuissance.

Comme lors du tout premier Noël, l’évangile ne fournit aucune justification à ces souffrances injustifiables. Il ouvre deux voies, cependant. La première est le droit à la lamentation : « C’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée » (2, 18). La seconde est de garder mémoire de ce qui, entre ces noirceurs, tisse le réseau d’une persistante lumière.

Préparons-nous à célébrer Noël comme la fête d’un Dieu qui se manifeste dans le détail.

Fêter ainsi Noël pourrait nous apprendre beaucoup. Par exemple que notre vie, justement, tient souvent à de petits détails : l’attention accordée à quelqu’un, une remarque entendue à la radio et qui nous trotte dans la tête, une phrase retenue d’une prédication, le sourire de quelqu’un dans le métro, la demande d’un enfant.

Noël est cette fête où le détail prend toute la place, parce que Dieu s’y révèle. Une fête où l’on découvre que des événements peuvent tonitruer dans l’actualité : l’essentiel se jouera ailleurs, dans une main qui se tend, une parole qui s’offre, un geste qui apaise. Le détail qui fait vivre.

Crédit : Daniel Marguerat – Point KT




Espérer en Exil – Là-bas, au bord des fleuves de Babylone

L’Exil, comme l’Exode, sont des expériences charnières dans la vie du peuple d’Israël. Si l’Exode peut être considéré comme son acte de naissance, l’Exil aurait pu signifier la fin de son existence. C’est pourtant l’inverse qui s’est produit. Pour mieux comprendre les textes bibliques que nous allons vous proposer au fil des prochaines mises en ligne, il convient de les replacer dans leur situation historique. Nous ferons un lien sur l’ensemble de ces notes extraites du dossier de catéchèse enfants : Espérer en Exil. Les fiches bibliques ont été préparées par Jean HADEY.

PRÉAMBULE

L’Exil, une nouvelle naissance
L’Exil, comme l’Exode, sont des expériences charnières dans la vie du peuple d’Israël. Si l’Exode peut être considéré comme son acte de naissance, l’Exil aurait pu signifier la fin de son existence. C’est pourtant l’inverse qui s’est produit.
La déportation à Babylone est devenue pour les Juifs l’occasion de vivre une nouvelle naissance. L’expérience les a transformés, mais ils sont toujours le peuple de Dieu. À Babylone comme à Jérusalem, il est avec eux.
Fin et recommencement, mort et nouvelle vie, ce thème est développé sur la toile de fond de l’Exil à Babylone. Il ne s’agit pas d’un parcours historique. Le fil conducteur est une réflexion sur les événements et sur des réactions possibles pour y répondre. Nous nous demanderons à partir de là comment assumer des événements semblables et comment les intégrer à ce que nous vivons.
Cette démarche se vit sur trois plans :
– l’acquisition de connaissances : textes bibliques en relation avec les événements de l’Exil, données historiques et culturelles éclairant cette période…
– l’interprétation : passer du texte au(x) sens, de l’événement aux significations, du concret au niveau symbolique.
– l’appropriation et l’actualisation : comment les réalités vécues par le peuple d’Israël résonnent-elles dans notre vie ? Comment réagissons-nous devant des catastrophes que nous rencontrons ? À quoi nos découvertes nous conduisent-elles ?
Ces trois plans ne sont pas toujours distincts, ni dans le temps, ni dans la manière de les vivre avec les enfants : un chant, un jeu, un dessin peuvent servir aussi bien à découvrir et à mémoriser des renseignements concrets qu’à exprimer une interrogation ou à révéler une émotion personnelle, par exemple.

1. L’EXIL DANS L’HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

=> Les données générales :

  • Israël : quelques tribus entre les grandes puissances

Ce qui détermine toute l’histoire d’Israël, c’est la terre de Canaan. Nous l’appelons Palestine, mais ce n’est qu’un lieu de passage, entre le désert à l’est et la Méditerranée à l’ouest.
Le long de la côte, dans la vallée du Jourdain et la dépression de la mer Morte, et même par la montagne d’Ephraïm, les routes vont d’Égypte en Mésopotamie et en Asie mineure.
Parce que sur cette étroite bande de terre il était possible de trouver de manière régulière de quoi nourrir et abreuver les animaux et les hommes, les caravanes commerciales regroupant des centaines d’ânes passaient par là, comme les troupeaux de petit bétail des semi-nomades… et aussi les armées des grandes puissances du moment, avides de contrôler les routes utiles à leur approvisionnement et de disposer d’une zone tampon entre eux et leurs rivaux.
L’histoire de ce pays aurait pu se résumer entièrement aux passages plus ou moins réguliers de la domination égyptienne à celle des empires qui naissaient, enflaient puis disparaissaient, en Mésopotamie (Babyloniens, Assyriens…) ou en Asie mineure (Hittites).
Dans ces conditions, il n’y avait, à vue humaine, que bien peu de possibilités pour qu’un peuple puisse naître, s’installer et grandir, devenir un état indépendant qui survivra en Palestine durant environ trois siècles. Il fallut pour cela un « accident » de l’Histoire : la disparition ou l’affaiblissement simultané des deux puissances qui en 1269 avant Jésus-Christ, se partageaient encore le contrôle du Moyen-Orient. À cette date en effet, Ramsès II, pharaon d’Égypte, et Hattusil III, roi des Hittites, passaient un traité, aucun des deux n’ayant pu écraser l’autre.
Un siècle plus tard, les Hittites ont totalement disparu de l’Histoire. Et les Égyptiens, attaqués par des « peuples de la mer » (dont font partie les Philistins de la Bible), ne sortent plus de la vallée du Nil. C’est alors que les tribus israélites vont prendre le contrôle du pays de Canaan et, sous la conduite de David, bâtir un royaume puissant qui s’étendra de la frontière égyptienne à l’Euphrate.
Mais il suffira que cette « anomalie » dans l’histoire prenne fin, que de nouveaux empires s‘imposent en Mésopotamie pour que l’indépendance et la survie d’un état israélite soient fortement compromises. Et comme la fragilité et les querelles internes se sont mises de la partie, Israël n’avait, militairement, économiquement, politiquement, aucune chance de survie. De ce point de vue-là, l’Exil était inévitable et n‘est qu’une péripétie dans l’histoire mondiale.

  • Quelques grandes dates de l’histoire d’Israël

Toutes les dates qui suivent sont « avant Jésus-Christ », bien entendu. Dans les tableaux chronologiques de vos Bibles ou d’autres livres, vous trouverez peut-être des dates différentes, parce que la datation de certains événements est très difficile et évolue selon les réflexions et les découvertes.

Entre 2000 et 1300 environ, des clans et des tribus araméennes s‘installent plus ou moins provisoirement en Canaan dans une existence semi-nomade.

Entre 1300 et 1200 un groupe de tribus, guidées par Moïse puis par Josué, sort d’Égypte et pénètre en Canaan. Vers 1010 Saül, puis David, deviennent rois en Israël. David assure la domination définitive des Israélites sur le pays de Canaan. Il se taille un vaste empire auquel son fils Salomon imposera l’organisation et le pouvoir de la royauté à la manière de l’Orient ancien.

En 932-933 à la mort de Salomon, le royaume est divisé : Israël au Nord, avec Jéroboam ; Jérusalem et Juda au sud où se succèdent des descendants de David. Les deux royaumes s‘opposeront parfois violemment.

En 722-721, les Assyriens prennent Samarie, capitale du royaume du Nord, qui est anéanti. Les habitants sont déportés, et les Assyriens installent dans le pays des colons assyriens (II Rois 17,1-41). Le royaume de Juda se soumet à l’Assyrie et lui paie un tribut. Il restera sous domination assyrienne jusqu’aux années 640-609.

À partir de 622, c’est le règne de Josias qui, profitant de l’affaiblissement de l’Assyrie, procède à une réforme politico-religieuse qui lui permet de rétablir pour quelques courtes années le royaume de David. Mais en – 609 les Égyptiens veulent porter secours aux dernières troupes assyriennes qui résistent encore aux Babyloniens. Josias veut couper la route au pharaon, mais il est tué dans la bataille. Son second fils Yoakhaz règne environ trois mois, avant d’être déposé et déporté en Égypte. Le pharaon installe son frère ainé, Yoyakim, sur le trône de Jérusalem.

En 605, Nabuchodonosor écrase l’armée égyptienne à Karkémish, sur l’Euphrate. Yoyakim se soumet à Babylone et paie un tribut, qu’il cesse de verser en -601, provoquant une réaction de Babylone (4 ans plus tard).

En 598 ou -597 Jérusalem est assiégée et tombe aux mains de Babylone. Yoyakin, qui a succédé à son père, est emmené en déportation à Babylone. Avec lui, une grande partie des élites de Jérusalem – prêtres, artisans, chefs militaires. Ezéchiel, le prophète, fait partie de cette première vague de déportés.

