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Les sentiments humains dans la Bible

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La Bible est remplie de toute la gamme des sentiments humains que l’on trouve exposés tout au long de ses pages. Mais loin d’être un simple catalogue de descriptions d’états d’âmes, la Bible va plus loin… D’ailleurs, la manière dont nous tentons actuellement d’oublier la crise en nous adonnant aux divertissements, émotions et plaisir, pose question.Le propre de  l’humain n’est-il pas de continuer à se poser des questions sur le sens de la vie. En quoi vaut-elle encore la peine d’être vécue ? Tout cela n’est-ce pas absurde et ne faut-il pas se laisser aller aux émotions et « s’éclater » dans le présent ? Bonheur, plaisir, souffrance… Quelques réflexions, compagnes sur les routes de nos sentiments…

  • Les sentiments humains dans la Bible.

Qu’est-ce que le bonheur ? Où comment être heureux ? Qui sait ? Comment être heureux ? Derrière chaque affirmation classique ancienne, une interrogation, une remise en question. Qohéleth (l’Ecclésiaste) est le champion du déconstructionnisme. Muni d’une solide expérience et de bons sens, il en a trop vu pour se laisser aller aux illusions. L’une de ses citations favorites est symptomatique : « Tout n’est que fumée et poursuite de vent… ». Elle traduit une attitude lucide et presque désabusée devant la fatalité de la mort. Ses remarques pertinentes pourfendent la sagesse classique : oui ! L’homme meurt tout comme l’animal ! Il n’y a pas de rétribution terrestre pour le juste, pas de justice…

Faut-il pour autant devenir un sceptique ? Qohéleth se place à hauteur d’humain. Il pose les questions qui font mouche : d’où vient le sens de la vie ? De l’accumulation de richesses ? De la maîtrise de la sagesse ? De la jouissance sexuelle ou gustative ? De la quête de la domination ? Peut-être que le véritable sens proviendrait justement du manque. La jouissance n’est pas mauvaise en soi, mais le devient lorsque l’on prétend y trouver un sens. De même l’avoir, donne-t-il de l’être ? Y-a-t-il de l’être et pas seulement du profit dans le travail humain ? Question éminemment actuelle. Tout comme Socrate, Qohéleth arrive à la conclusion qu’il ne sait finalement pas grand-chose, sinon qu’il nous propose de vivre la vie à contre-courant et d’en repérer les contresens pour en trouver le sens…

  • Amour et plaisir

Dieu a créé, avec l’humain, les caractères physiques et physiologiques qui nous composent ; dont les pulsions sexuelles et le plaisir. Deux conceptions parallèles se retrouvent dans l’AT.

1. Une conception laïque. Dieu a crée l’homme puis de sa côte il forme une femme (ish/isha). Ils sont partenaires sexuels appelés à n’être « qu’une seule chair » (Genèse 2:18-25). La sexualité ici met fin à la solitude humaine (Genèse 2:18). L’homme a besoin d’une vis-à-vis pour faire l’expérience de sa plénitude (Genèse 2:22-24).
2. Une conception sacerdotale : soit homme et femme comme des êtres sexués à l’image de Dieu. Il leurs commande de peupler la terre et de la dominer (Genèse 1:26-31). Le but final étant la procréation (Genèse 1:28). Dans ces récits des origines, il n’est pas question de culpabilité, de honte, de pudeur ou de tabous…C’est quand le ver est dans le fruit défendu que tout bascule… Dans les textes du NT, le plaisir et le sexe sont rapprochés de la tentation et considérés comme quelque chose à éviter. L’on se distingue par rapport au monde païen (épicurisme) à travers l’exhortation à la virginité et à la sacralité du corps !

  • Le plaisir oui ! Mais pas à n’importe quel prix !

L’acte sexuel, à travers l’union entre deux êtres, est fondamental pour l’Ancien Testament. Il le place dès le début de l’histoire de l’humanité. Si cette vision idéalisée présente la vie « côté jardin », ces mêmes récits ne cachent rien des perversions, de la violence et des dégâts que peuvent causer la recherche effrénée du plaisir.

Sont traités les problèmes de l’inceste sur fond de rivalités intertribales et de viols. La sagesse classique, incitant à la tempérance, présente en Joseph le modèle du vertueux qui évite les pièges de la séductrice, symbolisée par la femme de Potiphar. D’un point de vue législatif, on constate que la femme est considérée comme une possession, au même titre que le bœuf ou l’âne. L’histoire d’Amnon et de Tamar illustre les relations incestueuses interfamiliales. Après son viol, la victime est haïe, déshonorée avec toute sa famille, stigmatisée par la honte, et vouée à ne plus pouvoir trouver de mari.