Nabuchodonosor installe alors à Jérusalem, comme roi, le troisième fils de Josias, Sédécias. Jérusalem sera détruite en -587.

 

=> La fin du Royaume de Juda et les débuts de l’Exil

Avec la mort de Josias, l’Histoire de l’état de David entre dans ses dernières convulsions.
À Jérusalem, deux partis sont en conflit :
– Ceux qui, comme le prophète Jérémie, pensent que la victoire babylonienne est irréversible, parce qu’elle est le châtiment de Dieu sur son peuple infidèle et qui appellent à la soumission.
– Et ceux qui, comme certains prêtres, ne peuvent accepter l’idée de la défaite. Au nom de la foi d’Israël, à cause des promesses de Dieu à David (II Sam.7,8-16), et parce que le temple est pour eux « la maison de Dieu », dont Dieu ne saurait accepter qu’elle tombe aux mains des étrangers, ils prêchent la révolte, poussent à une coalition anti babylonienne pour laquelle ils espèrent le soutien des Égyptiens.

C’est, au bout du compte, ce parti-là qui l’emporte. Sédécias est assez indécis mais se révolte contre Babylone, cesse de payer le tribut. Et la machine de guerre babylonienne se met en marche, prend une à une les places fortes judéennes, assiège Jérusalem pendant un an et demi. Et même si une intervention égyptienne provoque une interruption de ce siège, ce n’est qu’un bref répit.

Fin juillet 587, les Babyloniens pénètrent dans Jérusalem. Sédécias et sa suite, qui ont tenté de fuir, sont conduits devant Nabuchodonosor. Les fils de Sédécias sont égorgés devant lui, puis on lui crève les yeux. Un nombre important de combattants sont tués. Fin août 587, le temple et la ville de Jérusalem sont incendiés et démolis, les objets du culte installés par Salomon sont emportés par les vainqueurs.
Tous les survivants un peu importants sont à leur tour déportés, c’est la fin de l’Histoire d’Israël en tant qu’état indépendant. Mais ce n’est pas la fin du peuple d’Israël.

Photo 1 : Jérusalem en ruine


=> La survie d’un peuple vaincu

Comme Israël, d’autres petits peuples de Palestine ont été écrasés par la puissance babylonienne : les Philistins, les Phéniciens, Ammon, Moab… Aucun ne s’en est remis, Israël a survécu. Il est difficile de dire comment, car les textes, bibliques ou étrangers, ne décrivent pas la situation, ne racontent pas le temps de l’Exil. Les indications sont rares, mais elles permettent de comprendre ce qui a permis au peuple de Dieu de vivre.

a) En Exil
Le nombre des déportés à Babylone n’est pas aussi important qu’on peut se l’imaginer. En effet :
– On ne sait rien des déportés du Royaume du Nord exilés par les Assyriens en 722, et on peut supposer qu’ils s’étaient assimilés à la population mésopotamienne.
– II Rois 24,14 indique une déportation de 10 000 personnes en 597 et, en 587, « le reste du peuple qui restait dans la ville » (II Rois 25,11). Mais ces indications sont très vagues.
– Les données du livre de Jérémie semblent beaucoup plus précises. Elles donnent :
3 023 Judéens en 597 (Jér. 52,28)
832 survivants en 587 (Jér. 52,29)
745 déportés en 582 (Jér. 52,30), sans doute à l‘occasion de quelque trouble.
Même en admettant que les chiffres du livre de Jérémie ne concernent que Jérusalem et qu’il faille y ajouter des personnes plus ou moins influentes des cités de Juda, le nombre de 10 000 déportés à Babylone est un chiffre plafond. Cela fait beaucoup de vies qui changent de cours. Mais ce n’est pas la totalité d’un peuple

b) Conditions de vie
Les conditions de vie des déportés ne sont sans doute pas des plus agréables. Mais la déportation n’est pas l’esclavage. Après tout, c’est l’élite d’un peuple qui est déportée, à titre d’otages, pour que le roi les ait « sous la main ». Les indications des livres de Jérémie (29,4-7), d’Ezéchiel (1,3 ; 8,1 ; 14,1 ; 20,1) et des Rois (II Rois 25,27-30) montrent que le roi Yoyakin, bien que dépossédé de tout pouvoir, est traité en roi vassal. Et si les déportés sont assignés à résidence, ils vivent en communauté dans les différents lieux de déportation, gardant leurs Anciens, avec la possibilité de construire leurs maisons, de fonder des familles, de pratiquer leur religion et de respecter leurs usages.
Mais la difficulté, pour les exilés, c’est que toute la vie de Jérusalem tournait autour du temple, lieu de culte unique depuis la réforme de Josias, « lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son nom », selon la formule du Deutéronome. C‘est au temple qu’ils montaient pour prier, pour les cultes, pour les grandes rencontres du peuple, pour consulter Dieu quant aux décisions publiques ou privées qu’il convenait de prendre. Or le temple n’existe plus. Et ils sont bien loin du lieu où il s’élevait. En outre, la terre étrangère est rituellement impure, on ne peut y célébrer un culte au Dieu d’Israël.
Alors les exilés vont développer les pratiques qui peuvent encore être respectées loin de Jérusalem. Elles ne sont pas nouvelles, elles sont même très anciennes, mais du fait que tout ce qui est lié au temple est devenu impossible, elles prennent une valeur et une importance qu’elles n’avaient jamais eues : le respect du sabbat, par exemple, qui deviendra au temps de Jésus une démarche tatillonne poussée à l’absurde, est, en Exil, une confession de foi, un signe de l’appartenance au peuple de Dieu. Il en est de même pour la circoncision que les Mésopotamiens n’ont jamais pratiquée. C’est en Exil encore que, par la force des choses, va se développer ce qui deviendra le culte de la synagogue : lectures des textes anciens, méditation et prière.
En tout, cela ne fait que quelques substituts imparfaits, insatisfaisants pour tous ceux qui manque de temple. Tous les exilés ne s’y rallient sans doute pas. Mais ceux qui le font, le font au nom d’une fidélité au passé qui leur assure un avenir.

c) Les autres Exils
Tous les Judéens n’ont pas été déportés. Mais un certain nombre d’entre eux ont choisi la fuite. Il semble que quelques-uns ont cherché refuge chez les peuples voisins, Ammon, Moab, Edom… Ceux-là ont disparu, se sont fondus dans leurs peuples d’accueil et ont subi leur sort.
Ce qui est certain, c’est qu’un groupe relativement important de Judéens s’est enfui vers l’Égypte, entrainant Jérémie dans leur fuite, bien que le prophète se soit opposé à cette démarche-là (Jérémie 42). Ils fondèrent là une colonie juive qui se maintint, sans trop de souci de retour, jusqu’à l’époque romaine.

d) Au pays
Malgré tous les départs, nombreux étaient ceux qui restèrent sur place. Jérémie 39,10 et II Rois 25,12 indiquent que les Babyloniens ont délibérément laissé sur place les gens les plus faibles, les plus démunis. Ceux-là pouvaient cultiver la terre, payer un imp6t, sans pour autant se risquer à une révolte. Habitués à obéir, ils n’avaient plus personne pour les diriger, les guider, les informer.
Ils n’étaient pas dangereux pour leurs vainqueurs. Ceux-là pouvaient, d’une certaine manière, poursuivre sur place le culte du temple. Même ruiné, son emplacement restait sacré, et Jérémie 41,5 laisse entendre qu’on pouvait encore y monter en pèlerinage.
Mais ceux qui restaient ainsi au pays vivaient au milieu des ruines. Les fouilles archéologiques ont montré que toutes les cités du royaume de Juda ont été rasées à ce moment-là. Certaines n’ont plus jamais été rebâties, d’autres ne l’ont été que beaucoup plus tard. Les habitants se sont donc logés dans des maisons qui n’ont pas laissé de traces.
La situation était on ne peut plus difficile, surtout que beaucoup des artisans qui auraient pu fournir des outils et des ustensiles faisaient partie des déportés. Peu à peu par contre, à force de cultiver les terres abandonnées par des propriétaires exilés, ils s’en sont sentis les maitres, et cela devait poser quelques problèmes au moment du retour des déportés.

e) Pour survivre, la foi, mais pour que la foi vive ?
Ce qui permet à Israël de dépasser la catastrophe c’est sa religion, c’est sa foi. Cela, nous pouvons le dire aujourd’hui. Mais au moment de la catastrophe de 587, et dans les années qui ont suivi, ce qui était menacé de mort, c’est la foi d’Israël.
En effet, que devenaient les promesses de fidélité de Dieu ? Celles qu’il avait faites à David (II Sam. 7) et par les prophètes (Ésaïe 33,17-24 ; 37,21-35) ? Le Dieu d’Israël apparaissait soit comme infidèle à ses promesses, soit comme trop faible pour les réaliser. La victoire du roi de Babylone, c’est aussi la victoire des dieux de Babylone. La destruction du temple signifiait aussi cela aux yeux des vainqueurs, et bien des vaincus ont pu penser la même chose.
Mais, en Exil ou au pays, une minorité sans doute des survivants entreprit tout un travail de méditation et de réflexion pour répondre à la question du peuple. Il a examiné les prédications conservées des prophètes. Ce travail visait à comprendre et surmonter la catastrophe. De cette activité devaient surgir les réponses qui refoulent au second plan les lamentations :
– Ce n’est pas Dieu qui avait abandonné le peuple, mais le peuple qui avait abandonné Dieu, et qui en subissait les conséquences. Tous les cris des prophètes qui n’avaient pas obtenu la conversion du peuple servaient maintenant à assurer sa survie : si Dieu tient parole, quand il menace, il peut aussi tenir ses promesses de fidélité.
– Le regard lucide et sans complaisance sur le passé a alors permis de regarder l’avenir avec espérance. Ézéchiel d’abord, le prophète anonyme dont les prédications sont recueillies en Ésaïe 40 à 55, forts de la certitude que Dieu est fidèle, et qu’il est vivant, maître de l’Histoire et du monde, vont proclamer cette espérance qui seule fait vivre…

Photo 2 : fresque d’exilés vers Babylone


=> La fin (?) de l’Exil

En 550 avant Jésus apparaît au nord-est de l’empire babylonien un nouveau conquérant : Cyrus II, roi des Perses. Il est vainqueur des Mèdes, puis de Crésus, roi de Lydie, en 547. Au même moment, l’empire babylonien se dégrade. Son dernier roi laisse se désintégrer l’organisation du pays, ne s’intéresse pas au pouvoir, ni au maintien des conquêtes militaires.

En 539, Cyrus pénètre pratiquement sans combat dans Babylone. Son fils Cambyse fera la conquête de l’Égypte.
Or, la politique des rois perses est l’inverse de celle des Babyloniens. Ils respectent les langues, les coutumes et les cultes des pays soumis. C’est dans la ligne de cette politique générale que Cyrus publie en 537 un décret conservé en Esdras 6,3-5 qui ordonne la reconstruction du temple. Il n’est pas certain que ce décret impliquait une autorisation de retour. D’ailleurs celui-ci fut plutôt lent à se dessiner, et tous les exilés – ou plutôt tous les descendants d’exilés – ne revinrent pas. En Égypte ou à Babylone, ils avaient fait leur vie, retrouvé des racines. Nombreux furent donc ceux qui se contentèrent de faire une fois ou l’autre le pèlerinage au Temple.
Les quelques données dont nous disposons se trouvent dans les livres d’Esdras et Néhémie, mais elles ne sont pas en ordre. Il est cependant à peu près certain que, dès 537 une première caravane arrive à Jérusalem. Elle est conduite par Sheshbaçar, chargé de mission de Cyrus et peut-être descendant de Yoyakin. Elle rapporte un certain nombre des objets du culte saisis en 587, reconstruit un autel et rétablit le culte régulier. Les premiers à revenir sont des prêtres et des artisans qui entreprennent la reconstruction du temple.
Mais les choses n’avancent pas vite : ces exilés sont sans doute seuls à se préoccuper du temple, et ils rencontrent dans la population locale la plus grande inertie, quand ce n’est pas une certaine hostilité.

Entre 525-522 arrive un autre chargé de mission. Zorobabel, qui est, lui, certainement un descendant de David. Sous l’impulsion des prophètes Aggée (520) et Zacharie (520-515), les travaux du temple reprennent alors et sont menés à bien. L’empire perse ayant quelques difficultés de succession et la présence de Zorobabel suscitent à ce moment-là un espoir aussi bref que vif de voir se rétablir un royaume à Jérusalem (Aggée 2,20-23). Cet espoir vite déçu contribue probablement à l’entreprise de construction. Mais en 515, lors de la fête de la dédicace du temple reconstruit, Zorobabel n’est plus là (Néh. 6,13-22).

Ce qui se passe pendant les 70 ans qui suivent, nous l’ignorons totalement. En 445 arrive à Jérusalem un nouveau chargé de mission, Néhémie. Il trouve une ville encore à moitié ruinée, et entreprend la reconstruction des murs d’enceinte de Jérusalem, non sans difficultés (Néhémie 1 et 2). Il sera actif à Jérusalem une douzaine d’années. A cette époque-là, le nombre des exilés rentrés à Jérusalem et dans ses environs.
À cette époque-là, le nombre d’exilés rentrés à Jérusalem et dans ses environs immédiats serait selon les listes conservées en Néhémie 7,6-72 et Esdras 2,1-7 de 42 360. Mais en faisant le total des listes on n’arrive qu’à 29 818 pour Esdras et 31 089 pour Néhémie. Or il s’agit sans doute d’un mélange de deux listes. Il est donc probable que les habitants de Jérusalem rentrés de Mésopotamie, ou leurs descendants, près d‘un siècle après l’édit de Cyrus, n’étaient que 15 000 environ.

Puis nos informations sautent jusqu’en 398-397, année d’activité d’Esdras, le prêtre qui est amené à imposer de sérieuses réformes pour faire respecter la loi et les règles de pureté du peuple, telles qu’elles se sont élaborées et précisées en Exil.

En fait, les livres d’Esdras (9-10) et Néhémie (13, 10) signalent de grandes difficultés entre ceux qui sont restés au pays et ceux qui arrivent de Mésopotamie dans un pays qu’ils ne connaissent pas dans sa réalité et qu’ils s’imaginaient grandiose et entièrement consacré au temple, au culte, à la fidélité religieuse telle qu’ils l’avaient connue en Exil. Ainsi, en Esdras 4,1-4 nous apprenons que ceux qui « rentrent » refusent la participation des « gens du pays » à la reconstruction du temple. Ainsi, les uns et les autres n’ont pas la même conception de la fidélité à Israël et à son Dieu.

De plus, la reconstruction du temple et le retour de groupes importants d’exilés ne rendaient pas à Israël sa liberté. Le peuple de Dieu restera soumis et dépendant. Après les Perses se seront les soldats d’Alexandre et leurs descendants, puis les Romains, qui leur imposeront leur volonté et leur puissance et les soumettront et tenteront de les briser, jusqu’à la destruction de Jérusalem par les Romains en 70 après Jésus.

Photo 3 : Les remparts restaurés

Mais à tout, Israël survivra, par l’espérance et la foi née du premier Exil

 

2. POUR SITUER LES TEXTES BIBLIQUES DU PARCOURS

L’Exil est l’un des temps forts de l’histoire d’Israël. Autant que la sortie d’Égypte et l’installation en Canaan, autant que le règne triomphant de David, la fin du royaume de Juda et ses conséquences forgent l’histoire, l’existence, la foi du peuple.
En effet, alors que tout s’effondrait et que l’aventure d’Israël pouvait s’arrêter là, le peuple a survécu. Alors que des empires autrement puissants se bâtissaient et disparaissaient au fil des siècles, Israël devait survivre à tous les exils, à tous les anéantissements, à toutes les tentatives d’assimilation.
La clef de cette survie est probablement à chercher dans la manière de vivre ce premier Exil. Comprendre comment Israël vaincu est passé du désespoir le plus absolu à l’espérance – même mêlée d’illusions – qui fait vivre, en passant par les désirs de vengeance, les lamentations, les regrets et la reconnaissance des erreurs passées, c’est comprendre comment une communauté peut survivre à n’importe quelle catastrophe.
Pour percevoir les enjeux et les démarches d’Israël en exil, nous avons retenu les textes suivants :
– Psaume 137
– Jérémie 29,1-14
– Psaume 80
– Ezéchiel 34,1-31
– Ésaïe 44,24 – 45,7
– Ésaïe 40,1-17
Ces passages ne racontent pas l’Exil. Aucun texte biblique ne raconte l’Exil. Nous avons simplement retenu quelques exemples de la prière, des méditations et des prédications qui ont aidé le peuple à surmonter l’épreuve.
Les textes retenus pour le parcours ont tous un lien étroit avec l’Exil. Mais ils ne proviennent ni du même auteur, ni du même lieu, ni du même moment. Ils expriment des attitudes assez différentes à l’égard de la catastrophe qui a frappé le peuple. Il serait sans doute faux de dire que l’une de ces attitudes est la bonne, tandis que les autres seraient fausses, contraires à la foi d’Israël. La lamentation, le cri de vengeance, la méditation du passé qui permet de reconnaitre pourquoi on en est venu là sont sans doute les fondations d’une espérance nouvelle qui n’est pas sans contenir sa part d’illusions humaines. Encore faut-il, pour qu’il y ait foi et fidélité, que chacune de ses attitudes vienne en son temps, que le peuple ne se lamente pas quand il est temps d’espérer, qu’il ne se berce pas de faux espoirs sans reconnaitre ses erreurs…
Mais pour comprendre ces textes il convient de les replacer dans leur situation historique.