Le sexe sert aussi d’instrument politique : Pour assoir son autorité sur le peuple et sa supériorité sur son père, Absalom fait dresser une tente sur la terrasse du palais royal et couche avec toutes les concubines de son père. Après vérification de son impotence, David est destitué en tant que souverain et remplacé par un roi plus jeune et plus « vigoureux ».

  • Le Cantique des Cantiques : un érotisme « canonisé » ?

En pénétrant, à nouveau, dans le jardin secret des amoureux, il faut se souvenir que le Cantique des cantiques est le cantique d’amour par excellence. L’amour célébré dans le Cantique exalte la sexualité, avec ses désirs et ses plaisirs… Elle est pure, sainte et saine, car elle relève de l’œuvre créatrice de Dieu. Ce véritable amour unit deux créatures sexuellement différentes mais parfaitement complémentaires. Cet amour, avec son expression dans la sexualité, trouve son modèle dans l’établissement divin du rapport d’alliance.

Cette affection et cette tendresse réalignent le couple et le stabilisent au sein des vicissitudes et des peines de la vie de tous les jours. Le désir pour l’autre et le plaisir avec l’autre définissent le caractère charnel et spirituel de la sexualité : un don de soi, corps et âme, qui est à son tour un don divin. La sexualité en unissant l’homme et la femme permet aux deux — que Dieu a faits l’un pour l’autre — de s’accomplir mutuellement et exclusivement dans les joies de l’amour humain. Par la suite, l’érotisme et le plaisir sont concurrencés par la virginité et le célibat : faire l’amour n’a plus cours lors de la venue du royaume de Dieu !

Dessin graphique d’Alexis Barrou, 13 ans, Vendenheim

  • La souffrance et la mort : tout cela a-t-il un sens ? Quelques réponses en temps de crise…

La chute de Jérusalem en 587 et L’exil qui s’ensuit, vont réorienter le questionnement. Alors qu’Israël a surtout pensé en terme « d’entité collective » : le peuple entier porte les conséquences de ses actes et cela peut se transmettre de génération en génération, on assiste à un glissement vers une sorte de « responsabilité individuelle ». Ezéchiel révolutionne cette manière de penser en rejetant le proverbe traditionnel : « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils ont été agacées ». Chacun est responsable de ses actes. La maladie et le handicap ne sont donc plus à voir comme la punition d’un péché commis par les pères. Il faut dire que cette conception aura la dent dure au sein de certains cercles.

  • Le scandale de la souffrance du juste

En ce qui concerne la souffrance et la mort, considérées comme des conséquences directes du péché, Job introduit l’adversaire et personnalise le mal. Il force Dieu à sortir de son silence et récuse l’idée traditionnelle sur la punition des impies et la récompense des justes. Mais voilà que Dieu est d’abord absent et qu’il reste silencieux.

Ensuite, dans sa réponse, Dieu remet Job à sa place. On a, à la fois, un Dieu inactif, fatigué, qui laisse faire et un Dieu créateur, juste et favorable. Job, incompris par ses amis, fait l’expérience dans sa chair d’une injustice apparente de Dieu, tout en cherchant à comprendre et laissé sans réponse, il affirme la certitude que Dieu se manifestera et le protègera contre ceux qui l’ont rejeté : « Moi je sais que mon défenseur est vivant et que le dernier sur la terre il se lèvera et derrière ma peau je me tiendrai debout et de ma chair, je verrai Eloah, lui que moi je verrai » .

Ce sont bien les épreuves de l’exil et des guerres qui ont poussé certains à dépasser l’enseignement transmis par les sages. Cela va même un peu plus loin puisque, dans une recherche d’un sens à la souffrance, certains textes vont jusqu’à admettre que le sang versé par l’innocent est capable de sauver les pêcheurs. La souffrance va être vue comme un sacrifice de substitution et bientôt comme un acte de rédemption.

  • Dieu est du côté de la vie

C’est donc clairement du côté de la vie que penche la balance et surtout d’un sens à la vie que la Bible tente de véhiculer. C’est l’espérance d’une vie autre au lieu de l’espérance d’une autre vie, une vraie vie qui peut commencer dès maintenant…

Crédit : Point KT