A) LES PSAUMES
Le livre des Psaumes n’est rien d’autre qu’un recueil de cantiques. Il en a donc toutes les caractéristiques : il réunit des prières composées et chantées à des siècles de distance par des poètes et des musiciens croyants qui ont mis dans leurs œuvres les joies et les préoccupations de leur temps, que ce soient celles de tout le peuple, ou des sujets tout personnels.
Tel qu’il se présente à nous, le recueil des Psaumes représente le choix de cantiques retenus par les lévites qui constituaient les chœurs du second temple au 3e-2e siècle avant Jésus.
Mais certains psaumes sont beaucoup plus anciens, et il n’est pas toujours facile de situer leur origine. Car, comme c’est encore le cas aujourd’hui pour nos cantiques, s’ils ont traversé le temps, c’est qu’ils exprimaient l’angoisse ou la joie, la peine ou l’espérance de telle manière que la communauté du peuple se retrouvait dans cette expression. Ils ont donc servi en bien d’autres occasions que celle qui les a vus naître et ont, à l’occasion, été adaptés, actualisés par des corrections ou des rajouts. Ce qui était d’autant plus naturel que ces cantiques se transmettaient oralement. De sorte que chaque psaume a sa propre origine et sa propre histoire dont on peut parfois deviner quelque chose au travers d’une lecture attentive, mais qui nous reste en grande partie cachée.
Le Psaume 137 est très sûrement un des plus jeunes, sinon le plus récent du recueil. C’est aussi l’un des rares paumes dont la date d’origine soit pratiquement certaine, car il parle clairement de la situation des exilés à Babylone, et il en parle au passé : il s’agit donc d’un psaume qui date d’après 537, en un temps où la possibilité du retour n’a pas estompé la douleur de la destruction du temple et de la déportation. Pendant longtemps encore, il sera chanté dans les célébrations qui commémorent la destruction du temple. Les difficultés du retour et la lenteur de la reconstruction ne pouvaient qu’inciter à reprendre cette lamentation sur ce qui est resté une des ruptures les plus tragiquement décisives de l’Histoire d’Israël.
Le Psaume 80 a une origine plus ancienne. Comme il ne mentionne que des tribus du royaume du Nord, dont le psaume ne dit pas clairement si elles existent encore ou non, ses origines pourraient remonter jusqu’à la période qui précède la chute de Samarie (721). Mais il contient des traits qui permettent de penser aussi à l’époque du roi Josias.
En tout cas, il est facile de comprendre quel usage pouvaient faire de ce psaume les « petites gens » laissées sur place par les envahisseurs. Et c’est dans ce cadre-là que nous l’avons retenu pour ce parcours.

B) JÉRÉMIE
L’activité prophétique de Jérémie s’étend du règne de Josias aux mois qui ont suivi la destruction du Temple. Jérémie n’est donc pas un prophète exilique à proprement parler. Mais il a vécu la dernière décennie du royaume de Juda, et pris parti dans le difficile débat de son temps. Il a appelé à la soumission devant le jugement de Dieu et donc devant la puissance babylonienne.
Sa prédication eut un impact décisif sur les exilés, alors même qu’elle n’avait provoqué que le rejet du prophète par la majorité de ses contemporains. Son annonce répétée de la catastrophe finale a permis que l’événement puisse être compris comme un acte du Dieu d’Israël. Jérusalem détruite n’était pas la défaite de Dieu devant les pouvoirs supérieurs des divinités étrangères.
Mais l’intérêt même de la prédication prophétique de Jérémie va faire de sa transmission et de sa fixation écrite l’objet d’un débat et de tensions qui couvrent plusieurs siècles. Le désordre du livre de Jérémie tel que nous le connaissons témoigne de cette Histoire difficile. Il n’est pas possible de reconstituer minutieusement cette Histoire, mais il importe que le lecteur soit attentif à un fait : certaines parties ont été mises par écrit du vivant du prophète, mais le livre n’a acquis sa forme actuelle qu’au second siècle avant JC, soit quatre siècles plus tard.
Jérémie 29 n’échappe pas à ce processus. Il veut être à l’origine une démarche du prophète envers les exilés de 597, et sans doute une réaction négative de certains d’entre eux. Mais la formulation actuelle du chapitre comporte des éléments exiliques et postexiliques. Nous nous attacherons ici surtout à la lettre du prophète aux exilés, qui témoigne bien de la tension entre l’espérance lucide du prophète et l’illusion idéologique d’une partie du peuple, exilé ou non.

C) ÉZÉCHIEL
Ézéchiel était prêtre à Jérusalem (Ez. 1,1). Il a été déporté dès 597, avec Yoyakin. Son ministère prophétique s’est écoulé de l’été 593 au printemps 571, en exil à Tel Aviv, une des colonies de déportés, située au bord du fleuve Kebar, un canal de dérivation de l’Euphrate, non loin de l’ancienne ville de Nippur, au sud-est de Babylone.
Ezéchiel est ainsi un témoin de l’Exil dans sa première période, sous le règne de Nabuchodonosor et la domination triomphale des Babyloniens. Prêtre, il est particulièrement informé des pratiques du Temple, directement concerné par ce qui advient de l’édifice sacré.
Jusqu’en 587, sa prédication sera pour les déportés comme l’écho en Mésopotamie de la prédication de Jérémie à Jérusalem. Dieu juge son peuple, et Jérusalem sera détruite, malgré tous les espoirs et toutes les illusions contraires. Même la mort de sa femme (Ez. 24,15-27), qui survient peu de temps avant la fin de Jérusalem, est l’occasion d’annoncer le jugement.
Mais à partir de ce moment-là, Ezéchiel devient celui qui annonce pour Israël un avenir. Il voit déjà le Temple reconstruit (Ez. 40-44) et le peuple qui revit (37), et la gloire de Dieu, qui avait quitté Jérusalem, réintégrer la ville reconstruite.
Ezéchiel 34 que nous avons retenu dans le dossier, est à la fois un chapitre facilement compréhensible, et qui, bien que non daté, donne un peuple le ton de la prophétie d’Ezéchiel, entre le jugement sur le passé – et le présent – et l’annonce d’un avenir où s’inscrit le règne de Dieu sur son peuple.

D) UN ANONYME APPELÉ « DEUXIÈME ÉSAÏE »
Aucun livre de l’Ancien Testament n’a été écrit d’une seule traite, d’une seule main. Pour la plupart des livres des prophètes, ce que nous lisons aujourd’hui est le résultat d’un travail de collection. Les disciples des prophètes ont rassemblé, collecté les oracles. Pour le livre d’Ésaïe, les choses sont un peu plus compliquées, car on peut reconnaitre trois parties dans ces 66 chapitres.
Chapitres 1-39 : recueil de prophéties et récits concernant le prophète Esaïe, fils d’Amos. Son activité prophétique se déroule à partir de 740 et jusqu’après 700, en un temps ou la puissance dominante du Moyen-Orient est l’Assyrie.
Chapitres 40-55 : recueil des prophéties d’un prophète qui reste entièrement anonyme, mais qui connait Cyrus (Esaïe 44,28 ; 45,1). Il est de toute évidence membre de la communauté de l’Exil. Sa prédication d’espérance s’inscrit tout entière dans les dernières années de la domination babylonienne, entre 550 et 537. Ce prophète anonyme est désigné aujourd’hui sous le nom de « Second Ésaïe », ce qui correspond au fait que ses paroles ont été ajoutées à celles de son lointain prédécesseur. Il y a aussi à une certaine parenté dans la manière de comprendre et de proclamer l’œuvre du Dieu d’Israël, même si les circonstances sont très différentes.
Chapitres 56-66 : un recueil de prophéties tout aussi anonymes. Il est difficile de dire s’il s’agit des prédications d’une seule personne, ou de la poursuite par un groupe de disciples, de la prédication du Second Ésaïe.

Ésaïe 44,24 – 45,7
est un des sommets de la prédication du Second Ésaïe. Les exilés ne voient dans la progression des armées de Cyrus que l’annonce d’un prochain changement de maitre qui n’apportera rien de bon. Le prophète annonce, lui, que Cyrus est celui que Dieu envoie pour sauver son peuple. Parce que Dieu est le Seigneur de l’Histoire et de la Création, même un roi païen qui l’ignore peut devenir son serviteur, le berger que Dieu donne à son peuple.

Ésaïe 40, 1-17
contient sans doute le « récit » de la vocation du prophète. En tout cas, ce texte fonde l’espérance proclamée tout au long des chapitres 40-55. Elle n’est pas basée sur une analyse de la situation politique et militaire, mais sur la parole de Dieu qui décide de sauver son peuple après l’avoir puni.

REMARQUE :
Il convient de manier avec précaution l’idée que l’Exil est la PUNITION d’Israël. Cette notion se trouve sans doute bien dans l’Ancien Testament. Mais :
– d’une part, tous les textes de l’Ancien Testament qui parlent de l’Exil n’y voient pas le châtiment (Ps 137 par exemple),
– d’autre part, lorsque l’Exil est présenté par des prophètes et des écrivains d’lSRAËL comme la punition du peuple, cela comporte un élément de confession des péchés indéniable, parce qu’ils font partie du peuple. Lorsque nous en parlons de l’EXTÉRlEUR du peuple, nous risquons de nous placer en juges ou en accusateurs, ce que l’Écriture ne nous permet certainement pas.

Crédit : Jean Hadey (UEPAL) – Point KT




Espérer en Exil – Psaume 137

Il n’est pas toujours facile de situer l’origine d’un psaume. Le Psaume 137 est très sûrement l’un des plus récent du recueil, il évoque la situation des exilés Judéens à Babylone après la chute dramatique de Jérusalem en 587 av. JC. C’est donc aussi l’un des rares paumes dont la date d’origine soit pratiquement certaine, car il parle clairement de la situation des exilés à Babylone : temple détruit, murailles rasées, famille royale décimée, déportation des classes dominantes, et sac de la ville…et il en parle au passé. Il s’agit donc d’un psaume qui date d’après 537, en un temps où la possibilité du retour n’a pas estompé la douleur de la destruction du temple et de la déportation.

Au bord des fleuves : il s’agit des canaux de la basse Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate. Ces fleuves sont assez caractéristiques du pays de l’Exil pour des Israélites qui ne connaissent que la montagne de Judée et le petit cours d’eau qu’est le Jourdain.
Il est possible que les exilés, qui n’avaient pas de lieu de culte, se réunissaient au bord de l’eau pour des assemblées de prières.

Nous étions assis : être assis est une pose du rituel de lamentation. Il comprend aussi le fait de s’habiller de sacs et de se mettre de la poussière sur la tête (voir Lamentations 2/10-11). Il est possible que ceux qui priaient ainsi se tournaient dans la direction de Jérusalem (I Rois 8/48).

En pensant à : il ne s’agit pas d’un simple souvenir douloureux, mais bien d’un acte de commémoration rituelle. Les versets 1-2 nous présentent une communauté d’exiles réunis pour une lamentation rituelle sur la destruction de Jérusalem.

Sion : c’est le nom cananéen de la citadelle dont David s’est emparé avant d’en faire sa capitale (II Samuel 5/7). Ce nom désigne la colline du Temple, lieu de la présence de Dieu au milieu de son peuple (Psaumes 2/7 ; 14/7 ; 65/2 ; Amos 1/2). Penser à Sion, ce n’est pas se souvenir du pays qu’il a fallu quitter, mais ressentir la distance qui sépare les exilés de la présence de Dieu.

Nous avions pendu nos cithares : la cithare est un instrument à cordes dont le nom est associé à la joie et à la louange du Dieu d’Israël (Psaumes 33/25 ; 43/4 ; 57/9 ; 71/22 ; 81/3 ; 92/4 ; 98/5 ; 108/3 ; 147/7 ; 149/3 ; 150/3).
Que les cithares restent pendues aux saules du voisinage annonce déjà la suite du Psaume : les exilés ne sont pas en mesure de louer Dieu. Ce trait correspond également à l’idée que les choses participent à la plainte (voir Lamentations 1/4).

Nos bourreaux : le mot hébreu employé ici est unique dans l’Ancien Testament. Sa racine fait penser à des gens qui imposent de mauvais traitements. Mais le parallèle avec « conquérant » suggère aussi qu’il s’agit des gardiens qui retiennent les exilés au loin.

Chant de Sion : les chants de Sion chantent la gloire que Dieu fait à Sion par sa présence. On en a des exemples avec les Psaumes 76, 84, 87, 122. Les vainqueurs demandent aux exilés de chanter les chants de triomphe de Sion, alors que la ville est anéantie. Il y a la plus que de l’ironie ou du mépris. Il s’agit d’obliger les exilés à mesurer la distance entre leurs chants liturgiques passés et la réalité présente. On retrouve ici un motif des psaumes de lamentations : la raillerie qui met en cause la foi elle-même : où est ton Dieu ? (voir, par exemple, les Psaumes 22/9 ; 79/10 ; 115/2). 

Un chant du Seigneur en terre étrangère : les chants du Seigneur sont les chants en l’honneur du Dieu d’Israël désigné par son nom propre.

YHWH – La vraie prononciation du nom de Dieu nous est inconnue parce que depuis des siècles le nom divin n’est plus prononcé par les juifs, en raison de sa sainteté.
Certaines éditions de la Bible rendent ce nom par « Éternel » qui n’est qu’une traduction très approximative. Par respect pour les juifs qui ne prononcent pas ce nom divin, on en vient de plus en plus à substituer le titre « Seigneur » au nom propre de Dieu.

Les chants de Sion sont des chants à la louange du Seigneur. Il est impossible de louer Dieu en terre étrangère, car cette terre est impure (Osée 9/3-4 ; Ézéchiel 4/13). Le culte du Seigneur y est impossible. Le refus de chanter opposé aux vainqueurs est d’ordre rituel, non de l’ordre des sentiments de tristesse.
Les exilés étaient en quelque sorte pris au piège : aux vainqueurs méprisants, ils se devaient de répondre en proclamant leur foi. Mais les exigences rituelles de leur foi rendaient une véritable réponse impossible.

Au bord des fleuves…

Si je t’oublie, Jérusalem : un des membres de la communauté qui se lamente intervient en « soliste ». Il prononce une malédiction envers lui-même, s’il devait oublier Jérusalem. En fait, cette malédiction est bien un chant de Sion, une proclamation de fidélité envers le lieu de la présence de Dieu et de fidélité à Dieu. Jérusalem est la joie la plus haute, à cause de la présence de Dieu. Et aucun exil n’y doit rien changer.

Que ma droite oublie… : Telle qu’elle, la phrase n’a pas beaucoup de sens, à moins de lui imaginer une suite. Une très légère correction du texte hébreu permet de traduire « que ma droite se dessèche ». La malédiction est alors très forte, car la droite, c’est la force d’un homme. Et le soliste du Psaume accepte que sa force se dessèche et se ruine, s’il oublie Jérusalem.

Que ma langue colle à mon palais : bien sûr, cela signifie que celui qui parle deviendrait muet. Mais à la suite de la main, c’est la bouche qui sèche, allusion à la soif et à la fièvre de la maladie (voir Psaume 22/15-16).

Pense aux fils d’Edom : Edom est un peuple sémite qui occupait le sud-est de la mer Morte. Les traditions bibliques se souviennent aussi bien de la proximité que des rivalités entre Edom et Israël (Genèse 27/33 ; 36). Au moment de la prise de Jérusalem, les Édomites ont pris le parti de Babylone et ont probablement participé à la curée. Plusieurs textes exiliques font allusion à cette attitude de faux-frères pour laquelle Israël demande vengeance (Lamentations 4/21 ; Abdias 8-15 ; Ezéchiel 25/12-13 ; 35/5-6).

Fille de Babylone : Désigne la population de la ville, comme ailleurs « fille de Jérusalem ».

Heureux qui… : le cri de vengeance contre Babylone s’exprime au travers d’un vœu de bonheur pour le vengeur « qu’il soit heureux, celui qui fera subir à Babylone ce que Babylone a imposé à Jérusalem ». L’ironie du psalmiste répond à celle des gardiens au verset 3.

Pour les broyer sur le roc : l’image est d’une brutalité totale. Mais c’est aussi l’écho sans fard des pratiques de la guerre (Osée 10/14 ; 14/1 ; Nahoum 3/10 ; Esaïe 13/16 ; II Rois 8/12 ; Luc 19/43). Ces pratiques expriment le désir d’anéantissement total du peuple vaincu.
Tout le psaume est dominé par les regrets et la plainte. À aucun moment ne s’exprime l’ombre d’un sentiment de responsabilité dans l’origine de la catastrophe. Rien qu’un désespoir qui éclate en souvenirs douloureux et en désir de vengeance.
Ce désir de vengeance se traduit dans une image d’horreur violente qui correspond aux mentalités du temps, mais qui est tempérée par le fait que ceux qui réclament cette vengeance en laissent l’accomplissement aux mains de Dieu.
Cependant, la fin du psaume indique aussi que la fin de l’Exil et la possibilité du retour ne suffisent pas aux yeux de tous les Juifs. Ils restent dans l’attente de l’accomplissement d’une justice de Dieu plus complète et plus radicale.
La lamentation porte sur le souvenir de l’Exil, et précisément sur l’impossibilité de louer Dieu loin de son sanctuaire. C’est là une conséquence de la loi du Deutéronome (12/1-31) et de la réforme de Josias (II Rois 22 et 23), qui centralise tout le culte à Jérusalem.
Entreprise pour lutter contre l’idolâtrie, pour restaurer la pureté du culte d’Israël, cette centralisation laisse les exilés presque privés de culte, et leur seul espoir se cristallise sur la reconstruction du Temple et le rétablissement du culte.

Cependant, les difficultés du retour et les souvenirs amers des humiliations subies font aspirer à un rétablissement et à une réparation plus complète. Et même rentrés à Jérusalem, les Anciens continuent à se lamenter sur la ruine du temple de Salomon.

L’Exil à Babylone (arc de Titus)

Cette fiche biblique est en lien avec l’article : Là-bas au bord des fleuves de Babylone – Espérer en Exil.

Concernant les versets 17 à 22, on lira avec intérêt l’excellent petit ouvrage de Thomas Römer : Psaumes interdits. Du silence à la violence de Dieu, aux éditions du Moulin (2007). Présentation du livre

Crédit : Point KT




Espérer en Exil – Psaume 80

Le livre des Psaumes n’est rien d’autre qu’un recueil de cantiques retenus par les lévites. Il en a donc toutes les caractéristiques : il réunit des prières composées et chantées à des siècles de distance, par des poètes et des musiciens croyants qui ont mis dans leurs œuvres les joies et les préoccupations de leur temps, que ce soient celles de tout le peuple, ou des sujets tout personnels.

Le verset 1, comme le début de nombreux Psaumes, comporte un certain nombre d’indications dont la traduction et la compréhension restent très hésitantes. À titre d’information, voici ce qui peut en être dit, étant bien entendu qu’il s’agit d’une introduction mise là lorsque le Psaume a été intégré dans le recueil, et dont la compréhension ne changera pas le sens général du psaume.

Du chef de chœur : ou « au chef de chœur » ou « pour l’exécution musicale ». 55 psaumes portent cette introduction qui signifie que les indications qui suivent concernent l’interprétation du chant.

El-shoshannim : peut-se traduire « sur les Lis » ce qui serait une indication de mélodie ou « sur un instrument à 6 cordes ».

D’Asaph : est une indication d’auteur qui, dans ce cas précis, ne nous apprend rien, sinon que ce Psaume est du même auteur que les Psaumes 73 à 81, 50 et 83.

Psaume : le mot traduit ici par psaume implique qu’il s’agit d’un chant accompagné avec des instruments de musique.

Berger d’Israël : l’image qui fait de Dieu le berger d’Israé1 est traditionnelle (Genèse 49,24) et courante dans le culte de Jérusalem (Psaumes 23,2 ; 77,21 ; 79,13 ; 95,7 ; l00,3). L’image du berger est de toute manière courante dans tout le Moyen-Orient ancien. Elle exprime à la fois la puissance, l’autorité et l’attention bienveillante de celui qui détient le pouvoir sur le peuple. Ici la formule souligne le lien étroit qui unit Dieu a son peuple, et qui rend incompréhensible que Dieu laisse le peuple dans la situation difficile que décrit le psaume.

Israël : ce nom désigne les 12 tribus, la totalité du peuple, même si la suite n’en mentionne qu’une partie. Il y a dans le psaume, comme chez les prophètes, une aspiration à l’unité du peuple de Dieu qui s’exprime ainsi à travers des détails dans l’expression auxquels il convient d’être attentif.

Joseph, Ephraïm, Benjamin, et Manassé : les tribus ainsi désignées sont étroitement liées entre elles : Ephraïm et Manassé sont deux demi-tribus qui se réclament du même ancêtre commun : Joseph (Genèse 41,50-52 ; 48,1-20). Benjamin est le jeune frère de Joseph, né de la même mère, Rachel (Genèse 30,22-24 et 35,16-18). En parlant de Joseph, le psaume fait allusion au séjour en Egypte. Ephraïm était devenue la tribu la plus importante de Palestine centrale, et il arrivait qu’elle soit nommée seule pour désigner le royaume du Nord (Osée 5,3-14).

Les chérubins : le mot désigne un animal composite (bœuf, homme ou lion doté d’ailes). Il représente un monstre des origines que Dieu a écrasé et qu’il utilise comme son « siège ».

Toi qui sièges sur les chérubins : la désignation est fréquente (I Samuel 4,4 ; II Samuel 6,2 ; II Rois 19,15 ; Ésaïe 36,16…). Elle tire son origine du culte de Silo, et de l’Arche de l’alliance surmontée de deux chérubins qui est comprise comme le siège de Dieu (Exode 25,22 ; II Rois 6,23-28). Avec l’Arche, cette représentation est passée à Jérusalem et devenue une formule traditionnelle du culte de Jérusalem. Or les traditions sur l’Arche de l’alliance sont marquées par la notion de guerre sainte, ou plus exactement de la guerre livrée par Dieu lui-même en faveur de son peuple. C’est ce Dieu-là qui est appelé à se manifester.

Relève-toi : ce qui est demandé à Dieu, c’est de se manifester comme le Dieu qui, de toute sa puissance, vient combattre pour son peuple, comme au temps de la conquête et des Juges.

Réveille ta vaillance : c’est toujours le thème de la guerre sainte ou Dieu intervient comme un héros courageux dans la pratique des combats singuliers par exemple (David et Goliath).

Dieu, fais-nous revenir : le v. 4 est une sorte de refrain qui sera repris sous des formes légèrement différentes en 8 et 20. Le verbe hébreu traduit ici par revenir est aussi celui qui est ailleurs utilisé pour parler de conversion. Il a sans doute ici les deux sens : le peuple demande à être restauré par Dieu dans sa situation passée, situation faite de prospérité et de victoire, mais aussi d‘une relation vraie entre le peuple et son Dieu.

Que ton visage s’éclaire : cette formule fait partie des images qui servent à exprimer les sentiments. Si le visage s’éclaire, c’est que la colère, la sévérité est passée, que Dieu sourit à son peuple avec bienveillance.

Seigneur Dieu le tout-puissant : cette expression traduit une désignation de Dieu assez fréquente dans l’ancien Testament que d’autres traductions rendent par « Dieu des armées » ou transcrivent simplement de l’hébreu : « Tsébaoth ». C’est un titre donné au Dieu d’Israël dans le cadre du culte de l’Arche de l’alliance qui était emmenée au combat (I Samuel 4,4 ; 17,45). On a pensé que ces armées pouvaient être des armées d’anges (Psaume 103,21) ou d’étoiles (Esaïe 40,26), mais l’ancien Testament parle dans ces cas-là toujours au singulier – l’armée des anges ou l’armée céleste. La formule au pluriel désignait bien des armées de guerriers humains, avant de devenir une abstraction pour dire la puissance de Dieu, puissance qui agit sur la terre et dans l’histoire des peuples.

Pourquoi… ? Jusqu’à quand ? : ces deux questions qui se retrouvent dans d’autres psaumes de lamentations (10,1 ; 13,2,3 ; 22,2 ; 44,24,25 ; 74,1,10 ; 79,6 et 88,15) disent le désespoir d’une souffrance inexplicable qui se prolonge et dément tous les espoirs de délivrance, et qui met en cause la confiance du croyant en Dieu.

Contre les prières de ton peuple : l’idée n’est pas que Dieu condamne les prières qui lui sont adressées, mais que malgré les prières, la colère de Dieu se prolonge, que la souffrance du peuple est un état durable.

Un pain pétri de larmes : les images de ce verset indiquent, elles aussi, un malheur qui dure. Le peuple continue à vivre, il a de quoi faire son pain et se nourrir, mais tout en faisant ce pain qui assure sa survie, il pleure et ses larmes se mêlent à la pâte.

Tu fais de nous la querelle de nos voisins : indique une situation où les puissances voisines d’Israël s’affrontent pour dominer le pays, situation qui peut correspondre à différents moments de l’histoire d’Israël. Ces ennemis se moquent de la faiblesse d’Israël, mais le peuple sait que son sort dépend avant tout de son Dieu.

La vigne que tu as retirée d’Égypte : l’image de la vigne pour désigner Israël est aussi courante que celle du berger pour désigner Dieu (Osée 10,1 ; Ésaïe 5,1-7 ; Jérémie 2,21). C’est une image très concrète, qui parlait tout naturellement à tout habitant de la Palestine. Chacun savait en effet tout le travail et tout le soin dont il faut entourer une vigne : dépierrage, plantation, mur de clôture pour abriter la plantation des animaux et des rôdeurs, taille et entretien. Dire qu’Israël est la vigne de Dieu, c’est rappeler d’un mot tous les efforts de Dieu en faveur de son peuple, tous les soins attentifs dont Dieu a entouré Israël et que le psaume détaille brièvement :
– v. 9 Exode et installation en Canaan
– v. 10 temps des Juges
– v. 11 souveraineté assurée et tranquille
– v. 12 extension maximum d’Israël à la fin du règne de David, qui atteignait la Méditerranée à l’ouest et à l‘Euphrate au nord-est.
Ainsi la prière – refrain des versets 4,8 et 20 – renvoie à la splendeur du royaume de David et demande sa restauration.

Pourquoi as-tu défoncé ses clôtures : le souvenir du passé rend le présent encore plus douloureux et plus incompréhensible. Dieu a abandonné sa vigne : tous ses efforts sont anéantis et le pays est livré au pillage et à la dévastation. Et tout cela à cause de la colère de Dieu.

Dieu le tout-puissant, reviens donc : dans une variante du refrain, le peuple qui prie appelle Dieu A revenir pour prendre soin de sa vigne abandonnée. Dieu est invité à sortir de son absence mystérieuse et à se manifester en force en faveur de son peuple. Il doit regarder, voir, et mettre en route la délivrance, comme il l’avait fait au temps de Moïse (Exode 3,7-10). Mais ce retour de Dieu vers sa vigne n’est pas sans impliquer aussi un retour de Dieu sur lui-même, un retour sur sa colère pour retrouver les relations anciennes.

Sur le fils qui te doit sa force : ce vers du psaume est probablement un rajout, qui s’appuie sur le verset 18 et cherche identifier la vigne avec la dynastie davidique (un peu dans le sens d’Ésaïe 11,1). Nous avons là une trace de l’histoire du psaume qui est adapté à une nouvelle compréhension.

Devant ton visage menaçant ils périssent : c’est un appel à Dieu pour qu’il intervienne contre les ennemis. Le visage menaçant de Dieu les anéantit comme son visage qui s‘éclaire fait vivre le peuple.

Pose la main sur l’homme qui est à ta droite : ce verset est une prière pour le roi, présenté comme celui qui est à la droite de Dieu, selon une habitude de l’Orient ancien, qui place le roi en relation étroite avec la divinité du peuple. Le roi est celui à qui Dieu donne le pouvoir, il est le fils que Dieu éduque.
Cette prière pourrait concerner Josias, le roi dont on espérait la reconstitution du royaume de David. Mais la fin du verset 16 montre que cette prière s‘est aussi insérée dans l’espérance messianique du peuple privé de roi.

Alors, nous ne te quitterons plus… : le verset évoque un renouvellement de l’alliance (comme Josué 24 et II Rois 24) qui serait l’aboutissement d’un double retour en arrière : celui du peuple restauré et celui de Dieu. Ainsi serait rétablie la vraie relation vivante de Dieu avec Israël (voir Psaume 71,20 ; 85,7 ; Osée 6,1).

On peut sans difficulté imaginer le chant de ce psaume dans la bouche des Juifs laissés sur place après la destruction de Jérusalem. La description de la vigne dévastée, incendiée et rasée les concernait dans leur existence même : ce tableau, ils l’avaient sous les yeux, jour après jour. Et même s’ils l’avaient (eux ou leurs ancêtres) déjà chanté auparavant, la catastrophe absolue qui s’était abattue sur eux donnait à chaque mot du psaume toute sa force.
Contrairement au Psaume 137, celui-ci contient, au moins de manière allusive, une reconnaissance de faute : une rupture a eu lieu entre Dieu et son peuple, une rupture aux conséquences désastreuses et à laquelle le peuple ne peut survivre que par le rétablissement d’une relation vivante entre Dieu et son peuple. Pour que ce rétablissement ait lieu, un double retour est nécessaire : celui de Dieu vers sa vigne, celui du peuple vers son Dieu. Pour le Psaume 80, c’est cependant le retour de Dieu qui est premier et décisif, car c’est aussi à Dieu de faire revenir son peuple.

Dans ce psaume de lamentation, l’espérance est tout entière tournée vers Dieu. On se lamente devant lui parce que lui seul peut apporter un secours et rétablir la situation. Tout le passé vécu entre Israël et son Dieu atteste aussi bien que Dieu peut sauver son peuple et qu’il éprouve pour lui un attachement qui justifie tous les espoirs.
Mais l’espérance est toute entière aussi dans un messianisme « politique ». Ceux qui prient ce psaume demandent la reconstitution d’un royaume avec des frontières sûres et reconnues selon les formules d’aujourd’hui. Leur idéal, c’est le royaume de David. Et ils comptent sur Dieu pour entreprendre une nouvelle guerre sainte qui leur rendra l’indépendance, la souveraineté, la sécurité et la paix.

Cette fiche biblique est en lien avec l’article : Là-bas au bord des fleuves de Babylone – Espérer en Exil.

Crédit : Point KT




Béatitudes

Les sentences sur le bonheur sont légions ! Avec chacune sa part de sagesse. Heureux comme un pinson ! suggère que le bonheur résiderait dans l’insouciance de l’oiseau qui se laisse vivre… l’Ecclésiaste ne dit-il pas : « Celui qui augmente son savoir augmente son chagrin » ! Et pourtant, les choix que nous faisons, la réflexion qui préside à nos décisions, ne sont-elles pas déterminantes pour vivre heureux ?


C’EST LE THÈME DU BONHEUR QUI SE TROUVE AU CŒUR DES BÉATITUDES. 
Heureux comme un Robinson, seul sur son île, pourrait évoquer que ce sont les autres qui gâchent tout. Et pourtant, au seuil des Écritures, la constatation « il n’est pas bon que l’homme soit seul » reconnaît la nécessité de la relation, le bonheur du partage. Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite ! ironise sur celui qui pense : le bonheur c’est demain, pas aujourd’hui. Quand j’aurai fait, quand j’aurai eu… alors ça ira mieux. Et n’est-ce pas avec une pointe d’envie et avec insatisfaction que certains se disent « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… » Si j’avais fait comme lui, rempli autrement ma vie… alors je serais heureux.
Les marchands de bonheur sont nombreux ! La science, la philosophie, la religion ont proposé, depuis l’Antiquité, beaucoup de manières différentes de voir les choses.

Les béatitudes viennent de plus loin que les évangiles.
Elles plongent leurs racines dans l’Ancien Testament. À travers toute la Bible, on compte une cinquantaine de ces béatitudes, dont vingt-cinq pour le seul livre des Psaumes. En voici quelques-unes :
Ps 83 : Heureux les habitants de ta maison, ils te louent sans cesse.
Ps 112 : Heureux l’homme qui s’appuie sur le Seigneur.

On peut continuer en glanant de-ci de-là ces béatitudes d’avant Jésus. Peut-être n’ont-elles pas la même densité que celles des évangiles. Elles sont formulées comme de simples sentences tandis que celles rapportées par Matthieu se déroulent en deux temps : un énoncé suivi d’une déclaration ou promesse, par exemple : « Heureux les doux : ils auront la terre en héritage. »

La prière de Jésus était nourrie de ces béatitudes des psaumes ; aussi, tout naturellement, à l’occasion de ses rencontres et prédications, selon l’inspiration, il en créait d’autres.

S’adressant à ses disciples, il leur dit : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » (Luc 10:23). Et lorsque cette femme du peuple, elle-même nourrie d’Ancien Testament, s’exprime dans le langage des béatitudes : « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés », Jésus reprend : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ! » (Luc 11:27).

Jean relate cette magnifique béatitude de la foi lorsque Jésus déclare à Thomas : « Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu » (20:4). Après la profession de foi de Pierre, Jésus dit à son apôtre : « Heureux es-tu, Simon : ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont fait cette révélation, mais mon Père des Cieux ». Et encore, après Jésus, elles ont continué à fleurir. Preuve en est cette béatitude de l’Apocalypse : « Heureux les gens invités au festin des noces de l’Agneau » (Apoc. 19:9).
Il ne faudrait pas imaginer que les béatitudes, tel que nous les donnent Matthieu (et Luc par ailleurs), aient été récitées par Jésus à la suite, aient été prononcées les unes après les autres. Mais on peut dire qu’elles résument l’essentiel du message du Maître.

  • VENONS-EN AU CŒUR DU MESSAGE D’ENSEMBLE DES BÉATITUDES

Voilà l’affirmation de Jésus : le bonheur existe. Il peut être vécu ici et maintenant. Cessez de raisonner comme avant. C’est un appel à rompre avec les traditions éculées de « œil pour œil » et du « dent pour dent ».

C’est aussi et surtout un faire-part, des félicitations de Dieu. Nouvelle révolutionnaire, la proclamation des Béatitudes est une véritable distribution de prix à ceux que la société des gens d’argent et de pouvoir considère comme des faibles.

Le monde n’a que faire de cette cour des miracles rassemblant des pauvres et affamés.
Et pourtant : Ceux que l’on juge faibles, voilà les forts !
C’est un peu comme si Dieu nous chuchotait à l’oreille : « Mais cessez donc de regarder les vedettes, les « m’as-tu-vu » célèbres, les « machos », ceux qui en mettent plein la vue, en vous imaginant que le bonheur est à l’image de leur apparente réussite. Non !

« Heureux les pauvres, les doux, les purs, les miséricordieux, les artisans de paix et même ceux qui pleurent et sont persécutés. ».

Attention ! Jésus ne magnifie pas la détresse humaine, mais l’espérance que notre terre sera un jour transformée.
Attention ! Ce qui nous rend heureux, ce n’est évidemment pas la pauvreté, la faim, les pleurs, la persécution, mais :
– la chaleur de l’amour, de l’amitié, de la fraternité humaine rassemblée pour lutter avec douceur avec douceur et miséricorde dans la passion de la justice,
– la pureté du cœur,
– et enfin la paix illuminée par l’espérance du Monde nouveau qu’instaure la Résurrection.

Devant l’idéal de perfection que supposent les Béatitudes et leur force de provocation, on pourrait être tenté de se dire : Trop dur ! Non, merci… pas pour moi ! »
Pour qui alors ? Tout d’abord pour celui qui consent à recevoir les Béatitudes essentiellement comme une nouvelle venant de Dieu. Elles sont avant tout un don de Dieu. Don que Dieu nous fait de sa Parole de vie pour que nous fassions connaissance avec Lui, avec le Royaume.
Les Béatitudes ne sont donc pas à comprendre comme un précepte à observer, mais plutôt comme une invitation à saisir. Jésus ne donne pas un ordre : « Il faut » être pauvre, doux, etc. » ; il fait un constat de bonheur : « Heureux » rime avec « Si tu veux ».

  • HEUREUX !

Nous répétons : heureux, heureux, mais savons-nous ce que représente ce bonheur ?

Pour le juif de l’Ancien Testament marqué par ses ancêtres nomades, est heureux celui qui peut marcher. Être heureux c’est le contraire d’être installé une fois pour toutes dans la réussite sociale, les richesses, le confort, la célébrité, et même l’amour.
Marcher !

– C’est le terme même qui exprime le bonheur dont Dieu rêve pour son peuple à venir lorsqu’il fait alliance avec Abraham : « Marche, dit le Seigneur, marche en ma présence » (Genèse 17 : 1).
– De Noé – si juste qu’il a « mérité » de sauver l’espèce humaine – il est écrit : « Il marchait avec Dieu ».
– Et de nous-mêmes que disons-nous quand on est heureux : « Ça marche ! ».

Oui, les Béatitudes nous sont offertes pour que ça marche. Dans l’évangile, cette conception un peu rudimentaire du bonheur s’affine. Le mot grec « macarios » suggère qu’il s’agit d’un bonheur caché à découvrir, impliquant un dépassement. Un bonheur qu’on ne peut découvrir que si l’on avance, donc que si l’on marche. L’homme heureux selon la Bible est celui qui consent à progresser, à aller de l’avant, à aller plus loin.

– Dieu aime ces femmes et ces hommes qui consentent à faire de l’horizon le point de mire de leur vie.
– Dieu apprécie que, dans nos limites, nous lui fassions confiance pour qu’il nous entraîne là où l’on ne voudrait peut-être pas aller, là où l’on ne pourrait pas aller sans lui. Dans ce cas, Dieu nous félicite.

Et que veut dire « félicité », sinon « bonheur » ? À travers les Béatitudes, Dieu félicite ceux qui veulent bien découvrir son bonheur. Dieu félicite, c’est-à-dire Dieu rend heureux. Dieu dit « bravo » ! Dieu nous invite à applaudir au bonheur qu’il propose. C’est comme si Dieu nous disait : « Tous mes vœux de bonheur ! »
Les tonalités de ce bonheur sont variées. C’est dire qu’il y a dans la gerbe des béatitudes :
– celles qui correspondent aux souffrances les plus cruelles de la condition humaine : la pauvreté, les larmes causées par les afflictions de toutes sortes, la faim dans le monde, la persécution ;
– celles qui correspondent aux aspirations les plus nobles de l’homme : la douceur, la passion de la justice, l’amour, la pureté du cœur, la paix.

Quand Mathieu et Luc ont rédigé ces béatitudes, les communautés chrétiennes les ont lues à la lumière du Christ ressuscité. Dès sa naissance, l’Église a donc eu confiance en la puissance de vie qu’elles portent en elles. Nous voilà à la fois prévenus et rassurés. Le bonheur n’évite pas le chemin de la croix. Il débouche sur la joie de la résurrection. Nous ne sommes pas fous de miser notre vie sur les Béatitudes, car elles sont issues de la Résurrection dont elles nous offrent le fruit. Croyant que le Christ a vaincu les forces du mal, nous pouvons croire du même coup que les Béatitudes sont et seront finalement l’expression de cette victoire des forces de vie sur les forces de mort.

  • LES BÉATITUDES SUPPOSENT LA FOI ET SE PROPOSENT À NOTRE ESPÉRANCE

Bien sûr, il faut une foi à renverser les montagnes pour croire que le Ressuscité fonde la crédibilité de l’utopie chrétienne contenue dans les Béatitudes. L’espérance que drainent les promesses de voir le Royaume, d’être consolés et appelés fils de Dieu, est une espérance dans la nuit « car voir ce que l’on espère, n’est plus espérer » dit saint Paul. Et l’amour est rudement mis à contribution pour faire miséricorde et ne pas considérer avec haine l’ennemi qui persécute. C’est sur cette base des Béatitudes que se fonde la morale évangélique :
– Le bonheur qu’elles révèlent s’épanouit alors comme le fruit de relations humaines interpersonnelles harmonieuses fondées sur l’amour. Un amour qui exige la conversion du cœur.
– La morale de l’Évangile qui s’inspire des béatitudes, loin d’être confinée dans un réseau de préceptes individualistes, est un art de vivre en commun.

Assurément les Béatitudes exigent un retournement du cœur au plan individuel. Mais cette dimension personnelle trouve sa pleine mesure dans les rapports de société. Face aux exigences d’ouverture aux autres que créent les Béatitudes, on peut déclarer qu’elles sont fondatrices de ce qu’on appelle aujourd’hui une morale collective, morale du Royaume que nous sommes appelés à vivre ici et maintenant pour être heureux. Morale collective qui trouve son expression la plus forte dans le « Notre Père » au centre du discours – programme qu’introduisent précisément les Béatitudes.

« Notre Père, fais que nous puissions nous donner, nous les humains, le pain de chaque jour, gagné par la paix, partagé en justice. Fais que nous puissions nous réconcilier au sein de tant de guerres où l’homme est persécuté. Et cela grâce à l’heureuse douceur qui émane de la miséricorde ! »

Les Béatitudes forment un tout. Un ensemble parfaitement unifié. Une gerbe harmonieuse où chacune d’elle à sa place, comme une fleur dans un bouquet composé avec goût.
Ainsi, devant la misère qui ronge beaucoup d’hommes et de femmes ici et sur plusieurs de nos continents – ceux des continents stérilisés par l’aridité, ceux des bidonvilles et grandes villes comme ceux touchés par des cataclysmes –, la solidarité à promouvoir relève de l’interaction des Béatitudes entre elles. Car ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans la pénurie sont à la fois des pauvres avec qui partager, des affligés à consoler, des affamés à rassasier…
– Comment coopérer à leur libération sans la gratuité que suppose la pureté de cœur ?
– Comment ouvrir les espaces de l’endettement sans cette issue qu’est la miséricorde qui suppose la remise des dettes ?
– Comment parler de paix si l’on ne voit pas que le sous-développement ne peut qu’engendrer à long terme la violence et la guerre ?
– Comment parler d’équité et d’équilibre entre favorisés et défavorisés si la passion de la justice ne l’emporte ?
– Comment défendre les opprimés si l’on ne prend pas le risque d’être persécutés ?
Ainsi, le fait du sous-développement comme celui de l’exclusion font apparaître la cohésion des Béatitudes. L’une ne va pas sans l’autre.

Les Béatitudes s’appellent donc l’une l’autre. Que ferait par exemple la miséricorde sans la douceur ? Douceur qui, plus d’une fois, ne va pas sans larmes lorsqu’il s’agit de faire régner la paix. Et cette paix peut-elle naître en dehors des cœurs purs et sans consentir à une certaine pauvreté ? Pauvreté qui est renoncement à la mentalité d’ayants droit. Et à quoi ressemblerait cette pauvreté si elle n’était pas riche en passion des affamés de justice ? Et cette faim de justice, de quoi aurait-elle l’air si elle baissait pavillon devant la persécution ? Dans ce jeu de renvoi, on peut indéfiniment placer et replacer les Béatitudes les unes par rapport aux autres dans un ordre différent.

Soyez heureux ! Ce n’est pas moi qui le dis… mais le Ressuscité. Soyez heureux !

Crédit : – Point KT